|
Constant Pierre. Les facteurs d'instruments de musique |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
|
Documentation
> Constant
Pierre 1893. La numérotation d'origine est notée entre doubles parenthèses au milieu du texte, parfois même au milieu d'un mot. Nous n'avons pas numérisé la table des noms en fin de livre, ni l'erratum, mais corrigé les erreurs dans le texte.
LES FACTEURS
D’INSTRUMENTS DE MUSIQUE
LES LUTHIERS
ET LA
FACTURE INSTRUMENTALE
PRECIS HISTORIQUE
Constant PIERRE
Commis principal au secrétariat du Conservatoire national de musique officier d’Académie
----------------------------------------
PARIS ED. SAGOT
Librairie Musicale, rue Guénédaud, 18 ----- 1893
LES FACTEURS D’INSTRUMENTS DE MUSIQUE LES LUTHIERS ET LA FACTURE INSTRUMENTALE PRÉCIS HISTORIQUE SOMMAIRE Avant-Propos (p. IX)
I Dénominations successives de la Corporation. Origine des mots faiseur. facteur, luthier, orqanier, etc. ; ordonnance de 1297 (p. I) ; extrait des comptes des bâtiments sous Louis XIV (1671-91) (p. 2) ; définition de Richelet (1680) (P. 4) ; sentences de police (1731-41) (p. 5) ; édit de 1776, usage moderne (p.6).
II La Communauté des Maîtres faiseurs d’instruments de musique Moyen âge : le Registre des métiers 1258, le livre de la Taille 1292 (p. 7). Les feseeurs de trompes admis dans la corporation des forcetiers 1297, puis dans celle des chaudronniers (p. 8). Corporation des faiseurs d’instruments (le musique formée en 1599, statuts (p. 9) ; confirmation desdits statuts en 1680 (p. 15). Difficultés suscitées à la communauté par l’autorité publique : réunion des facteurs d’orgues aux faiseurs d’instruments 1692 (p. 18). Règlement concernant les comptes de la communauté 1749 (p. 21). Nom des jurés-comptables de 1744 à 1776 (p. 29) ; jugements auxquels ont donné lieu la révision de leurs comptes (p. 30). Difficultés avec les corporations similaires : menuisiers 1520 ; boisseliers-souffle ((VI)) tiers, 1730 (p. 33) ; tabletiers 1741 (p. 34) ; peintres et musiciens (p. 39). Dissensions au sein de la corporation jugement rendu en 1752 contre les faiseurs d’instruments à vent (p. 40) ; particularités dévoilées par ce document (p. 46). Entraves apportées à l’industrie par les corporations ; formalités pour l’admission, restriction du travail, subterfuges employés (p. 49). Suppression des communautés en février 1776, dispositions libérales de cet acte (p. 52) ; Rétablissement des corporations par l’édit d’août 1776 (p. 53) ; l’autorité ne soutient pas leurs exigences : exemption accordée à Séb. Erard (p. 55). Abolition définitive en 1791 (p. 56). Importance numérique de la corporation au XVIIIe siècle (p. 58).
III Recherches sur les anciens facteurs (XVe - XVIIIe siècles). Pénurie de renseignements sur le moyen âge et la Renaissance ; causes (p. 60). Facteurs connus des XVe et XVIe siècles (p. 61). XVIIe SIÈCLE : luthiers, facteurs de clavecins et d’orgues, d’après les instruments, la Muze historique et les comptes de Louis XIV (p. 63) ; facteurs d’instruments à vent, d’après le Traité de la Musette, de Borjon, le Livre commode et les instruments (p. 72). XVIIe SIÈCLE. Remarques, notes biographiques, détails inédits. 1e période 1700 à 1760. Luthiers (p. 77) ; Guersan répare la contrebasse de l’Opéra, 1749 (p. 83). Facteurs de clavecins (p.88) et facteurs d’orgues (p. 92) : les automates de R.Richard (p. 96). Facteurs d’instruments à vent (p. 98) Bizey fait un cor anglais et un hautbois baryton en (p. 98). Delusse auteur d’une contrebasse de hautbois (p. 100) ; G. Lot construit la clarinette-basse, en 1772, 21 ans avant Grenser, auquel on attribue à tort cette invention ; il fournit 9 tuyaux pour le diapason de l’Opéra (p. 103) ; la famille Raoux (p. 106), etc. 2e période 1760-74 : Luthiers (p. 107). ; F. Lupot, à la cour de Wurtemberg, certificat de Jomelli (p. 111) ; Facteurs de clavecins et, de harpes (p. 117) ; Facteurs d’orgues (p. 120) ; Facteurs d’instruments à vent (p. 121) 3e période 1775-99: Luthiers (p. 122). Pique et Lupot ; ce dernier lui fait des violons, correspondance à ce sujet (p. 127) ; Facteurs de harpes et de clavecins (p. 132) ; Importation du ((VII)) piano à Paris, détails inconnus: premières auditions (p. 136) ; chanson d’Albanèse (p. 137) ; opinion de Voltaire et du chanoine Troufflaut (p. 138) ; les premières œuvres, les premiers facteurs (p. 139) ; arrivée d’Erard et ses débuts (p. 141) Facteurs d’orgues (p. 144) ; Somer est chargé du service des orgues pour les fêtes nationales (p 145). Facteurs d’instruments à vent (p. 147) ; et de serinettes (p. 151): les premiers diapasons en acier (1777) ; Mayer propose un orgue ambulant à cylindre pour les fêtes nationales (p. 152). Résumé : les facteurs et la production (p. 153), situation sociale, facteurs virtuoses, principales découvertes (p. 15.4).
IV Facteurs du XIXe siècle.
§ I. Variations du nombre de facteurs, tableau comparatif par catégories (p. 156), disparition des spécialistes, les grandes manufactures, les facteurs-virtuoses (p. 161). Enumération des facteurs qui se sont distingués par leurs travaux, dans les diverses branches de la facture ; notices biographiques: §II. Facteurs de pianos (p. 163) ; facteurs de province (p. 206.) ; facteurs de harpes (p.212). § III. Facteurs de grandes orgues (p. 215) ; l’orgue expressif, ses créateurs ; l’harmonium (p. 233). § IV. Luthiers d’art (p. 253) ; la lutherie courante de Mirecourt (p. 287) ; fabricants d’archets (p. 291). § V. Facteurs d’instruments à vent, en bois (p. 29!). § VI. Facteurs d’instruments en cuivre, Paris (p. 327) ; départements (p. 344). § VII. Facteurs d’instruments, cuivre et bois (p .348) instruments de toutes sortes (p. 362). Conclusion : principaux travaux, diverses fortunes des facteurs et des inventions, facteurs qui se sont le plus distingué, membres de la Légion d’honneur (p. 365).
V Chambres syndicales patronales et ouvrières.
Origine, but. Liste par spécialités des membres de la chambre syndicale des patrons (p. 369) ((VIII))
VI Le prix des instruments autrefois et aujourd’hui.
Quelques prix des XVIe et XVIIe siècles ; clavecins et pianos du. XVIIIe siècle (p. 372). Un catalogue de 1784 (p. 373). Quelques fournitures à la musique des gardes françaises (p. 375). Un tarif de 1793 (p. 375). Estimation de divers instruments saisis chez les émigrés. Parallèle entre la valeur des instruments avant la Révolution et en l’an X, par Sarrette, directeur du Conservatoire (p. 376). Prix d’instruments pour l’orchestre de l’Opéra, an VII 1831 : flûtes, clarinettes, hautbois et bassons ; le premier cornet à pistons (1830) et la clarinette-alto (1831) (p. 377). Extraits de prix courants d’instruments à souffle (1830-53) (p. 378). Tarif des différentes sortes de pianos et de harpes d’Erard, de l’an VII à nos jours (p. 379). Elévation constante du prix des violons et violoncelles Stradivarius ; prix excessifs payés par les collectionneurs (p. 381) ; prix des violons modernes (p. 386). Valeur d’anciennes orgues et des principales de Cavaillé-Coll (p. 389) ; des harmoniums Mustel (p. 389) ; Tarif actuel des instruments à souffle humain (p. 390).
VII La Facture instrumentale. Origine, progrès ; produits à diverses époques : instruments successivement en usage, moyen-âge et renaissance (p. 391) ; XVIII s. (p. 396) ; notes sur le cor anglais p. 398). XIX s. (p.399) véritables origines de l’ophicléide (p. 400), de la clarinette-basse (p. 401). Participation aux expositions ; influence sur le développement et la prospérité de la facture (p. 403) ; progrès et supériorité de la facture française constatés aux expositions internationales par le nombre des récompenses, opinion des jurys (p. 405). La facture étrangère, opinion des rapporteurs (p. 409) facteurs étrangers faisant fabriquer en France des instruments à leur marque (p 412). Facture artistique et facture courante. Principaux centres de fabrication Paris (p. 413) ; le Poitou (p. 414) ; La Couture (p. 415) ; Mirecourt, son école de lutherie (p. 416). Industries se rattachant à la facture (p. 417). Importance du commerce d’instruments de musique, statistique, importation, exportation (p. 418). Table des instruments et matières (p. 423). Table alphabétique des noms (p. 426). Errata (p. 440).
I ((p 1))
Dénominations successives de la corporation.
Ce n’est qu’après une longue période et à la suite de variations curieuses à noter, que le nom de facteur a été adopté définitivement pour désigner, d’une manière uniforme et générale, les constructeurs des diverses espèces d’instruments de musique. Au moyen âge, on désignait par le mot « féseeurs », suivi du nom de l’objet faisant leur spécialité, les ouvriers qui ne tiraient point de leur métier un nom particulier : ceux qui s’occupaient des instruments de musique étaient du nombre. Une ordonnance du prévôt de Paris, rendue en 1297, mentionne des «féseeurs de trompes », un arrêt du parlement, de 1520, cite un « faiseur d’orgues », et des lettres patentes de 1599 établissent la communauté des « faiseurs d’instruments de musique », composée des fabricants d’instruments de toutes sortes. Puis, le nom de facteur apparaît en 1668 dans les comptes des bâtiments du Roy sous le règne de Louis XIV (J Guiffrey : Collection de documents ((p 2)) inédits sur l’histoire de France, appliqué au constructeurs d’orgues : 1668. -6 aoust, à Jean Joyeux, facteur d’orgues, pour plusieurs tuyaux qu’il a faits pour conduire l’eau dans le rocher de la salle du festin..... 77 l. 1668. -24 décembre, à Estienne Evre, facteur d’orgues, pour son parfait payement de 200 livres pour avoir restably le cabinet d’orgues des Tuileries.....100 l. Cependant, il faut croire que l’usage n’avait point encore fait loi, car en 1670, 1671 et 1679, le nom de faiseur revient dans les mêmes comptes: 1670. - Recepte. De luy (Jeannot, garde du trésor royal) 7562 livres, pour en deslivrer au nommé Pampet, faiseur d’orgues, pour le paiement d’une orgue, une espinette et autres instruments. 1671. -11 Janvier, à Pampes, faiseur d’orgues et de clavessins, pour une orgue, une épinette et un clavessin qu’il a fait pour le Roy............ 7500 l. 1679. - 26 Fébvrier, à Estienne Enocq, faiseur d’orgues, pour son parfait payement de 2000................ 1000 l. Mais à partir de cette même année 1679, le nom de « faiseur » ne reparaît plus, il fait place définitivement à celui de facteur, pour ce qui concerne les organiers (Nom que l’on tend à donner, de nos jours, aux constructeurs d’orgues d’églises. La Fage semble l’avoir employé le premier, entre autres dans son volume l’Orgue de l’église royale de Saint-Denis (1845). N’est pas au dictionnaire de Littré), que le comptable de Louis XIV avait, ((p 3)) probablement par inadvertance, qualifié en 1671 d’organistes : (Dans le pacte (traité) conclu en 1504 pour la construction de l’orgue de Notre-dame-des-tables, à Montpellier, le facteur Jean Torrian, de Venise, est appelé « maistre organiste ») 1671. - 25 octobre, à Estienne Henoc, organiste, à compte du restablissement de l’orgue de la grotte de Versailles……......600 l. 1678. - 1 déc.. à Hénoc, facteur d’orgues, pour avoir rétably l’orgue de la Grotte de Versailles............... 180 l. 1679. - 13 aoust, à Enoc et Cliquot, facteurs d’orgues, à compte de l’orgue de la chapelle de Versailles................2000 l. 1684.- 19 mars, à Thierry, facteur d’orgues, à compte de la dépense qu’il a faite à démonter la grande orgue de Saint-Germain-en-Laye et celle de la Grotte de Versailles................250 l. 1685. - 10 sept., à Jean Bessart, facteur d’orgue, pour un soufflet et portemens, qu’il a fournis au nouveau fourneau de la Monnoye des médailles.........55 l. 1685. - 1 avril- 9 décembre, à Alexandre Therry, facteur d’orgues, à compte du rétablissement qu’il fait à l’orgue de la chapelle de Saint-Germain........1450 l. 1687. - 5 aoust, recette : pour délivrer au nommé Rastoin, facteur d’orgues, pour le buffet d’orgues qu’il a livré pour le service de S. M........1500 l. 1688. - 5 sept., à Alexandre Thiery, facteur d’orgues, parfait payement de 2700 liv à quoy monte l’orgue par luy fait pour l’église de Saint-Cyr...........500 l. ((p 4)) 1691. - 16 décembre, au sieur Tribuot, facteur d’orgues, parfait payement de 5500 l. à quoy monte l’orgue de la paroisse de Versailles...........400 l. Une distinction était dès lors parfaitement établie entre deux catégories de membres de la communauté ; elle fut officiellement consacrée en 1692 par un arrêt prononçant la réunion des « facteurs d’orgues et des faiseurs de flûtes, hautbois, etc., » que nous reproduirons plus loin (La substitution du mot facteur à l’ancien vocable faiseur est à remarquer ; il ne s’appliquait guère à cette époque qu’aux agents commerciaux et commissionnaires en denrées, autrement dit aux facteurs des halles. ). En 1699, nous voyons dans le Recueil des machines approuvées par l’académie des sciences (p188), le mot « facteur » appliqué aux fabricants de clavecins ; Sauveur employa également ce substantif pour désigner ceux qui faisaient les instruments à vent et les luthiers. (mémoire de l’académie des sciences, 1701, p 335) Cependant, cette dernière catégorie, de beaucoup la plus nombreuse et la plus ancienne, voyait peu à peu prévaloir son titre sur celui de la corporation et s’y substituer, bien improprement, dans le langage usuel ; Richelet ( 1680) le constate en disant que le faiseur d’instrument est celui qu’on appelle ordinairement « luthier » et en faisant remarquer à ce dernier mot « que le peuple de Paris appelle ces artisans luthiers, mais que, dans leurs lettres de maîtrise, ils se nomment faiseurs d’instruments. » ((p 5)) Ce dernier titre était en effet le seul légal et il avait l’avantage de désigner la corporation tout entière ; mais la nécessité d’une classification par spécialités s’imposait, et les intéressés ne se faisaient pas faute d’établir eux-mêmes la distinction entre les diverses branches de leur communauté. C’est ainsi que dans les sentences de police rendues à leur requête en 1731 et 1741, que l’on trouvera au chapitre suivant, ils se firent qualifier de « maistres luthiers, faiseurs d’instruments et facteurs d’orgues », et que, dans un jugement du 27 juin 1752, il est spécifié que la communauté se compose « de luthiers, de faiseurs d’instruments à vent, de facteurs d’orgues et de facteurs de clavecins ». Néanmoins, rien ne put prévaloir contre la coutume, l’essai sur l’almanach général d’indications, paru en 1769, donne une liste des « luthiers et facteurs d’orgues de la ville et fauxbourgs de Paris ; l’almanach musical de 1775 mentionne les « luthiers et facteurs d’instruments », et enfin, l’usage se trouva officiellement sanctionné par l’édit de 1776 qui, en rétablissant les corporations, désigna les anciens « faiseurs d’instruments » par le titre de « luthier ». Il est à remarquer que le nom de faiseur » ne s’applique réellement, jusqu’à la fin du XVIII siècle, qu’aux cinq ou six fabricants d’instruments à vent ; il disparut alors tout à fait du vocabulaire de la facture instrumentale. Aujourd’hui, le nom de facteur s’applique non seulement à tous les constructeurs d’instruments en général, lesquels se divisent en facteurs d’orgues ((p6)) de pianos, etc. le nom de luthier étant réservé aux fabricants d’instruments à archet (l’emploi du mot luthier, parfaitement logique au temps où le luth faisait l’objet principal de la fabrication, a cessé de l’être depuis que cet instrument a été complètement abandonné. Déjà, en 1764, J.J. Rousseau signalait cette anomalie ( Dict. de musique) que l’on ne peut faire disparaître, faute d’un terme précis mieux approprié.) ; mais on nomme encore ainsi indistinctement, les chefs d’établissements et ouvriers, bien que ceux-ci soient ordinairement appelés, suivant leur spécialité : pistonniers, finisseurs, cleftiers, etc ; et même lorsque ceux-là n’ont, à l’encontre des anciens « maîtres faiseurs », aucune connaissance pratique de la fabrication et se bornent à diriger leur manufactures comme une entreprise quelconque. Certains marchands, dans un but de spéculation, se qualifient aussi de « facteurs », quoiqu’ils n’aient aucun droit à ce titre. Par extension, on nommait anciennement facteurs, les accordeurs de clavecins ; c’est dans ce sens et non dans celui de fabricant qu’il faut entendre ce passage de J.J. Rousseau : «On a un vieux clavecin, Emile l’accorde, il est facteur ( Emile V)? » Ajoutons toutefois qu’alors, comme maintenant, ils étaient tenus à quelques réparations et qu’ils devaient posséder une certaine connaissance du métier.((p 7))
II
La communauté des maîtres faiseurs d’instruments de musique
Au moyen age.
En l’état rudimentaire de l’art musical au moyen âge, la facture des instruments de musique n’était pas assez importante pour occuper exclusivement des ouvriers spéciaux et former une industrie à part ; ils étaient construits, croit-on, par ceux qui mettaient en oeuvre d’autres objets de matière semblable à celle dont ils étaient formés : bois, ivoire, argent, etc. C’est en vain que l’on cherche trace d’une corporation particulière dans le Registre des métiers d’Etienne Boileau, qui date de 1258 ( bibl. Nat, mss. fr. 11709). Le plus ancien document connu qui fasse mention de facteurs d’instruments, est le Livre de la taille en 1292 (Collection des documents inédits de l’histoire de France). Quatre citoléeurs et trois trompéeurs y figurent : p61 : Bertaut le trompéeur 12 denrs rue aus Jugléeurs. p62 : Guillaume, le trompéeur. 6 sous P St Nicolas des Chans, dehors les murs p68 : Bernard, le trompéeur. 16 id rue aus Jugléeurs p165 : Jehan du Bois le citoléeur. 2 id rue Saint-Victor. p172 : Thomas le citoléeur. 2 id rue de la boucherie. On ignore si les premiers étaient véritablement des fabricants ou seulement des joueurs de citole ; ((p 8)) quant aux seconds, il n’y a aucun doute, car l’ordonnance ci-après. rendue en 1297 ; qualifie ces mêmes artisans de « feseeurs de trompes » . Trop peu nombreux encore pour former une corporation indépendante, ils se firent rattacher à celle dont ils relevaient plus spécialement part la nature du travail, pour jouir de ses privilèges, ainsi qu’il appert du document suivant, extrait des « ordonnances sur le commerce et les métiers, rendues par les prévôts de Paris depuis 1270 jusqu’en 1300 », publié par G Depping en 1837, à la suite des Registre des métiers, dans la collection précitée:
En l’an de grâce mil CC IIIJxx et XVIJ le merquedi après la my aoust, furent présenz par devant nous Robert Mang, lors garde de la prévosté de Paris, Hen. L’Escot, Guill ? d’Amiens et Rog. l’Englois, feseeurs de trompes, si comme ils disoient, affermanz que en toute la ville de Paris n’avoit ouvreers de leur mestier fors hostelx des trois personnes sus dites, et nous requistren en suppliant, por le profit le roi, et pour amender leur mestier, que il fussent gardez et maintenuz selonc les conditions deu dit mestier de forcerie en la forme dessus escripte, et que uns des mestres dudit mestier de forceterie et li uns d’els, fussent gardes de l’euvre des trompéors en tel manière que cil qui seroit garde deu mestier ne les autres trompéors ne puissent rien demander ne réclamer en dit mestiers de forceterie, ne euvrier de celui mestier. Et nous, leur requeste oye, deu consentement et de la volonté de Adam le forcetier, de Jean le Piquet mestres deu mestier de forceterie, pésenz pardevant nous, ((p 9) leur avons octroié leur requeste en la forme desus dite, sauf autrui droit. En temoing, etc
On suppose que cet exemple fut suivi par les faiseurs de trompes ou trompettes de province, et M. Lavoix (Histoire de l’instrumentation, p.22) cite ceux de Rouen qui se joignirent aux chaudronniers de cette ville en 1299, mais le texte des ordonnances concernant ces derniers n’en fait pas mention. Le fait est indubitable cependant, car, en 1777, nous voyons encore Carlin, célèbre pour la fabrication des cors de chasse, trompettes et timbales, figurer parmi les chaudronnier ( almanach Dauphin). Par contre, en cette même ville de Rouen, les autres faiseurs d’instruments se réunirent de bonne heure à la corporation des joueurs d’instruments et maîtres de danses ; suivant M. Lavoix, leurs statuts furent confirmés en 1454 par Charles VII, et de nouveaux privilèges leur furent accordés en 1611 et 1717 (Ibid. P. 23). En ce qui concerne Paris, on ne connaît actuellement, entre l’ordonnance de 1297 reproduite ci-dessus et les lettres de patentes portant création de la communauté des faiseurs d’instruments de musique délivrés au mois de Juillet 1599 par Henry IV, aucun document constatant l’existence d’une corporation particulière. A cette époque, les facteurs se trouvèrent assez nombreux et assez puissants pour former une communauté, peut-être même y furent-ils contraints par l’édit de 1597 qui obligeait les marchand et ((p10)) artisans, réunis ou non, à payer la finance au trésor royal (Arch nat. Vol. des Ordonnances de Henry IV, X1a 8643 Fo 68). Quoi qu’il en soit, voici les statuts et règlements qu’ils reçurent à cette occasion . Lee texte que nous donnons est pris sur le manuscrit 8095 de la Bibliothèque Nationale (Recueil d’ordonnances concernant les arts et métiers, mss. Fr. Ces statuts ont été imprimés postérieurement à 1680 en 6 p in-40, arch. Nat., AD, XI, 26) (page 86) ; il diffère, sur certains points de celui publié par M. Pontécoulant (Organographie, t. I, p 113) et de celui que A. Vidal (Les instruments à archets, t I, p 143), a cru copier « sur l’original » lequel n’est autre qu’une transcription desdits statuts faite en 1679-80, lors de leur confirmation ; mais les différences qu’il présente avec ces derniers éclaircissent des points obscurs, que des mots omis ou dénaturés par les écrivains précités, rendaient inintelligible ou en faussaient le véritable sens :
Statuts de 1599.
Lettres de création du métier de faiseur d’instrumens de musique en maîtrise et de leurs privilèges et statuts.
« Henry, par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre, à tous présens et à venir, salut : Par notre édit de rétablissement et règlement général fait sur tous les arts, trafics, métiers et maîtrises, jurez et non jurés de ce royaume, du mois d’avril 1597, nous aurions entr’autre choses, par le quatrième (Vidal ; troisième) article (( p 11)) d’iceluy, ordonné que tous marchand et artisans des villes et bourg et bourgades (Vidal ; Villes et fauxbourgs) de ce royaume, non jurés ny encore établis en jurande es-dites villes et fauxbourgs (dans Vidal, ces dix mots manquent), nous payeraient la finance à laquelle ils seraient pour ce taxez en notre conseil, eu égard à la qualité dud. Métier, et pour estre leur dit métier juré ; a quoy nos bien amez et féaux, les maîtres faiseurs d’instrumens de musique de notre ditte ville de Paris (Vidal ; y desnommez et demandeur au privillège) demandant de jouir dud. Bénéfice et privilège, nous auroient payé finance au commis de la recette générale desd. dEniers, la somme à laquelle ils auroient été taxez en notre Conseil, comme de ce appert des quittances dud. Commis y attachées (Vidal ; quittances cy annexées.), avec le dit édit, sous le contre scel de notre chancellerie, et nous auroient très humblement supplié et requis leur en octroyer nos lettres pour ce nécessaires ; sçavoir faisons que nous, voulant leur subvenir en cet endroit et faire dorénavant leur métier en non ordre et police et obvier aux abus qui se sont commis par le passé en iceluy, avons led. Art et métier de maître faiseur d’instrumens de musique fait, créé et érigé et étably ; faisons, créons, érigeons et établissons jurés ; voulons et nous plaît que lesd. Maîtres faiseurs d’instrumens de musique de notre ville de Paris jouissent des privilèges, statuts et ordonnances qui en suivent :
« Article 1er. Que nul ne sera admis et reçu à tenir boutique (Vidal ; ou magazin) d’instrumens de musique en notre ville de Paris, qu’ils ne soit reçu par deux maîtres jurez étans en charge, lesquels jurez tiendrons papiers et registres de tous ceux qui seront reçus audit métier de faiseurs d’instrumens de musique, et après avoir fait chef-d’œuvre et ((p 12)) et expérience, et qu’il soit apparu de leurs capacitez, bonne vie et mœurs, et du tems de leur apprentissage fait en notre bonne ville de Paris, seront reçus ded. Jurez, et, pour ce faire, feront le serment requis et accoutumé par devant notre procureur du Châtelet, et enregistrer (Vidal ; ensuite) au greffe d’iceluy pour y avoir action ( Vidal ; recours) quand besoin sera, après toutes fois leur avoir payé la finance. Article 2. Item. Les jurez seront deux ans entiers en charges finis et expirez (Vidal ; et l’une finie et expirée) en sera nommé ( Vidal ; mis à eslire) et élu d’autres en leurs places par la pluralité des voix de la communauté dud. Métier. Article 3. Item. Que deffenses très expresses seront faites à touttes personnes, de quelque métier, qualité et condition qu’elle soient, de tenir ( Pontécoulant : louer) boutique ny magazin desd. Instrumens de musique, vendre ny achetter iceux pour revendre et débiter en gros ou en détail, soit grands (dans Pontécoulant, ces quatre mots manquent) ou petits, de quelque sorte que ce soit, en notre ville de Paris ny ès faubourg d’icelle, s’ils ne sont reçus maîtres dud. Métier et ayant esté apprentifs en lad. Ville ; ainsi les pourront vendre aux maîtres et jurés dud. Métier et ne pourront faire autrement ( Vidal : instrument), sur peine de confiscation desd. Instrumens qui seront trouvez au magazin ou exposez en vente par autres personnes que lesd. Maîtres et jurez. Article 4. Item. Qu’il ne sera fait, reçu aucun apprentif dud. Métier, qu’il n’ait esté obligé six ans entiers avec l’un (Vidal : élection) des maîtres dud. Métier, et, huit jours après que led. Brevet d’apprentissage sera passé, le maître dud. Apprentif sera tenu d’apporter led. Brevet par devers ((p 13)) lesd. Jurés pour être enregistré afin d’éviter aux abus qui s’y pourraient commettre, n’entendant touttes fois comprendre les fils de maître dud. Métier à faire apprentissage, lesquels seront reçus maîtres dud métier par led. Jurez, en étant par eux trouvez capables, sans toute fois faire aucun chef-d’œuvre. Article 5 Item. Ne pourront aucuns desd. Jurez et maîtres dud. Métier tenir plus d’un apprentif à la fois, lequel ayant fait son apprentissage le temps et espace de quatre ans et ne luy restant plus que deux ans pour achever lesd. Six années, lesdits jurés ou maîtres dud. Métier pourront, en ce cas, prendre un autre apprentif et non autrement. Articles 6. Item. Où se trouveront aucuns desd. jurez ou maîtres avoir ouvert deux ou plus grand nombre de boutiques, seront icelles fermées incontinent et sans délay, nonobstant tout ce qu’ils pourroient dire ou alléguer pour leur déffense. Article 7. Item. Qu’où il adviendroit que quelqu’un des maîtres dud. Métier vînt à décéder, leurs veuves (Vidal : femmes veuves) pourront tenir boutique dud. Métier tout ainsy qu’ils faisaient au vivant de leurs maris, leur sera aussy loisible de tenir un ouvrier (vidal : serviteur) ayant esté apprentif dud. Métier en notre ville, et, si elles se remarient (Vidal ajoute à un autre qu’à un maître dud. Métier), elles seront entièrement privées de la ditte franchise. Article 8. Item. Que nul ne pourra travailler dud. Métier en chambre, en notre ville de Paris, ny faubourgs d’icelle, qu’il n’ait fait apprentissage en notre dite ville de Paris (Dans Vidal, la fin de cet article manque), et qu’il n’ait esté reçu maître, ainsi qu’il est spécifié à l’article premier. ((p 14)) Article 9. Item. Que deffense sont faittes à tous les dits jurez, maîtres et compagnons dud. Métier, de porter ny faire porter par quelque personnes que ce soit, vendre ou revendre aucuns instrumens de musique par les rues de la ditte ville, à peine de confiscation d’iceux et d’amande arbitraire.. Article 10. Item. Pour le regard des marchands étrangers ou autres de ce royaume qui apporteront des marchandises, soit instrumens de musique, sapins (Pontécoulant : papiers) ou autres choses servant aud. Métier, ne pourra icelle marchandise estre achettée en gros par aucuns jurez ou maîtres dud. Métier, sans en avertir la communauté diceluy ; pour ce faire, être icelle marchandise lotie et partie (Dans Vidal, ces deux mots manquent et Pontécoulant écrit « portée ») entre eux, et où, en cas qu’aucun dud. Corps eut acheté (Vidal n’achepte) lesd. Marchandises desd. forains sans en avertir lad. Communauté, laditte marchandise sera confisquée et les défaillans condamnés en telle amande que de raison. Article 11. Item Pour éviter (Pontécoulant : obvier) aux abus qui se pourroient commettre aud. Métier, les jurez d’iceluy qui se pourroient commettre aud. Métier, les jurez d’iceluy ne recevront ny admettront en la ditte maîtrise, aucun qu’il n’ait fait apprentissage et ne soit expérimenté et reconnu par les maîtres capables d’iceluy exercer, comme il est dit cy-dessus, encore qu’il fut pourvu de lettres de maîtrise du Roy, princes et princesses, crées ou à créer par cy-après. Article 12. Item Pourront les jurez maîtres dud. Métier faire touttes sortes d’étuits (Dans Vidal, les trois mots qui suivent manquent) pour lesd. Instrumens et iceux instrumens enrichir de toutes sortes de filets, marqueterie et autres choses à ce nécessaires, comme dépendans de leur dit métier, comme ils ont fait de ((p 15)) tout tems, sans qu’ils en puissent être empêchez par quelque personne que ce soit. Article 13. Item Que les compagnons dud. Métier qui désireront estre maître d’iceluy, seront reçus lorsque bon leur semblera, après toutes fois avoir esté apprentif de la ditte ville de Paris le temps ordonné cy-dessus, en payant les droits du Roy et des jurez et faisant le serment par devant le procureur du roy. Article 14. Item Seront tenus tous les maîtres dud. Métier d’avertir les jurez d’iceluy de malversations qui se pourroient commettre aud. Métier, à peine d’amande arbitraire applicable où il sera ordonné. Pour iceux statuts et ordonnances contenus et déclarés les dits articles, etc. Donné à Paris, au mois de juillet de l’an de grâce mil cinq cent quatre-vingt-dix-neuf et de notre règne le dixième. Enregistrés au registre noir neuf étant en la chambre du prévôt du Roy notre seigneur au Chastelet, le 30 novembre 1599. »
Confirmation des statuts, 1680.
Ce règlement ne différait guère de celui des autres corps de métiers ; il ne subit aucune modification par la suite, mais, dans la crainte de quelque surprise, les faiseurs d’instruments jugèrent prudent de le faire renouveler 80 ans après. A cet effet ils sollicitèrent et obtinrent de Louis XIV les lettres de confirmation qui suivent :
Confirmation des statuts des maistres faiseurs d’instrumens de musique
Louis, par la grâce de Dieu Roy de France et de Navarre, à tous présens et à venir salut.
((p 16)) Nos bien amés les maistres faiseurs d’instrumens de musique de nostre nonne ville de Paris nous ont fait remontrer que le feu Roy Henry le Grand, nostre très honoré seigneur et ayeul, auroit, conformément aux édits et règlemens sur le fait des arts marchands, artisans et mestiers agréé, approuvé, confirmé et authorisé les statuts et règlemens fait par leurs prédécesseurs sur le fait de leur art et métier par ses lettres de pattentes du mois de juillet mil cinq cens quatre-vingt-dix-neuf, registrées par le prévost de Paris le vingt novembre au dit an. Que les dits exposans ainsy que leurs prédécesseurs ont inviolablement gardées et observées sans aucun trouble. Mais d'autant qu’elles n'ont été confirmées et authorisées par le feu Roy nostre très honnoré père que Dieu absolve, ny par nous depuis nostre advènement à la couronne, lesdits exposans craignant qu’on leur voulut objecter le deffault des lettres de confirmation lorsqu’ils seraient en nécessité d’agir contre ceux qui interviendront aux dits règlement ou qui se voudroient ingérer auxdits mestier sans aucunne maistrise, reception, expérience ny capacité pour rendre leurs ouvrages parfaits, ainsy qu’il est requis par les dits statuts et règlemens. C’est pourquoy ils sont obligés de recourir à nous et très humblement faict supplier leur octroyer nos dittes lettres sur ce nécessaire. A quoy inclinant favorablement de nostre grâce spécialle, plaine de puissance et authorité royale, nous avons agréé, approuvé, confirmé et authorisé et par ces présentes signées de nostre main, agréons, approuvons, confirmons et authorisons lesdits statuts et ordonnance dudit art et mestier de faiseurs d’instrumens dudit mestier de musique, voulons et ordonnons que lesdits exposans et leurs successeurs maistres dudit mestier en jouissent et usent selon leur forme et leur teneur. Suivant lesdites lettres de confirmation ((p 17)) du mois de juillet mil cinq cens quatre-vingt-dix-neuf et sentence d’enregistrement du vingt novembre audit an cy attaché sous le contre scel de nostre chancellerie, tout ainsy qu’ils en ont bien et dûment jouy, jouissent et usent encore à présents pourvu qu’il ne soit intervenu aucun arrest et règlement contraire. Sy donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers les gens tenans nostre cour de Parlement à Paris, prevost dudit lieu ou son lieutenant, que ces présentes, nos lettres de confirmation, ils fassent registrer et de leur contenu, jouir et user lesdits exposans et leurs successeurs, maistres dudit art et mestier plainement, paisiblement et perpétuellement, cessant et faisant cesser tous troubles et empeschements contraires, car tel est nostre plaisir, et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre scel à ces dittes présentes. Donné à Saint-Germain-en-Lay au mois d’avril l’an de grâce mil six cens soixante-dix-neuf et de nostre règne le trente-sixième, et plus bas signé : Louis, et sur le reply est inscrit : Par le Roy, Colbert, avec paraphe, et à costé visé : Le Tellier, pour confirmation des statuts en faveur des faiseurs d’instruments de musique, et sur le reply : Registrées ouy le procureur général du Roy, pour jouir par les impétrans et ceux qui leur succéderont en la ditte maistrise, de leur effet et contenu estre exécuté selon leur forme et teneur suivant l’arrest de ce jour. A Paris, en Parlement le six septembre mil six cens quatre-vingt (Document inédit, Archives nationales, Ordonnance de Louis XIV. X1a8675, p 86. Ces lettres de confirmation sont transcrites immédiatement après la copie des statuts de 1599 ; il ((p 18)) est étonnant qu’elles aient échappé à A. Vidal qui a reproduit seulement lesdits statuts.) Les statuts des faiseurs d’instruments avaient été rédigés surtout pour qu’ils pussent « faire leur métier avec bon ordre et police » et pour obvier aux abus commis par le passé ; ils n’avaient donc point manqué de faire préciser leurs attributions sur quelques points ayant donné lieu à diverses contestations (Art. 12). Malgré ces précautions, ils ne réussirent pourtant pas à écarter tout différend avec les autres corporation, comme on le verra tout à l’heure. L’autorité même, par diverse mesures, leur suscita des difficultés. Pour suffire aux exigences du trésor royal, on imaginait à tout propos de nouveaux privilèges ; on créa d’abord les jurés en titre d’offices aliénables moyennant finance ; puis ce furent des charges de trésorier, auditeur des comptes, greffiers, gardes d’archives, etc., qui ne laissaient pas que de grever le patrimoine des communautés, contraintes de par leurs intérêts à les acquérir. Cependant elles ne parvenaient pas toujours à éviter toute ingérence étrangère, et, lorsque des rivaux avaient obtenu des offices, ils entendaient naturellement soumettre à leur autorité et à leurs exigences, les membres des corporations, qui résistaient souvent, d’où d’incessants conflits. C’est ainsi que R. Chéron et H. Rastoin, ce dernier, croyons-nous, facteur d’orgues, ayant levé deux offices de jurés à raison de 1 000 livres chacun, sous condition que tous les facteurs d’orgues et faiseurs de flûtes, hautbois, etc, ((p 19)) seraient soumis à leur jurande, durent se pourvoir contre ces derniers qui prétendaient s’y soustraire et être en droit de continuer leurs fonctions. Cette opposition était peut-être très légitime, mais des provisions régulières et conforme à leur demande, ayant été expédiées le 8 juillet 1692, par ordre royal, aux susdits Chérons et Rastoin, en exécution des édits portant création d’offices supplémentaires, ils eurent gain de cause ; un arrêt du Conseil d’Etat rendu à Versailles le 11 novembre suivant, décida que tous les facteurs d’orgues, faiseurs de hautbois, flûtes, etc., demeuraient réunis en un seul corps de maîtrise, et seraient sujets aux visites de ceux qui avaient levé les offices, ou de leurs successeurs :
Réunion des facteurs d’orgues, 1692.
Extrait des registres du Conseil d’Etat
« Sur la requête présenté au Roy en son conseil par Romain Chéron et Honoré Rastoin contenant que sa Majesté par ses édits des mois de mars et décembre 1691 ayant créé en titre d’office des maistres et gardes jurez et sindics dans les communautés d’arts et métiers du royaume, les supplians auroient donné leur soumission de lever les deux offices de jurez de leur communauté à raison de 1 000 livres chacun, à condition que tous les facteurs d’orgues et faiseurs d’instrumens seroient réunis à ladite communauté et soumis à la jurande des supplians, laquelle soumission auroit été agréée par Sa Majesté, en suite de quoy et du payement qu’ils auroient fait à la finance dsd. Offices, il leur en auroit été expédié des provisions ; néanmoins les facteurs d’orgues, les faiseurs de flûtes, hautbois et autres instruments de musique ((p 20)) prétendent estre en droit de continuer à faire leur fonction sans prendre la qualité de maîtres et n’être point sujets à la jurande desdits supplians. A ces causes, recqueroient qu’il plût à Sa Majesté sur ce leur pouvoir, veu les dits édits, la dite soumission donnée par les supplians des 3 mars 1691, ensemble les provisions qui leur ont été expédiées le 8 juillet 1692 ouy le rapport de Sr Phelipeaux de Pontchartrain, conseiller ordinaire au conseil royal, contrôleur général des finances, Sa Majesté en son conseil a ordonné et ordonne que tous les facteurs d’orgues, faiseurs de hautbois, flûtes et tous autres instrumens de musique de la ville de Paris demeureront réunis en un seul corps de maîtrise et jurande, et seront sujets aux visites de ceux qui ont levé les offices ou de leurs successeurs ; enjoint Sa Majesté au sieur de la Reynie, lieutenant général de police, de tenir la main à l’exécution du présent arrest. Fait au Conseil d’Etat du Roy tenu à Versailles le 11 novembre 1692. (Bibliothèque nationale, mss. Fr. 8095, p 346. Les Archives nationales possèdent un exemplaire imprimé de cet arrêt ; une feuille in-40, AD. XI, 26.) ((p 21)) Là ne se borna pas l’intervention de l’Etat dans les affaires des communautés. Pour sauvegarder ses intérêts autant, sinon plus que pour veiller à leur nonne gestion, le gouvernement jugea nécessaire de soumettre leurs comptes au contrôle du fisc par arrêt du conseil d’Etat des 3 mars, 16 mai 1716 et 24 juin 1747. Les syndics et jurés furent contraints de remettre entre les mains du procureur général Berryer, un état de leurs revenus, dettes et dépenses annuels. Ces documents examinés, chaque communauté reçut un règlement particulier spécifiant les attributions et la responsabilité de ses jurés, relativement à l’administration des deniers communs : établissement de rôles pour le paiement des droits, règles à observer pour les saisies, procès, dépenses admises, etc., etc. ; celui de la communauté des faiseurs d’instruments porte la date du 23 juin 1749, il comprend dix-huit articles :
Règlement de 1749.
Extrait des registres du conseil d’Etat.
Vu par le Roy en son conseil l’arrêt rendu en iceluy le 24 juin 1747 par lequel Sa Majesté auroit ordonné que dans un mois à compter de la notification qui seroit faite dud. Arrêt à chacune des communautés, d’arts et métiers de la ville et fauxbourgs de Paris en leur bureau, les sindics et jurez de chacune d’icelles seroient tenus de remettre entre les mains du sieur Berryer, procureur général de la commission établie pour la liquidation des dettes et la révision des comptes desd. communautés un état tant de leurs revenus que de leurs dettes et dépenses ((p 22)) annuelles, pour lesd. Etats vus et examinés, être par Sa Majesté pourvus de tel règlement qu’il appartiendra. Vu aussy les états de recettes et dépenses produits par les jurés et anciens de la communauté des faiseurs d’instrumens de musique ; tout considéré, ouy le rapport du sieur Machault, conseiller ordinaire au conseil royal, contrôleur général des finances, Sa Majesté étant en son Conseil a ordonné et ordonne : Article 1. Que tout juré, sindic ou receveur comptable entrant en charge dans la communauté des faiseurs d’instrumens de musique, sera tenu d’avoir un registre journal qui sera cotté et paraphé par le sieur lieutenant-général de police à Paris, dans lequel il écrira de suite et sans aucun blanc ny interligne, les recettes et dépenses qu’il fera, au fur et à mesure qu’elles seront faites, sans aucun délay ny remise, mettant d’abord la somme reçue ou dépensée en toutes lettres et la tirant ensuite à la colonne des chiffres, et aura soin à la fin de chaque page de faire l’addition de tous les articles de chaque colonne, dont il rapportera le montant à la tête de la page suivante. Article 2. Dans le cas où le juré, sindic ou receveur comptable sortant d’exercice se trouveroit reliquataire envers sa communauté par l’arrêté de son compte, le juré ou receveur comptable son successeur, sera tenu de poursuivre le payement dud. Débet par touttes les voyes dues et raisonnables, et de justifier desd. poursuites par pièces et procédures, supposé qu’il ne puisse en faire le recouvrement, à peine d’en répondre en son propre et privé nom, et d’être forcé dud. Débet dans la recette de son compte. Article 3 Le produit des confiscations et amendes prononcées au profit de la communauté, sera employé dans la recette des comptes et justifié par le rapport des ((p 23)) sentences et arrêt qui les auront prononcées : et au cas que le recouvrement desd. amendes ne puisse être fait par l’insolvabilité de ceux qui y seront condamnés, led. Comptable en fera reprise, qui luy sera alloué en justifiant de ses diligences ; n’entendant Sa Majesté interdire les voyes d’accomodement à l’amiable entre les parties, pourvu toutefois que lesd. Accomodemens soient authorisés par le sieur lieutenant général de police, auquel cas le comptable sera tenu d’en apporter la preuve par écrit. Article 4. Il ne pourra être employé aucuns deniers de la communauté pour les dépenses de la confrairie, de quelque nature qu’elles puissent être, au moyen de quoy la recette et la dépense concernant lad. Confrairie ne pourra entrer dans les comptes de la communauté, sauf aux maîtres de confrairie ou à ceux à qui l’administration en est confiée, à rendre un compte particulier à la communauté de ce qu’ils auront reçu et dépensé pour raison de leur exercice, sans que led. Compte puisse estre cumulé avec celuy des deniers de la communauté, ny en faire partie. Article 5. Ne pourront les jurés délivrer aucune lettre ou certificat d’apprentissage ou de réception à la maîtrise qu’au préalable ils n’ayent perçu en deniers comptants les droits attribués à la communauté pour raison desd. brevet ou réception, sans qu’il leur soit permis de faire aucune modération, remise ni crédit desd. droits, à peine d’en répondre en leur propre et privé nom. Article 6 Ne pourront pareillement les sindics, juré ou receveur, se charger en recette dans leurs comptes des droits qui leurs sont personnellement attribués, ainsy qu’aux anciens sur les réceptions des maîtres ou confections de chefs-d’œuvre, et les cumuler avec les droits appartenans à la communauté, pour les porter ensuite ((p 24)) en dépense ou reprise, mais ils se chargeront seulement en recette des deniers de la communauté. Article 7. Il sera fait tous les ans par les jurez et anciens de la communauté, un rôle de tous les maîtres et veuves, divisé en trois classes : la première contenant les maîtres et veuves qui tiendrons boutique lors de la confection dud. Rôle et qui seront en estat de payer les droits de visites ; la seconde, contenant les fils de maîtres reçus à la maîtrise et qui demeureront chez leurs pères ou chez d’autres maîtres, en qualité de garçon de boutique ou compagnons ; et la troisième contenant les noms de ceux qui seront réputez hors d’estat de payer lesd. Droits ou à qui il conviendra d’en faire remise d’une partie, lequel rôle sera remis tous les ans entre les mains du juré comptable qui entrera en charge, après avoir été affirmé par tous les autres jurez et anciens, et sera tenu led. Juré comptable, de tenir compte à la communauté du montant de la première classe, à moins qu’il ne justifie du décèds des maîtres arrivé pendant son année de comptabilité, par un estat signé de tous les jurés et de quatre anciens, et de compter pareillement des sommes qu’il aura pu recouvrer sur les maîtres de la troisième classe, le montant desquelles sera alloué dans la recette de son compte sur le certificat des jurez en charge. Article 8. Ne pourront lesdits jurés faire aucun emprunt, même par voye de reconstitution, sans l’approbation par écrit du sieur lieutenant général de police. Article 9. Les frais de saisie ne seront alloués dans la dépense des comptes, qu’en représentant les procès-verbaux dressés à l’occasion desd. saisies, les quittances des sommes qui auront été payées aux officiers de justice, pour leurs vacations et droits d’assistance, et en justifiant par les comptables de l’événement desd. saisies, à peine ((p 25)) de radiation ; et dans les cas où lesd. Procès-verbaux seraient produits dans quelques instances, en sorte que le comptable ne pût les représenter, il sera tenu d’y suppléer par des copies certifiées de l’avocat ou du procureur chargé de l’instance. Article 10. Ne pourront les jurez interjetter appel des sentences du Châtelet, soit pour frais de saisie ou autres cas qu’ils puissent être, sans s’être fait préalablement authoriser par une délibération expresse de la communauté convoquée à cet effet, à peine de radiation de tous les frais qu’auroient occasionnés lesdits appels. Article 11. Les à-comtes qui pourront être payés aux procureurs ou autres officiers de justice, sur les frais des procès existants, ne seront alloués que sur le vu des mémoires ou quittances détaillés, qui fassent connoitre la nature des affaires et les tribunaux où elles seront pendantes : et lorsque lesdits procès seront terminés, le juré comptable qui fera le dernier payement au procureur ou autres officiers de justice, sera tenu de faire énoncer dans la quittance finale qui luy sera délivrée, les sommes qui auront été payées à compte sur lesdits frais, avec la date des payements et les noms de ceux par qui ils ont été faits, et de rapporter toutes les pièces dudit procès. Quant aux frais de consultation, aux honoraires d’avocats, à ceux des secrétaires, des rapporteurs et autre de cette nature, qui ne peuvent être justifiés par des quittances, il y sera suppléé par des mandemens ou certificats signés de tous les jurez et de six anciens au moins, à peine de radiation. Article 12. Les frais de bureau consistants dans le loyer du bureau d’assemblée, les gages du clerc, la fourniture de bois, chandelles, papiers, plumes, cire, encre, impressions et autres menues dépenses, seront détaillés et justifiés par des quittances ou par des mandemens ((p 26)) signés des jurez et de six anciens, et ne pourront, sous quelque prétexte que ce soit, excéder la somme de deux cens soixante-douze livres. Article 13. Ne pourront les jurés, conformément à l’article 5 du présent règlement, porter dans la dépense de leurs comptes, aucuns droits ni attributions sur les réceptions des maîtres. Article 14. Les frais de carrosses et sollicitations ne seront alloués, dans la dépense des comptes, que lorsqu’ils auront été faits dans les cas urgent et indispensables, et qu’ils se trouveront détaillés et justifiés par des mandemens ou certificats signés de tous les jurez et de six anciens au moins, et ne pourront excéder la somme de vingt-quatre livres. Article 15. L es jurez sortant de charge, seront tenus de présenter leurs comptes à la fin de leur exercice, aux jurez en charge et aux anciens auditeurs et examinateurs nommés suivant l’usage, à l’effet d’être lesdits comptes par eux vus, examinés et contredits, si le cas y échet, et arrêtés en la manière accoutumée, au plus tard, trois mois après l’exercice du comptable finy, et ce nonobstant tous usages, dispositions de statut et autres règlemens à ce contraire, auxquels Sa Majesté a dérogé et déroge expressément par le présent arrêt : et seront lesdits comptes, ensemble les pièces justificatives, remis aux jurez en charges, qui seront tenus de leur part de les remettre, dans un mois au plus tard, au greffe du bureau de la révision pour être procédé à la dite révision, après laquelle lesdits comptes et pièces seront rendus auxd. Jurez en charge pour les déposer dans leurs archives. Article 16. Dans le cas où le comptable seroit réputé en avance par l’arrêté de la communauté, il ne pourra cependant être remboursé par son successeur, qu’après la révision de son compte et que lesdites avances auront ((p 27)) été constatées et arrêtées par les sieurs commissaires du conseil à ce députez, à peine contre le sindic, juré ou receveur qui auroit fait led. Remboursement, d’en répondre en son propre et privé nom. Article 17. Et d’autant qu’il pourroit se trouver des sindics ou jurés qui ne seroient pas en état de dresser et transcrire eux-même leurs comptes en la forme et la manière qu’ils doivent être, sans le secours de personnes capables, à qui il est juste d’accorder un salaire raisonnable, permet Sa Majesté à chacun desd. comptables d’employer chaque année dans la dépense de son compte la somme de vingt-quatre livres pour la façon et expédition d’iceluy. Article 18. Enjoint Sa Majesté aux sieurs commissaires du bureau étably pour la liquidation des dettes des corps et communauté et révision de leur compte, et au sieur lieutenant général de police, de tenir la main chacun en droit soy à l’exécution du présent règlement qui sera enregistré à lad. commission et transcrit sur le registre de la communauté des faiseurs d’instrumens de musique pour être exécuté suivant la forme et teneur. Fait au conseil d’Etat du Roy, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le vingt-troisième jour de juin mil sept cens quarante-neuf. De Voyer d’Argenson. Je requiers pou le Roy que le présent arrêt soit enregistré au greffe de la commission pour être exécuté selon sa forme et teneur. Berryer. En exécution de l’article 18 de l’arrêt ci-dessus et de la réquisition qui suit, ledit règlement fut enregistré le 4 juillet suivant : ((p 28)) Les commissaires généraux du conseil, députez par Sa Majesté par arrêt de son conseil d’Etat des 3 mars et 16 mai 1716 et autres subséquens pour la liquidation des dettes et la révision des comptes des corps marchands et des communautés d’arts et métiers de la ville et fauxbourgs de Paris et notamment par autre arrest. Du conseil d’Etat du 24 juin 1747 : Vu par nous l’arrest du conseil d’Etat du 23 juin 1749 contenant règlement pour la communauté des faiseurs d’instrumens de musique, les conclusions du sieur Berryer, chevalier conseiller du Roy en ses conseils, maître des requêtes ordinaires de son hostel, lieutenant général de police et procureur général de notre commission, ouy le rapport du sieur Maston de Bercy, chevalier conseiller du Roy en ses conseils, maître des requêtes ordinaires de son hostel, l’un de nous, commissaire à ce députez : Nous commissaires généraux susdits, en vertu du pouvoir à nous donné par Sa Majesté, avons ordonné et ordonnons que ledit arrêt du conseil d’Etat du vingt-trois juin mil sept cens quarante-neuf sera enregistré au greffe de notre commission pour être exécuté selon sa forme et teneur. D’aguesseau, Dematon de Bercy, Mabont, Saunier, et Bertin. (Pièces publiées ici pour la première fois . Archives nationales, V7, 420) Ce règlement n’était pas particulier à la communauté des faiseurs d’instrumens de musique ; ses dispositions reproduisent, à peu de chose près, celles de l’arrêt du conseil d’Etat en date du 4 mai précédent (1749) ((p 29)) concernant l’administration des deniers communs des communautés et la reddition des comptes de jurande, il varie sur le chiffre maximum de dépenses autorisées par les articles 12, 14 et 17, sensiblement modéré pour les facteurs d’instruments. Il est probable que ce règlement ne fit que sanctionner un état de choses existant, à moins qu’il n’ait eu un effet rétroactif, car il existe des jugements rendus en 1761, se rapportant aux comptes des années 1744-45 et suivantes. Les comptes eux-mêmes avec pièces à l’appui ne nous sont parvenus, mais on conserve aux archives nationales (carton V7, 434), les jugements prononcés par les commissaires examinateurs, sur la gestion des jurés comptables de 1744 à 1776, dans lesquels nous relevons quelques particularités intéressantes.
Jurés-Comptables 1744 – 76.
L’exercice des comptables commençait le 23 novembre de chaque année ; il échut successivement à Jean Galland (1744-45), Jean-Nicolas Lambert (1745-46), François-Henry Lescop (1746-47), Jean-Henri Hemsch (1747-48), Louis Guersan (1748-49), Nicolas Somer (1749-50), Jean-Baptiste Lempereur (1750-51), Jacques Bourdet (1751-52), Claude Boivin (1752-53), Louis Bessart (1753-54), Pierre Ruelle (1754-55), Benoit Fleury (1755-56), Louis-Alexandre Cliquot (1756-57), François Ferry ou Feury (1757-58), Robert Richard (1758-59), Jean Louvet (1759-60), Jean-Baptiste Deshaye-Salomon (1760-61), Guillaume Hemsch (1761-62), François Gaviniès (1762-63), Benoit Hellé (1763-64), François Le Jeune (1764-65), Henry Cliquot (1765-66), ((p 30)), Joseph Gaffino (1766-67), Pierre-Mathieu La Rue (1767-68), Antoine Saint-Paul (1768-69), Georges Cousineau (1769-70, Thomas Lot (1770-71), Jean-Henri Moers (1771-72), Prudent Thierriot (1772-73), Jean Henocq (1773-74), Jean-Henri Naderman (1774-75), et Pascal-Joseph Taskin (1775-76)
Révision des comptes.
Si ces jurés présentèrent leurs comptes dans les délais fixés par le règlement, l’examen n’en eut pas lieu aussitôt, car c’est seulement le 23 janvier 1761 que la commission se prononça sur ceux des années 1744-45 à 1749-50 ; ceux des années 1750-51 à 1754-55 avaient été examinés le 18 juillet 1760 ; le 4 décembre 1761, on statua sur les années 1756-57 à 1758-59 ; puis après un intervalle de près de six années, on reprit la vérification, qui porta sur les exercices 1759-60 à 1763-64 (27 mars 1767), et à partir de l’année suivante, on put continuer, de deux ans en deux ans, puis d’année en année, à s’occuper desdits comptes de telle sorte que l’on parvint, en 1775, à liquider ceux de l’exercice précédent et que la décision sur ceux de 1775-76, fut prise le 14 mai de la même année. Faut-il attribuer le retard qui se produisit dans les premiers temps à la surcharge qui incombé à la commission ? Peut-être bien, Mais, à quelque cause qu’il soit dû, ce retard eut pour résultat de faire exercer des poursuites en restitution de fonds, contre les héritiers de jurés décédés dans l’intervalle, sans avoir pu présenter leur justification, entre autres : Jean Galland, J-N Lambert et H Lescop ; car nos maîtres jurés étaient plus habiles faiseurs d’instruments que ((p 31)) comptables exercés. Dans l’espace de vingt-ans, il n’y a pas un seul compte qui n’ait donné lieu à observation de la part de la commission de révision, et par suite, à jugement condamnant les comptables à restituer les sommes indûment perçues ou omises, et celles payées sans motif valable, H. Cliquot (1765-66) est le premier dont les opérations furent reconnues exactes ; six ans après, Thomas Lot se trouva dans le même cas, ainsi que les quatre derniers jurés comptables de la liste que nous avons donnée précédemment, soit six contre trente-huit ; cette proportion indique que les anciens facteurs ne brillaient pas précisément par les capacités administratives. Les irrégularités signalées par les commissaires portaient sur les recettes et dépenses faites contrairement au règlement. Conformément à l’article 4, ils rejetaient les sommes reçues ou payées pour la confrérie, de même que les augmentations et modérations de droit de réception ou de visites, interdites par les articles 5 et 13 ; ils rayaient également les frais de justice engagés sans autorisation, et refusaient les dépenses non appuyées de mémoires détaillés, comme aussi ils réduisaient celles qui leur paraissaient exagérées ; -ainsi la communauté ayant fait chanter en 1763, un Te Deum dont les frais s’élevaient à 164 livres, cette dépense ne fut admise que pour 130 livres ; -enfin lorsque le comptable avait encaissé une somme inférieure à celle qu’il aurait dû recevoir, pour droits de visite ou autres, la commission les rétablissait au chiffre qu’ils devaient produire ((p 32)) réellement et ajoutait, le cas échéant, les recettes qu’il avait négligées. Il en résultait parfois de ce chef, des différences assez importantes : les plus considérables furent celles de 1847-48 et 1751-52, montant, la première à 531 livres 20 sols, le comptable ayant perçu en moins 450 livres sur les droits de réceptions à la maîtrise de six récipiendaires ; la seconde à 550 livres, imputables à J.-H. Hemsch et à J. Bourdet ; les autres varient entre 35 et 152 livres. Les jurés comptables étaient contraint au payement des reliquats, solidairement avec leurs co-jurés ; le comptable par corps, et les co-jurés ou leurs héritiers ou ayant cause, ainsi que ceux du dit comptable, par toutes voies dues et raisonnable, sur les poursuites et diligences du juré en exercice, auquel défense était faite de payer aucun aréage de rentes, s’il en était dû, jusqu’au versement dudit reliquat. Le jugement des commissaires devait être exécuté « nonobstant opposition ou empêchement quelconque » ; presque tous les jurés comptables dont la régularité des écritures avait été contestée, faisaient opposition, ce qui donnait lieu à un jugement contradictoire rendu généralement deux ans après le premier. Sauf une seule exception, les opposants n’eurent qu’à se féliciter d’avoir réclamé, car les sommes dont ils étaient reliquataires, furent dans la plupart des cas, sensiblement abaissées. De 325 livres 2 sols 7 deniers, une somme se trouvait réduite à 128 livres 15 sols ; une de 40 livres 18 sols, tombait à 9 livres 5 sols 2 deniers ; telle autre était modérée de 152 livres ((p 33)) à 46 livres, etc. ; la seule qui fût confirmée était de 41 livres 16 sols, elle incombait à F. Feury.
Conflit avec les menuisiers, 1520.
De tous les abus auxquels il est fait allusion dans les préliminaires des statuts de 1599,un seul est parvenu à notre connaissance par un arrêt du Parlement en date du 18 mai 1520, qui renvoyait les jurés menuisiers par devant le lieutenant criminel, à cause des violences exercées lors d’une saisie pratiquée sur l’ouvrage d’un faiseur d’orgues : « Les jurez menuisiers ayant saisye l’ouvrage d’un faiseur d’orgue, le procureur du Roy à qui ils en firent rapport les renvoya par devant le lieutenant criminel, à cause des violences qu’ils avaient faites. Les jurez en ayant appelé, la cour les renvoya aussy devant le lieutenant criminel ».(Inédit, Bibl. nat., mss fr., 8167, p 145 verso). Ainsi que nous l’avons dit plus haut, les réserves faites à l’article 12 des statuts furent insuffisantes a protéger les facteurs d’instruments contre les entreprises des autres corporations. En 1730, les boisseliers-souffletiers firent saisir trois soufflets chez un facteur d’orgues, nommé N. Collard, sous prétexte qu’ils étaient seuls assermentés ; mais le lieutenant de police par une sentence du 20 juillet 1731, repoussa cette prétention et maintint les facteurs d’orgues dans le droit de faire les soufflets « servant à l’orgue et à autres instruments de musique » avec défense ((p 34)) aux boisseliers « de les y troubler » (Statuts, ordonnances… de la communauté des maîtres faiseurs d’instruments de musique.. Paris (Grou), 1741, in 12., bibl. nat. Inv. F. 26436). Cette sentence ne mit pas fin au conflit ; il ne se termina que le 23 avril 1738, par un arrêt de la Cour du Parlement, confirment la décision du lieutenant de police et condamnant les boisseliers appelants à 12 livres d’amende et aux dépens de la cause. Quelques années plus tard, les tabletiers ayant été informés que des peignes et autres objets de tabletterie avaient été déposés par des forains chez Lefèvre, maître savetier, leurs jurés firent saisir toutes les marchandises qui s’y trouvaient, parmi lesquelles étaient 9 fifres, 7 flûtes et 54 flageolets. Craignant que les tabletiers ne se fissent un titre de cette saisie pour se prévaloir du droit, qu’ils avaient toujours revendiqué, de tourner les instruments, E. Blanchet et P. Villars, maîtres luthiers, faiseurs d’instruments et jurés de la communauté, se pourvurent en restitution des instruments saisis, prétendant à juste titre, que la confiscation de ces instruments leur appartenait, par suite du privilège qu’ils avaient seuls, de faire et de vendre les instruments de musique. Faisant droit à leur requête, le lieutenant de police rendit le 14 juillet 1741, une sentence par laquelle défense était faite aux tabletiers de tourner aucunes flûtes, fifres et autres instruments, et confirmant les luthiers dans le droit de tourner seuls, à l’exclusion desdits tabletiers, lesdits instruments : ((p 35))
Procès avec les tabletiers, 1741.
« A tous ceux, etc…, Gabriel Hiérosme de Bullion, etc., prevost de Paris, salut, sçavoir faisons que sur la requête faite en jugement devant nous en l’audiance de la Chambre de police du Chatelet de Paris par Me le Masson, procureur de François-Etienne Blanchet, et Paul Villars, maîtres luthiers, faiseurs d’instrumens de musique et jurés en charges de leur communauté, demandeurs suivant exploit fait par Lambert, huissier, le cinq may dernier, controllé par Meissonnier le six, à ce que la saisie que les tabletiers ont fait faire sur le nommé Lefèvre savetier, par procès verbal du 17 mars dernier, de neuf flûtes traversières et neuf fiffres et quatre flajolets, soit déclarée valable et confisquée à leur proffit, qu’à les leur remettre le gardien contraint par corps et autres fins y portées avec dépens, incidemment demandeurs suivans leurs moyens du neuf juin dernier, à ce que deffense soient faites aux tabletiers de tourner aucunes flûtes, fiffres et flajolets et autres instrumens de musique, et qu’ils soient condamnez en leurs dommages et intérêts, et aux dépens, demendeurs suivant leurs autres moyens du 23 juin, à ce qu’il leur fut donné lettres de la déclaration faite par les tabletiers de ce qu’ils n’entendaient point insister dans le droit de tourner les flûtes, flajolets et autres instruments de musique ; en conséquence qu’ils fussent maintenus dans le droit de les tourner seuls, à l’exclusion des tabletiers et aux dommages-intérêt et dépens, demandeur suivant l’exploit fait par led. Lambert, huissier, le premier de ce mois, controllé le trois par led. Meisaunier, controllé et présenté au greffe, à ce que la sentence qui interviendroit fut déclarée commune avec Lefèvre, la saisie-confiscation des instrumens de musique en question fut déclarée valable avec luy avec dommages, intérêts et dépens ; assisté de Me de la Martinière, son avocat, contre ((p 36)) Me Failly pr de François Caron, Antoine-François Désormeaux, Michel-François Vaudron et le sieur David, tous jurez en charges de la communauté des maîtres peigniers tabletiers à Paris, et Jacques Audoüard, clerc de la communauté, gardien des marchandises, défenseur assisté de Me Frouard, leur avocat, et encore contre le nommé Lefèvre, maître savetier à Paris, partie saisie, défendeur à l’exploit du premier de ce mois. Partie ouyes entre lesd. Mes de la Martinière et Frouard, et par vertu du deffaut de nous donné contre led. Lefèvre non comparant, ny procureur pourluy, sans que les qualités puissent nuire, ny préjudicier, nous recevons les parties de la Martinière, parties intervenantes, et faisant droit sur leur intervention et réclamation, leur donnons lettres de la déclaration faite par les parties de Froüard, qu’ils n’entendent point insister sur le droit de tourner les flûtes, flajolets, hautbois et autres instruments de musique ; en conséquence avons maintenus les luthiers dans le droit de tourner seuls, à l’exclusion des tabletiers, lesdits instrumens de musique ; disons que les flûtes, flajolets et autres instruments de musique saisis par les parties de Frouard demeureront et appartiendront acquis et confisqués au profit de la partie de la Marinière ; à remettre lesd. Flûtes, flajolets, seront lesd. Parties de Frouard contraintes, quoy faisant déchargées ; déclarons le présent jugement commun avec le nommé Lefèvre défaillant que nous condamnons aux dépens envers touttes les parties, ce qui sera exécuté nonobstant et sans préjudice de l’appel et soit signifié. En témoin de quoy nous avons fait sceller ces présentes ; ce qui fut fait et donné par Me Claude-Henry Feydeau de Marville, chevalier conseiller du Roy en ses conseils, ((p 37)) maître des requêtes ordinaires de son hôtel, lieutenant général de police au Chatelet de Paris, tenant siège le vendredy quatorze juillet 1741. Collationné. Signé : Lambert. Scellé le 20 juillet 1741 par Sauvage. (Inédit, Bibl. Nat., mss. Fr. 8097) Cependant, familiers avec les subtilités de la chicane, les tabletiers consentirent à laisser « finir et perfectionner les instruments » par les facteur, mais ils voulurent d’abord, que ce fût après qu’ils les auraient tournés extérieurement ; puis, ayant échoué dans cette nouvelle tentative, ils prétendirent au droit de les garnir d’ivoire ou d’ébène. Inutile de dire combien étaient peu fondées ces réclamations ; pourtant, malgré jugements et condamnations, certains tabletiers persistaient à faire des instruments. Plusieurs fois saisi à la requête des faiseurs d’instruments, Ph Delavigne ne cessait pas « d’entreprendre sur leur profession ». Condamné une première fois en 1723, il l’était encore par la sentence de la chambre de police du 1er septembre 1741, à raison d’une première saisie faite chez lui le 21 juillet précédent, de « 3 musettes, 1 violoncelle et 1 clavecin » et d’une seconde saisie, effectuée cinq jours après, portant sur « 8 musettes, 2 violons, 1 basse de flûte traversière, 1 canne de flûte à bec et 55 outils ». Nous ne savons quelles peine avaient été édictées antérieurement contre ce De Lavigne, mais celle qui résulte du chef de la saisie de 1741, déclarée bonne et valable, était par trop bénigne pour prévenir le retour des abus qu’elle ((p 38)) flétrissait : il eut seulement à payer 20 livres de dommages-intérêt plus les dépens, et la restitution de ses outils fut ordonnée au détriment des faiseurs d’instruments qui, avec raison, interjetèrent appel. (Mémoire pour les jurez de la communauté des maîtres luthiers, etc. Bibl. Nat., Recueil de factums, in-f° F. 301, n0 12524). L’inventaire des papiers relatifs aux corporations et communautés de Paris, transporté de l’hôtel de la mairie au contrôle général, en exécution de l’arrêt du 3 octobre 1789, fait connaître plusieurs autres procès, par l’énoncé de divers documents trouvés dans les archives de la communauté des faiseurs d’instruments : (Inédit, Arch. Nat. F12, 207)
Divers procès.
Dud. Jour 28 avril (1790) nous avons continué le présent inventaire ainsi qu’il suit : Faiseurs d’instruments de musique. Un carton sous le n° 161, renfermant des liasses concernant la communauté des faiseurs d’instruments de musique. La première contenant 32 pièces qui sont des états et soutènemens des comptes de lad. Communauté depuis 1745 jusqu’en 1776. La deuxième contenant 32 jugements rendus tant par déffaut que contradictoirement sur lesd. Comptes. Sept liasses n° 162 : 1° 30 pièces. Délibérations, requêtes au conseil et décision des maîtres concernant des réceptions de maîtres sans qualité ; ((p 39)) 2° 6 pièces. Mémoires et observations sur un projet de nouveaux statuts ; 3° 1 pièce. Mémoire des jurés relatif à la saisie faite par les peintres sur le sieur Naderman, Luthier ; 4° 1 pièce. Mémoire des jurés qui se plaignent des entreprises des merciers ; 5° 1 pièce. Mémoire des jurés contre les musiciens qui vendent des instruments ; 6° 1 pièce. Mémoire et renseignements sur icelui relatif à un placement de 3000 livres sur le clergé ; 7° 2 pièces. Mémoires, extrait et décision sur icelui concernant la demande en cassation d’un arrêt du parlement rendu en faveur des tabletiers .
Il est fâcheux que les documents énumérés ci-dessus ne soient pas tous parvenus à notre connaissance. Nous avons pu analyser les 32 jugements de la commission de révision des comptes ; n’eut-il pas été curieux de connaître les objections présentées par les parties dans leur « soutènements », tout comme les observations sur le projet de nouveaux statuts et les placements de fonds ? Il n’eut pas été sans intérêt non plus d’avoir des détails sur les instances engagées contre les corporations adverses. L’on devine aisément que c’est à cause des peintures qui enrichissaient les belles harpes de Naderman, que les peintres élevèrent des contestations, mais on ne peut rien conjecturer sur la nature des « entreprises des merciers » ni sur les raisons que les facteurs opposaient aux musiciens qui vendaient des instruments, et cela est à regretter. ((p 40))
Jugement de 1752
Les facteurs n’eurent pas seulement à lutter avec quelques corporations ; des dissensions éclatèrent parfois au sein de la communauté. Nous avons trouvé à ce sujet un jugement fort intéressant et que, malgré sa longueur, nous n’hésitons pas à donner en entier, car on y verra des détails typiques sur les us et coutumes de la communauté, ainsi que sur la bonne confraternité ( ?) de certains de ses membres : « Les commissaires généraux du conseil, députés par sa Majesté pour juger en dernier ressort les affaires concernant les communautés d’arts et métiers de la ville et fauxbourgs de Paris. Veu la requête à nous présentée par Giles Lot, gendre et compagnon de la veuve du sr Le Clerc, vivant luthier en la ville et fauxbourgs de Paris, contenant qu’il a un interest sensible de se rendre partie et d’intervenir dans l’instance qui est pardevant nous entre jurés et la communauté des maîtres luthiers de Paris, contre Charles Bizet, Thomas Lot, Paul Villars, Denis Vincent et Charles Lusse, aussi maîtres luthiers, dans laquelle ces cinq particuliers ont jugé à propos de se rendre opposants à deux délibérations de la communauté, des 3 mars 1748 et 1er septembre 1751, dont la dernière entre autre a réglé pour le bien commun, qu’il seroit admis chaque année un maître sans qualité, suivant ce que cela s’étoit pratiqué depuis longtemps dans laditte communauté, au moyen de quoy par une animosité que le supliant n’a jamais méritée, ils font tous leurs efforts pour empêcher le supliant d’être receu à la maîtrise, c’est ce qu’ils ont singulièrement entrepris par une dernière requête qu’ils ont faitte signifier à la communauté le 6 avril dernier ; dans le fait, ((p 41)) il est arrivé que le supliant, avec l’approbation de toute la communauté, s’étant présenté pour être admis à la maîtrise après avoir fait son apprentissage et avoir travaillé chez plusieurs maîtres, en sorte qu’il a la faculté de travailler comme il le fait journellement chez sa belle mère, que les cinq particuliers dénommes dans sa requête, qui sont les seuls faiseurs d’instrumens à vent de la communauté, ont formé ensemble un complot de s’opposer à sa réception, sous le vain prétexte qu’il n’avoit ni la qualité, ni la capacité requises ; cependant le supliant peut avancer avec confiance que s’il n’était pas parvenu par ses talens à exciter la jalousie de ces cinq particuliers, ils n’auroient fait aucune difficulté sur sa réception. Il faut observer à ce sujet que la communauté est composée de sujets qui sont réunis dans l’exercice de quatre différens talents, sçavoir de luthiers, de faiseurs d’instrumens à vent, de facteurs d’orgues et de facteurs de clavecin. Or, dans ces quatre arts, les cinq particuliers qui sont opposants à la réception du suplian, exercent l’art de faiseurs d’instrumens à vent, et c’est chez eux qu’il s’est instruit de cet art par apprentissage qu’il en a fait pendant cinq années chez Thomas Lot, son cousin, ayant ensuite été compagnon pendant un an chez Bizet et après chez le sieur Le Clerc dont il a épousé la fille et dont, après sa mort, il a entretenu d’ouvrages de sa façon, la boutique et les pratiques de la veuve Le Clerc, sa belle mère. Cela posé, c’est bien injustement qu’ils luy opposent un deffaut de n’avoir point de brevet d’apprentissage, c’est une suposition manifeste dans les circonstances qui viennent d’être expliquée ; le supliant étant dans un cas bien plus favorable que n’étoit Thomas Lot, son cousin, chez lequel il a fait son apprentissage, puisque Thomas Lot a ((p 42)) été luy même admis à la maîtrise sans avoir aucun brevet d’apprentissage, et a depuis passé par les charges de la communauté et a pareillement reçu des maîtres sans qualité, n’y ayant pas alors été pris par la communauté aucunnes délibérations, qui eussent autorisé sa réception et celle de ceux qu’il a fait admettre pendant sa jurande, auquel temps la communauté se croioit littérallement assujetie à la loy portée par ses statuts. En vain ils opposent sur ce fait constant que Bizet, le premier d’entre eux, a été reçu en 1716 comme ayant fait son apprantissage, que Paul Villars avoit été apprentif de Charles Bizet, que Denis Vincent avoit été reçu en vertu d’un brevet, et que Thomas Lot avoit épousé une fille de maître ; quoy qu’il en soit, il n’en résulte pas moins que tous tant qu’ils sont, leurs réceptions en étoient bien moins admissible que celle du supliant, puisque dans la vérité, Charles Bizet n’avait justiffié d’aucun brevet d’apprantissage , que Paul Villars avoit été obligé d’obtenir des lettres royaux pour être admis, son brevet d’apprantissage chez Bizet qui par le deffaut d’avoir pu représenter son brevet d’apprantissage doit être considéré comme ayant été receu sans qualité, que Denis Vincent avoit été receu sur un brevet d’autant plus supposé, qu’il n’est pas en état aujourd’hui d’en citer la datte non plus que de nommer le maître chez lequel il avoit été apprantif, que Jacques Lusse a été aussi receu sans qualité par la même raison qu’il n’en fait pas mention et qu’en un mot Thomas Lot, cousin du supliant et son maître d’apprantissage, n’a été admis à la maîtrise qu’après avoir épousé une fille de maître, d’où il s’ensuit que le supliant qui constament a fait son apprentissage chez Thomas Lot pendant cinq années et qui ensuite a été compagnon chez le sr Le Clerc, son ((p 43)) beau père, n’a pu être refusé pour la maîtrise par ces cinq particuliers qui y sont opposants, étant incontestable qu’il a plus de droit pour son admission qu’ils n’en ont jamais eu ; pour ce qui regarde la capacité dont ils prétendent luy reprocher le deffaut, c’est précisément parce qu’ils le reconnoissent très capable, qu’ils ont osé entreprendre de le refuser, attendu qu’ils apréhendent sur toutes choses le préjudice qu’il peut leur faire dans l’art qu’ils exercent, dans lequel incontestablement, son habileté est plus profonde que la leur ; aussi le mettent-ils dans la nécessité, non pas seulement d’offrir de faire un chef-d’œuvre suivant l’usage et de l’exposer à la boutique des experts qu’il nous plaira de nommer, mais encor de leur faire le deffy sur ce chef-d’œuvre suivant, dans les cinq sortes d’instrumens à vent qui est leur seul talent, déclarant qu’il renonce à l’admission à la maîtrise s’il arrive qu’aucun d’eux l’emporte sur luy dans cette occasion, et sont des conclusions qu’il nous supplie de prendre par sa requête. C’est à Charles Bizet, Thomas Lot, Paul Villars, Jacques Lusse et Denis Vincent, à accepter ce deffy et à se présenter pour jouter contre luy, quoyque cela ne soit point d’usage entre les maîtres et les compagnons qui se présentent pour être admis à la maîtrise ; le cas particulier de refus fait par ces cinq adversaires, d’admettre le supliant en luy faisant l’injure de le taxer d’ignorance, l’autorise suffisament dans ces conclusions. Il n’appartient pas au surplus au supliant d’expliquer icy les causes et la nécessité où la communauté s’est trouvée engagée de prendre les délibérations auxquelles lesdits cinq particuliers sont opposants, il fait croire que ces deux délibérations ont été mûrement réfléchies, puisqu’elles sont l’ouvrage de tout le corps de la communauté et puisque jusqu’à présent, ces délibérations ont reçeu leur exécution sans aucun trouble ny empêchement, si ce n’est de la part des ((p 44)) dits cinq opposants, depuis que le supliant s’est présenté pour être admis à la maîtrise, et l’on doit présumer que ces motifs qui se trouvent écrits dans les différentes requêtes de la communauté en l’instance, doivent être bien puissants, et que la communauté, désirant par l’homologation qu’elle demande de nous, faire une loy stable et irrévocable, nous en reconnaîtrons la justice et y aurons l’égard que la chose exige pour le maintien de la ditte communauté, qui sans cela subsisteroit difficilement. Au moins sans s’étendre d’avantage à ce sujet de la part du supliant, il ne peut se dispenser d’observer que suivant même le propre aveu des opposants dans leur dernière requête, il ne doit point y avoir de difficulté d’admettre chaque année dans la communauté un maître sans qualité, et la communauté n’en demande pas davantage y ayant restraint ce qui est contenu dans sa première délibération du 3 mars 1748. A ce seul objet par sa dernière délibération du 1er septembre 1751 ; c’est sur ce principe que le nommé Micaut a été receu maître sans qualité le 16 aoust 1751 et c’est à cette même occasion que la communauté a pris cette même délibération du premier septembre 1751. Pourquoy donc après la réception de Micaut refuse t-on aujourd’huy d’admettre le supliant, cela ne prouve-t-il pas indubitablement que c’est icy une jalousie de métier, parce que le supliant exerce le même art que celuy des opposants. Quant à ce que les opposants disent encor dans leur requête, que lors de la première délibération du 3 mars 1748, Thomas Lot qui était alors juré en charge n’a receu qu’un maître sans qualité et qu’un autre qui s’étoit présenté avoit été refusé, de même que deux autres sujets qui avoient demandé précédament leur admission à la maîtrise ; c’est inutilement qu’à ce sujet ils en veulent conclure que le refus fait d’admettre ces aspirants était fondé ((p 45)) sur leurs deffauts de qualité, étant prouvé par les registres de la communauté, que la communauté, n’a pas cessé de recevoir des maîtres sans qualité avant et depuis les délibérations dont elle demande aujourd’huy l’homologation ; mais la véritable cause du refus d’admettre les particuliers qui demandoient leur admission à la maîtrise ne vouloient donner à cet effet qu’une simple somme de 400 l. au lieu de celle de 650 livres qu’elle est dans l’usage d’exiger de chaque aspirant, suivant que cela est fixé par les délibérations ; c’est aussi cette somme de 650 l. dont le supliant a fait la consignation au désir de la communauté et pour subvenir aux charges de l’Etat auxquelles elle est soumise, en sorte que de toute manière il n’y a aucune difficulté sur l’admission demandée par le supliant, qui n’est arrêtée que par la mauvaise humeur et la jalousie des cinq opposants. Requeroit à ces causes le supliant qu’il nous plût le recevoir partie intervenante en l’instance pendante par devant nous entre les jurés et communauté des maîtres luthiers de la ville et fauxbourgs de Paris, contre Charles Bizet, Thomas Lot, Paul Villars, Jacques Lusse et Denis Vincent, maîtres luthiers, faisant droit sur son intervention, luy donner acte de ce qu’il adhère aux conclusions prises en la ditte instance par laditte communauté contre les dits cinq opposants, en conséquence, attendu la consignation faitte par le supliant entre les mains des jurés de la ditte communauté de la somme de six cent cinquante livres pour les droits de sa réception, sans avoir égard à l’opposition formée par lesdits Charles Bizet, Thomas Lot, Paul Villars, Jacques Lusse et Denis Vincent à sa réception à la maîtrise, ordonner qu’il sera passé outre à la ditte réception aux offres que fait le ((p 46)) supliant de faire le chef-d’œuvre accoutumé et aux offres qu’il fait pareillement de deffier Charles Bizet, Thomas Lot, Paul Villars, Jacques Lusse et Denis Vincent, ensemble ou séparément, de l’emporter sur eux dans le dit chef-d’œuvre, consentant de n’être point admis à la maîtrise, si les ouvrages qu’ils feront sont, par les experts nommés à cet effet jugés supérieurs au sien, et cependant condamner les dits Charles Bizet, Thomas Lot, Paul Villars, Jacques Lusse et Denis Vincent en tous les dépens. Veu la ditte requête signée Boucher, avocat du supliant ; ouy le rapport du sieur de Bercy, chevalier conseiller du Roy en ses conseils, maître des requêtes ordinaires de son hôtel, commissaires généraux susdits en vertu du pouvoir à nous donné par Sa Majesté, avons reçu le dit Gilles Lot partie intervenante en l’instance pendante par devant nous, entre les jurés et communauté des maîtres luthiers de la ville et fauxbourgs de Paris et Charles Bizet, Thomas Lot, Paul Villars, Jacques Lusse et Denis Vincent, maîtres luthiers ; et pour faire droit sur la ditte requête, ordonnons qu’elle demeurera jointe à la ditte instance, pour, en jugeant, faire droit, ainsi qu’il appartiendra, sans retardation du jugement de la ditte instance. D’Aguesseau, De Maton de Bercy, Poncher, Saunier Du 27 juin 1752 ». (Document inédit, Archives nationales, V7, 434)
Peut-être reconnaîtra-t-on avec nous que la lecture de cette pièce ne laisse pas que d’être très instructive, bien qu’il n’en ait pas paru ainsi au comte de ((p 47)) Pontécoulant qui l’a résumé en douze ligne (Organographie, t I, p 125), et n’en a retenu que ce simple fait qu’il y avait à Paris, en 1752, cinq facteurs d’instruments à vent. Nous penchons à croire même qu’il ne l’a vue que d’un œil distrait, car il désigne un nommé François Ferry comme gendre de Le Clerc et réclamant, alors qu’il s’agit, on vient de le voir, de Gilles Lot, dont le nom revient à deux reprises, tandis que l’autre n’y figure pas ; la confusion n’est donc explicable que par le peu d’attention prêtée à ladite pièce par l’écrivain précité. Sans nous arrêter sur l’étrangeté du procédé des « cinq particuliers » dont il est question, à l’égard d’un confrère contre lequel ils n’avaient aucune raison plausible à faire valoir, et sur le peu de correction qu’ils montrèrent en s’insurgeant contre une décision de la majorité de la communauté et en lui intentant un procès à ce propos, nous constatons que la situation de la corporation était assez précaire, puisqu’elle reconnaissait elle-même ne pouvoir subsister sans enfreindre les prescriptions formelles des statuts et qu’elle se trouvait dans la nécessité de solliciter l’homologation des infractions qu’elle s’était permise. C’est en violation des articles 1, 3,4 et 8, que l’on recevait des maîtres sans qualité, c’est à dire non pourvus du brevet d’apprentissage et n’ayant pas fait chef –d’œuvre et expérience. Bien que limitées à une par année, ces exemptions introduisirent dans la communauté un certain nombre de maîtres ne remplissant pas les conditions requises et tous les ((p 48)) facteurs d’instruments à vent se trouvaient dans ce cas ; il n’y avait pas moins de trente pièces, on s’en souvient sans doute, concernant les réceptions de maîtres sans qualité, dans les papiers inventoriés en 1790 dont nous avons précédemment donné le détail (n° 162, 1ere liasse). C ‘est également par dérogation à l’article 5 du règlement de 1749, qu’il était fait des concessions sur le montant des droits de réception à la maîtrise. L’on a vu dans le texte du jugement, que ces droits étaient de 650 livres en 1751, mais on acceptait quelquefois moins. La commission de révision se vit dans l’obligation d’augmenter de 450 livres la somme de 2 550 livres encaissée par J.-H. Hemsch en 1747-48, pour droits de réception de six récipiendaires, afin de « parfaire la somme qui aurait dû revenir à la communauté », ce qui porte le montant des droits à 500 livres seulement, et si des candidats furent refusés, c’est simplement parce que la somme de 400 livres qu’ils offraient, était par trop inférieure au tarif. Retenons encore de ce jugement qu’il était d’usage d’exposer les chef-d’œuvre, et que les facteurs d’instruments à vent ne construisaient que cinq sortes d’instruments : flageolets, flûtes, hautbois, clarinettes et basson. Quant au résultat de ce procès en ce qui concerne Gilles Lot, dont l’attitude ne manqua pas d’une certaine crânerie, il faut croire qu’il lui fut favorable, puisqu’il existe au musée du Conservatoire un galoubet (n° 363) portant son nom, et que le ((p 49)) catalogue de la vente A. Sax (1877) mentionne un flageolet en grenadille également à son nom. Remarquons toutefois qu’il ne figure, sur aucune des listes de facteurs que nous avons consultées, sous le prénom de Gilles. Une annonce de journal qu nous reproduirons plus loin, donne son initiale et son domicile en 1772 « cour des moines de l’abbaye de Saint-Germain », puis, à partir de 1775 jusqu’en 1783, nous relevons à la même adresse les nom et prénom de Martin Lot, peut-être fils de Gilles, qui figure ensuite, sans prénom, sur les Tablettes de Renommée de 1785. G. Lot ne s’était pas vainement targué, en mettant au défi ses adversaires, car c’est à lui qu’appartient, nous le prouverons au chapitre suivant, la priorité pour la construction de la clarinette basse, que tous les historiens, français et étrangers, ont attribuée jusqu’ici à l’allemand Grenser. Nous avons exposé, d’après des documents officiels et spéciaux aux facteurs d’instruments, les conditions dans lesquelles ils se trouvaient pour l’exercice de leur profession ; voyons maintenant, d’après les usages communs à tous les corps de métiers, quelle était la situation faite aux maîtres et ouvriers, et à combien de formalités et impôts ils étaient soumis.
Admission, formalités.
Dès le début de sa carrière, le facteur avait à compter avec de nombreuses exigences imposées par l’édit de décembre 1581. Pour être apprenti, il fallait passer un contrat par devant notaire et le faire enregistrer au greffe de la communauté, en payant les droits d’enregistrement, de cire, de chapelle, de ((p 50)) bienvenue, du garde juré, du clerc, et une imposition annuelle pendant toue la durée de l’apprentissage. Des formalités analogues étaient obligatoires pour passer compagnon ; les aspirants à la maîtrise avaient en suis à acquitter les droits de réception, le droit royal, l’enregistrement de la lettre de maîtrise, les honoraires du doyen, des jurés, du syndic, des maîtres anciens et modernes, de l’huissier, du clerc, procédant à leur réception ; puis le droit d’ouverture de boutique. Parvenu à la maîtrise, il n’était pas encore l’égal de ses collègues : il lui fallait franchir les grades de maître moderne, puis d’ancien ; alors il était apte à être appelé, toujours moyennant finance ou par élection, aux charges de garde, de syndic, de juré, de juré-comptable et de doyen, qui lui permettaient de prélever à son tour, des droits et honoraires sur ses confrères.
Attribution des facteurs
La loi n’était pas égale pour tous. Les fils de maîtres, dispensés de l’apprentissage et du chef-d’œuvre, étaient compagnons de droit et, des compagnons devenaient maître sans brevet, par parenté ou par mariage avec des filles de maîtres. De tout temps, il y eut des privilèges particuliers ; les rois, les princes et princesses accordaient des lettres de maîtrise : les maîtres et ouvriers attachés à la cour jouissaient de diverses immunités, ainsi que ceux qui habitaient les faubourgs, la galerie du Louvre, le cloître et parvis de Notre-Dame, l’enclos de Saint-Denis de la Chartre, de Saint-Germain des Prés, de Saint-Jean de Latran, de Saint-Martin des Champs, du Temple, les hôpitaux, etc. (Encyclopédie méthodique ((p 51)) ; t. IV, 1785, p 421 à 424) ; en un mot, nombreuses étaient les exceptions à la règle commune. Quelque bizarre que cela paraisse, les faiseurs d’instruments n’avaient pas le droit de fabriquer toute espèce d’agents sonores, exception était faite pour les cors de chasse, trompes et trompettes, qui, en argent, ressortissaient aux orfèvres, et, en cuivre, aux chaudronniers ; ces derniers faisaient encore les timbales et cymbales ; les fondeurs faisaient les cloches et carillons et, enfin, les boisseliers, les tambours militaires (Savary, Dictionnaire du commerce, 1723). Un peu plus tard, les cors de chasse furent compris au nombre des instruments que pouvaient fabriquer les membres de la corporation (Almanach Dauphin, 1777), peut-être concurremment avec les chaudronniers : « Les luthiers sont ceux qui ont l’art de faire et le droit de vendre toutes sortes d’instruments de musique, soit à corde ou à vent, tels que violons, quintes, alto, violoncelles, basses, bassons, harpes, luths, guitares, vielles, mandolines, psaltérions, épinettes, orgues, clavecins, flûtes traversières, flûtes à bec, hautbois, clarinettes et cors de chasse, etc. » Mais ils ne paraissent pas avoir usé de cette faculté, car le rédacteur de l’Encyclopédie méthodique écrivait en 1785 (t. IV, p 125) : « Comme les cors sont de cuivre jaune, ce sont les chauderonniers qui les font. » Quant aux instruments à percussion, rien ((p 52)) d’étonnant à ce qu’ils n’aient pas fait partie du privilège des facteurs ; aujourd’hui encore, bien qu’ils aient toute liberté de les construire, ils abandonnent ce soin à des spécialistes mieux organisés à cet effet. Âpres à la poursuite de quiconque empiétait sur leurs attributions, les facteurs ne se faisaient aucun scrupules de passer outre aux limites que leur intérêt leur avait fait édicter, lorsqu’elles leur apportaient quelque gêne ou qu’ils s’en trouvaient victime. Seuls, les maîtres luthiers et facteurs d’instruments avaient le droit d’accorder les clavecin ; c’était une besogne à laquelle ils ne pouvaient toujours suffire ; ils se faisaient alors suppléer par ‘des jeunes gens de confiance » parfaitement capables, nous n’en doutons pas, mais n’ayant pas strictement le droit d’exercer et, contraints par suite, à opérer clandestinement. Comme ces accordeurs sans qualité –lisons nous dans l’Almanach musical- bien loin de les servir, ce serait se compromettre que d’en donner une liste, et le meilleur moyen de s’en procurer, est de s’adresser aux maîtres de clavecin ou aux facteurs. Sans contester aux facteurs le droit de déléguer une partie de leurs fonctions à qui leur convenait, on ne peut se dispenser de remarquer que c’était contrairement aux règles dont ils se montrèrent si souvent gardiens jaloux, et que, selon le cas, ils avaient deux poids et deux mesures.
Suppression, Février 1776.
Les entraves apportées à l’industrie et au libre exercice de profession par les privilèges des ((p 53)) corporations, amenèrent leur suppression au mois de février 1776 (Edit de Versailles). Le préambule de cet édit offre un tableau frappant des excès engendrés par les communautés, en même temps qu’un historique de cette institution ; il indique ensuite les avantages qui devaient en résulter pour tous, de la liberté rendue au commerce et à l’industrie et des compensations que les maîtres trouveraient à la perte de leurs privilèges : suppression des droits et contributions de toutes natures, des visites ; facilités de transactions, etc., etc., puis il énumère les garanties offertes aux créanciers des communautés et les quelques professions qui, par leur nature, n’étaient point appelées à jouir de la liberté complète et restaient soumises à la surveillance de l’autorité : pharmacie, orfèvrerie, imprimerie, etc. ; il se termine en faisant connaître l’adoption d’excellentes mesures complémentaires : extinction des procès, existant entre corporations, et l’institution d’une juridiction pour l’examen des contestations entre maîtres et artisans, par les voies les plus rapides et les moins dispendieuses (Encyclopédie méthodique, p 428 et suivantes).
Rétablissement, Août 1776.
Les bénéfices que procurait la suppression totale des privilèges ne furent pas appréciés ; de vives et nombreuses réclamations s’élevèrent, suscitées par ceux dont les intérêts directs se trouvaient lésés. Le gouvernement se vit dans l’obligation de céder devant l’opinion ; au mois d’août de la même année, parut un nouvel édit portant création de six corps ((p 54)) marchand et de 44 communautés, mais, persévérant dans la résolution de détruire les abus qui existaient auparavant, il conserva libres certains genres de commerce ou métiers qui ne furent assujettis à aucun règlement ; des règles sévères furent imposées aux autres, concernant les rapports des maîtres et ouvriers ; les droits de réception furent sensiblement réduits et attribués pour un quart seulement, aux syndics de la corporation, et pour le reste au Trésor chargé d’acquitter les dettes des communautés ; les procès demeurèrent éteints comme au précédent édit, la défense de renouveler les confréries fut maintenue et l’on prescrivit l’établissement de nouveaux statuts. Ce nouvel édit, qui ne comprend pas moins de 51 articles, accordait en outre la faculté d’exercer par tout le royaume et réunissait, pour éviter les anciennes rivalités, les professions ayant quelque analogie entre elles ; il fixait l’âge minimum pour l’admission à la maîtrise, laquelle était prononcée par deux syndics, en présence de l’aspirant, par devant le procureur du Châtelet, lesdits syndics étaient également chargés de la discipline et de l’administration des affaires de la communauté, il leur était interdit d’exiger des récipiendaires d’autres honoraires que ceux fixés par le règlement et d’engager aucune affaire concernant la communauté, sans y être autorisés par l’assemblée, etc. etc. Les faiseurs d’instruments ne furent pas au nombre de ceux qui obtinrent liberté complète ; on les rangea, sous le nom de « luthiers », dans la ((p 55)) trente-huitième classe avec les tabletiers et les éventaillistes ; les droits de réception furent modérés à 400 livres au lieu de 650. Il y eut deux luthiers parmi les marchands et artisans privilégiés de la Cour par les lettres patentes enregistrées le 20 décembre 1776 ; ils étaient astreints pour toute imposition au payement d’un droit de réunion fixé à 133 livres. Les uns et les autres avaient la faculté d’exercer les trois professions de tabletier, de facteur d’instruments et d’éventailliste, avec l’autorisation d’employer la peinture et le vernis en concurrence avec le peintre sculpteur. La capitation n’ayant pas été répartie dans une juste proportion sur les membres des communautés, les privilégiés de la Cour et ceux qui exerçaient des professions libres, un arrêt du Conseil, en date du 14 mars 1779, fixa un tarif comprenant un nombre de classe, basé sur l’importance des professions ; les luthiers-éventaillistes y sont divisés en 14 classes dont la quotité de l’imposition variait entre 50 sous et 60 livres.
Tel est en quelques mots, le régime nouveau imposé aux corporations. Beaucoup plus libéral et moins vexatoire que l’ancien, il avait porté un coup fatal aux antiques prérogatives, et l’on peut dire qu’en fait, les corporations avaient vécu, car l’autorité resta sourde à leurs multiples réclamations. La preuve en est dans le brevet délivré par Louis XVI à Séb. Erard pour l’affranchir des règles étroites qu’imposaient les statuts de la communauté : ((p56)) « Aujourd’hui 5 février 1785, le roi étant à Versailles, informé que le sieur Sébastien Erard est parvenu par une méthode nouvelle de son invention, à perfectionner la construction de l’instrument nommé forte-piano, qu’il a même obtenu la préférence sur ceux fabriqués en Angleterre, dont il se fait un commerce dans la ville de Paris et voulant Sa Majesté, fixer les talents du sieur Erard dans lad. Ville et lui donner des témoignages de la protection dont elle honore ceux qui, comme lui, ont, par un travail assidu, contribué aux arts utiles et agréables, lui a permis de fabriquer, faire fabriquer et vendre dans la ville et faubourgs de Paris et partout où bon lui semble des forte-pianos et d’y employer, soit par lui, soit par ses ouvriers, le bois, le fer et toutes autres matières nécessaires à la perfection ou à l’ornement dud. Instrument, sans que, pour raison de ce, il puisse être troublé ou inquiété par les gardes, syndics et adjoints des corps et communautés d’arts et métiers, pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce soit, sous les conditions néanmoins par led. Sieur Erard, de se conformer aux règlements et ordonnances concernant la discipline des compagnons et ouvriers et de n’admettre dans ses ateliers que ceux qui auront satisfait auxdits règlements, et, pour assurance de sa volonté, Sa Majesté m’a commandé d’expédier au dit sieur Erard le présent brevet qu’il a voulu signer de sa main et être contresigné par moi secrétaire d’Etat et de ses commandements et finances. Signé Louis, contresigné : Baron de Breteuil.
Abolition définitive, 1791.
La révolution de 1789 survenue, les communautés déjà ébranlées, n’existèrent plus que de nom jusqu’au moment où l’Assemblée nationale, décrétant ((p 57)) l’abolition définitive des corporations, maîtrises et jurandes (loi des 2-17 mars 1791), accorda à tous, entière liberté. Aux terme des articles 3 et 4 de ladite loi, ceux qui avaient obtenu des maîtrises et privilèges, durent remettre leurs titres au commissaire chargé de la liquidation de la dette publique, pour recevoir une indemnité basée sur la fixation de l’édit du mois d’août 1776, à raison seulement des sommes versées au Trésor public : ceux qui avaient été reçus depuis le 4 août 1789 devaient être remboursés intégralement, ceux dont la réception était antérieure, devaient recevoir une indemnité, déduction faite d’un trentième par année de jouissance, sans que cette réduction pût dépasser les deux tiers des sommes versées. A dater du 1er avril 1791, il fut loisible à toute personne de faire tel commerce ou négoce, d’exercer telle profession ou métier qui lui convint, à charge seulement de se pourvoir d’une patente et de se conformer aux règlements de police, mais il fut formellement interdit, par la loi des 14-27 juin suivant, de se réunir e association corporative. Depuis lors, la nécessité du groupement pour la défense des intérêts généraux des diverses industries a donné naissance aux chambres syndicales patronales et ouvrières, et les facteurs d’instruments de musique ont formé des chambres dont nous parlerons au chapitre V.
Importance numérique.
Les renseignements sur l’importance numérique ((p 58)) de l’ancienne corporation des faiseurs d’instruments, ne remontent pas au delà de 1775, époque à laquelle on comptait 99 maîtres ou veuves de maîtres ; après la réunion de 1776 aux tabletiers et éventaillistes, ce chiffre subit quelques légères variations par suite des renonciations et des nouvelles admissions ; en 1779, nous trouvons un total de 89 adhérents, il y en eut 120 en 1783, puis nous n’en comptons plus que 114 en 1789, 55 en 1791 et 75 en l’an VII ; mais il importe de remarquer que, pour ces dernières années, les documents que nous avons eus entre les mains, ne comprennent qu’une partie des membres de la corporation ; cependant ils permettent de constater un accroissement dû probablement à la quasi-liberté donnée par l’édit de 1776, ou tout au moins au progrès marqué qu’avait fait l’art musical. Bien que les membres de l’ancienne corporation eussent le droit de faire presque tous les instruments, la diversité des matières et des procédés de travail les fit spécialiser à un instrument ou à ceux d’une même famille : il y avait, on le sait, les facteurs d’orgues, de harpes, de clavecin, de pianos, de serinettes, d’instruments à vent, de cors de chasse et les luthiers. Cette classification s’est maintenue de nos jours ; toutefois, elle a subi des variations dans la répartition de chaque catégories. Le tableau suivant en donnera, pour le XVIIIe siècle, un aperçu bien incomplet, mais suffisant toutefois, pour se faire une idée approximative de ce qu’était la facture à cette époque : ((p 59))
A : Quelques facteurs de harpes figuraient parmi les luthiers. B : 6 luthiers faisaient également les harpes. Nous avons mis, entre parenthèses, les chiffres de l’année 1775, parce que, additionnés, ils ne donnent pas le nombre 99 formant, selon l’Almanach musical, l’effectif total de la communauté. Le total de l’année 1777, n’est certainement pas non plus exact ; il est inférieur à la réalité, car nous avons compris dans les nombres partiels, 5 facteurs admis en 1776 et 9 admis l’année suivante, soit 14 nouveaux membres qui devraient s’ajouter aux 97 existant en 1776, alors que le total donné par le même almanach en 1777, ne diffère pas du précédent ; ce sont les lacunes que présentent les listes par spécialités, qui causent ces différences. Il convient de remarquer, en ((p 60)) outre, que le tableau ci-dessus ne s’applique qu’aux facteurs parisiens ; le nombre total des facteurs est beaucoup plus élevé, ainsi qu’on le verra à la fin du chapitre suivant.
III Recherches sur les anciens facteurs. (XVeme - XVIIIeme siècles.)
XVII, LuthiersA part quelques constructeurs d’orgues dont les noms ont été transmis par les papiers des cathédrales et les comptes des maisons royales, on ne connaît que très peu d’anciens facteurs. Il est juste de remarquer que les conditions dans lesquelles ils se trouvaient, n’étaient guère propres à faire ressortir l’individualité. Très simples d’exécution, employés en majeure partie par les ménétriers et musiciens populaires, les instruments de musique ne se plaçaient pas au dessus de beaucoup d’objets communs, œuvre d’obscurs faiseurs ; c’est même la raison pour laquelle on en trouve tant sans marque aucune. Ce n’est qu’a partir du moment ou naquirent les véritables artistes, ou l’art musical prit une certaine importance, ou enfin le goût s’affina, c’est à dire au XVIIIeme siècle, que la bonne facture fut appréciée et encouragée. Dans ces conditions, un très petit nombre de facteurs ((p61))devaient échapper à l’oubli, malgré la quantité relativement considérable d’instruments qui fut en usage du moyen âge à la renaissance. Ce n’est donc que par une circonstance fortuite, que quelques noms nous sont parvenus : des instruments ou des ouvrages anciens seuls, les révèlent. XV siècles - Luthiers - facteurs d’orgues Le plus ancien des facteurs qui soit actuellement connu est Andréa ; le musée du Conservatoire possède un petit cornet d’appel dont le pavillon est enrichi de sculptures en relief qui porte son nom avec le millésime ( n° 560 catalogue) (Le musée du Conservatoire national de musique de Paris, 1884). puis viennent Jean Bourdon de Paris, constructeur, en 1440, de l’orgue de la cathédrale de Sens et Gauthier Le Marais, de Bayeux, qui fit celui de l’église Saint-Laud, à Angers en 1447. Dans les comptes des ducs de Bourgognes, publiés par M de la Borde, on voit que vers 1450 « une harpe pour la comtesse de Charollois » fut vendue « par Jean de la Comt, pour la somme de 12 francs » et dans ceux de la cathédrale de Reims, on trouve le nom de Oudin Hestre qui construisit l’orgue en 1741. XVI siècle - Luthiers - facteurs d’orgues Là se bornent les renseignements sur le XVe siècle. Pour le XVIe, nous ne sommes pas beaucoup plus riches. Nous n’avons à citer que Jean Nicolas Babin et Jean Ancesis qui firent marché en 1516, pour la construction de l’orgue de l’église Saint-Jacques, à Montauban (Forestier, Les vieilles orgues de Montauban, réunion des Sociétés des beaux arts, 1885) ; Pontus Jousselin, auteur des orgues ((p 62)) de Notre-Dame de Cléry, de Saint-Sauveur à Blois, qui, en 1511, releva celui de l’église Saint-Maurice à Angers, auquel travailla ensuite Pierre Bert ( 1522 - 1544), l’auteur de l’orgue de La Ferté-Bernard (1536) ; Jean Prevost ou Prouvost, constructeur du second orgue de Saint-Laud à Angers (1528), qui releva celui de Saint-Maurice de la même ville en 1533 ; René Chaillon, Cerisier qui travaillèrent successivement au dit orgue (1539 1563) ; Gratien De Gully et Symon Le Vasseur, organistes et faiseurs d’orgues, auteurs présumés de l’orgue d’Alençon (G Despierres, Les orgues de N-D d’Alençon) ( marché du 15 sept 1537) ; Jean Arte, également organiste et facteur, chargé en 1554 de diverses réparations à l’orgue de Saint-Martin à Montauban ; Antoine Josselin de Rouen, appelé en 1560 à faire quelques additions à l’instrument de la cathédrale de Sens. Il nous faut encore citer Nicolas Dabeneste pour l’orgue de Notre-Dame-des-Andelys (1572) ; Nicolas Baril, de Saint-Michel de Vaucelles, pour celuis qui lui fut alloué « à faire et placer, le 26 juin 1588, pour 200 écus d’or de principal et 12 écus pour vin ( J Carlez, d’après un mss de la bibl. de Caen) », à l’église Saint-Etienne-le-vieux, à Caen ; Florentin Lusson, à qui fut confié la construction de l’orgue d’Avesnière, en 1590 ; Dupré pour l’église de Saint-Jean à Dijon, fait en 1591, moyennant 300 écus ; Jean Delaigle, facteur et organiste, qui vendit en 1598 au chapitre de la cathédrale d’Angoulême, l’instrument ((p 63)) exécuté pour l’église Sainte croix à Bordeaux où il était établi ; H Malherbe, faiseur de trompes à Sédan, qui reçut 160 francs pour dix trompes de chasse (Alb Jacquot, La Musique en Lorraine, Paris 1882, P 60) ; et le fameux Tyversius de Nancy, luthier des princes de lorraine. Le docteur H Coutagne (G Duiffoproucar et les luthiers lyonnais du XVI siècle, Lyon 1893) a trouvé des traces, dans les archives de la ville de Lyon, d’un certain nombre de luthiers ayant exercé dans cette ville, entre autre du célèbre Gaspard Duiffoproucar, dont le long séjour, de 1553 à 1570, année de sa mort, n’est plus douteux ; il y laissa même un fils nommé Jean, qui était faiseur de luth vers 1585. M Coutagne cite en outre : Nicolas Bontemps, faiseur de monicordions (1506 16) ; Honoré de Loeuvre, faiseur d’épinettes (1523 45) ; Jean Helmer, Philippe Flac faisant aussi des guiternes (1568 72 ; Pierre Le Camus (1573 75). Simon (1568 73) ; un faiseur de violes : André Vinatte (1568) et Mathelin ou Mathieu de la Noue, fleustier (1523 38) ; Toussaint Favre et Louis Gentil, ce dernier faiseur d’instruments et joueur de cornet (1542 52). Avec le XVII Siècle, commence à fleurir la lutherie ; c’est de cette époque que datent la plupart des merveilleux instruments à cordes : luths, théorbes, etc., qui font l’admiration des visiteurs du musée du Conservatoire ; et pourtant, notre liste de célébrités ne sera pas encore bien grosse, beaucoup de ces charmants ((p 64)) spécimens d’un art disparu ne portant pas de nom d’auteur. XVII siècle - Luthiers Citons Boissart et Jacques De la Mothe, parties intervenantes à un contrat du 22 nov. 1606, relatif à l’acquisition d’une maison à Paris (Mss. sur parchemin, Bibl du Conservatoire) ; Commé ou Coincu, selon Bruni (Liste des instruments de musique saisis chez les émigrés et condamnés, et mis en réserve pour la nation par la commission des arts, depuis son établissement, publié en 1891 par M J Gallay, sous ce titre : Un inventaire sous la terreur. (Le monde musical, du 15 déc. 1891, a inséré notre compte rendu de cet ouvrage, avec rectifications et détails complémentaires.). Dans son nouveau Musiciana ( P 145), MM Weckerlin a reproduit un manuscrit de la bibl du Conservatoire, intitulé : Etat des instruments de musique enlevés du dépôt national, rue Bergère, pour être transférés au Conservatoire établi aux menus, ainsi que ceux qui ont été délivrés ailleurs par ordre du comité d’instruction publique et du ministre, qui corrobore et complète la liste de Bruni) luthier à Blois, dont une guitare de 1642 fut saisie chez le conte Lowendal ; Pierre Le Duc habitait rue Saint-Honoré et avait pour enseigne « au duc doré » dont une pochette datée de 1647 figure dans la collection Loup (collection d’instruments de Musique, Paris 1888 ( Succession de M Loup). C’est par erreur que A Vidal a dit que Le Duc avait pour enseigne « au chat doré » ; l’instrument porte au duc et il est de 1647 et non de 1646), avec un petit violon, aujourd’hui au Conservatoire, de Jacques Du Mesnil, véritable bijou artistique dont la table ne mesure que 0m20cm, portant la date de 1655 ; Simon Bongars connu par la basse de viole à 6 cordes également de 1655, ((p 65)) de M de Briqueville (Catalogue des Instruments de musique anciens, etc., 1887 89) ; les Médard de Nancy, sur lesquels M A Jacquot n’a donné que des notes très sommaires : François qui dit-il vint à Paris, et fit des instruments pour la chapelle de Louis XIV ; Nicolas, son frère, né vers 1605, reçu bourgeois de Nancy en 1658, et Toussaint, fils de ce dernier, né le 5 avril 1622, dont on ne signale aucun instruments. Ajoutons que l’on connaît des étiquettes ainsi conçues : Fransiscus Médart fecit Parisis, 16.. et 1710, et d’autres au nom de Nicolas Médart, 1615, 1660, enfin, qu’il y a au musée du Conservatoire de Bruxelles, des instruments de 1701 et 1770 que nous mentionnerons à leur place, également signés Nicolas Médart. Une pochette de la collection G Samary (Collection de M Georges Samary, Paris 1887), nous révèle un luthier du même nom dont il n’est pas question dans le livre de M Jacquot : « Antonius Médaro, Nancy 1666. ». Citons encore, Pierre Aubry, marchand d’instruments de musique, d’après l’état des officiers de la maison du Roy, (1652) ; Jean Christophle d’Avignon, auteur d’un alto, grand patron (1655), actuellement au Conservatoire ; Nicolas Chéron (1658), probablement le même qui, en 1691, vendait des cordes de Rome (v plus loin) ; Jean frère, rue Saint-Martin, à Paris, qui fit, en 1667, la guitare que possède le Baron N de Rothschild ; Jacques Quinot qui nous est connu par une pochette de M Loup (1670) et par cette note de Richelet (1680) : « ceux qui voudrons entrer dans un détail plus particulier des parties du violon, n’ont qu’à voir ((p 66)) M Quinot, l’un des plus habiles et honorables luthiers de Paris », François Saraillac à Lyon en 1679, suivant l’étiquette d’une pochette ; Jacques Regnault, auteur d’une pochette à filets d’argent (1682) appartenant à M Blondin de Choisy-le-roy ; Michel Collichon, dont on a pu voir une basse de viole datée de 1683, à l’exposition rétrospective de 1889 ; Nicolas Bertrand, qui a une basse de viole (1687) et un dessus de viole (1701) au musée de Bruxelles ; un pardessus de viole (1714) à celui de Paris (n°138) et dont une basse de 1720, a fait partie de la vente Savoye (catalogue des instruments de musique, etc., composant la collection de M Savoye, 1882), Claude Trévillot de Mirecourt, chez lequel le duc Léopold envoya acheter des violons en 1698. Les Voboam se sont acquis une telle réputation que longtemps après leur mort, ils étaient encore qualifiés de célèbres. Témoin cet avis du Journal de musique de Septembre 1770 : « un particulier voudrait se défaire d’une excellente guitare faite à Paris par le célèbre Voboam en 1675, s’adresser chez le sieur Le Clerc, luthier aux quinze Vingt. » D’ailleurs on a pu en juger par la guitare (1688) avec incrustations en ivoire de la collection Loup, par la mandoline du musée de Cluny, indiquée par erreur sur le catalogue, comme étant d’Alexandre Roboam, (1682), et par celles en érable, qui sont au Conservatoire. La guitare indiquée par Bruni comme étant « d’Alexandre Vogean le jeune, 1673 » est sans aucun doute de Voboam ; il y a évidemment là un ((P 67)) lapsus du copiste. D’après le livre commode contenant les adresses de la ville de Paris, publié par Abraham Du Pradel en 1692, Alexandre Voboam, établi rue des Assis, faisait les castagnettes en perfection. Il y a dans la collection de Bricqueville, une guitare à 5 cordes doubles de ce luthier, datée de 1676, et le duc F d’Este en possède une autre de 1699. De Jean Voboam, dont il n’a pas encore été question dans les ouvrages sur la lutherie, le Conservatoire de musique possède deux magnifiques guitares de 1676 et 1687 ; cette dernière, en écaille, est renfermée dans un étui aux armes, croit-on de Melle de Nantes, fille de Louis XIV. Enfin, le Conservatoire des Arts et Métiers possède une basse de viole dont l’étiquette manuscrite porte seulement « Voboam 1730 ». M. G. Hart ( G Hart. Le Violon, ses luthiers célèbres, Paris, 1886.) après Vidal et autres, ne mentionne qu’un seul Voboam et il donne pour les dates d’exercice : 1700 - 1735 ; on voit par les renseignements ci-dessus, qu’il y eut deux luthiers de ce nom et qu’ils travaillèrent plus de 25 ans avant l’époque indiquée. Jean Hurel « faiseur d’instruments pour la musique du Roy » nous est révélé par le premier volume de Pièce à une et deux violes, de Marias, imprimé en 1686. J Hurel était alors domicilié rue des Harcis, « à l’image de Saint-Pierre » ; de 1689 à 1717, nous le trouvons « rue Saint-Martin », proche la fontaine Maubué. Ce Luthier est cité par Sauveur pour un des plus habiles. (Mém. de l’Acad. des sciences 1701). XVII - Clavecins - Orgues ((p 68))C’est aussi par des instruments que le nom de quelques facteurs d’épinettes et de clavecin de cette époque, nous est venu. Il existe au Conservatoire, une épinette de Richard, rue du Paon près Saint-Nicolas-des-Champs en 1623 (N° 320), une autre épinette, due à Philippe Denis y est également, elle date de 1672 (N°322). Ph Denis était le frère de Jean Denis, organiste de Saint-Barthélémy et aussi facteur ; en 1650, il remit à neuf le clavecin de la duchesse de Lorraine et publia, la même année chez Ballard, un traité de l’accord de l’espinette. Les affiches annonces de 1754, donnaient avis de la vente d’un clavecin fait par un nommé Louis Denis, probablement parent de ces derniers. Faby est connu par un clavecin datant de 1677, appartenant au Conservatoire, de même que Nicolas Dumont, premier auteur du ravalement, l’est par un semblable instrument portant la date de 1697. C’est aussi par un clavecin de 1679 que possède le Conservatoire de Bruxelles, que le nom de Vincent Tibaut (Thibaut ?), de Toulouse, nous est parvenu. Si l’on s’en rapportait entièrement à ce qu’écrivait J Loret dans la Muse historique (5 avril 1661 et 11 mars 1662, il faudrait compter Raizin de Troyes, au nombre des facteurs d’épinettes, et non parmi les moins ingénieux, puisqu’il présenta au public un instrument auquel il suffisait de commander, pour qu’il fit entendre aussitôt l’air qu’on lui demandait : ((p 69)) Quand on luy dit « dame épinette, Jouez un peu, la Boivinette, Jouez ceci, jouez cela, Soudain cette machine là, Sans faire languir votre attente, Si parfaitement vous contente, Qu’on croit, avec étonnement, Que ce soit un enchantement. Mais si le poète-gazetier garda bien le secret sur le mystérieux mécanisme de c e merveilleux instrument, Grimarest ne fut pas aussi discret ; en racontant 40 ans plus tard, les origines de la troupe du dauphin, il divulgua le truc de Raizin, qui s’était contenté, paraît-il d’enfermer un de ses enfants dans la caisse d’une épinette munie d’un clavier intérieur, sur lequel le petit Raizin exécutait les ordres qu’il recevait. (La vie de Molière, 1705, p 81).
La centralisation n’existait pas autrefois comme aujourd’hui, aussi la province nous fournit-elle son contingent de facteurs. Les constructeurs d’orgues, plus que les autres, ont bénéficié des recherches des historiens locaux, en raison du caractère grandiose de leur oeuvre et de sa stabilité. C’est ainsi qu’il nous est permis de signaler : Nicolas Lefèvre, facteur et organiste de la cathédrale d’Angoulême (1606, Julien Lefèvre, chargé en 1609 et 1613 de « racoustrer » le même instrument, Léonard Lefèvre qui, après avoir fait l’orgue du couvent des cordeliers de la dite ville, remplaça celui de la cathédrale en 1656 ; Pynot à qui l’on doit l’instrument de l’église Saint-Pierre à Angers (1606) ; Guillaume Appert et Pierre Martin ((p 70)), pour les réparations qu’ils firent en 1607, à l’orgue de l’église Notre-Dame de Châlons-sur-Marne ( L Grignon. Vieilles orgues, vieux organistes. Châlon / M, 1879.) ; Duval père et fils qui firent quelques additions à l’orgue de la cathédrale de Sens que Lesclavy restaura en 1663 ; Jacques Girardet, l’auteur de l’orgue de la cathédrale de Nantes, composé de 29 jeux, exécuté moyennant 7800 livres en 1619 ; Poncher qui fit celui de la cathédrale de Béziers, dont la montre est remarquable (1623) ; Paul Maillard, constructeur de l’instrument placé dans l’église Saint-Martin-du-Tertre à Angers (1624) ; Jean De Villers, de Reims, auquel fut confié le rétablissement de l’orgue de l’église Saint-Germain de Châlon (1629, la démolition de l’ancien instrument de l’église Notre dame de la même ville (1636 et la construction du nouveau (1634 39), ainsi que celle de l’orgue du couvent des Cordeliers (1640) ; les frères Dominique, André et Gaspard Eustache « maistres faiseurs d’orgues » qui édifièrent de 1632 à 1635, le magnifique instrument de Notre dame d’Embrun (Réunion des Soc. des B, Arts, t X et XI.) ; Ambroise Levasseur, chargé de construire les orgues de Saint-Laud (1640) et de Saint-Maurice (1645) à Angers, que Morlet restaura en 1662, 1665 et 1681 ; Nicolas, qui répara l’orgue de l’église de l’abbaye de Saint-Pierre-du-Mont à Châlon (1643) ; Jean D’Hervillé de Dijon, auteur de l’orgue de Notre dame de Beaune (1645), Haou, à qui échut le remplacement de l’instrument détruit par les calvinistes en 1561, dans l’église Saint-Jacques ((p 71)) à Montauban (1672 75), et Le Dé, de Troyes, chargé de restaurer les orgues de Saint-Germain (1696) et de Notre dame de Châlon (1712). Les recherches faites par M Veuclin dans les archives paroissiales de la ville de Bernay, ont amené la découverte de plusieurs facteurs d’orgues normands ( Musiciens de Bernay, réunion des Soc. des Beaux Arts, 1892). Ainsi l’orgue de l’église Ste croix a subi diverses réparations ou additions de la part de Jacques Besnard (1616) et Guill Lesselier (1620) à Rouen ; de Thomas De Villers, de Bernay (1657, 1696) ; de Robert Ingoult de Caen (1675) ; de Desbissons (1684), de Adrien Labbé de Rouen (1687, 1699) lequel travailla à l’orgue de l’église de La-Couture, à Bernay et dont le travail fut visité par Ch. Lefebure ou Lefèvre, facteur et organiste, auteur des réparations faites en 1698 à l’orgue de la cathédrale de Rouen. A celui de N-D de la-Couture à Bernay, travaillèrent Pierre Ynger, facteur et organiste de cette église, de 1610 à 1646, et Roch d’Argillière (1607 19). Thierry Des Enclos, auteur des réparations à l’orgue de la cathédrale de Rouen (1657) fut appelé en 1665 à examiner les travaux fait à celui de La Couture ainsi que Alpoux de Falaise, en 1674. Les extraits des comptes des bâtiments sous Louis XIV, donnés au chapitre premier, nous ont renseignés sur quelques facteurs parisiens : Jean Joyeux (1668) ; Estienne Evre qui travailla à l’orgue des Tuileries (1668) ; Pampes ou Pampet, qui fournit au roi un orgue et un clavecin (1670 71), ((p 72)) Cliquot qui s’occupa avec Estienne Henocq, de l’orgue de la chapelle royale à Versailles (1679 80). Ce dernier chargé en outre, de 1671 à 1682, des orgues installés dans la grotte de Versailles et les appartements du château ; Alexandre Thierry, qui rétablit l’orgue de Saint-Germain-en-Laye (1684) et construisit, de 1684 à 1688, celui de Saint-Cyr, moyennant la somme de 2700 livres ; Jean Bessart, qui fabriqua un soufflet pour la monnaie (1685) ; Rastoin (1687) et enfin Tribuot qui reçut 5500 livres pour la construction de l’orgue de l’église paroissiale de Versailles (1687-1691). XVII - Instruments à vent Pour ce qui est des facteurs d’instruments à souffle humain (Vulgo à vent). On peut encore trouver des noms, mais il est plus malaisé de savoir à quelle époque ils appartiennent, puisque, à l’encontre des clavecins, luths, etc., les instruments sont rarement datés. Ce n’est donc que par les écrits que l’on peut apprendre quelque chose à leur sujet. Grâce au traité de la Musette de Borjon, publié à Lyon en 1672, l’on peut connaître quelques-uns de ceux qui se livraient à la fabrication des instruments à souffle. Ce sont d’abord les Hotteterre et en particulier le père, dont notre écrivain fait le plus grand éloge: « Le père est un homme unique pour la construction de toutes sortes d’instruments de bois, d’ivoire et d’ébène, comme sont les musettes, flûtes, flageolets, hautbois, cromornes ; et même pour faire des accords parfaits de tous ces mêmes instruments. Ses fils ne lui cèdent en ((p 73)) rien pour la pratique de cet art, à laquelle ils ont joint une entière connaissance et une exécution encore plus admirable du jeu de la musette en particulier. »
Ce n’est pas seulement parce qu’il construisait avec adresse les instruments en usage, que Hotteterre, le père a droit à une mention spéciale, mais aussi parce qu’il réalisa sur la musette un perfectionnement qui a bien son importance, vu l’époque : l’adjonction d’un second chalumeau, destiné à l’exécution des dièses et des bémols, lesquels, au moyen de six clefs, permettait de faire 19 et 20 demi-tons avec justesse. Six clefs à un instrument, cela ne s’était pas encore vu, aussi Borjon ne peut-il retenir son enthousiasme: « Ce qui est admirable dans l’invention de ces clefs, c’est qu’il se rencontre que les doigts pour lesquels elles sont faites, ne sont point occupés sur les chalumeaux simples et ordinaires, en quoi le bon sens de l’inventeur de ce petit chalumeau a paru ; car pour ajouter à la musette ce qui lui manquait, il en a trouvé le moyen en occupant le petit doigt de la main gauche et le pouce de la droite qui n’agissaient point. »
Après Hotteterre, Borjon cite Ponthus à Mâcon, alors défunt, qui avait été un des plus rares ouvriers de son temps ; Lissieux, fixé depuis quelques années à Lyon, qui construisait « avec beaucoup de propreté et de justesse » toutes sortes d’instruments à vent ; Perrin, de Bourg-en-Bresse, qui travaillait bien la musette et enseignait fidèlement. Le P Mersenne avait ((p 74)) signalé, quelques années avant (1636), Le Vacher comme le plus excellent facteur de flageolets et musettes de son temps. (Harm. univ. t I, p 232 et 291.) Aux facteurs cités par Borjon, le Livre commode nous permet d’ajouter ceux qui exerçaient en 1692 ; il donne, à la page 63, la liste des « maîtres pour le jeu et pour la fabrique des instruments à vent, flûtes, flageolets, hautbois, bassons, musettes, etc. » : MM Colin Hotteterre, rue d’Orléans ; Jean Hotteterre, rue des fossés Saint-Germain ; Fillebert, rue Saint-Antoine ; Des Costeaux, Faub. Saint-Antoine ; Filidor, en cour ; Du Mont, rue de Tournon ; Rousselet, rue des Assis ; Dupuy, carrefour de l’école ; Le Breton et Froment, rue de l’arbre sec ; Héron, près le cadran Saint-Honoré ; Du Buc, rue Richelieu ; Roset, rue neuve Saint-Eustache. De ce dernier, le Conservatoire de Paris possède un curieux et rarissime instrument, connu sous le nom de cervelas (n°497). C’est un dérivé du basson anciennement utilisé à l’église et déjà hors d’usage à la fin du XVII siècle, suivant Richelet. Le son en était assez semblable, paraît-il, « à celui qu’on produit en chantant avec un peigne enveloppé de papier » (encyclop. méthodique). De Dupuis, il y a dan la même collection une flûte à bec (n°388). Fillebert, ou plus exactement Philibert Rebillé, fameux joueur de flûte traversière, Des Coteaux, Filidor, ou plutôt Philidor et les Hotteterres sont plus connus comme exécutants que comme facteurs ; cependant il est avéré que plusieurs de ces derniers se sont livrés à la fabrication. Au témoignage de Borjon et de ((p 75)) Du Pradel, vient se joindre celui de plusieurs instruments du Conservatoire, savoir : une flûte douce marquée Henri Hotteterre (n°413) et une basse de flûte à bec (n° 413) sans prénom ; d’autres collections possèdent aussi des instruments de divers membres de cette famille. Nous avons en outre, l’affirmation de Sauveur, qui dressa son tableau de l’étendue des instruments à vent ‘selon la pratique du sieur Ripert et du sieur Jean Hautetaire le jeune, les plus habiles facteurs de Paris » (Mém. de l’Acad. des Sciences, 1701, p 335). Ce Jean Hotteterre était hautbois et musette de la grande écurie du roi ; il démissionna en 1723, et mourut peu après. A. Du Pradel nous apprend encore que l’on trouvait des trompettes et timbales « de la meilleur fabrique chez le sieur Crestien, rue de la Ferronnerie, à la ville de Vernon ». Les cordes de Rome se vendaient en gros, rue Saint-Denis, « aux Trois Maillets » et en détail « chez tous les faiseurs d’instruments, entre lesquels le sieur Offlard, rue de Bussy, et le sieur Chéron (Nicolas?), rue Dauphine et rue de la Vieille boucherie ». Il y a, ajoute Du Pradel, « une fabrique pour l’orgue et pour le manicordium, rue Saint-Julien des Menétiers » et c’est tout, pas un nom de luthier, ni de facteur d’orgue ou de clavecin. Ne le regrettons pas trop, puisqu’il a été possible de suppléer en partie à cette omission, et que son Livre nous a fourni des renseignements sur la catégorie de facteurs où l’on en trouve le plus difficilement. L’incertitude où nous laisse le défaut de documents écrits sur les facteurs d’instruments à vent, ne nous ((p 76)) permet pas de préciser à quelle époque appartiennent la superbe flûte en écaille de Bressan, et le petit flageolet en ivoire de Cor.et que possède le Conservatoire de Paris, ainsi que la taille de la flûte à bec marquée Rouge, du Conservatoire de Bruxelles. Il en est de même pour les trompes de chasses (n°574 à 576) de Crétien. G Chouquet, d’après les ornements du pavillon et l’initiale C, attribue la première à Chrétien père, et luis assigne comme date, le commencement du XVII siècle ; la deuxième, portant les initiales R.C. et le mot « Vernon », lui semble de R Chrétien fils ou neveu, qui la fit sous Louis XIII et qui vivait du temps de Henri IV ; la troisième, à pans coupés, forme très rare et fort originale, est aussi de ce facteur. La trompe de chasse n° 578, en si, à un seul tour de un mètre de diamètre, est moins incertaine, quant au nom de l’auteur, car on lit sur le pavillon le nom de « Crestien, ordinaire de la musique du roy, rue de la ferronnerie », mais rien n’indique à quel membre de cette famille elle est due. Exceptionnellement on a vu un instrument faire connaître à la fois le nom de son auteur et la date de sa fabrication. G Chouquet a relevé cette inscription sur une trompette : « Fait par Raoux, seul ordinaire du Roy, place du Louvre, près de l’odiance du ministre, à Paris, 1695 ». C’est une preuve matérielle de l’existence, à Paris, au XVII siècle, de la maison Raoux, dont le nom n’a été constaté sur aucun document contemporain, mais que l’un de ses descendants a fait remonter à 1685 environ. De père en fils, les Raoux se succédèrent jusqu’au milieu du XIX siècle. 1700 - 1760 - Luthiers ((p 77)) Ce n’est pas sans crainte que nous abordons la nomenclature des facteurs du XVIII siècle. Longue est la liste de ceux qu’il nous faudra nommer et fastidieuse en est la lecture, comme ingrate en est la rédaction. L’hésitation nous prend et, n’était l’objet de cet opuscule, qui est de rassembler le plus de renseignements possible et de combler les lacunes laissées par les rares historiens qui se sont occupés des facteurs d’instruments, que nous renoncerions à aller plus loin. Que le lecteur ne soit donc pas trop sévère à l’auteur obligé de poursuivre jusqu’au bout la tâche entreprise, et qu’il excuse les répétitions qu’il rencontrera dans ce chapitre, plus fait pour être consulté que lu, malgré les détails nouveaux et parfois curieux qui pourront y apporter variété et quelque intérêt. Nous partagerons le XVIII siècle en périodes divisées arbitrairement, non pas d’après le mouvement progressif de la facture, mais selon la somme de renseignements que nous possédons et les époques des documents qui nous les ont fournis. Dans la première période, 1700 - 1760, nous rencontrons, parmi les luthiers, Nicolas-Louis Gilbert, de Metz, dont un pardessus de viole à 5 cordes, exécuté en 1701, fit partie de l’exposition rétrospective belge, en 1878 ; un quinton au même nom, portant la date de 1765, a fait partie de la collection Samary (Il y a peut être ici erreur de date ou dualité d’auteurs, car il est difficile de supposer un exercice de 65 ans du même individu. Cela s’est vu pourtant.) ; Nicolas Médart, dont le nom se trouve sur ((p 78)) une viole (1701) et un alto (1770) conservés au musée de Bruxelles ; François Médart, déjà cité, d’après une étiquette (1710) ; Féret, élève de Médart (1708), Charles Porion, cité par Fétis (hist gén de la mus. t V, p 163), auteur du cistre à 11 cordes dont 5 doubles, qu’il possédait et qui figure, dit cet auteur, dans les comptes de la musique de Louis XIV (1707), Cristofo Giquelier, dont il existe une viole bâtarde à 5 cordes, de 1712, au Conservatoire (n°153) ; Mathurin Duchéron (1714) ; Baton père de Versailles, qui, en 1716, commença à faire des vielles avec d’anciennes guitares et, en 1720, avec des corps de luths et de Théorbes ; Cabresy et Henry d’après des basses de 1725 et 1737, inventoriées par Bruni et Jean Vuillaume, de Mirecourt, dont on a un violon de 1738. Jacques Bocquay (1709 - 30) et Claude Pierray (1712 - 25), les deux luthiers les plus connus du commencement du XVIII siècle furent contemporains de ; ils sont représentés tous deux au Conservatoire, le premier par un violon de 1718 (n°9), le second par une basse de viole de 1712 (n° 173). A la vente Vidal (1868), il y eut un alto de J Bocquay, daté de 1709, et M. Loup possédait un violon de 1730 ; Bocquay qui habitait, en 1718, rue de la juiverie, transféra son domicile l’année suivante rue d’Argenteuil, suivant l’inscription du violoncelle de 1719 que l’on conserve aux Arts et Métiers. Bien que les étiquettes de C. Pierray, des années 1712 et 1714 portent « rue des fossés Saint-Germain-des-prez, il ne s’ensuit pas que ce luthier ait changé de rue ; c’est le voisinage de la Comédie française qui ((p 79)) lui fit modifier son adresse ; mais il continua d’habiter rue des Fossés, actuellement rue de l’Ancienne Comédie. Il ne reste de Dieulafait qu’une basse de viole de 1720 (Conservatoire n° 172, de Paraldic, qu’un violoncelle de 1722 qui passa à la vente Vidal ; de Pacquet, d’Aix, luthier à Marseille, une arpi-guitare appartenant à M. A. Gauthier de Nice, et de Ludovic Miraucourt de Verdun, qu’une viole à 6 cordes de 1743, vue à l’exposition rétrospective de 1889. Nicolas (Augustin) Chappuy, luthier de la duchesse-de-Montpensier, n’est connu que par un violon fait en 1732, ayant appartenu à M. Loup, une étiquette de 1760, un quinton sans date de la collection Samary et par le violon dont Habeneck se servit pendant 37 ans pour faire sa classe au Conservatoire (Musée n° 16). Il en est de même de René Champion qui, d’après deux instruments, habitait rue des Bourdonnais en 1731 et en 1756, Echelle du Temple ; c’est sans doute sa veuve qui est mentionnée sur l’almanach musical de 1775 - 77. On n’est rien moins que fixé sur Vincent Panormo qui obtint un certain renom, et l’on penche à croire qu’il y eut plusieurs luthiers de ce nom. Sans prendre parti, constatons que M. J. Gallay le signale comme étant à Paris, rue de l’arbre sec en 1735, et ajoutons qu’il y avait, en 1789, un luthier de ce nom, rue de Chartres, 70 : c’est l’almanach de Paris qui nous fournit ce détail, l’almanach musical de 1783 le mentionne aussi avec son prénom. Comme instruments, signalons un violon de 1792 ayant appartenu à ((p 80)) M Loup et un violoncelle qui passa à la vente Miremont. François Gaviniès, domicilié rue Saint-Thomas-du-Louvre (1734-57) fut juré comptable de la communauté en 1762 ; un violon et un quinton de sa fabrication étaient au nombre des instruments saisis chez les émigrés ; plus récemment, on en a cité de 1734, 1735, 1751, et le Conservatoire possède, pour le service des classes, une contrebasse à tète sculptée à l’effigie du roi David, faite en 1757, d’une excellente sonorité, qu’ont pu apprécier tous ceux qui ont appris cet instrument dans notre grande école. Au musée, est un pardessus de viole à 6 cordes, de 1744. Signalons au passage, un italien fixé à Paris, hôtel de Soisson, vers 1732 : Andréa Castagnéry ; on a de lui un violon de cette année et d’autres portant les dates de 1735, 1739, un alto de 1744, au Vicomte de Janzé ; la basse trouvée chez M de Saint-Laurent, en l’an II, était de 1751, et le violon du sieur Boulogne, de 1757 ; François Vaillaut (Vaillant ?), rue de la juiverie, en 1736 et 1738, suivant les almanachs ; Antoine Véron, également rue de la Juiverie, en 1740 (pardessus de viole n°139, Conservatoire) ; Varquain, maître luthier, rue et carrefour de Bussy, qui fit en 1742, la vielle du South Kensington Muséum et édita la Suite à 2 vielles de Ravet ; Jean Mathias Wolters, au faubourg Saint-Antoine, auteur d’un quinton de 1749, de la collection Savoye, existait encore en 1759 ; Plumerel (1740), dont le nom a été révélé sur une basse ; Pierre Saint-Paul, qui, ((p 81)) d’après une basse, était, en 1741, rue de la Comédie Française et, en 1742, rue Saint-André-des-Arts, comme en fait foi le pardessus de viole à 6 cordes qui figura à l’exposition rétrospective belge en 1878, et dont un violon de 1740 fut trouvé par Bruni chez le duc de Montmorency ; Jean Ouvrard, juré comptable en 1742-43 ; deux instruments sont connus de lui : un dessus de viole de 1726, et le quinton du musée de Bruxelles, portant la date de 1745, et l’adresse « Place de l’école à Paris » ; une basse fut saisie chez M de Thuisy, en l’an III ; Simon Gilbert, de Metz, Luthier et musicien à la cathédrale, en 1744, ainsi que l’indique le quinton à 5 cordes provenant du musée A Sax ; un semblable instrument, daté de 1749, appartenait à M Loup, et nous avons vu des étiquettes de ce luthier, de 1737 et 1758 ; Jean Galland, comptable en 1744, décédé quelque temps avant la signification du jugement sur son compte, qui fut faite à sa veuve en 1761, laquelle continua longtemps encore à tenir boutique (1779) rue Saint-Honoré, et dont la fille épousa Rob Richard. Jean Nicolas Lambert, comptable en 1745 eut cela de commun avec J Galland qu’il était mort au moment du jugement le concernant (1761) et, comme la précédente, sa veuve continua la profession maritale jusque vers 1789, époque ou sa présence est constatée rue Michel Le Comte, domicile également inscrit sur l’étiquette d’un violoncelle fait en 1759, conservé au musée du Conservatoire (n°178) ; une basse de 1752 se trouva chez le Marquis d’Avrincourt, en l’an III ; M Loup avait une guitare de 1784. ((p 82)) Citons aussi Jean Baptiste Deshayes-Salomon ou simplement Salomon, établi d’abord à Reims, puis à Paris (peu après 1740), place de l’école, comptable en 1760, puis domicilié rue de l’arbre sec en 1769, représenté au Conservatoire par une viole d’amour (n° 156) ; après sa mort, sa veuve s’en fut au carrefour de l’Ecole (1775-83) et quai de la mégisserie (1788-89). Claude Boivin, qui demeurait rue Tiquetonne en 1732 - 1749, avait pour enseigne « à la guitare royale » ; une basse de viole de 1735, a été inventoriée par Bruni, une guitare de 1749 est au Conservatoire (n° 273) ; C Boivin fut comptable en 1852. Jean Baptiste Lempereur, est connu seulement par les fonctions de comptable qu’il exerça en 1750 ; nous retrouvons ce nom porté par un facteur de clavecin. (A défaut de plus amples renseignements, voici le nom de quelques autres luthiers de cette époque: Gaspard Cuchet à Grenoble (1729) ; Sajot (1734) ; Henry, rue Saint-André des Arts (1737) ; Pierre Defresne, maître luthier de Paris, demeurant rue neuve-Saint-Lô, à Rouen (1731-37 ; Jean Vuillaume à Mirecourt, né en 1700 et décédé en 1740, dont on a un violon de 1738 ; Jean François Breton, dont l’étiquette était ainsi conçue ; « Cithaerae fabricator, facit, vendit et reconcinat instrumente musica omnis generis » (1740) ; Louis Gairoud, à Nantes (174.) ; Louis Lagetto, rue des Saint-Pères, « à la ville de Crémone » (1745-53) ; Jean Touly, à Nancy (1747) ; Cabroly, à Toulouse (1747) ; N. J. De Lannoy, sur la petite place au dessus des halles, à Lille (1747), puis « dessus les ponts de Comines (1773) ; Charle, luthier aux quinze-Vingt (1748) ; Feyzeau, à Bordeaux, auteur d’un quinton de 1760 ; Mougenot, rue Ganterie, à Rouen (1763 à Ste Cécile ; Andréas Reynaud, « Olim canonicus Tarascone in Gallo provincia » (1766) ((p 83)) Nommer Louis Guersan, c’est répéter un nom bien connu des amateurs, par la quantité d’instruments qui existent. On ne sait exactement à quelle époque ce luthier commença à travailler, mais nous avons la certitude qu’il exerça au moins de 1730 à 1769. Nous avons vu des étiquettes de 1730 et 1735, un violoncelle de 1740 et un violon de 1744 passèrent à la vente Vidal en 1868, un quinton de 1746 appartient à M. Loup, deux pardessus de violes à 5 cordes, de 1747, sont au Conservatoire (n° 140, 141) avec un autre de 1751 (n° 142), et un à 6 cordes de 1755 (n° 145) ; de plus un quinton de 1763 était dans la collection Samary. Après avoir été comptable en 1748, Guersan fut doyen en 1769, époque où il habitait rue des fossés Saint-Germain. Sa grande habileté lui valut d’être fournisseur du Dauphin et de l’opéra. Une pièce qui nous a été d’une grande utilité pour notre histoire de l’orchestre de l’Opéra et que nul n’a reproduit encore, est resté aux archives de ce théâtre ; c’est le mémoire de réparation que Guersan fit à « la contrebasse de l’Opéra, lesdites réparations demandées par M. Rameau pour l’opéra de Zoroastre et commandées par M. Rebel, suivant les ordres qu’il en avait reçu de M. le prevost des marchand, le 16 décembre 1749 », ce qui prouve péremptoirement qu’il n’existait encore à cette époque qu’une seule contrebasse à l’orchestre ; ce que confirme un autre mémoire du 25 septembre 1750, où il est écrit : « avoir remonté la contrebasse à neuf... 15 livres. » Pierre et Jean Louvet furent aussi parmi les luthiers estimés ; le premier, Pierre, occupa les ((p 84)) fonctions de comptable en 1742, ce qui suppose un exercice assez ancien de la profession. On ne signale aujourd’hui qu’une vielle portant son nom et la date de 1747 ( Conservatoire, n° 209) et le quinton enregistré par Bruni ; il avait pour enseigne « à la vielle royale » et son atelier était rue Montmartre ; en 1775, nous le voyons rue Pastourelle, et l’année suivante, rue Saint-Denis où il était encore en 1783 ; pourtant l’almanach Dauphin de 1777 indique toujours rue Montmartre. Une vielle de Louvet, le jeune, rue Grenier-Saint-Lazare, faite en 1733, vient d’être acquise par le musée du Conservatoire. Jean Louvet fit aussi des vielles. Il y en a une au Conservatoire (n° 210) de l’année 1750 avec l’indication « rue de la croix des petits champs, près de la petite porte Saint-Honoré » mais il construisit surtout des harpes et des vielles organisées ; c’est à ce titre qu’il est mentionné dans les Tablettes de la renomée de 1791. Selon Mme de Genlis, il fut avec Salomon, le premier à faire des harpes à pédales ; elles étaient assez appréciées, Bruni estima les deux qu’il trouva chez des émigrés, 270 et 470 Francs. A Vidal, et après lui G Hart, ne signalent rien de Joseph Gaffino au delà de 1755 ; cependant on peut voir au Conservatoire des Arts et Métiers, un alto grand patron de ce luthier, portant le millésime 1748 et l’adresse rue des Prouvaires, où il resta jusqu’après 1783 et où sa veuve était encore en 1789. Il est vrai que cet instrument est le seul connu et que nul ne l’a mentionné avant nous. Peut-être Gaffino fit-il plus le commerce que la fabrication d’instruments? ((p 85)) La copie du prospectus que nous reproduisons ci-après, tant à cause de sa curiosité que parce qu’il est ignoré, tendrait à le faire croire: A la musette de Colin.
Joseph Gaffino, maître et marchand Luthier, à Paris, rue des Prouvaires, fait, vend, achète et loue toutes sortes d’instruments de musique, savoir : Violons, basses de Crémone, basses de viole d’Angleterre et de toutes sortes d’auteurs ; aussi vielles, guitares, serinettes, psaltérions, tympanons tant de Paris que des pays étrangers ; fait et vend les archets cannelés de toutes façons, comme aussi de étuis pour toutes sortes d’instruments, boites de colophane, anches pour hautbois et bassons, d’excellentes cordes à 3 fils, de Naples, de Rome, de Florence et de Lyon, toutes sortes de cordes filées, cordes pour clavecins, épinettes et pour toutes sortes d’instruments, au plus juste prix.
L’originalité de ce prospectus n’est pas seulement dans s rédaction, elle est aussi dan sa forme. Tout ce que l’on vient de lire est gravé au milieu d’un dessin représentant un dos de violon, en demi-grandeur, la longueur de chaque ligne étant limitée par conséquent par les contours de l’instrument. Nous en devons communication à M. Ernest Gand, avocat, qui a bien voulu mettre gracieusement à notre disposition la collection d’étiquettes formée par son père, ainsi que les documents concernant les familles Lupot et Gand dont il sera question par la suite. Gaffino ((p 86)) exerça les fonctions de juré-comptable de la communauté de 1766 à 1767. Un violon et un pardessus de viole de 1755 trouvés chez des émigrés en l’an III, sont les plus anciens instruments connus de Socquet (Louis?) qui avait cette pompeuse enseigne « au génie de l’Harmonie » ; des étiquettes de 1765, 1771 et l’alto de 1769, mentionné par Bruni, témoignent de son existence jusqu’à la période 1775-79 où les almanachs signalent encore sa présence, place du Louvre. Edmond Saunier résidait à Bordeaux en 1764, ainsi que l’indique une étiquette de violon, mais en 1770, il était installé à Paris, rue Tiquetonne (Journal de la musique), d’où il alla rue des Prouvaires (1775-83) ; il fit surtout des guitares (Alm. Dauphin, 1777), on en trouva une chez Lord Kerry le 13 brumaire an III, et l’on a pu voir à l’exposition rétrospective de 1889, une mandoline alto de 1780, prêtée par M. Bernardel. François Lejeune, rue de la juiverie, acquit une certaine renommée ; les spécimens de sa facture qui nous sont parvenus, sont au nombre de cinq : un violon de 1754 (Conservatoire, classes), un pardessus de viole de 1755 (Idem, musée, n° 144), un autre de 1757 (Exp retrosp. Belges), 1878, un alto de la même année (vente d’Emonville) et une pochette sans date (collection Savoye) ; ce luthier qui existait encore en 1783 fut aussi comptable en 1764, une étiquette de 1750 nous apprend qu’il avait pour enseigne « A la harpe royale » ; Il eut de nombreux homonymes, ce qui ne laisse pas quelquefois d’embarrasser. Quand nous aurons signalé Paul-François Grosset, ((p 87)) connu par deux quintons, l’un de 1749, figurant à l’inventaire de Bruni, l’autre de 1752 à M. Bernardel (exp. de 1889) qui, d’après une étiquette de 1754, avait pour enseigne « Au dieu Apollon » et demeurait suivant l’étiquette d’un violoncelle, reproduite par A. Vidal, rue de la Verrerie en 1757 ; César Pons, d’après une vielle de 1750, Charles Mériotte, de Lyon, établi à Paris (1750) et demeurant sur le pont, près le change (1755) ; Benoist Fleury, qui fut juré-comptable en 1755 et construisit en 1751, l’alto qui est dans les classes du Conservatoire, puis, en 1755, la basse de viole qui est au musée (n° 174), la guitare signalée par Bruni et habita la rue des Boucheries-St-Germain, où nous le retrouvons encore en 1791, s’occupant de « raccommodage de violons, basses et altos » ; François Feurry (Ferry?), comptable en 1752 et 1757, alors domicilié rue de l’arbre sec, vis à vis St-Germain-l’Auxerrois, duquel une guitare figura à l’inventaire de Bruni, et dont M. A Rogat possède une basse ; Rol, cour Saint-Denis-de-la-Chartre, en 1753, comme l’indique une pochette du Conservatoire ; Melling, rue Fromenteau, place du Louvre, en 1753, qui avait pour enseigne « A la belle vielleuse » et dont une mandore sans date fut dans la collection Loup, domicilié, en 1771, rue des Orties, aux galeries du Louvre on l’on trouvait la Méthode de Cytre ou guitare allemande de l’abbé Carpentier ; Pierre Le Pileur « privilégiez du roy dans l’abbaye St-Germain, 1754 » ; Pierre-Jean Delanoé (1754) ; Roze, rue Ste-Catherine, près le Martroy, à Orléans (1756) ; Adrien-Benoist Chatelin, de Valenciennes, auteur d’un quinton daté ((p 88)) de 1758 (Coll. Samary) ; Joannes Frébrunet dont il y a un violon de 1760 pour le service des classes du Conservatoire, et enfin Grou, auteur de la viole à manivelle indiquée au catalogue de la collection Arrigoni (Milan 1881), et d’une petite vielle de 1752, nous aurons épuisé la liste des luthiers ayant exercé dans la première moitié du XVIII siècle, sur lesquels nous avons pu recueillir quelques renseignement.
1700 - 1760 - Clavecins Beaucoup moins nombreux sont les facteurs de clavecin de la même période. Marius, un des plus fameux tant par la qualité de ses produits que par son esprit inventif, commença à fabriquer dans le dernier quart du XVII siècle, mais, le plus ancien instrument de sa facture qui nous soit parvenu, est un clavecin portatif, dit clavecin brisé, fait en 1700 (actuellement au Conservatoire), décrit dans les Mémoires de Trévoux, p 1292 ; un instrument semblable, de 1713, est au musée Kraus, à Florence ; enfin, un autre instrument de 1709 est à Bruxelles. En 1716, Marius présenta à l’académie des sciences, trois systèmes de clavecins dits à maillets dans lesquels des marteaux étaient substitués aux sautereaux ; un quatrième offrait la combinaison des maillet et des sautereaux, dont on trouve la description dan le Recueil des Machines approuves par l’académie des sciences (p 83 à 91), qui contient aussi celle de son nouveau système d’orgue à soufflet. En donnant son approbation à l’invention de Marius, l’académie ne se doutait guère que cette innovation était le point de départ d’une révolution complète dans la structure ((p 89)) des instruments à clavier et qu’elle préludait à la chute du clavecin ; cependant, elle sut en apprécier le véritable caractère et en comprit toute l’importance. En constatant l’amélioration matérielle immédiate, elle entrevit aussi parfaitement le résultat artistique. Après avoir reconnu que la substitution des maillets aux sautereaux « évite les réparations perpétuelles auxquelles l’usage des plumes assujettit les clavecins ordinaires », le rapporteur ajoute : « celui-ci rend en général des sons plus forts et plus beaux, mais, de plus, le seul ménagement du toucher lui donne le fort et le faible et par conséquent l’expression qui a toujours manqué à cet instrument ». Malheureusement la mort a surpris Marius peu de temps après son admirable découverte et la France, perdant le bénéfice de l’invention, ne connut le forte-piano que 54 ans plus tard, par l’intermédiaire de l’étranger. Le nom de Blanchet n’est pas seulement connu parce qu’il fut porté par plusieurs facteurs distingués, mais surtout par l’habileté de main, dont l’un d’eux fit preuve dan la confection et la transformation du clavecin. C’est avec Blanchet que Carré fit certaines expériences dont il rendit compte dans les mémoires de l’académie des sciences (16 fév. 1709). Nous ignorons si c’est François-Etienne ou un ascendant que Carré voulut nommer, l’époque où il débuta n’étant pas précise, mais un acte précité nous a fait connaître que F. E. Blanchet était juré en charge en 1741, ce qui autorise à conclure à un exercice de beaucoup antérieur ; en outre, le clavecin inventorié ((p 90)) par Bruni à l’hôtel Saint-Priest portait la date de 1749. Ce qui est parfaitement avéré par le témoignage de ses contemporains, c’est que ce facteur surpassa ses confrères par le son agréable de ses clavecins et par la légèreté de ses claviers. Il excella aussi dans l’art d’agrandir les clavecins flamands, auxquels il ajouta quatre notes au grave et à l’aigu. Blanchet eut pour élève et successeur P Taskin, qui sut maintenir et porter à son comble la notoriété léguée par son maître. C’est seulement par les deux clavecins décrits par Bruni, que nous avons appris le nom d’Antoine Valter ; l’un daté de 1724, l’autre portant cette mention « Antonius Valter, Lutetiae Parisiorum, 1755. » Cuisinier imagina le clavecin-vielle en 1708 (histoire de l’académie des sciences, p. 142 et Recueil cité p. 155) ; en 1734, il produisit une espèce de vielle ou petite épinette à jeu de viole de deux octaves, dans laquelle des touches faisaient mouvoir une roue remplissant l’office de l’archet (hist. citée, p 105). Dans le but d’obtenir une plus grande uniformité d’harmonie, Bellot fit subir quelques changements au clavecin en 1732 ; Il construisit le grand chevalet « de manière qu’à chaque couple de l’unisson les deux cordes se trouvent de même longueur » (hist. de l’ac., p. 118. Bellot devint par la suite fournisseur de l’Opéra, auquel il loua, du 18 sept. 1752 au 7 avril 1753, une épinette moyennant 120 livres. Jacques Bourdet (Bourdot?) n’est connu que par le mémoire de réparation au clavecin de l’opéra (2 mai 1750) que nous avons vu aux archives de ce théâtre et parce qu’il fut comptable l’année suivante, comme Pierre ((p 91)) Ruelle , en 1754 ; Joseph Boudin, établi à Londres, par une épinette de 1723 au Dr Rimbault ; Munier, par l’annonce d’un clavecin à vendre, que nous avons trouvé dans les affiches de 1754 ; Baillon, par le clavecin inscrit sur l’inventaire de Bruni et Fleurot du Val-d’Ajol (Vosges) par l’épinette conservée à Bruxelles. Marchal de Nancy, fournit un clavecin à la princesse de lorraine en 1726 (A Jacquot, p 146) ; Renaud, d’Orléans, domicilié à Paris, inventa une épinette à archet en 1745. Jean-Henri Hemsch fut juré-comptable en 1747 et s’acquit une certaine vogue ; trois de ses clavecins, dont un de 1763, furent inventoriés par Bruni et l’on a pu en voir un de 1775 à l’exposition rétrospective de 1889. Thevenard, soumit en 1727 à l’académie des sciences, un projet de clavecin à une corde au lieu de deux, avec sautereaux à languette de cuivre (Hist., p 142, et recueil cité, p 11), mais il n’est pas prouvé qu’il se soit livré à la fabrication, non plus que Le Voir qui entreprit en 1742, par un procédé tout à fait différent de celui de Marius, de donner l’expression au clavecin. Dans son système, 25 cordes tendues sur un corps de contrebasse et de quinte de violon renfermés dans une caisse de clavecin, et que des chevalets mobiles divisaient à moitié de leur longueur, fournissaient les 50 sons de l’étendue de l’instrument. Des archets actionnés par les touches, produisaient le piano et le forte en appuyant plus ou moins sur les cordes, selon le degré d’enfoncement de la touche (Hist. de l’Acad., p 146). Nous ((p 92)) ne sommes pas mieux fixés à cet égard sur Berger, musicien de Grenoble, établi à Paris, inventeur d’une épinette expressive, d’un mécanisme qui rendait le jeu du luth, de la harpe, le piano, le forte et le crescendo, et d’un clavecin organisé qui reçu l’approbation de l’Académie en 1765 parce qu’il avait la faculté d’augmenter le son au moyen d’un registre mû par le genou (Hist., p. 138). Berger avait eu aussi l’idée, lisons-nous dans l’Encyclopédie méthodique t. IV, p. 11), d’après le plan d’une épinette à cordes perpendiculaires de Mersenne, d’ajouter un clavier à une harpe ordinaire, mais le sieur Frique, ouvrier allemand qui travaillait pour lui en 1765, vola et emporta toute la mécanique et les plans de cet instrument, destiné au fermier général de la Reinière. Les Silbermann de Strasbourg ont passé la plus grande partie de leur carrière en Allemagne ; ils doivent cependant être mentionnés ici, à cause de leur origine et de la célébrité acquise par les forte piano de Jean-Henri.
Les facteurs d’orgues ne nous arrêterons pas longtemps. Il n’y a à citer que les frères Desfontaines, auteurs de l’orgue de Notre-Dame à St-Omer (1715-17) ; François Boudor de Montmédy, qui remit en l’état l’orgue de Notre-dame de Châlon, endommagé par un violent orage (1720) ; Vincent à Rouen (1711-22) gendre d’Ingout ; Julien Lemaître de Saint-Thomas-de-la-flèche, qui répara l’orgue de Ste Croix de Bernay en 1722 ; Jean Louis Ducatel qui, après avoir restauré l’instrument de N. D de Villefranche ((p 93))en 1720, fut chargé de mettre en état celui de la cathédrale d’Angoulème en 1727, et dont les travaux furent expertisés par François Cordé, organiste et Facteur à Tours ; Gabriel et Joseph Cavaillé de Gaillac (Tarn), bisaïeuls d’Aristide Cavaillé-Coll dont le nom fait le plus grand honneur à la facture du XIX siècle ; François Mangin de Troyes, à qui incomba le déplacement (1729) et l’augmentation (1735-38) de l’orgue de la cathédrale de Sens, le devis présenté en 1722 par Louis Lebé, n’ayant pas été accepté ; Jacques Cochu, facteur et organiste à la cathédrale de Châlon sur marne dès 1738, dont il reconstruisit l’orgue de 1753 à 57, après avoir fait celui de Notre-dame à Saint-Dizier et celui de l’église de Troyes ; René Cochu son fils, aussi facteur et son successeur dans les fonctions d’organiste de la cathédrale qu’il occupa jusqu’en 1791, chargé en 1764 de faire un jeu supplémentaire à l’orgue de cette église, en 1789, des réparations de l’instrument de St-Alpin, et avec Salmon, du relèvement de l’orgue de Notre-dame de la même ville ; Parizot de Rouen, auquel on doit les orgues de St-Remy à Dieppe (1731) et de Saint-Jean, à Caen (1769) ; Jean Baptiste Nicolas Lefèvre, également de Rouen, qui répara en 1733, l’orgue Ste-Croix à Bernay et termina, en 1761, l’orgue de St-Martin de Tours et fit, de 1741 à 1769, celui de l’abbaye de St-Etienne à Caen, avec son frère Louis et son cousin Clément, puis ceux de Honfleur (1772), du Havre, etc. (un nommé Lefebvre ou Lefebure, de Rouen, fit des réparations à l’orgue de Sainte-croix à Bernay en 1729-30) ; ((p 94)) Dartenay de St-Lô, a qui fut confié, en 1758, le remplacement de l’instrument établi par N. Baril ; Charles Dallery, né à Amiens, vers 1710, ouvrier tonnelier qui entreprit la réforme des anciennes mécaniques, dont le bruit désagréable nuisait à l’effet, et qui réussit à faire de magnifiques instruments parmi lesquels on cite celui de l’abbaye d’Anchin, transféré plus tard à Saint-Pierre de Douai. M. A. Jacquot a mentionné un certain nombre de facteur lorrains sur lesquels on trouvera des renseignements dans son ouvrage la Musique en Lorraine ( J. Adam, J. B. Colin (1706 ; Renaud (1710) ; Claude Moucherel (1720-1744) ; Jean Moucherel (1720) ; Antoine Moucherel (1766) ; F Adam (1720) ; C Bachet (1724) ; F Vonèche (1739) ; Joseph et Nicolas Dupont, constructeurs de l’orgue de la cathédrale de Nancy (1757), Toul (1754), Verdun, etc.) Pour Paris, signalons Deslandes cité par Sauveur dans son étude sur l’application des sons harmoniques (Acad. des Sc., 1702) ; Collard chez qui l’on saisit des soufflets en 1730, et dont l’atelier était rue Mouffetard en 1759-60 ; Nic Somer, comptable en 1749, figurant en 1769 comme ancien syndic juré, alors domicilié rue St-Jacques ; Louis Bessard, comptable en 1753, demeurant en 1759-60, rue des trois canettes ; Claude Ferrand, rue Saint-Martin (1752-79) et rue Aumaire (1775), auquel sa veuve succéda (1776-83 ; Boucher (1753) ; Auguste Angot, rue des fossés St-Victor (1759-75) que l’almanach de 1769 inscrit Vingot, par erreur, et dont la veuve continua le commerce (1776-79) ; Louis Alexandre ((p 95)) Cliquot, comptable en 1756-57, mort entre 1759 et la signification de la révision de son compte, faite en 1762 à son fils François-Henri. Celui-ci fut le plus habile facteur d’orgue de son temps ; il naquit croit-on, en 1728. En 1760, il fit l’orgue de St-Gervais. La qualité dominante de F. H. Cliquot, consistait dans la parfaite harmonie de ses jeux ; frappé de l’habileté de Pierre Dallery pour la mécanique, il rechercha sa collaboration (1765) et c’est de cette collaboration que sont nés les superbes instruments de St-Nicolas-des-Champs, de la Ste-chapelle, de St-Merry, du château de Versaille, etc. Pour la construction de l’orgue de St-Sulpice, inauguré le 17 mai 1781, Cliquot resta seul et le regretta, dit-on, le résultat n’ayant pas été à son entière satisfaction ; il fit ensuite les orgues de Souvigny et de Poitier ; ce dernier coûta 92000 livres. F. H. Cliquot est l’inventeur du jeu de hautbois ; cette invention date vraisemblablement de (1775), car nous avons lu dans l’avant-coureur (p 435) que le 18 juin, Couperin fit entendre à St-Gervais « les nouveaux jeux et particulièrement le hautbois, inventé par Cliquot ». Il mourut en 1791. Signalons encore Jean Regnault, rue Galande (1759-69) ; François-Henri Lescop ou Lesclop, comptable en 1746, décédé comme L. A. Cliquot, avant l’examen de son compte, qui n’eut lieu qu’en 1761. Nous pensons que c’est à lui que revient la construction de l’orgue de Notre-Dame, achevée en 1750, que la notice publiée en 1868 sur cet instrument attribue à Thierry Lesclop, soit par corruption du prénom ((p 96)) Henri, soit par erreur ; la veuve de Lesclop tenait encore l’atelier rue Regrattière en 1777. Robert Richard parait s’être adonné plus aux petits instruments mécaniques, qu’aux grandes orgues. Il a fourni une carrière assez longue, qu’il nous a été possible de suivre depuis l’année 1744, où il fut juré-comptable. Mieux que ses confrères, il sut appeler l’attention sur ses travaux et grâce aux réclames parues dans diverses feuilles, nous pouvons donner ici des détails peu connus, pour ne pas dire ignorés. Le Tableau de Paris, pour l’année 1759, (p212) s’exprime ainsi: M. Richard, habile mécanicien, connu par plusieurs machines hydraulique, a obtenu un atelier à la bibliothèque du Roi, où il a établi ses ouvriers pour la construction de ses ouvrages ; il fait des serinettes. C’est lui qui, d’après les idées et les ordres de M. le comte de Saint-Florentin, a exécuté ce merveilleux ouvrage mécanique, qu’on voit dans un cabinet de l’hôtel de ce ministre. On admire, dans cette machine, une figure d’enfant qui joue plusieurs airs de flûte avec la plus grande précision : cet acteur automate est accompagné par 2 oiseaux aussi automates, perchés sur des branches, qui exécutent leurs parties avec un mouvement de bec si parfait, qu’on distingue les tons pleins de semi-tons : une basse continue d’orgue soutient les 3 parties.
M. Richard imagina une sorte de diapason dont l’accord était invariable, que l’abbé Lascassagne, recommanda dans son Traité général des éléments ((p 97)) du chant (1766) : « pour apprendre la musique sans le secours d’un maître » (p 188). Cet instrument servait à fixer et régler l’intonation ; un second, qui, d’après sa description nous paraît être un métronome, était destiné à la détermination « des différentes mesures tant à deux qu’à trois divisions ». Ce n’est pas sans raisons que l’almanach de 1769 faisait suivre le nom de Richard, de ces mots : « célèbre pour diverses pièces de mécanisme et notamment pour toutes sortes de pièces d’orgues et de serinettes », car si la pièce dont il a été question ci-dessus excita l’admiration, celle-ci, dont nous empruntons la description à l’Almanach Dauphin de 1772-77, n’était pas moins étonnante: Richard, au vieux Louvre, digne émule du célèbre Vaucanson, et un des plus habiles artistes de l’Europe pour l’orgue, les serinettes et les vielles organisées, vient de faire exécuter en cette capitale, avec le plus grand succès, dans la salle de la bibliothèque du roi, un concert mécanique par quatre figures automates, dont l’une joue du violon, l’autre de la flûte, et la troisième touche le clavecin, tandis qu’un petit amour bat la mesure et tourne le feuillet. On ne saurait donner assez d’éloges à cet artiste aussi modeste que savant, et dont les productions font tant d’honneur au génie inventif de la nation. M. Richard avait épousé une fille de J Galland peu avant 1744. De 1783 à 1789, les almanachs mentionnent un J Robert Richard, probablement fils de ce dernier, qui n’hérita pas de sa célébrité ; c’est à Davrainville que devait échoir la succession artistique de Richard, ainsi qu’on le verra par la suite. ((p 98))
1700 - 1760 -Instruments à vent
En ce qui concerne les facteurs d’instruments à souffle humain, nous n’avons pas, comme pour ceux de la période précédente, à redouter de lacune. L’on a vu par le jugement que nous avons reproduit (p 40), qu’ils n’étaient que cinq en 1752, et la même pièce nous les a fait connaître. Lecler, beau père du requérant, alors décédé, n’était par conséquent pas du nombre. On ne sait rien de précis sur sa carrière, mais c’est évidemment par erreur que G.Chouquet l’a signalé comme travaillant encore en 1769 (catalogue, p 100), en parlant du petit flageolet en buis du musée, puisque nous savons par le jugement de 1752 sus-mentionné, que G. Lot « a entretenu d’ouvrages de sa façon la boutique et les pratiques de la veuve Leclerc sa belle mère » Une flûte en ébène à une clé de ce facteur a fait partie du musée Ad Sax ; elle a permis de constater que notre diapason est un demi-ton plus haut qu’au commencement du siècle dernier. Bruni porte deux flûtes sur son inventaire, l’une en ébène fut estimée 60 fr. Le fils Leclerc fut maître de flûte, il a fait représenter un opéra en 1747. Charles Bizey fut reçu maître en 1716, on s’en souvient. Il a laissé quelques beaux instruments, entre autres un baryton sonnant à l’octave basse du hautbois, actuellement au Conservatoire (n° 494), un hautbois d’amour en la qui a figuré à l’exposition de Londres en 1890 (A descripive catalogue of the musical instruments recently exhibited at the royal military exhibition, London, 1890. Compiled by captain C. R. Day,Londre, 1891. En citant cet auteur, remarquons qu’il a fortement « compiled » la Facture instrumentale à l’exposition, sans en faire mention ; cependant, il n’a pu puiser ailleurs les détails qu’il donne sur la clarinette de Desfontenelle, puisque nul n’en a publié la description avant nous.), qui lui donnent rang parmi les ((p 99)) novateurs. A défaut d’instruments, cette annonce que nous relevons dans le Mercure de France de 1749 et que personne n’a encore utilisée, que nous ne sachions, le prouverait suffisamment: Bizey, rue Dauphine, inventeur de plusieurs instruments à vent, avertit qu’il travaille toujours avec succès et perfectionne plus que jamais. Il a inventé depuis peu des hautbois qui descendent en G ré sol, comme le violon, d’autres qui sont à l’octave du hautbois ordinaire, imitant parfaitement le cor de chasse.
N’y a-t-il là quelque élément pour l’origine mal définie du cor anglais, sur laquelle nous apporterons d’autres détails inédits? Cette annonce nous fixe en tous cas sur la date de l’instrument qui existe au Conservatoire. De Bizey, il y a aussi dans ce musée un hautbois à deux clés. Un autre hautbois à deux clés, et à 6 trous, dont deux doubles, est à Bruxelles ; cet instrument est en si b d’après le diapason actuel. Bizey cessa vraisemblablement de travailler entre 1752 et 1769, car il n’est pas porté sur l’almanach de cette dernière année. Paul Villars, ex-apprenti de Ch Bizey, fut juré de la communauté en 1741, il était un des opposants à la réception de G Lot en 1752. En 1769 il était établi ((p 100)) rue des Fossés-St-Germain-des-Prés, où nous voyons sa veuve de 1776 à 1779. Deux flûtes et un hautbois de Villars sont inscrits à l’inventaire de Bruni ; une magnifique flûte à bec en ivoire, était à l’exposition militaire à Londres en 1890, le cap. Day en a donné la photographie dans son catalogue. Les instruments de ce facteur sont très rares aujourd’hui ; nous avons vu récemment une flûte traversière à une clé carrée de sa fabrication, et un hautbois à 2 clé avec viroles d’ivoire, mais il n’existe aucun autre instrument dans les collections publiques. Thomas Lot, deux fois juré-comptable en 1752 et en 1770 est au nombre des facteurs de flûtes, hautbois, basson, etc., qui se sont distingués. Après avoir eu son atelier en 1754, rue St-Germain-l’auxerrois, (L’esprit du Commerce), il était en 1775, rue de l’arbre sec où nous le trouvons encore en 1783 ; deux années plus tard, nous voyons son nom à la même adresse, cette fois sans prénom. Ses instruments ne sont pas nombreux aujourd’hui. Le Conservatoire des Arts et Métiers possède une flûte traversière en buis à une seule clé ; on voyait une flûte basse à tète recourbée à l’exposition rétrospective de 1889, il y en eut une autre à l’exposition de Londres, prêtée par M. F. Galpin et le Conservatoire de Bruxelles en a une autre, sonnant un ton au dessous de notre diapason. Jacques Delusse appelé Lusse dans le jugement que l’on connaît (1752), mais dont tous les instruments sont marqués « Delusse», était établi quai Pelletier (actuellement de Gesvres) en 1769. A la ((p 101)) même adresse, nous trouvons, de 1775 à 1779, un facteur de ce nom, dont le prénom n’est malheureusement pas indiqué, car en 1783 apparaît, toujours au même endroit, un Christophe Delusse (peut être son fils) de telle sorte qu’il est difficile de savoir quand le premier cessa la fabrication et quand le second la commença. Cette incertitude est d’autant plus regrettable qu’il existe au Conservatoire, des instruments très curieux, et que l’on ignore auquel de ces facteurs en revient le mérite : un galoubet (n° 364), une flûte en buis à une clé, trois hautbois (n° 480, 481), un basson soprano en fa (n° 499), trois flageolets diapasons (740 à 743), une basse de flûte traversière à 5 clés et à tête recourbée, dont la partie cintrée est en métal, et une contrebasse de hautbois (n° 459). Ce dernier instrument est remarquable non-seulement par sa rareté (il est probablement unique) mais aussi par l’innovation qu’il constituait à l’époque. Depuis longtemps les anciennes familles complètes d’instruments avaient disparu et il est hors de doute, que Delusse en faisant cette contrebasse, n’a nullement songé à une reconstitution. Nous sommes donc en présence d’une tentative nouvelle, ayant pour but, pensons nous, de suppléer au basson, et, ce qui nous confirme dans cette opinion, c’est ce passage reproduit pour la première fois dans la facture instrumentale (p 24) d’après l’almanach musical pour 1781:
M. Luce a fait aussi une contrebasse d’hautbois. Cet instrument fait beaucoup d’effet dans un grand orchestre. ((p 102)) M. Le Marchand, basson de l’Opéra, s’en est servi six mois à ce spectacle. Le prix de la contrebasse de hautbois est de 100 livres.
Il y a donc lieu de croire que l’instrument du Conservatoire est celui dont il est question dans cette citation. En ce cas, il y aurait erreur de la part du rédacteur de ce catalogue, sur la date présumée de 1760, et sur la dénomination de l’instrument qui ne serait point comme on l’a cru, une contrebasse de bombarde, (d’ailleurs inusitée depuis longtemps) tandis qu’au contraire ses proportions et son emploi à l’opéra par un bassoniste, laissent supposer un équivalent du basson, lequel n’est pas autre chose, sous le rapport de l’étendue, que la contrebasse du hautbois. Dans le même almanach (p 60) nous lisons encore:
M. Deluce a fait une nouvelle flûte très harmonieuse, inventée, dit-il, en Allemagne, avec laquelle une seule personne peut jouer des airs en partie. Cette flûte est composée de deux flûtes à bec, réunies dans un même corps. L’une d’elle est à la tierce de l’autre. On peut les jouer ensemble, ou, si l’on veut, n’en jouer qu’une. Cet instrument à la même gamme et la même étendue, que la flûte à bec. Le prix de cette flûte est de 36 livres en buis, et de 60 livres en ébène.
A partir de 1789, nous ne retrouvons plus le nom de Delusse, si ce n’est sur l’inventaire de Bruni, où figurent plusieurs flûtes de sa fabrication. Ses hautbois étaient particulièrement recommandés et recherchés au début de notre siècle, à cause de leurs ((p 103)) bonnes proportions et de leur justesse. Delusse n’était pas seulement facteur, il possédait un réel talent sur la flûte, qu’il utilisa à l’opéra-Comique et comme professeur. A ce titre, il a composé un grand nombre de morceaux et une méthode : l’Art de la flûte traversière. Il ne reste pas de nombreux témoignages de l’activité de Denis Vincent ; seule une flûte traversière en ivoire, à trois clés, déjà mentionnée dans notre volume la facture instrumentale à l’exposition de 1889 (p 283) vient attester son habileté. D. Vincent était en 1769 rue de l’observatoire ; en 1791 seulement le nom reparaît rue St-Honoré, mais évidemment c’est à un autre facteur, non prénommé, qu’il s’applique, car nous le revoyons en l’an VII, quai Pelletier, 34. Cette coïncidence de domicile, fait même songer à un successeur de Delusse. Après avoir fait connaître ce que nous savons des cinq adversaires de Gilles Lot en 1752, arrivons à lui pour compléter ce que nous avons déjà dit au chapitre II. G Lot s’était flatté de primer ses concurrents sous le rapport du travail, il les surpassa comme invention. La trouvaille que nous avons faite dans l’Avant-Coureur du 11 mai 1772 (p292). le démontre nettement:
Le sieur G. Lot, facteur d’instrument à vent, demeurant dan la cour des moines de l’abbaye Saint-Germain, vis à vis de la fontaine, vient de faire paraître un instrument de musique d’une nouvelle invention, sous le nom de basse-tube (basso tuba) ou basse de clarinette. On ((p 104)) n’a point encore vu d’instruments d’une étendue aussi considérable. Il est susceptible de trois octaves et demie pleines ; il descend aussi bas que le basson et monte aussi haut que la flûte. Cet instrument, qui est d’une forme toute particulière, contient plusieurs clés pour l’usage des semi-tons, toutes très artistement arrangées et d’un mécanisme fort ingénieux. Les sons qu’il produit sont très agréables et si parfaitement sonores, qu’ils imitent de fort près, dans les tons bas, ceux d’un orgue dans l’action des pédales. Cet instrument étant joué par un habile artiste, ne saurait manquer de produire un très bon effet et d’avoir l’approbation du public, quoi qu’il soit entendu seul ou dans l’orchestre.
Ces quelques lignes, dont aucun historien n’a encore fait mention et qui se trouvent publiées ici pour la première fois depuis leur apparition, c’est à dire, depuis plus d’un siècle, ces quelques lignes, disons nous, ont une importance capitale, tant pour l’origine de l’instrument que pour l’honneur de la facture française du XVII siècle. Elles infirment en outre tout ce qui a été écrit dans les dictionnaires, catalogues, traités ou histoires de l’instrumentation, qui tous sans exception, font remonter le premier essai de clarinette basse à 1793 et l’attribuent à Grenser, de Dresde. La description ci-dessus est suffisamment précise pour éviter toute incertitude sur la nature de l’instrument : le nom de basse de clarinette, les détails sur l’étendue et l’effet produit, ne laissent pas place au moindre doute et elle nous permet de revendique hautement, jusqu’à nouvel ordre, la clarinette-basse pour une invention française. ((p 105)) L’annonce reproduite ci-dessus n’est pas la seule, mais elle est la plus explicite, car il serait difficile d’argumenter sur celle-ci, extraite de l’almanach Dauphin de 1777 (p 45 du supplément) : « Lot, avant-cour des moines, renommé pour les clarinettes, vient d’exécuter un nouvel instrument en ce genre, inconnu jusqu’à ce jour, sous la dénomination de baisse-taille. » Puisque nous en sommes aux rectifications, observons que c’est à tord que G Chouquet a désigné G Lot comme étant le fils de Thomas (Le musée du Conservatoire, p 98) ; il n’était que son cousin, ainsi qu’il appert du jugement auquel nous avons déjà renvoyé plusieurs fois. Est-ce Thomas ou bien Gilles qui fournit l’Opéra? Peu importe, la chose est secondaire, mais le fait que révèle le mémoire ci-après, mérite d’être signalé, ne serait-ce que pour établir qu’autrefois, on se préoccupait de la justesse à ce théâtre: Académie royale de musique, 22 septembre 1755. Suivant arrêté du bureau de la ville, en date du 30 juillet dernier, le sieur Lot, maître luthier, à Paris, a fourni à l’académie royale neuf tuyaux organisés, dont elle avait besoin pour établir le ton du clavecin de l’Opéra, prix fait à 9 livres pièce...........................................81 livres. En outre, pour avoir raccommodé le soufflet.............................................................6 livres.
A cette époque, le flageolet-diapason n’était pas en usage. J. J. Rousseau et Lacombe n’en ont rien dit dans leur dictionnaire, ou il manquait de fixité, ((p 106)) et l’instrument de Richard, dont parlait Lacassagne, n’existait pas encore ; d’où la nécessité des tuyaux d’orgues commandés à Lot pour régler l’accord des clavecins et par conséquent l’orchestre, dans lequel cet instrument figurait encore pour l’accompagnement des récitatifs. Nous n’avons trace que de deux facteurs d’instruments de cuivre : Carlin et Raoux. Carlin « ordinaire du Roy, rue Croix-des-petits-champs » qui fournit deux cors de chasse à l’Opéra, en Novembre 1751, moyennant 84 livres, était en même temps exécutant ; au Tableau de Paris (1759 et 60) il est rangé avec Raoux parmi les professeurs, et l’almanach de 1769 l’annonce en ces termes : « il fabrique des cors de chasse et enseigne les fanfares et autres ». Comme facteur, il figure en 1777 avec les chaudronniers, suivant le vieil usage : « Carlin très renommé pour la fabrication des meilleus cors de chasse, trompettes et timbales ». Les musées des Conservatoires de Paris et Bruxelles possèdent des cors de ce fabricant. La tonalité de l’instrument exposé à Bruxelle (fa) est à remarquer, les tons les plus usités à l’époque étant ut, ré ou mi b. Dire quels ont été les continuateurs de Raoux et combien ils furent, depuis 1695, serait fort difficile. Il est hors de doute cependant que ses descendants n’ont pas cessé d’exercer la fabrication et le jeu du cor de chasse jusqu’en 1759. A cette époque, Joseph Raoux avait son atelier dans la rue Tiquetonne, qui, en 1769, avait déjà repris son ancien nom de rue du Petit-Lion-St-Sauveur, du moins dans la partie qu’il ((p 107)) habitait. Il y était encore en 1775, année où son fils Lucien-Joseph, alors âgé de 22 ans, était lui-même établi « rue Mercier, à la nouvelle halle » ; mais l’année suivante, le père et le fils se réunirent et transportèrent leur maison au Louvre, rue Fromenteau, tandis que Cormery s’installait rue Mercier, peut-être au lieu et place de Raoux fils. Vers 1785, la raison sociale devint Raoux frères, et un peu avant 1795, leur atelier fut transféré rue Serpente 8, où il resta définitivement. Les instruments des Raoux jouissent d’une réputation acquise à juste titre ; ils sont très recherchés des artistes pour leur sonorité et leur justesse. De Joseph Raoux qui mourut, croyons-nous, le 26 décembre 1808, le Conservatoire possède un cor donné en 1798, comme prix à Dauprat, virtuose éminent. Il a également une trompette de cavalerie décernée par « le premier consul au citoyen Kretly, pour s’être distingué à la bataille de Marengo » (1800) faite par Raoux fils, évidemment Lucien-Joseph, car il vivait encore en 1821, et une trompette circulaire faite en 1820, dont Dauverné se servit jusqu’en 1826, à l’orchestre de l’Opéra.
Nous voici arrivé à la deuxième partie de la division que nous avons adoptée, dans laquelle nous nommerons les facteurs qui ont surgi de 1761 à 1774.
1761 - 1774 -Luthiers Pour les luthiers, nous n’avons que peu de noms à ajouter ; de la nombreuse liste qui constitue notre première période, beaucoup continuaient à exercer, sur lesquels nous ne reviendrons pas.((p 108)). Benoist Fletté ou Hetté n’a pas laissé trace de son exercice, on sait seulement qu’il fut comptable en 1763 ; Le Lièvre avait fait en 1760 le violon mis en réserve par Bruni, et récemment on en a signalé un de 1754 ; son nom figure avec l’adresse : rue des Nonaindières sur la Vielleuse habile, publiée par J. F. Bouin (entre 1761 et 71), ainsi que sur les almanach de 1775 et 1779 ; Leclerc, logé aux Quinze-vingt, s’occupa beaucoup de racommodages, nous avons vu de lui des étiquettes de 1761, 1768 et 1777 ; Gérard J. Deleplanque, luthier Lillois, a laissé quelques beaux spécimens de sa fabrication : une pandore de 1766 (à Bruxelles), un pardessus de viole à 5 cordes de la même année (Exp. rétrosp. Belge 1878), un cistre de 1768 (Cons., n° 255), un autre de 1775 (Bruxelles) et un troisième de 1777 (Coll. Samary). La guitare en écaille avec incrustations nacre et marqueterie d’ivoire (1775), acquise récemment par le Conservatoire, est d’une exécution magnifique. Etabli en premier lieu « au marché aux poulets, près le marché aux poissons » à Lille, ce luthier transféra son atelier peu après (vers 1766) « Grande chaussée, au coin de celle des Dominicains ». D’Antoine Saint-Paul, juré-comptable en 1768, il n’est resté aucun instrument ; A. Vidal cite un pardessus de viole de l’année 1772 ; pourtant nous suivons ce luthier depuis 1775 jusqu’en 1789 ; il était beau-fils et successeur de Guersan ainsi que l’indique son prospectus:
Au luth Royal, rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés ((p 109)) proche la Comédie Française en entrant à droite par le carrefour de Bussy, Saint-Paul, beau fils et successeur du sieur Guersan, luthier, fait et vend toutes sortes d’instruments de musique, savoir : Violons de crémone, violons de sa façon et de toutes sortes d’auteur ; alto-viola, basses et contrebasses, harpes, guitares, vielles, luths, théorbes, mandores et mandolines, cistres ou guitares allemandes, quintons, pardessus de violes, basses de violes, violes d’amour, serinettes et autres instruments. Il vend aussi des cordes de Naples et de Rome, de Lyon et toutes sortes de cordes filées pour lesdits instruments. On trouve aussi chez lui des cordes pour les clavecins et épinettes, le tout à juste prix. A Paris.
Luzzi non plus n’a pas laissé d’instruments ; sans cette annonce que nous copions dans le Mercure de France de 1768, son nom serait encore ignoré:
Perfectionnement à la musette donnant le son de la clarinette et de la voix humaine, elle se joue avec ou sans le bourdon ; on peut imiter depuis la vivacité et la netteté du coup de langue, comme dans la flûte traversière ou dans le hautbois.
Ce luthier qui faisait toutes sortes d’instruments était alors fixé, rue Mazarine, près le carrefour de Bussy. C’est par la proposition qu’il soumit à l’Académie des sciences en 1769, que Gosset, luthier à Reims, nous est connu. S’étant aperçu que les touches placées sur le manche de divers instruments : « violes et toutes ses parties, quinton, guitare, mandore, mandoline et souvent la contrebasse de violon » pour marquer les demi-ton, coupaient toutes les cordes à ((p 110)) la même hauteur et donnaient par conséquent des demi-tons égaux, tandis qu’il y en a de majeurs et de mineurs, Gosset eut l’idée de substituer aux dites touches, faites généralement de cordes entourant le manche, « des espèces de sillets bas, collés sur le manche, plus haut ou plus bas sous chaque corde, « selon que le demi-ton est majeur ou mineur, afin d’obtenir une justesse parfaite, impossible avec le système des divisions égales. Le journal de musique de 1770 mentionne quelques luthiers inconnus jusqu’ici, comme beaucoup de ceux que nous avons déjà signalé d’ailleurs : Cassineau, ( Cousineau?) rue des Prouvaires près Saint-Eustache « fait, vend, achète et loue toutes sortes d’instruments, violons, basses de violes, pardessus, guitares, clavecin, mandolines, contrebasses, vielles et autres instruments » ; Cherbourg , dans le Temple au bâtiment neuf inventeur «de la lyre renouvelée et perfectionnée », un de ces instruments à 22 cordes et 7 clés a fait partie du musée de M Sax qui, dans l’ignorance du nom choisi par le luthier, lui a donné, celui de « cistre » ; l’étiquette en est curieuse : « Cherbourg, dans le Temple à Paris, inventeur de la perfection de cet instrument tant désiré » ; il n’y a pas de date, mais il n’est certainement pas « très ancien » comme l’a cru M. Sax, nous ne le croyons pas de beaucoup antérieur à l’année 1770, époque où nous trouvons l’annonce de l’invention de Cherbourg ; Déhaye (Deshayes?) rue de Grenelle-Saint-Honoré, près celle des deux écus, le seul élève et neveu de M. Salomon ; il avait pour enseigne « au prélude espagnol » ((p 111)) et joignait à la vente «des violons, violoncelles, basses, dessus de violes, basses de violes, violes d’amour », celle des violons et violoncelles d’Italie et des meilleurs auteurs ancien français et étrangers, ainsi que des cordes de Naples et de Rome. Nous ne saurions dire si c’est lui qui se trouvait, rue des Saints-pères de 1775 à 1777. Un violon signé Eve et portant la date de 1770, l’adresse, rue Culture-Ste-Catherine « à la fortune » est au Conservatoire (n°18). Est-ce le même Eve qui de 1775 à 79 avait son atelier, rue Nve-Ste-Catherine, et que l’almanach de 1783 désigne par les prénoms de Jacques-Charles, rue St-Antoine, et que nous trouvons en 1788-89, rue vieille-du-temple? Henri Huet avait pour enseigne « Au Roi des instruments » ; Il figure en 1778 comme faiseur de serinettes, rue du Grand-hurleur en 1783, année qui se trouve sur l’alto inventorié par Bruni. Voici copie de son étiquette:
Huet, maître luthier, fabrique et rebille toutes sortes d’instruments comme violons, basses, contrebasses, guitares, alto, serinettes, etc., le tout au goût des amateurs, il tient de bonnes et véritables cordes de Naples, le tout à juste prix. Sa demeure est à l’encoignure de la rue du Grand-hurleur et de St-Martin, à Paris.
Vers 1770, arrivait à Orléans, François Lupot, luthier lorrain, élève de Jos. Guarnérius, issu d’une famille originaire de Mirecourt, sur laquelle les renseignements donnés jusqu’à ce jour sont quelque peu contradictoires. D’après A. Jacquot, le chef de ((p 112))cette famille serait Jean Lupot né le 25 juillet 1684 et décédé le 1er mars 1749. Suivant A. Vidal, ce Jean Lupot eut un fils, Laurent, qui naquit à Plombière en 1696, habita Lunéville de 1751 à 1756 et se fixa à Orléans en 1762. La date de la naissance de Jean, donnée par le premier, nous semble erronée, car il n’y a pas d’apparence qu’il ait eu un fils de 12 ans ; l’année 1670, à laquelle la famille Gand fait remonter approximativement la naissance de son ancêtre est plus acceptable. D’autre par, on signale un étiquette de Jean Lupot portant la date de 1647. Sans prendre parti, revenons à François Lupot qui se fixait en France après un séjour de 10 années (et non 12 comme dit A. Vidal) à la cour de Wurtemberg. Né à Plombière de Laurent Lupot, il avait 22 ans lorsqu’il partit en 1758 pour Stuttgard, où il était appelé (on ne sait à la suite de quelles circonstances) pour exercer son art à la cour du duc régnant. Le fait est établi de façon absolue par un instrument que l’on a retrouvé avec cette curieuse étiquette : « François , luthier de la cour de Wirtenbergt à Stogard 1765 » et par le certificat ci-après, tout entier de la main du célèbre compositeur italien Jomelli, conservé pieusement, comme bien on pense, par M. Gand: Louisburg, 16 juin 1768 J’atteste moi soussigné par le présent certificat, que le nommé François Lupot a servi pendant l’espace de dix ans consécutifs son Altesse Sérénissime. Monseigneur le duc régent de Wirtemberg jusqu’à aujourd’hui ((p 113)) qui sort de son service, avec ponctualité, exactitude et particulièrement adresse et finesse de son art. Le directeur de la Musique de S. A. Sér. le duc de Wirtemberg Jomelli.
Ce haut témoignage nous dispense d’insister sur les qualités de cet habile artisan dont un superbe violon, fait à Orléans en 1772, enrichit le musée du Conservatoire (n° 19). Il mourut en 1804, à Paris, ou il avait son suivi son fils Nicolas en 1794. Ce dernier, le plus habile de son temps et le chef incontesté de l’école française actuelle, vint au monde à Stutttgard en 1758, peu après l’arrivée de son père en cette ville. Sous la direction paternelle et après une étude approfondie de la lutherie Italienne, il parvint à construire des instruments pouvant rivaliser avec les meilleurs produits de ce pays et par conséquent bien au dessus de ceux de ses prédécesseurs. Malgré son éloignement de la capitale, il y fut bientôt connu et Pique, qui s’était acquis une bonne réputation, lui fit faire un certain nombre de violons en blanc qu’il ne pouvait exécuter lui-même, moyennant le prix de 30 livres pour la façon (Ce prix était assez élevé. J. B. Vuillaume ne donnait guère plus tard, que 15 à 20 francs pour la façon d’un violon ; aujourd’hui elle se paie de 40 à 50 francs). Nous donnerons plus loin copie de la correspondance échangée à ce sujet entre les deux luthiers. C’est probablement ce qui décida N. Lupot à quitter Orléans. Bien que fixé à Paris depuis 1794, il ne fonda sa maison ((p 114)) qu’en 1798, rue de Grammont, qu’il transféra en 1806, rue croix-des-Petits-Champs. C’est à partie de ce moment qu’il excella dans la construction de ses instruments : tandis que les violons faits antérieurement se payent aujourd’hui 5 à 600 francs, ceux qu’il fit de 1805 jusqu’à sa mort survenue le 13 août 1824, valent de 12 à 1500 francs. Ces produits sont les plus parfaits de la lutherie française ; N. Lupot prit Stradivarius pour modèle et l’imita sans le copier, ce qui donne à ses instruments une originalité propre. En 1815, Lupot était nommé luthier de la chapelle royale et en 1816, de l’Ecole royale ; déjà il avait fourni, sur la demande de Gaviniès, les violons distribués en prix aux élèves du Conservatoire. En 1823, il fut chargé de remplacer les anciens instruments de la chapelle royale, mais il ne put achever cette tâche, qui incomba à son élève et Gendre Ch. F. Gand. C’est à N. Lupot que l’abbé Sibire doit les éléments de son ouvrage « la Chelomonie ou le parfait luthier » (1806). Son frère François Lupot, né à Orléans en 1794, se consacra exclusivement à la fabrication des archets et y excella. C’est lui qui imagina d’ajouter à la hausse, la doublure en métal appelée coulisse. Il est mort à Paris le 4 février 1837, laissant à D. Peccatte, le fond qu’il avait fondé en 1815. Depuis le livre commode paru en 1692, aucun autre ouvrage du même genre, n’a donné de liste de facteurs. Il nous faut arriver à 1769 pour trouver l’Essai su l’almanach général d’indications, d’adresses personnelles et domicile fixe des six corps marchands et arts et métiers, qui ne contient qu’un bien ((p 115)) petit nombre de membres de la corporation. Dans la statistique qui termine notre chapitre II, l’on a vu que, d’après cet almanach, il en est mentionné 39, chiffre bien au dessous de la réalité, si l’on récapitule les noms que nous avons enregistrés jusqu’ici. Des dix luthiers qu’il signale, ont été cités précédemment : B Fleury, Guersan, les deux Louvets, Luzzi, Salomon ; il ne reste donc à mettre ici que Levalois, rue de la Calandre (instruments de toutes espèces), Lejeune, rue du Marché-Palu et Cousineau, rue des Poulies. Ce dernier, si l’on s’en rapporte à Fétis, serait Pierre-Joseph, né vers 1753, ce qui l’aurait mis à la tête d’un magasin à l’âge de 16 ans. Une telle précocité est fait pour nous laisser sceptique, d’autant plus que nous savons qu’en cette même année 1769, il y avait pour juré-comptable un nommé Georges Cousineau. La spécialité de ce facteur était la harpe et la guitare, mais il vendait instruments et oeuvres musicales, témoin cette étiquette collée à l’intérieur d’une contrebasse à 3 cordes actuellement au Conservatoire:
Rue des Poulies, vis-à-vis la colonnade du Louvre, à la victoire. Cousineau, luthier, fait et vend harpes, lyres, violons, violoncelles, contrebasses, pardessus de violes, alto-viola, guitares, violes d’amour, mandolines, sistres et autres instruments de musique. Il vend aussi des cordes de Naples et tient magasin de musique française et italienne. Son épouse grave la musique ( Nous avons vu un alto de Cousineau marqué au feu).
En 1775, Cousineau s’adjoignit son fils Jacques-((p 116)) Georges, né le 13 janvier 1760 (l’almanach musical de 1775 porte : Cousineau fils chez son père), lequel entra le 1er avril 1776, en qualité de harpiste, à l’orchestre de l’Opéra, qu’il quitta définitivement le 1er janvier 1811 ; il secondait son père et s’occupait des accords de pianos ; nous le retrouverons au chapitre suivant, quand il lui aura succédé. En 1772, Cousineau père joignit à son commerce de musique et d’instruments, la vente de pianos anglais, ce qu’il fait savoir dans les papiers publics, par des avis comme ceux-ci : « le sieur Cousineau vient de recevoir des piano forte d’Angleterre des meilleurs facteurs » ou « il vient d’arriver de Londre au sieur Cousineau des piano-forte à ravalement ». Les harpes Cousineau avaient en général un beau son, mais on leur reprochait la faiblesse de la table et la fragilité de la mécanique, occasionnant de fréquentes réparations qui mettaient bientôt l’instrument hors de service. En 1781, il voulut donner à la harpe, la facilité de produire les ré, sol, do et fa b et les ré, la et si dièse, par l’adjonction d’un second rang de pédales, ce qui en portait le nombre à 14 et procurait 21 demi-tons, résultat que Séb Erard devait obtenir plus pratiquement quelque temps après par le double mouvement des sept pédales ordinaires. Cousineau inventa aussi un système d’échos qui alourdissait inutilement la harpe, l’éffet ne compensant pas l’inconvéneint qui en résultait. Henocq, dont le Conservatoire possède un beau cistre daté de 1769 (n° 256) a été omis dans l’almanach précité. Jean Henocq fut comptable en 1773 et ((p 117)) syndic en 1775-77. Est-ce lui ou l’un de ses descendants qui figure en 1783 sous les prénoms de Jean-Georges-Bienaimé et qui habitait encore en 1789, rue Saint-Germain. Nous ne savons rien de Jean-Henri Moers, sinon qu’il fut comptable en 1771 ; J. Heinle de Paris n’est connu que par un violon de 1761 et Bergé de Toulouse, ne l’est que par les vielles du musée du Conservatoire ; l’une, ordinaire, datée de 1771 (n° 214) ; l’autre, organisée, sans date. Harmand prêta serment le 19 février 1772 comme maître du corps des luthiers, à Mirecourt (l’écho des Vosges, octobre 1837)
1761-1774-Clavecins
Si l’almanach de 1769 ne nous a pas appris grand chose sur les luthiers, en revanche, il apporte beaucoup de noms de facteurs de clavecins ignorés pour la plupart et dont les instruments sont inconnus aujourd’hui. ( Jean Gérard, place Cambray ; Jean Goermans, dit Germain, qui était encore, en 1777, rue Férou et dont un clavecin est porté sur l’inventaire de Bruni ; J Hartman, rue Betizy ; Guillaume et Jean Hemsch, rue Quincampoix (ce dernier comptable en 1761) que nous retrouvons plus après 1776 ; Jean Leisert, cul-de-sac de l’oratoire ; Jean-henri Moers, rue Quincompoix, jusqu’en 1789, Joachim Ruelle, rue du Cloître-Saint-Jacques, de 1775 à 89 ; Benoit Stelle, rue des Cordeliers, qui disparut en 1777 ; Jacques Touroude, rue Vieille-du-temple et Treyer, dit le Tourneur, rue Percée-Saint-Severin jusqu’en 1779. Joseph Treyer, dit Lempereur, n’est pas sur cet almanach, il ne figure que sur ceux de 1783 à 1789, rue des Rats, place Maubert ; cependant le clavecin porté sur l’inventaire de Bruni est daté de 1770. C’est par erreur que M. J. Gallay (Un inventaire sous la terreur, note p 77 ; que ce facteur a laissé quelques ((p 118)) instruments à archet et qu’il fut juré-compable en 1750 ; il le confond avec Jean-Baptiste que nous avons précédemment cité. Par contre il omet le plus célèbre d’entre eux ((p 118)), Pascal-Joseph Taskin, né à Theux, en 1723, décédé à Paris en 1795. Elève et successeur de F. E. Blanchet, Taskin hérita de ses précieuse qualités. En 1768, il avait réussi à corriger la sécheresse et la monotonie du clavecin en substituant aux plumes, des morceaux de buffle ; les sons devenaient ainsi à volonté plus doux ou plus forts, à l’aide d’un mécanisme relié au 4eme rang de sauteraux. (Voir à ce sujet la lettre de Trouffaut dans le Journal de musique de 1773, n° 5, p 10. D’laine, maître de vielle, ayant fait des essais en remplaçant les plumes par du cuir, préparé spécialement, revendiqua dans l’Avant coureur de 1771, n° 36, l’invention que Taskin s’appropriait en employant le buffle au lieu du cuir.) Taskin fut comptable en 1775 et garde des instruments du roi de 1781 à 1790. Il inventa en cette année un nouvel instrument appelé Armandine, (Le Dictionnaire des instruments de musique, de A. Jacquot, donne par erreur, la date de 1723 comme celle de l’invention de l’armandine), sorte de harpe-psaltérion que l’on peut voir au Conservatoire (n° 312). Après lui, vient Balthazar Peronard (1760-89) qui adapta au clavecin, vers 1780, une pédale actionnant un jeu de basses par laquelle on obtenait « des sons de contrebasse très beaux ». Il fit aussi l’application du double fond avec cordes frappées par des marteaux mus par des pédales (Encycl. Méth. de Framery, p 287). Un clavecin de 1777 et deux piano-forte de 1771 et 1777 étaient au nombre des instruments réunis par Bruni. Naderman figure audit almanach ((p 119)) comme facteur de harpes de toutes sortes (rue du Chantre Saint-Honoré). Jean-Henri Naderman fut comptable en 1774-75, syndic en 1776, et habita jusqu’en l’an VII, rue d’Argenteuil. A sa mort, sa veuve lui succéda avec ses fils : en l’an VIII, la maison est indiquée « Veuve Naderman et fils : rue de la Loi ». Parmi les magnifiques instruments sortis de l’atelier de Naderman, il convient de citer la harpe faite en 1780, pour la reine Marie-Antoinette, une des plus belles pièces du musée du Conservatoire (n° 293). Les harpes de ce facteur avaient la table forte et solide, elles étaient considérées comme les meilleures ; il leur ajouta un mécanisme propre à produire les sons harmoniques annoncé dans le Mercure du 24 mai 1780. C’est Naderman qui construisit le bissex, sorte de luth à 12 cordes inventé en 1773 par Van Hecke. Au dire de Mme de Genlis (Nouv. méth. de harpe, 1805), ce serait un nommé Gaiffre qui aurait eu l’idée d’adapter des pédales à la harpe, vers 1745, (d’autres attribuent cette invention à l’allemand Hochbrucker), mais, que ne se doutant pas du parti que l’on pouvait en tirer, il s’occupa plus de donner des leçons, que de chercher à exploiter son invention ; de sorte que 15 ans après, il n’avait encore fait que 4 ou 5 instruments de ce système, vendus 20 et 25 louis. Durant cette période, la harpe un moment délaissée revint à la mode. Profitant de l’engouement, Louvet et Surtout Salomon (Jean-Baptiste?) construisirent une grande quantité d’instruments, en copiant le mécanisme de Gaiffre, qui laissa faire sans élever de revendication, se réjouissant même ((p 120)) des succès prodigieux qu’obtenaient ses rivaux, sans songer un instant que c’était à son détriment. Gaiffre jeune essaya bien de fabrique à son tour, mais sans argent et sans un nombre suffisant d’ouvriers, il ne réussit point. Salomon apporta ensuite quelques modifications à la construction de l’instrument ; il le rendit plus sonore en augmentant sa grandeur et sa grosseur, puis il eut l’idée de le faire dorer. L’effet ne manqua pas. Jusque-là, petite et de couleur brune, la harpe, grandie et relevée par l’éclat des dorures, eut un prestige auquel on ne résista pas et Salomon en vendit beaucoup à 50 et 60 louis, le double de ce que demandait Gaiffre auparavant. Les harpes de Salomon étaient avec celles de Naderman, les meilleures de l’époque, elles avaient aussi l’avantage de gagner en vieissant.
1761 - 1774 - Orgues
Du même Essai d’almanach de 1769, nous extrayons quelques autres noms de facteurs d’orgues : Honoré Joubert auquel sa femme succéda vers 1775, et qui faisait spécialement des vielles organisées, orgues à buffet et à manivelle (1777) ; Pierre Larue, comptable en 1767, qui habita jusqu’en 1785 Cimetière St-Jean et fut, en 1788-89, rue du Pourtoir Saint-Gervais ; Adrien Lépine (1767-79, rue Neuve-Saint-Laurent), né à Pézenas, constructeur d’un grand nombre d’instrument dans la région, choisi pour ajouter un jeu de Bombarde à l’orgue de la cathédrale de Nantes en 1767 ; inventeur d’un système de forte-piano, organisé ayant la propriété d’enfler et de diminuer les sons sur le jeu de flûte comme sur les ((p 121)) cordes, soumis à l’académie des sciences en 1772 (t. I, p 109) ; Simon-Pierre Mioque, duquel on cite l’orgue de la cathédrale d’Angoulême, construit de 1780 à 1786, moyennant 13,462 livres. En province existait à l’époque Aimé-Joseph Carlier, à qui l’on doit un grand nombre d’orgues du nord de la France (1768-1808) ; Jean-Pierre Cavaillé, né vers 1740, fit entre autres les orgues de Perpignan (1760), de Sainte Catherine à Barcelone (1762), Toulouse (1770) et retourna, lors de la révolution en Espagne où il mourut au commencement du XIX siècle ; Antoine, de Rouen chargé de diverses réparations à l’orgue de Notre-Dame de la Couture, à Bernay (1769-91) et qui fournit un jeu de « Cleron » à Sainte-Croix de la même ville en 1772 ; Buron cité par Gerber comme auteur d’un orgue à Angers en 1769, et qui présenta en 1777 un devis, non accepté, pour celui d’Angoulême ; enfin Mary dit Dubois qui travailla à l’orgue de la cathédrale d’Evreux en 1777.
1761 - 1774 - Instruments à vent
L’essai sur l’almanach confirme l’existence des facteurs d’instruments : Delusse, Vincent, Villars et Carlin, précédemment cités, mais il omet Thomas et Gilles Lot qui, on le sait vivaient encore. Par contre, il fait connaître un nouveau venu, Prudent Thierriot, rue Dauphine, qui s’est acquis une juste réputation pour la fabrication des hautbois, clarinettes et surtout des bassons. Il est plus connu sous le nom de Prudent, car il marquait ses instruments de ce prénom seul ; ainsi qu’on le constate sur le basson ((p 122)) à 5 clés et le flageolet-diapason qui sont au Conservatoire (n° 506 et 746). En 1775, le père, qui avait été comptable en 1772-73 et le fils faisaient partie de la communauté ; à partir de 1772 jusqu’en 1785, Prudent Thierrot fils est seul mentionné.
1775 - 1799 - Luthiers
Nous voici enfin à la dernière période du XVII siècle. Les éléments d’information sont moins rares ; la musique ayant de jour en jour plus les faveurs, des publications spéciales apparaissent, donnant, avec des renseignements divers sur les faits musicaux et sur les individus exerçant la musique au théâtre et à la ville, des listes de facteurs, fort utiles à consulter, car sans elles, bien des noms ne nous seraient pas parvenus. La première publication de ce genre est l’Almanach musical, qui parut de 1775 à 1783 ; puis viennent les Tablettes de Renommée de 1785 et 1791, et le calendrier musical pour 1788 et 1789, rédigé par Framery ; ce dernier beaucoup plus connu que l’Almanach musical, dont peu d’historiens ont fait usage en raison de sa rareté. Il va sans dire que ces ouvrages comportent de nombreuses lacunes et, chose bizarre, elles portent souvent sur des personnalités ayant occupé une place importante dans leur spécialité. Pour y remédier, nous continuerons à donner, d’après les écrits contemporains et les instruments, les détails complémentaires offrant quelque intérêt historique. Il semble qu’alors que le nombre de facteur s’accroissait considérablement, plus nombreux devaient ((p 123)) être ceux qui parvenaient à la célébrité. Rien n’est moins vrai cependant. Pour des causes difficiles à axpliquer et dont il faudrait peut-être chercher l’origine dans les événements et les changements de coutumes, cette fin de siècle n’a pas vu s’augmenter proportionnellement le nombre de facteurs ayant jeté un relief exceptionnel sur la corporation. Ce fut une période de transition. Presque tous les luthiers dont le nom a paru pour la première fois dans l’Almanach de 1775 sont restés obscurs et c’est à peine si l’on trouve aujourd’hui des instruments de leur fabrication ( François Allard, place Maubert (1776 83, rue du petit-Pon (1788-89), probablement fils de la veuve Allard qui figure à la première adresse de 1775 à 83 ; Jean-Gaspard Bachelier, rue de la tissandrie (1777), place Baudoyer (1783-89) ; Jean Robert Chibon, rue de la Comtesse d’Artois (1775-79 et de la grande truanderie (1783-85 ; deux de ses altos et une basse sont sur l’inventaire de Bruni ; Pierre-Jean Gonnet, rue du Temple (1775-83) ; Jacques-Antoine Guédon, rue de la tissanderie (1775-77), de la Barillerie (1779-83) ; François Henocq, rue Jacob (1775-77, puis faubourg des Saints-Pères (1779-89) ; Un autre Hénocq était en 1785, au faubourg Saint-Antoine ; Antoine Fouquet-Lecomte, ou simplement Lecomte, rue des Fossés-Saint-Germain-Des-Prés (1775-1800 ; Pierre Lécuyer, rue des Fossés-Saint-Jacques (1775-83) ; Jean Charles Lejeune, rue du Four-Saint-Germain (1775-83) ; Jean Baptiste Lejeune, rue Montmartre (1775-89 (il y avait encore un luthier de ce nom à cette adresse en 1816) ; Claude Paris, rue du Roule-Saint-Honoré (1775-91) en 1816 : Paris, oncle et neveu ; Perault, rue du Petit-Musc (1775-77 ; Claude-Edme-Jean-Prieur, rue de la Pelleterie (1775-77) et de la Calandre (1779-39 ; P Charles Prevost, rue de la Verrerie (1775-89), « au Dieu Apollon » ; Vve Somer, pont au change (1776-83) ; Vibert, rue de Seine (1775-83) ; ((p 124)) ; Walter, rue Coquillière (1775), rue St-Denis, vis à vis la rue Mauconseil (1776-77) et rue Quincampois (1779).Plus heureux sont François Fent (cul-de-sac, Saint Pierre rue Montmartre (1774-89), qui acquit une grande renommée en son temps, mais dont il ne reste aucun instrument, hors l’alto du Marquis de Roquefeuil mis en réserve par Bruni, et le violon sans date qui passa à la vente d’Emmonville en 1881, d’une facture remarquable ; dans la collection Ramonet vendue à Saint-Omer, en 1872, il y avait un violon de 1774 « réparé par L Delannoy, Lille, 1828 » (C’est sans doute Fent qui est désigné sous le nom de Sendt, rue Montmartre près le cul-de-sac, sur les Tablettes de 1791, comme faisant les raccommodages ; Laurent Sigismond Laurent, auteur d’un théorbe daté de 1775 actuellement à Bruxelles, qui avait pour enseigne « au cytre allemand » et resta passage du Saumon (1775-89, il faisait aussi des harpes ; Jacques Pierre Michelot, « A la mélodie », rue Saint-Honoré (1775-1800) qui avait une harpe éolienne dans la collection Savoye, et dont le Conservatoire possède une petite guitare de 1781 ; en 1791, il fit passer l’annonce suivante : « renommé pour les guitares en bateau dont les avantages sont de réfléchir, le son au dehors d’une manière plus sensible, et pour faire d’excellentes quintes et violons », Nicolas Perou, rue de l’arbre-sec (1775-79), rue Mauconseil (1783), place de la Comédie-italienne (1785) et rue Richelieu près la Comédie-française (1787-89), d’après le grand cistre carré à 18 cordes du musée Sax, fabriqua la lyre espagnole inventée par l’abbé de Morlane (calendrier musical 1788) et fut luthier de la duchesse d’Orléans ; ((p 125)) il répara la basse qui servait à l’éducation des élèves de la musique des gardes française en 1788, moyennant 18 livres ; un théorbe de sa facture appartient à M. Savoye et M. Audinot, luthier, a en ce moment un de ses violons du beau type Galliano, daté de 1790 ; Mathurin-François Remy, rue Tiquetonne (1775-91, dont on doit signaler l’innovation originale ainsi annoncée : « Fait des quintes qu’il voûte comme si elles étaient prises dans l’épaisseur du bois et qu’il vernit à l’huile » ; Jean-François Tiphanon (rue Saint-Honoré-du-Louvre 1775-1800), auteur d’un cistre-théorbé acquis par le Conservatoire, qui avait ceci de particulier qu’au moyen de crochets actionnés par des bascules placées sous le haut du manche des cordes basses, on pouvait les raccourcir d’un demi-ton, ce qui facilitait les modulations. L’édit de 1776 n’eut pas pour résultat de faire rentrer beaucoup de luthier dans la communauté. Son effet se fit plutôt sentir sur les facteurs de clavecins,pianos, et harpes, dont il sera question tout à l’heure. Les seules réceptions nouvelles de luthiers sont au nombre de quatre : Léopold Renaudin, rue Saint-Honoré (1776-95), ordinaire de l’Académie royale, qui fit d’excellentes contrebasses, avait pour enseigne « Aux amateurs ». et fut dit-on, juré du tribunal révolutionnaire et exécuté le 7 mai 1795 ; on connaît deux de ses altos de 1783 et 1789, et un violoncelle « fait d’une basse de viole » ; Pierre Krupp, rue Saint-Honoré (1777-91), qui fit aussi des harpes ; Bruni en inventoria une chez le Comte de Montmorency ; une harpe à 35 cordes de ce facteur est dans la collection E. de Bricqueville ; ((p126)) J. M. Nermel, rue Saint-Germain-l’Auxerrois (1777), du Pot-de-fer (1783), du Vieux-colombier (1788-89) et Clève ou Clerc aux Quinze-Vingt (1777). Pour compléter cette liste de luthiers, mentionnons maintenant les omis : Lavinville, fournisseur du duc de Chartres, spécialisé dans les mandolines (1777) ; Delaunay, d’après une vielle de 1775 (Conservatoire n° 213) ; Michel Pacherele, (Pacherelle) rue d’Argenteuil, d’après un violon de 1779 ; G. Leblond de Dunkerque, d’après un cistre de la même année actuellement à Bruxelles ; Jean Théodore Namy, « luthier chez M. Salomon » en 1778 et, de 1783 à 89, place du Louvre cité par l’abbé Sibire comme ayant un grand mérite (Chélomonie 1806) ; Charles Michel Gand, né à Mirecourt en 1748, établi à Versailles en 1780, chef d’une famille de luthier dont le nom est devenu célèbre, grâce à son fils aîné élève et digne successeur de N. Lupot ; Ch. M Gand, mourut à Versailles en 1820, laissant sa maison à son second fils. Il avait pour enseigne « aux tendres accords ». Nicolas-François Fourier, appelé simplement Nicolas, originaire de Mirecourt où il naquit le 5 octobre 1758, commença, suivant Choron, à travailler chez Saunier à l’âge de 12 ans. Il acquit une grande réputation et fut nommé luthier de l’Ecole royale en 1784. L’almanach de Paris de 1789, indique son domicile place de l’Ecole et les tablettes de 1791 font connaître qu’il était luthier de l’académie royale de musique ; il fut ensuite, jusqu’à sa mort (1816), fournisseur de la chapelle et de la musique particulière de l’Empereur. Nicolas était ((p 127)) surtout renommé pour le choix de ses bois. L’ensemble des proportions et le placement de la barre. François-Louis Pique, né à Rorei près Mirecourt en 1758, se fixa à Paris vers 1777 ou 1778 où il ne tarda pas à se faire une belle réputation ; Spohr a cité ses instruments comme étant les meilleurs (Méth. de violon). On a au Conservatoire un théorbe (n° 221) portant la date de 1779 et l’adresse « rue Coquilllière au coin de la rue du Bouloy », Pourtant après avoir fait connaître ce détail et indiqué la rue Platrière comme ayant été le siège de l’atelier de Pique de 1782 à 1789, G Chouquet se contredit en donnant l’année 1789 comme celle de l’établissement de Pique à Paris (Le musée du Conservatoire, p 55 et 12). Nos documents nous permettet d’affirmer que le dernier renseignement donné par cet écrivain est inexact. Quant au siège de l’atelier, il fut bien d’abord rue Coquillière, puis dans le voisinage, rue Plâtrière (1787-89) « vis-à-vis de l’hôtel de Bulion » (comme le confirme l’étiquette d’une mandore à 16 cordes du musée Sax, faite en 1787) et enfin rue de Grenelle-Saint-Honoré au coin de la rue des Deux-Ecus. Remarquons cependant que les Tablettes de Renommée de 1791 indiquent encore la rue Coquillière, en annonçant que ce luthier « fait, raccommode et vernit à l’huile » les violons et instruments à cordes. Nous avons déjà signalé cette particularité en parlant de Lupot et M. F. Remy ; c’était un retour à l’ancien procédé que certains luthiers du commencement du siècle avaient abandonné, bien à tord pour faire usage du vernis à l’alcool. Pique se retira vers 1816 et mourut à Charenton en 1822. Nous ((p 128)) avons dit à l’article N. Lupot, que Pique avait eu recours à lui pour la confection d’un certain nombre de violons en blanc. L’assertion a besoin d’être appuyée, car elle fait planer un doute, non pas sur la valeur des instruments portant la marque de Pique (bien au contraire) mais elle laisse incertaine leur authenticité en tant que produit personnel de ce luthier. Or, la preuve, c’est que Pique lui-même qui nous la fournit dans la correspondance qu’il eut à ce sujet, avec Lupot, actuellement en possession de la famille Gand, qui a bien voulu en donner communication. Après une première lettre ayant pour but de pressentir Lupot, Pique, sur une réponse favorable, écrivait à la date du 14 avril 1792
A M. Lupot fils, Rue d’Illier, 8, à Orléans. Monsieur, j’ai reçu l’honneur de la vôtre par laquelle vous convenez de me faire des violons comme je vous les demandais. Je m’en vais vous envoyer du bois d’abord pour deux avec les manches et éclisses, la voûte du fond pareille à celui que j’ai eu de M. Woldemar dans le même genre, excepté les coins moins usés. Quand ces deux violons seront finis, vous m’en donnerez avis en me les envoyant et je vous en ferai passer les fonds par la messagerie ou par d’autre voie, comme vous voudrez. Je vous prierai, si vous pouvez me faire le plaisir de me céder dans ce moment-ci de votre vernis à l’huile pour quelques violons, en étant à court dans ce moment-ci et n’ayant pas le temps d’en faire. J’en avais fait il y a quatre ans, qui m’a servi jusqu’à ce jour ; ((p 129)) avec cela à Paris on n’est pas trop commodément pour cela, il faudrait avoir une cour ou un jardin. Comme j’ai deux violons à vernir tout de suite, vous m’obligeriez de m’envoyer cela dans une petite bouteille avec du raucour pour mettre sous le safran, n’en ayant pas et étant bien pressé pour les deux violons dont je vous parle. J’espère Monsieur, que nous ferons des affaires ensemble, d’après le récit que M. Woldemar m’a fait de vous. J’ai l’honneur. etc. Pique ( Nous n’avons pas respecté l’orthographe par trop fantaisiste de Pique, laquelle rend sa pensée difficile à saisir et fatigante à lire) Voilà qui est clair. Mais, dira-t-on, c’était là un fait exceptionnel. Point du tout. Cette autre lettre de Pique le démontre: Paris, 25 2 1793. Monsieur, j’ai reçu l’honneur de la vôtre par laquelle je vois que vous ne pourrez vous retirer pour soigner les violons que je vous demande. J’adhère volontiers au prix en vous priant de vouloir bien les soigner et imiter le plus qu’il vous sera possible le violon que M. Woldemar a eu à Paris avec le manche vermoulu, la voûte et les FF. Vous pouvez être sûr, Monsieur, que ne rendrai aucun compte des prix que nous ferons à personne. Je m’en vais vous envoyer du bois pour quatre, quand il sera employé, je vous en enverrai d’autre. Je suis bien obligé du vernis que vous aurez la bonté de me céder...
A divers titre ces deux lettres sont curieuses. En ((p 130)) sus du fait que nous voulions établir, elle nous apprennent que l’on s’appliquait déjà à l’imitation des violons anciens et que la main d’oeuvre pour ce travail d’artiste était payée 30 livres, que l’installation des luthiers à Paris était défectueuse et peu favorable à la fabrication du vernis, et enfin, qu’ils ne tenaient pas à mettre le public au courant de leurs relations commerciales. De tous les nouveaux luthiers dont le nom nous parvient par les almanachs de 1783 et autres, aucun ne s’est signalé d’une façon particulière et l’on ne trouve même pas, dans les grandes collections, d’instruments sortis de leurs ateliers. (Joseph Bassot, aux Quinze-Vingt (1783), rue Chabanais (1788-an XIII), eut une basse de 1781, inventoriée par Bruni ; un instrument de 1802 a été signalé ; Jean-Baptiste Champion (1783) ; Claude Deschamps, rue de Seine (1783-85) ; Jean-Laurent Element (Clément ?) (1783) ; Jean-François Fleuri (1783) ; Jean-Gabriel Koliker, rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés (1783-99, rue Croix-des-Petits-Champs (1800), excella dans les réparations, Ch. F. Gand acheta son fond en 1820 ; J Lafleur, rue de la Coutellerie (1783), rue de la Verrerie (1785), rue de la Juiverie (1788-99) né croit-on à Nancy en 1760, mort en 1832 ; Toussaint-Nicolas-Germain Lefèvre, cimetière Saint-Jean (1783-89 ; Louis Lejeune, rue de la Juiverie (1783-89 ; Claude Simon, rue de Grenelle-Saint-Honoré (1783-an VII), les violons de la veuve Simon, carrefour de l’école étaient renommés en 1785 ; JB Thériot, (1783) ; Jean Walter, rue Bourbon (1783-99) ; Drouleau (Droulot?), rue du Temple (1788-1800 ; Montron, rue du Grand-Hurleur (1783-89) ; Michaud, rue Guérin-Boisseau (1788-89). Par contre, quelques uns qui ne figurent pas dans les documents précités, nous ont transmis leur nom par des instruments divers. Louis Moitessier est connu par un violon ((p 131)) de 1781, ainsi que le P. Vermesch, religieux minime à Beaumont-sur-Oise (1781) ; Mareschal, rue Rameau, 11, près l’Opéra, a une lyre-guitare à Bruxelles, dont on ne connait pas la date, mais cette étiquette « Marechal, luthier et facteur de pianos, rue Neuve-le-Peletier, 179. », indique l’époque où il exerçait ; N. Duménil est mentionné par Bruni pour un violon de 1786 et Guillaume est révélé par une guitare de 1789. Aldric commença à travailer à la fin du siècle ; un petit violoncelle de la collection Loup porte la date de 1788, mais ce luthier appartient plutôt au XIX siècle. D’après une basse, il était, en 1792, rue des Arcis, en l’an VII, rue de Bussy et, lorsque son neveu Aubry lui succéda, il avait transféré son atelier rue de Seine ; Aldric a laissé des instruments parfaitement faits et d’une sonorité remarquable ; il tient une place honorable dans la lutherie moderne. La province compte aussi des luthiers dont l’existence est connu par des instruments : Joseph Didelin, luthier à Nancy « à l’enseigne de la Guitare des Dames de France » (alto daté de 1775 à M Audinot) ; La Riche, rue de la clef, à Lille (cistre de 1781) ; Fevrot à Lyon (1788-1813) ; Aubert, à Troyes, 1789 (guitare à deux manches du musée Sax) ; Thomas Bomé, à Versailles, 1790 (violon n° 24, Conservatoire) ; Caron, luthier de la reine, rue Satory, à Versailles, 1783-85 (désacorde n° 224), auteur d’un alto fait en 1777 ; Nicolas Viard, à Versailles, 1790. ((p 132)) Il est d’autres luthiers sur lesquels on n’est pas fixé quant à l’époque où ils ont exercés ; ils n’en doivent pas moins trouver place ici en attendant que la lumière se fasse sur leur compte : I. E. Antoine, à Mirecourt ; Charles Claudot (violons dans la collection Samary) ; Guillaume Barbey (basse de viole à 6 cordes à Bruxelles) ; Nezot (réparation au pardessus de viole à six corde du Conservatoire, n° 139) ; nous avons vu une belle viole de ce luthier, également sans date ; Mille, à Aix (pochette à Bruxelles réparé par Remy) ; Dimanche Drouyn, Paris (pochette) ; Jean-Laurent Mast (étiquettes) ; Louis Poiros (Poirot ?) (violon, inventaire Bruni) ; Claude Girod (vielle, id.), La Loe, et Pierre De Planche (pardessus de viole, id), et enfin Jean Raut, à Rennes ; Pitet ; Antoine Carré, à Arras ; Desrousseau, à Verdun « au luth 17..».
1775 -1779 Harpes
Ainsi que nous l’avons déjà dit, une des conséquences de l’édit de 1776 fut d’accroître le nombre des facteurs. L’augmentation porta surtout sur les constructeurs de clavecins, harpes et pianos. Pour les premiers, il n’y a à constater qu’une élévation du nombre, mais, pour les harpes, il faut noter un commencement de spécialisation, ces instruments ayant été faits jusque-là par des luthiers ou facteurs de clavecins. Quant au forte-piano, c’était le début d’une industrie nouvelle et toute spéciale. Les nouveaux facteurs de harpes étaient : Godefroy Holtzman (1776-89), faub.St-Antoine) ; d’autres facteurs de ce nom seront mentionnés plus loin ; François Chatelain (1777-89, rue Braque 9 ; an VII, rue de Berry), un alto recoupé dans une basse de viole, en 1783, avec le nom de ce facteur, passa à la vente d’Emonville (1881), une harpe à sujet chinois est au musée de Cluny (n° 7018) ; Sébastien Renault, rue Braque (1777-anVII), un archi-cistre de 1804, ((p 133)) actuellement au musée de Bruxelles, l’indique rue Ste-Avoye, vis à vis celle de Braque. Ces deux facteurs, qui figurent isolément sur les almanachs ou des instruments, s’associèrent en différentes occasions pour la fabrication de divers instruments, car nous voyons fréquemment leurs noms ainsi réunis : Renault et Chatelain, de 1781 à 1791. Citons entre autre une vielle de 1775, que nous avons vue chez M. Jombar, une harpe d 1783 à M. Nollet, un théorbe de la même année, prêté par M. E. Bernardel à l’exposition rétrospective de 1889, les cistres des Conservatoires de Paris (n° 260), de 1785 et de Bruxelles (1786). Ces deux instruments portent l’adresse « rue de Braque, au 1er, au coin de la rue St-Avoye » ; il ne peut y avoir aucun doute sur l’identité de ces facteurs. Ils avaient pour enseigne « à la Renommée ». En raison de la vogue que la harpe rencontrait chaque jour, le nombre de facteurs continua de s’accroître (François Guillaume, rue de l’université (1783-86), rue de Beaune (1788-89) ; Pierre-Jacques Godelart, rue du Four-Saint-Germain (1783-89 faisait aussi des clavecins ; Holzmann, rue de Fourcy (1788-89) ; Jean Woltaier, carré à Saint-Denis (1783-83) ; Vanderlist, rue des Vieux-Augustins (1788-89), rue de Montmartre (an VII) ; s’occupa aussi de lutherie. A. Vidal signale un violon portant ce nom et l’adresse « rue des Vieux-Augustins, près de l’égout de la rue Montmartre ». Mais trois noms seulement se sont perpétués. Antoine Chaillot avait commencé à travailler vers 1778 au faubourg Saint-Antoine, d’où il alla au faubourg St-Martin (1783-1816) ; son fils et son petit fils lui succédèrent. Henri Holzmann (Faubourg Saint-Antoine) ((p 134)) (1783-89) eut une harpe parmi les instruments mis en réserve par Bruni. Lépine (Adrien-Picard ?) fit apprécier la qualité de ses instruments, qui, à un très beau son, joignaient une grande solidité de table et de mécanique : il est particulièrement cité par Mme de Genlis.
1775- 1799, Clavecins
Comme les luthiers, les nouveaux facteurs de clavecins se sont peu distingués ; en dehors des conditions économiques, l’heure devenait de moins en moins favorable à cet instrument, que commençait à détrôner le piano. Des cinq facteurs existant en 1775, non encore cités, ucun n’a laissé de souvenir durable (Jean-Marie Dedeban (1775-89, rue de l’éperon), fit ensuite des pianos ; Jacques Germain, dit Goermans (rue des Fossés-Sant-Germain-des-Prés, 1775-89) ; il imagina, en 1781, d’après le procédé employé par Cousineau pour la harpe, un clavecin à 21 touches par octave ; Jean Hermes (rue du Colombier, 1775-83, et rue des Saints-Pères, 1788, adjoignit à sa fabrication, en 1777, celle des pianos ; Malade, rue Bourbon-Villeneuve (1775-79), sa veuve tenait la maison en 1783 ; Pierre-Charles Simonneau, fournisseur de l’Opéra (1775-79, rue Saint-Landry). Nous avons relevé le nom de Clermont, à Nancy, sur une harpe style Louis XVI.) et parmi ceux qui entrèrent successivement dans la corporation (De 1776 à 1778 : Louis Benard (1776-89) ; Jean Pierre Leclerc (1777-83, rue Chapon, 1788-89, rue Beaubourg, an VIII, rue Simon-le-Franc) ; Morel, (rue Quincampoix, 1777);Jean Naulot (1777, rue Gaillon, 1783, rue du Bac) ; Pierre Dubois(1778, an VII, rue Saint-Honoré) ; Pierre Grenot (1778-83, rue du Moulin-Neuf, 1788-89, rue de la Calandre). De 1783 à 1788 : Jacques Barberini, rue de la Verrerie 1783-91), ((p 135)) où il tenait des forte-Piano anglais des meilleurs auteurs ; Louis Duclken, rue vieille-du-Temple (1783), rue Mauconseil (1788-89) ; Pierre Gatteaux, rue Guérin-Boisseau (1783), rue de la Harpe (1788-89) ; Lauterbon, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie (1788-89) ; Volber, rue d’Argenteuil (1788-anVII. J. J. Nesle n’est connu que par le clavecin italien, exposé en 1889 par M. Coffinières de Nordeck, lequel porte cette inscription : « fait à Milan pour sonner à la quinte ; refait pour sonner au ton, par J. J. Nesle », 1780, et L. Bas, de Marseille, par le clavecin de 1781, restauré en 1831 par Martel (collection de Bricqueville).) seul, Joachim Swanen a ((p 135)) laissé un instrument remarquable : le superbe clavecin à deux claviers à main et un clavier de pédale fait en 1786, actuellement au Conservatoire des Arts et Métiers (Swanen habitait rue du Four-Saint-Germain en 1783, rue des Fossés-Monsieur-le-Prince, en 1786, et rue Dauphine, en 1816.). J. J Schnell, wurtembergeois fixé à Paris en 1777, breveté de la comtesse d’Artois, qui conçut, en 1781, un clavecin avec une corde supplémentaire à chaque touche, une pédale de sourdine, et une autre pour le crescendo ; il quitta la France à la révolution, après avoir inventé l’anémocorde. Un petit-fils de F. E. Blanchet, Armand-François-Nicolas, né en 1763, s’occupa de bonne heure de la facture et de l’accord des clavecins ; lorsqu’il publia en l’an IX une méthode abrégée pour accorder le clavecin et le forte-piano, il était établi rue de la verrerie, 167, ce qui fait supposer qu’il avait repris la maison laissée à Taskin par son grand-père A. e. N. Blanchet et, à sa mort (18 avril 1818, son fils Nicolas ((p 136)) qui devint ensuite l’associé de Roller dans la fabrication des pianos, prit sa succession.
1770 - Le piano à Paris
La mort n’ayant pas permis à Marius de répandre le clavecin à maillets, embryon du piano, qu’il avait soumis en 1716 à l’académie des sciences, il fallut que l’idée revint d’Angleterre où elle avait été protée, dit-on, en 1760, par l’allemand Zumpe, pour décider nos facteurs à s’occuper de cet instrument. Suivant une affiche signalée par la Gazette musicale (1851, p 212) dont l’original est actuellement selon M. Lavoix entre les mains de M. Broadwood, la première audition publique du piano-forte eut lieu à Londres en 1767. L’importation ne tarda pas ; en 1770 il était connu Paris et au mois d’avril, Virbès, organiste de Saint-Germain-l’Auxerrois qui, en 1766, avait essayé de donner le piano et le forte au clavecin au moyen de bascules actionnées par les genoux (Hist de l’Acad. des sciences, p 161. Dumontier, en 1775 avait déjà tenté d’obtenir ce résultat), lui opposa un instrument de sa façon, ainsi qu’en fait foi l’entrefilet suivant que nous découpons intégralement dans l’Avant-coureur du 2 Avril, personne ne l’ayant encore reproduit:
Le même soir (5 avril) le sieur Virbes fils, âgé de 9 ans et demi et élève de son père, fera entendre plusieurs morceaux de musique sur un instrument à marteaux de la forme de ceux d’Angleterre. Cet instrument a été exécuté en Allemagne suivant les principes de M. Virbes. Il rend des sons beaucoup plus forts et plus nets que ((p 137)) ceux d’Angleterre et l’harmonie en est plus agréable et d’un meilleur effet.
Virbes s’occupa très activement de la propagation du nouvel instrument et l’année suivante, il faisait annoncer dans la même feuille (p 149), que son fils avait eu « l’honneur de toucher le forte-piano devant Mme la Dauphine ». L’apparition de cet instrument fit quelque bruit ; il rencontra tout d’abord l’opposition et l’accueil ne fut pas absolument des plus enthousiastes :
Quoi, cher ami, tu me viens d’Angleterre, Hélas! comment peut-on lui déclarer la guerre!
s’écriait le Chanteur Albanese dans un à-propos : L’arrivée du forte-piano, annoncé dans l’Avant-coureur du 25 février 1771. Cette pièce, d’une platitude inouïe, qui ne méritait aucunement d’être exhumée des cartons où elle gît ignorée depuis plus de 120 ans, si elle ne constituait un document certain et curieux sur les débuts du piano, commence ainsi:
Il est donc vrai qu’enfin je te possède, Mon cher amis, mon cher piano-forte Au plaisir de te voir, tout autre plaisir cède, Ah! que tu vas être fêté, Ah! comme tu sera goûté.
Si ses vers sont l’expression sincère de sa pensée et non pas satiriques, le chevalier Albanaise fut un adepte convaincu dès la première heure (Nous croyons à sa sincérité, car peu après (1775) il écrivait : ((p 138)) « Je préfère le forte-piano au clavecin pour accompagner la voix. Je trouve que le premier a plus de rondeur dans les sons et, par conséquent, plus d’analogie avec la voix que l’autre, quoique très agréable dans les morceaux d’exécution, devient paquet de clef dans l’accompagnement ». (La Soirée du Palais Royal, nouveau recueil d’airs, op.IX). ) ; voici ((p 138)) comment il dépeignait les effets de son nouveau favori:
Du medion que le timbre est sonore Que les hauts sont brillants, que les bas sont profonds, Ce sont clarinets et bassons, C’est le hautbois, c’est la mandore, ah! etc
Entendez-vous tout ce tapage D’un combat, d’un affreux orage Qui confond et trouble les airs, Des oiseaux à présent, voici les doux concerts Ma voix se mêle à leur ramage.
Tout le monde ne partageait pas précisément ce lyrisme ; on connaît l’opinion de Voltaire : « Le piano-forte n’est qu’un instrument de chaudronnier, en comparaison du clavecin » écrivait-il à Mme du Deffand, le 8 déc. 1774 avec raison, car le piano était encore loin d’avoir son caractère propre, et sa sonorité ne différait pas sensiblement de celle du clavecin, comme on peut en juger par l’instrument de Mercken (1770) dont nous parlerons tout à l’heure. Un an avant, le 20 déc. 1773, le chanoine Trouflaut, organiste de Nevers, avait écrit aux auteurs du Journal de musique:
J’ose ajouter avec confiance que le clavecin à buffles (de P. Tasquin) est très supérieur aux piano-forte... Placé chez le vendeur, ils ont de quoi plaire et séduire ; ((p 139)) mais si l’on prte un coup d’oeil attentif sur l’intérieur de leur construction, leur complication effraye à l’instant. Si les dessus en sont charmants, les basses dures, sourdes et fausses, semblent donner la consomption à nos oreilles française : défaut jusqu’à présent irrémédiable, si l’on ne pratique à ces sortes de clavecin un jeu de flûte (L’écrivain fait allusion ici aux essais qui ont précédé le piano-forte organisé, présenté en 1772 par Lépine, facteur d’orgues, à l’académie des sciences (mém. t I, p 109), lesquels ne possédaient l’expression qu’au jeu de cordes. ), tels qu’on en a vu quelques-uns à Paris, pour améliorer les basses et renforcer les dessus...
Cependant les musiciens n’hésitèrent pas à sacrifier au goût du jour en accommodant leurs oeuvres (au moins sur le titre) au nouvel instrument. Le plus ancien exemple que nous ayons trouvé de cette adaptation (nous ne disons pas qui ait existé) est dû à Melle Branche et à Romain de Brasser qui faisait annoncer à la date du 22 avril 1771, la première, des Ariettes choisies mises en sonates pour le clavecin ou le piano-forte par J. C. Bach. (op. VII). Les facteurs ne furent pas moins diligents, et J. K. Mercken est peut-être le premier qui construisit régulièrement des forte-piano à Paris. Il y a aux Arts-et-Métiers un de ces instruments, de forme rectangulaire, marqué « Johannes Kilianus Mercken, Parisiis 1770 » et Castil-Blaze a cité celui de son ((p 140)) père, daté de 1772. Mercken ne figure qu’à partir de 1776 parmi les membres de la communauté, mais comme beaucoup d’autres il avait travaillé antérieurement dans les lieux privilégiés, n’étant pas en état de satisfaire aux charges imposées par les règlements de la corporation. A la faveur de l’édit de 1776, il quitta les Quinze-Vingt pour se fixer rue du Chantre où il resta jusqu’en 1789 ; en 1791 il était butte Saint-Roch, puis en l’an VIII, rue Saint-Honoré ; son gendre Beckers lui succéda vers 1825. A partir de 1777 d’autres facteurs se firent recevoir dans la communauté : Fourcault (rue Platrière jusqu’en 1791) et Nicolas Hoffmann (rue des Fossés Saint-Germain-des-Prés, puis rue Percée-Saint-Severin 1783 et rue Hautefeuille de 1783 à l’an VIII) ; l’année suivante c’est au tour de François Duverdier (porte du Faubourg-Saint-Jacques, rue de la Harpe en 1783). En 1783, de nouveaux facteurs de pianos s’étaient installés à Paris, presque tous étrangers, si l’on s’en rapporte à leur nom (Jacques Klein, rue Saint-Denis (1783-89) ; Mathieu Nellesse, rue du Vert-Bois (1783-85) ; rue Saint-Martin (1782-an VII ; Jean Schwerr, rue des fossés-Saint-Germain (1783). ) parmi lesquels on remarque Hillebrand, auteur d’un perfectionnement important, consistant à mettre les marteaux au-dessus des cordes (comme l’avait déjà fait Marius en 1716), au moyen duquel les sons devenaient plus doux et le mécanisme plus sensible au toucher (1783) ; Pierre Joseph Zimmermann (1783-an VIII) faisant également les harpes (il y en a une aux arts et Métiers) ((p 141)) et tenant des pianos anglais, méritent seuls l’attention avec Guillaume Zimmermann (aîné?) qui de 1783 à l’an VIII s’occupa de faire, vendre, louer, acheter et raccommoder tous instruments à clavier. Plusieurs pianos marqués : Zimmermann figurent à l’inventaire de Bruni, mais à défaut de prénom, on ne sait auquel les attribuer ; il y a une seule exception, encore fait-elle connaître un troisième facteur de ce nom « Joannes Zimmermann. 1780 » En 1788 d’autres noms viennent s’ajouter aux précédents ( Bosch, rue Saint-Honoré (1788-an VIII ; Daickviller, rue Saint-Honoré (1788-an 7) ; Daujard, rue de la Cossonnerie (1788-89) ; Eberhard, rue des Deux-Portes-Saint-Sauveur (1788) ; ce nom est écrit à la plume sur la table d’harmonie d’un piano de Zumpe aux Arts-et-Métiers ; Lange, rue Saint-Victor (1788-89), rue de Thionville (an VII ; Schmidt, rue Saint-André-des-Arts (1788-89) ; Tibbes rue de Chartres (1788-80 A l’exposition de 1889 il y avait un piano organisé fait par Stirnemann, à Lyon, en 1783. Un piano à 5 octaves, de Léonard Systermans fait parti de la collection de Briccqueville.) mais il n’y a à retenir que celui de Korwer, rue Favart, qui avait pour enseigne à l’Y, dont deux pianos de 1783 se trouvent à l’inventaire de Bruni ; Il fut fournisseur de l’opéra, nous avons vu un mémoire pour 53 accords de clavecin faits du 11 thermidor an IV au 28 brumaire an V, à raison d’une livre 10 sous ; et celui de Wolff, aussi accordeur de l’Opéra suivant une facture de l’an V, qui était rue des Petits-Carreaux en l’an VII. Les timides tentatives de ces facteurs auraient laissé longtemps encore le champ libre à la ((p 142)) production étrangère si Sébastien Erard ne fut survenu et n’eut porté dès le principe, le piano à un état de perfection lui permettant d’abord de lutter avec les instruments allemands et anglais, puis de les surpasser. L’industrie du piano en France ne date réellement que d’Erard. Après avoir fait de bonnes études à Strasbourg, sa ville natale, et s’être exercé aux travaux manuels dans l’atelier d’ébénisterie de son père, S Erard, âgé de 16 ans (il naquit le 5 avril 1752) vint à Paris en 1768, peu après la mort de ce dernier. Entré comme ouvrier chez un facteur de clavecin, il n’y resta que peu de temps, son désir de tout connaître ayant déplu à son maître inquiet et soupçonneux. Son second maître, moins habile peut-être, n’eut pas les mêmes scrupules ; il fut au contraire fort heureux d’accueillir un apprenti adroit et zélé, pouvant lui être d’une grande utilité et lui procurer même quelque réputation, ce qui ne manqua pas. Chargé de construire un instrument particulièrement délicat, il dut faire appel à son apprenti pour mener à bien une tâche qu’il était bien incapable de remplir et dont le jeune Erard s’acquitta à l’entière satisfaction de son maître, le véritable auteur ne tarda pas à être connu et l’aventure attira naturellement l’attention sur le nom d’Erard. Peu après, il exécuta, pour le duc de la Blancherie, un clavecin mécanique qui fit sensation, dont la description parut au Journal de Paris (L’almanach musical de 1783 mentionne son clavecin à 3 registre de plumes et 1 de buffle, munis de plusieurs pédales et il constate qu’Erard est le premier facteur qui ait trouvé le moyen de faire parler les 4 sautereaux au moyen du grand clavier seul ). Sur ces ((p 143)). Sur ces entrefaites la duchesse de Villeroy qui aimait à encourager les arts, lui offrit l’hospitalité dans son hôtel où il installa son atelier et commença la fabrication du piano. Bientôt la vogue arriva, et S. Erard dut faire venir à Paris son frère Jean-Baptiste pour lui confier la direction de son atelier, pendant qu’il se livrait à ses recherches et expériences (1780). Trop à l’étroit dans l’hôtel de Villeroy, les frères Erard transportèrent leur atelier rue de Bourbon. De jour en jour la faveur que rencontraient leurs instruments devenait grande ; peut il y en avoir de meilleur preuve que les tracasseries auxquelles ils furent en butte de la part des autres facteurs et qui ne cessèrent que lorsque Louis XVI eût délivré à Erard le brevet dont nous avons donné copie au chapitre II? Une constatation aussi éclatante des mérites de S. Erard devait bien le venger des mesquines attaques de rivaux envieux. L’inventaire de Bruni si souvent cité au cours de ce travail, nous en apporte la confirmation. Sur 55 pianos saisi chez les émigrés ou condamnés, S. Erard en eut 12 à lui seul, les 43 autres se répartissaient entre 15 facteurs anglais ou allemands. La date de quelques-uns des instruments d’Erard a été enregistrée ; il y en a de 1784 à 1789 ; deux forte-piano organisés sont de 1790 et 1791. La révolution française ayant ralenti pour un ((p 144)) temps l’industrie des instruments de luxe, S. Erard partit à Londres pour y chercher des débouchés et y fonder une importante maison. Il revint à Paris après le 9 Thermidor, puis repartit en Angleterre vers 1808 pour ne rentre à Paris qu’en 1815. A partir de ce moment, il fit subir une révolution complète à la fabrication des pianos. Nous le retrouverons donc au chapitre suivant. Par l’importance de ses découvertes et la vigoureuse impulsion qu’il donna à la facture S Erard appartient peut-être plus au XIXe siècle qu’au XVIII, mais notre tableau eût été incomplet si nous n’avions fait connaître ici les débuts de cet homme éminent.
1775 - 1799 - Orgues
Lors de la publication de l’almanach musical (1775) les facteurs d’orgues étaient, comme en 1759, au nombre de dix ( Michel Bebert ou Debert, rue du Temple jusqu’en l’an VII ; Clément, rue des Jardins (1775-77) ; Louis Lair, rue Phelippeau (1775-79), rue des Fontaines (1783) et rue N. D. de-Nazareth (1788-89) ; Lejeune, rue Quincampoix (1775-77), rue du Bac (1779) ; Antoine Somer, rue du Marché-Palu (1775-77), faubourg Saint-Denis (1783-89) ; Louis Somer, rue de Contrescarpe, près de l’Estrapade (1775-89) ; Joseph Somer, place Maubert (1775-79) ; Etienne Somer, rue Bourbon-Villeneuve (1779) ; Maizier, enclos Saint-Laurent (1777), orgues à cylindres, vielles organisées, serinettes.) tous nouveau venus, parmi lesquels aucun ne s’est distingué par des travaux importants. Pierre Dallery, né le 6 juin 1735 à Buire-le-Sec, neveu et élève de Charles Dallery, se fit recevoir en 1778 dans la communauté des facteurs parisiens et sut dès ses débuts se faire remarquer ((p 145)) par le célèbre J. H. Cliquot qui se l’associa, ainsi que nous l’avons dit plus haut, pour la construction de plusieurs grandes orgues de la capitale. Ayant repris sa liberté vers 1780, Dallery refit l’orgue des missionnaires de Saint-Lazare et quantité d’autres à Paris et en province, jusqu’en 1807, époque où il cessa de s’occuper de facture, laissant à ses descendants une réputation qu’ils surent maintenir dignement. Un des membres de la famille Somer (nous ne savons au juste lequel) qui s’intitulait « artiste et facteur d’orges » et demeurait faubourg Saint-Martin, 206, fut chargé du service des orgues pour les fêtes nationales sous la révolution. Pour celle du 10 août 1793, il eut à démonter l’orgue des pères de la Mercy et celui de l’hôpital Sainte-Catherine, (rue Saint-Denis), pour les transporter dans l’église de l’Ecole militaire ; il fit de même pour les orgues de la Trinité, rue Saint-Denis, et de l’envoyé du Danemark, qu’il transporta place de la Révolution et plaça à coté de la statue de la liberté. Les orgues déposées à l’école militaire furent portées toutes montées sur l’autel de la Patrie au champ de la Fédération. Après la cérémonie, tous ces instruments furent démontés de nouveau et reportés où ils avaient été pris. A la date du 29 floréal an II, le comité de Salut public arrêta qu’il serait établi un orgue au Panthéon, « pour que cet instrument contribue à l’embellissement » de la fête qui devait être célébrée le 30 prairial pour le transport des cendres des jeunes Bara et Viala, mais le temps manquant pour l’installation « d’un orgue dont la grandeur et la bonté » devaient ((p 146)) répondre à la majesté du lieu, on prit provisoirement l’instruments des Bénédictins anglais, rue du Faubourg-Saint-Jacques et, après la fête, Somer eut pour mission de le remplacer par celui des Jacobins de la rue Saint-Dominique, de plus, le sculpteur Talamona fut chargé de présenter le modèle du buffet que l’architecte Soufflot accepta peu après (4 pluviôse an III). Des autres facteurs d’orgues, il n’y a rien a dire, si ce n’est que J. B. Schweickhart, (1781-1816) avait fait, en 1781, l’orgue saisi chez Papillon de la Ferté, lors de son arrestation en l’an III. (Notons pour mémoire N Galerio, rue Neuve-Saint-Laurent (1783) et Denis-Claude Ferrand, probablement fils de Claude, précédemment cité). En province, on remarque Jean-Baptiste Salmon (Salomon?) de Vitry-le-François, qui, en 1789, releva l’orgue de N. D. de Châlon-sur-Marne, avec René Cochu, et plaça celui de l’abbaye des Bernardins dans l’église Saint-Alpin en l’an VIII, puis construisit un positif pour la cathédrale de la même ville en 1810 ; et Dominique-Hyacinthe Cavailé-Coll, né à Toulouse en 1771, qui après avoir suivit son père Jean-Pierre Cavaillé, en Espagne, s’établit à Montpellier en 1807, où il restaura l’orgue et en construisit plusieurs dans la contrée, avant de retourner en Espagne où le talent des Cavaillé, justement apprécié, leur faisait réserver, de père en fils, d’important travaux. Il rejoignit à Paris, son fils Aristide, lorsqu’il fut chargé de la construction de l’orgue de Saint-Denis et l’assista presque jusqu’à sa mort (juin 1862). ((p 147)).
1775 -1799 - Instruments à vent
C’est dans la facture des instruments à vent qu’il y a le moins de mouvement. Martin Lot parait avoir succédé à Gilles Lot, car il est indiqué de 1775 à 1783, comme celui-ci l’était précédemment : cour conventuelle de l’abbaye Saint-Germain. Cependant il ne marqua pas comme lui, ses instruments d’une étoile au dessus du nom, il la mit près de l’initiale de son prénom. On ne connaît qu’une flûte a une seule clé de ce facteur et une clarinette à 5 clés (deux en haut, trois en bas), appartenant au Conservatoire. J. Deschamps, malgré une quinzaine d’année d’exercice (rue de l’arbre sec, 1775-89), n’a guère fait parler de lui. En 1783, apparaissent Jean-Jacques Tortochot (1783-85, rue du Four) sur lequel on ne sait rien ; ainsi que M Amlingue et D. Porthaux, qui ont tenu une bonne place dans leur spécialité. Michel Amlingue dut s’établir bers 1782, rue du Chantre ; il fournissait la musique des gardes françaises et les nombreuses musique militaires qui furent crées depuis 1790, luis donnèrent certainement beaucoup d’occupation, car rien n’est moins rare aujourd’hui que les clarinettes en buis à son nom. Amlingue cessa de fabrique vers 1826. Les instruments de Dominique Porthaux sont au contraire des plus rares et malgré la réputation dont il jouit en son temps laquelle lui avait valu le titre de facteur ordinaire de la musique du roi et des musiques militaires, son nom était tombé depuis longtemps dans l’oubli lorsque nous publiâmes dans la Musique des Familles du 2 déc. 1886 (notes inédites pour servir à l’histoire de la facture instrumentale, p 51), une ((p 148)) notice contenant tous les détails que nous avions pu rassembler sur lui. Nous ne reviendrons donc pas sur ce que nous avons dit alors, préférant reproduire ici la curieuse revendication formée par Porthaux contre un de ses confrères, à laquelle nous n’avions pu que faire allusion ; elle témoigne de son esprit d’initiative:
Le sieur Porthaux, facteur d’instruments à vent, demeurant à Paris, rue de Grenelle-Saint-Honoré, près celle des Deux-Ecus, connu depuis longtemps pour la bonté de ses instruments (dont se servent les premiers artistes de la capitale), vient de lire avec surprise un avis de M Savary, fiaseur d’instruments, où il ose s’annoncer l’inventeur d’un nouveau bocal en bois pour le basson, qui tend, dit-il à la perfection de cet instrument. Le sieur Porthaux réclame contre cette annonce déhontée et prévient le public qu’à lui seul est due cette invention ; que M. Savary, loin d’en être l’inventeur, est tout au plus un mauvais imitateur et cela, par l’indiscrétion de quelqu’un à qui il fit part de sa découverte, car jusqu’à ce jour, il n’est pas sorti in seul basson de cette nouvelle facture de son magasin. Il y a déjà longtemps que le sieur Porthaux, passionné pour son art, travaille au nouveau bocal en bois dont il est question et qu’il a terminé il y a deux mois. MM Ozi et Delcambre, membres du Conservatoire auxquels il le fit essayer aussitôt qu’il fut fini, peuvent certifier le fait. Effectivement, ce nouveau bocal, fait suivant les procédés du sieur Porthaux (dont M. Savary ne connaît tout au plus que la forme, sans se douter du travail intérieur) a, d’après le jugement des deux artistes ci-dessus nommés et aurtres, beaucoup d’avantages sur ((p 149)) l’ancien bocal en cuivre, tels bons qu’ils soient ; il rend les sons plus doux, plus étendus, plus sonores et beaucoup plus facile à filer, sans perdre de leur justesse et de leur amabilité.
C’est à l’occasion d’un nouvel instrument dont le Sieur Porthaux est également l’inventeur (qu’il nomma ténore), pour le perfectionnement duquel il crut devoir préférer le bois au cuivre dans la confection du bocal, que cette idée l’a conduit à préférer également de bois pour le bocal du basson (Journal de Paris, 14 février 1808). Aucune collection publique ne possède d’instrument de Porthaux ; nous avons un basson de la fin du XVIIIe siècle dont nous avons donné la description (La facture Instrumentale à l’exposition de 1889, p 282) et il y en a un autre au musée de La Couture. Jusqu’en 1824, Porthaux figura sur les annuaires, mais il n’était plus depuis quelques années, que marchand de musique et d’instruments. Le dernier facteur d’instruments en bois qu’il y ait à mentionner pour le XVII siècle est Winnen. Le calendrier musical de 1788 l’indique rue de la Monnoye ; en l’an XII, le père Triebert travaillait chez lui rue Froidmanteau, mais peu après il était rue Saint-Honoré. Winnen mourut un peu avant 1834. Il fit surtout des flûtes et clarinettes ; nous avons vu de lui une flûte à clé carrée marquée Wiennen. Il eut plusieurs fils dont l’un d’eux continua la profession paternelle et s’acquit une certaine réputation, nous le retrouverons plus loin. ((p 150)) Pelletier, Choulen et Camus eurent des flûtes inventoriées par Bruni ; ils ne sont pas autrement connus, sauf peut-être le dernier qui pourrait bien être le facteur que nous voyons aux annuaires jusqu’en 1822. On ne sait pas non plus à quelle époque vivaient les auteurs de différents instruments du Conservatoire : Tirouvil (Thibouville?) (jeu de flageolets), David, de Dijon (flageolet à 3 corps et un seul bec), Rizey (flûte en ivoire à une clé). Aux anciens facteurs d’instruments de cuivre, on ne voit à ajouter qu’Amboulevart, un des plus renommés pour la fabrication des cors de chasse (rue Pavée Saint-Sauveur 1777-91. Brunel (rue croix-des-Petits-Champs), Lefèvre (rue Princesse) qui se firent aussi une spécialité des cors de chasse en 1789, et Jean-François Cormery, rue Mercier, à la Nouvelle-Halle (1776-85), puis rue des Prouvaires (1788-91), cité par Laborde (1780) comme un des meilleurs fabricants de Paris, qui se fit une spécialité de cors appelés à l’anglaise ou à la Punto, c’est à dire munis d’une coulisse « pour allonger ou raccourcir la tonalité de l’instrument ». Il y a aux arts-et-Métiers un cor avec six tons de rechange « fait à Paris par Cormery, ordinaire de la musique du roi, rue Mercier, à la nouvelle Halle » par conséquent antérieur à 1788 ainsi qu’il résulte de l’indication de ses différents domiciles, donnée ci-dessus. Cormery eut pour successeur F Riedlocker vers la fin du XVIII siècle. C’est à partir de 1789 que l’on trouve installé, rue Mazarine, le premier représentant de la famille Courtois, laquelle fournit plusieurs fabricants renommés. ((p 151)) Un instrument de sa fabrication est au Conservatoire ; c’est une trompette de cavalerie en mi b ayant appartenu dit-on, à un musicien du régiment de hussards qui assista un parlementaire devant Saint-Jean-d’Acre, assiégée par Bonaparte (1799). Elle date sans conteste de la révolution, car elle est poinçonnée : « Courtois, à Paris, rue Mazarine, Faubourg-Germain. »
Pour en finir avec les facteurs de la période 1775-99, mentionnons ceux qui s’occupaient plus spécialement des serinettes, lesquelles gagnaient en faveur puisque le nombre de fabricants se trouvait alors augmenté. Weltres, logé aux Quinze-Vingt, doit être cité surtout pour avoir « fait les fourchettes d’acier du ton d’a mi la qui servent de diapason pour toutes les voix et instruments ». A ce moment, on se servait pour diapasons, de flageolets spéciaux ; l’époque d’apparition de diapason à branches d’acier n’a pas encore été précisée, croyons nous, la note ci-dessus qui date de 1777 est donc un jalon sérieux. Quant à Antoine Norbert Ferry (1783-89 et Ferry ‘1788-89), ils n’ont rien de saillant à leur actif. Seul J. H. Davrainville (1777) s’est fait remarquer par la perfection de ses travaux. En 1781, il offrit au public un jeu de flûte pour placer sous une pendule, lequel se composait de trois jeux pouvant faire entendre ensemble ou séparément, 13 airs différents. C’était une merveille d’exécution si l’on songe que cet instrument n’avait que 0m 38 de long sur 16m de large ; nous verrons cependant des choses plus ((p 152)) extraordinaires faites par son fils au siècle suivant. (Il y a au Conservatoire de Bruxelles une serinette à 8 airs, sonnant un demi ton plus bas que le diapason normal, ce qui indique une origine assez ancienne ; elle est de Simon aîné à Bayonne (Simon Lété ?) On ne peut adresser les mêmes éloges à Mayer, de Lille, car le rapport des commissaires nommés par le Conservatoire, Sejan, Lesueur et Méon, pour examiner l’orgue ambulant à cylindre présenté par ce facteur au ministre de l’Intérieur pour l’exécution, dans les campagnes, des airs patriotiques lors des fêtes nationales et décadaire, ne lui fut nullement favorable. On trouva que ces airs manquaient de précision dans la mesure et de netteté dans l’exécution « au point que cela nous a représenté, disaient les commissaires, un orgue touché par un mauvais organiste, tandis qu’ordinairement ces sortes d’instruments présente l’idée de tact net ». De plus, ajoutaient-ils, les airs y sont accompagnés d’une basse trop surchargée, en sorte que le chant principal ne domine pas assez (8 prairial, an VII). Nous ne saurions dire si Ribadeau, d’Angoulême appartient à la facture ; nous reproduisons cependant une annonce d’un perfectionnement à la flûte de tambourin extraite de l’avant coureur de 1773.
« Ribadeau d’Angoulême augmente l’étendue d’un ton et demi dans le bas, par l’addition d’un second corps de flûte qui procure ainsi des successions d’accords sur toute l’étendue de l’instrument, soit de tierce, quarte ((p 153)) quinte, sixte, septième, octave et autres accords arbitraires et produits par le mélange des dièse et bémols. »
Résumé - Statistique
Voici donc close notre liste d’anciens facteurs, trop longue certainement pour avoir été toujours d’une lecture captivante, mais pas assez cependant pour offrir un tableau complet de l’état de la facture dans les siècles passés. Cependant, la quantité de noms que nous avons pu réunir, en donne une idée suffisante et permet surtout de constater que la facture française n’a pas été aussi nulle autrefois (tout au moins numériquement) que l’ignorance où l’on était auparavant, de l’effectif approximatif de ses représentants et des diverses particularités qui ont marqué dans leur carrière, pouvait le laisser supposer. Le très petit nombre de personnalités ayant imposé leur nom à l’histoire était insuffisant pour faire ressortir l’importance de la corporation, et le rôle de ceux qui pour être moins connus, tiennent néanmoins une place honorable auprès d’eux. Il n’a pas été cité moins de 473 facteurs dans les pages qui précèdent ; à lui seul le XVIIIe siècle en compte 350. En récapitulant par spécialités, l’on trouve 21 luthiers pour la fin du XVIIe siècle et 170 au XVIIIe siècle ; tandis que nous n’avons que 7 facteurs d’orgues au XVI siècle et 38 au XVIIe, il y en a 60 au siècle suivant ; les facteurs de clavecin et épinettes, dont 7 seulement sont connus pour le XVIIe siècle étaient au nombre de 49 dans celui qui suit et, de 18, les facteurs d’instruments à vent passent à 29 ; enfin, au ((p 154)) XVIIIe siècle, surgissent 16 facteurs de harpes, 21 de pianos et 4 de serinettes. De prime abord ces chiffres peuvent paraître élevés et excessifs pour l’époque, mais si l’on considère que la production n’était pas rapide et que, par conséquent elle devait se répartir sur un plus grand nombre d’individus, on revient facilement sur cette opinion. Il ne faut pas oublier non plus que les maîtres facteurs n’occupaient en général que très peur d’ouvriers et qu’il travaillaient eux-mêmes ; ils n’avaient donc aucune peine à satisfaire à une consommation assez restreinte. Ne les a-t-on pas vus joindre à leur métier la pratique de la musique ou quelque autre occupation. Il est bien évident que s’ils n’avaient pas eu de loisirs, point n’eût été besoin de recourir à ce cumul. Ce ne fut pas une nécessité particulière au premiers temps, puisqu’à la fin du XVIIIe siècle, cette tradition s’était maintenue pour beaucoup. Ce sont surtout les facteurs d’orgues et d’instruments à vent qui se sont adonnés au jeu des instruments ; quelques-uns même furent des virtuoses remarquables. Nous ne rappelons pas le nom des organistes facteurs, il faudrait tout- citer ; mais nous mentionnerons les Hotteterre, Delusse, Carlin, Raoux, auxquels il faut ajouter Gaiffre, Cousineau et Naderman pour la harpe ; on ne signale pas de luthier ayant exercé publiquement. Le talent d’exécution de ces virtuoses-facteurs avait nécessairement une répercussion salutaire sur la construction des agents sonores, dont ils étaient à même, mieux que personne, d’apprécier les qualités et défauts. ((p 155))
Résumé - Principaux travaux.
C’est plus par l’habileté de main et la finesse du travail, que par l’esprit d’invention que les anciens facteurs ont brillé ; mais sous ce rapport, ils ne sont pas inférieurs à leurs confrères étrangers : l’état de la musique et ses besoins alors fort restreints, ne pouvaient provoque le grand mouvement qui devait se produire au XIXe siècle. Néanmoins, ils ne sont pas restés inactifs et si l’on veut bien se remémorer les tentatives dont il a été question au cours du présent chapitre, l’on verra que le souci de l’amélioration ne leur a pas fait défaut. N’est-ce pas Dumont qui pratiqua le premier au XVII le ravalement des clavecins et n’est-ce pas au père Hotteterre que l’on doit le premier instrument à 6 clés, nombre que l’on ne retrouvera plus qu’un siècle après? Le principe du piano n’a-t-il pas été trouvé par Marius auquel la tentative de Cristofori était inconnue et, avant qu’Erard ait complètement transformé le type primitif, ne trouve t-on pas Virbès s’efforçant de lutter contre l’importation? Oubliera t-on les essais de Marius, Le Voir, Berger et Virbes pour donner l’expression, c’est à dire l’âme, aux clavecins et des perfectionnements qu’y ont apporté Blanchet, par la légèreté des claviers et l’augmentation de l’étendue, et Taskin par l’amélioration de la sonorité et la variété des effets? Est-ce que l’invention de divers jeux d’orgue et particulièrement du hautbois n’appartient pas à Cliquot et le perfectionnement de la mécanique au Dallery? Ne comptera-t-on pour rien l’adjonction d’un clavier à la ((p 156)) harpe par Berger. l’invention de la clarinette basse jusqu’ici attribuée aux allemands, dont l’honneur doit revenir à G. Lot, le hautbois-baryton de Bizey, la contrebasse de hautbois de Delusse et aussi les merveilleux instruments mécaniques de R Richard et Davrainville? N’est-ce pas enfin Cousineau qui dota la harpe de plusieurs perfectionnements, Remy qui voûta (moulé) les tables d’instruments à cordes au lieu de les creuser dans l’épaisseur du bois, procédé que devait reprendre plus tard un constructeur de violons à bon marché, et Lupot qui réussi le mieux dans l’imitation des violons italiens?
IV Facteurs du XIXe siècle 1. Mouvement général
Statistique
Dénombrer exactement les facteurs du XIXe siècle n’est pas chose aussi aisée que l’on pourrait le supposer, bien qu’il semble qu’à l’aide de l’annuaire du commerce, qui a paru sans interruption depuis 1800, cela soit la chose la plus simple du monde. Or, ((p 157)) cette publication présente non seulement des lacunes, mais elle donne des indications erronées. Dans un but de spéculation, certains commerçants se sont fait inscrire avec les véritables fabricants : c’est ainsi que l’on trouve parmi les facteurs de pianos, des marchands ou dépositaires d’instruments, des éditeurs de musique et des luthiers ; avec les constructeurs d’orgue ou d’harmoniums, ou bien avec les luthiers, figurent des facteurs d’instruments à vent, quelques-uns même, sont mêlés aux facteurs de pianos et vice versa, alors que les uns n’ont jamais fabriqué et que les autres se sont strictement bornés à leur spécialité. On rencontre pourtant, par suite d’une complaisance différemment appréciée, des instruments marqués à leur nom ( cette pratique n’est généralement pas avouée des fabricants, mais elle n’en existe pas moins ; un seul, à notre connaissance a osé l’imprimer en tête de son catalogue général. Nous reviendrons plus amplement sur ce sujet ( V, notes p 320 et 412 notes). On conçoit, dès lors, que les renseignements fournis par l’annuaire en question ne peuvent être accepté intégralement pour l’établissement d’une statistique fidèle. Il nous a donc fallu procéder à de nombreuses éliminations (assez facile à pratiquer pour l’époque actuelle, mais qui l’était moins pour les périodes antérieurs) pour arriver à un résultat qui, bien qu’approximatif, fasse connaître, avec le plus de certitude, l’évolution qui s’était opérée dans la corporation. Ecartant même sans hésitation tout ce qui pouvait offrir le moindre doute, nous avons obtenu ((p 158)) des nombres plutôt en deçà qu’au delà de la réalité (Ces nombres sont d’autant plus au dessous du chiffre réel qu’il est certain que nous n’avons pas eu connaissance de tous les facteurs ayant exercé ; les almanach offrent eux-mêmes des lacunes auxquelles nous avons suppléé dans la mesure du possible), (et pour les luthiers, non compris les fabricants en gros de Mirecourt, dont nous n’avons pas tenu compte d’ailleurs dans la statistique du XVIIIe siècle)
1821 1837 1847 1855 1873 1892 a Luthiers 30 30 19 34 21 22 Facteurs de Pianos 30 75 180 120 80 55 Harpes 5 2 2 2 « « Orgues à tuyaux 10 9 9 15 8 10 Harmoniums « 3 10 16 12 10 Instruments à vent: Bois 25° 34° 15 25° 15b 13 Cuivres 12 18 21 23 14 10 Bois et cuivres « 2 1 2 2 1 Instr de toutes sortes à corde et à vent « 1 2 2 3 3
Totaux 112 174 259 239 155 124 a) Ces chiffres sont ceux ce la statistique fait par la Chambre de Commerce de Paris ; ils ne se rapportent qu’au facteurs de cette ville b) Compris les facteurs de La Couture ayant une maison à Paris, ceux qui résident seulement à La Couture et aux environs (une douzaine) ne sont pas compris dans ce chiffre. « ) Non compris les fabricants de La Couture
Par le tableau comparatif qui termine le chapitre II, l’on a vu qu’après l’élévation constante qui se produisit jusqu’en 1783, vint une décroissance assez sensible, ((p 159)) due en grande partie aux évennements qui marquèrent la fin du XVIIIe siècle. On constate un léger relèvement pendant les premières années du XIXe siècle, où le nombre de facteurs varie entre 80 et 90 ; puis à partir de 1821, la diffusion de l’art musical aidant, commença un prodigieux mouvement ascensionnel qui devait atteindre son summum en 1847, et qui fut suivi d’une diminution causée par la disparition des petits industriels, contraints de céder devant l’extension des grandes usines. De sorte qu’après être passé progressivement de 112 (1821) à 259 (1847), le total des facteurs s’abaissa peu à peu à 155 (1873), chiffre qui n’a guère subi depuis de variations pour l’ensemble de la corporation, si l’on tient compte des défalcations faites dans ce tableau, des facteurs de Mirecourt et de La Couture. En examinant les chiffres relatifs aux diverses catégories, l’on remarque un mouvement analogue de croissance et de décroissance, sauf pour les luthiers dont le nombre diminuait quelque peu pendant que celui des facteurs d’instruments à vent s’augmentait rapidement.
Les spécialistes
Les luthiers, qui étaient 58 en 1783, se réduisaient à 19 en 1847, ils sont 22 maintenant ; cette décroissance s’explique par la disparition d’une grande quantité d’instruments à cordes : luths, théorbes, etc. et par la production énorme de Mirecourt. De 20 qu’ils étaient en 1775, les facteurs de grandes orgues se trouvèrent réduits à 10 en 1847, nombre ((p 160)) qui n’a pas varié depuis ; les constructeurs d’harmoniums sont une dizaine aujourd’hui. La facture des clavecins et harpes comprenait une vingtaine de maîtres en 1775 lesquels firent place aux facteurs de pianos qui étaient 180 à Paris en 1847 en ne sont actuellement que 55. La catégorie des facteurs d’instruments à vent est la seule qui ait progressé numériquement depuis le XVIIIe siècle jusqu’au milieu du XIXe, cela se conçoit aisément si l’on songe à la quantité de musiques d’harmonie civiles et militaires, que la vulgarisation de l’art musical a fait éclore. De 8 en 1775, le nombre de ces spécialistes s’éleva jusqu’à 40 en 1847 ; une légère diminution s’est produite depuis cette époque, il ne reste plus que 30 et cette diminution porte particulièrement sur la classe des instruments de cuivre. Cette ancienne distinction basée sur la matière dont les instruments sont formés a été conservée jusqu’ici, bien que plusieurs instruments qui se faisaient autrefois en bois, notamment les flûtes, soient depuis longtemps en métal et continuent d’être fabriqués par ceux qui ne travaillaient que le bois. Il serait plus exact de nommer ces derniers instruments à clés ou mieux à trous latéraux. Les facteurs n’ouvrageant que le cuivre sont maintenant un peu moins nombreux que ceux qui ne s’occupent que du bois ; deux seulement emploient les deux matières. C’est à dessein que nous avons négligé les fabricants d’accordéons, concertinas et autres instruments qui ne tiennent en rien à l’art, ainsi que les fabricants d’accessoires et de fournitures, claviers, feutres, etc. ((p 161)). De ce que le nombre total de facteurs s’est abaissé d’une façon sensible depuis une trentaine d’années, il ne faudrait pas conclure que leur industrie a périclité ; s’il y avait beaucoup de patrons autrefois, ils n’occupaient chacun que très peu d’ouvriers, ce qui est le contraire aujourd’hui. C’est une physionomie qui disparaît que celle de l’ancien maître-facteur, bornant sa fabrication aux seuls instruments d’une même famille qu’il construisait personnellement de toutes pièces, faisant plus oeuvre d’artiste que de commerçant, et ne cherchant pas à produire outre mesure, soucieux de conserver une réputation noblement acquise ; tels furent les Hotteterres, les Delusse, Bizey, etc. Notre siècle a vu de ces spécialistes dans les Savary, les Raoux, les Louis Lot, les Lefèvre, les Buffet, les Mustel, les Triebert, pour ne parler que des plus connus ; mais très petit est le nombre de ceux qui continuent cette tradition et s’occupent eux-mêmes de fabrication (Bonneville, Rive (flûtes) ; Lorée (hautbois) ; les fils Mustel (harmonium). Seuls les luthiers subsisterons longtemps encore dans ces conditions, car les instruments à archet pour artiste ne se prêtent pas à l’usinage et les produits sortis des grandes manufactures nées en ce siècle, ne sont pas faits pour amener la disparition de ces modestes mais précieux artisans. Si nous avons dû donner un regret aux anciens facteurs d’instruments à vent en particulier, cela ne nous empêche pas de reconnaître que pour certaines ((p 162)) autres branches de la facture, il y a avantage, au contraire, à ce que le facteur ne coopère pas activement à la fabrication et qu’il fasse appel à de nombreux collaborateurs. Les pianos, instruments de cuivre, grandes orgues, etc., demandent sans doute de la précision, mais non pas une délicatesse telle qu’ils ne réclament impérieusement le concours personnel du maître. Pour peu donc qu’il ait su combiner savamment ses modèles et qu’il en surveille la parfaite exécution, comme fit Erard par exemple, il n’y a rien à reprendre à la division du travail, qui assure au consommateur de bons instruments à des prix modérés, tels que n’en pourrait faire celui qui entreprendrait de construire l’instrument tout entier. Bien entendu nous ne parlons pas ici des facteurs étrangers à la pratique, qui ne sont que des commerçants en instruments et font bon marché des exigences artistiques. Ce n’est pas ceux-là qui pourraient, comme leurs prédécesseurs, jouer les instruments qu’ils vendent ; c’en est fait malheureusement, le facteur virtuose n’est plus qu’un souvenir. Le XIXe siècle à l’égal des XVIIe et XVIIIe, a eu sa part, et non la moins belle. Rappelons que les I. et C. Pleyel, A Wolff, H. Hertz, Cousineau, les frères Naderman, Tulou, Savary, Raoux, Brod, Lefèvre, Triébert, etc., avant d’être manufacturiers, ont été d’habiles exécutant. La spécialisation par nature d’instrument ne s’est pas rigoureusement maintenue au XIXe siècle. Les luthiers ont vu sensiblement diminuer le nombre d’instruments qu’ils faisaient autrefois, mais ils n’ont ((p 163)) pas cherché à étendre leur domaine. Il en est de même des facteurs de pianos et d’orgues ; seuls des facteurs d’instruments à vent ont réuni les deux sortes, bois et cuivres ; quelques uns y ont étendu leur commerce à la lutherie commune, aux instruments mécaniques, etc. Par contre, il en est qui se sont tenus à la construction d’une seule espèce d’instrument, flûte ou clarinette, hautbois, etc. Point n’est besoin d’entreprendre un parallèle entre les anciens facteurs et ceux du XIXe siècle ; disons seulement que ces derniers ne se sont pas montrés inférieurs, tant s’en faut à leurs prédécesseurs et que certains d’entre eux ont une supériorité qui paraîtra à mesure que nous examinerons le rôle de chacun et que nous résumerons à la fin de ce chapitre, car, dans les pages qui vont suivre, il ne sera pas question de moins de 508 facteurs chefs de 401 maisons (169 pour 135 maisons) ; viennent ensuite les facteurs d’instruments à souffle humain (149 pour 110 maisons), puis les luthiers (85 pou 67), les facteurs d’orgues à tuyau (46 pour 40), les constructeurs d’harmoniums (33 pour 26), les fabricants d’archets (20) et les facteurs de harpes (6 pour 3 maisons), aujourd’hui complètement disparus
2 Facteurs de pianos.
Pianos - S. Erard
Parmi ceux qui ont illustré la facture en général et celle des pianos en particulier, séb. Erard se place ((p 164)) sans conteste, au premier rang. Prenant le piano dans son enfance, il le porta à son plus haut point de perfection et c’est aux efforts de la première heure que le monde musical est redevable du progrès et de la faveur qui causèrent le succès, que plus de vingt années n’avaient pu donner encore, entre les mains d’autres facteurs, à cet instrument. Esprit fécond, sans cesse à la recherche du mieux ou de nouveaux moyens d’exécution, S. Erard porta son attention sur tous les détails de cet agent sonore ; il n’est pas un organe essentiel qui n’ait fait l’objet de ses études et reçu quelque amélioration. Aussi n’essaierons nous pas ici l’énumération de ses travaux, nous devrons nous borner aux plus importants. Malgré les heureux résultats que donnaient le clavecin mécanique dont il a été question au chapitre précédent, la complication de ses éléments fit renoncer Erard à persévérer dans la construction de cet instrument, il dirigea ses efforts vers le piano , encore bien imparfait. Dès le début (1790), il le dota du faux-marteau à double pilote ; quatre ans après, il faisait breveter l’échappement simple, à l’aide duquel on obtenait une grande précision du coup de marteau, avantage qui, malheureusement, faisait perdre la légèreté et la facilité de répétition que donnait la mécanique à pilote fixe, qui pourtant, n’était pas exempte d’inconvénients, tels que le manque de fixité du coup de marteau, le rebondissement lorsque la touche était fortement attaquée, etc. Malgré la satisfaction des artistes, S. Erard, ne considéra pas sa nouvelle invention comme complète et ((p 165)) il continua ses recherches qui aboutirent à la découverte du double échappement (1822), savante combinaison des deux systèmes précédents, qui fit la fortune de l’instrument. Entre temps il remplaça la pointe du sommier des chevilles par une agrafe donnant à la corde une assiette ferme, indispensable aux notes aiguës (1809). Il imagina ensuite le piano à deux claviers en regard (1811), le piano à son continus (1812) et construisit de instruments de diverses formes : piano-clavecin (1809), piano-secrétaire à deux jeux de marteaux et piano en forme de colonne (1812) ; puis en 1821, il fit connaître son piano à deux claviers indépendants placés en vis-à-vis l’in de l’autre. C’est l’année suivante que S. Erard triompha enfin du double problème qu’il s’était imposé depuis longtemps, par l’invention géniale du mécanisme à répétition dit double mouvement, faute d’un terme plus précis. Le piano était dès lors pourvu des plus grandes ressources d’exécution, le nouveau mécanisme permettant, selon l’expression de Thalberg, de communiquer aux cordes tout ce que la main la plus habile et la plus délicate peut exprimer. Pourtant le piano n’avait pas encore reçu tous les perfectionnements dont il était susceptible, d’autres parties restaient à modifier. Une innovation importante fut le barrage métallique au dessus du plan des cordes, assurant à la caisse la plus grande solidité et permettant l’emploi de cordes d’u plus fort diamètre, laquelle fut complétée peu après (1830) par la substitution aux cordes de cuivre, jusqu’alors employées pour les ((p 166)) basses des cordes filées en acier. Alors, le piano acquit une sonorité particulière très caractéristique, n’ayant plus aucune analogie avec celle du clavecin.
Harpes - S. Erard
C’est également à S. Erard qu’est due la transformation de la harpe. A l’époque où il fut amené à s’occuper de cet instrument, c’est à dire vers 1786, il était borné dans ses ressources, par suite de l’impossibilité d’exécuter tous les demi-tons chromatiques de l’échelle musicale et son mécanisme, à crochet ou à sabot, faisait le désespoir des harpistes, son moindre inconvénient étant d’attirer les cordes hors du plan vertical. La première amélioration apporté à la harpe par Erard fut la substitution aux anciens système, du mécanisme à fourchettes ou simple mouvement. Dans cette innovation, ce facteur n’avait pas cherché à étendre les ressources, il s’était borné à remplacer un système défectueux, (1798). Peu après, il produisait une harpe sur laquelle on pouvait faire les bémols et les dièse sans nuire à l’accord de l’instrument, au moyen d’un levier placé entre la fourchette de sa première invention et le sillet de la corde dans sa plus grande longueur. Mais, ainsi construite, la harpe conservait encore le grave inconvénient de ne pouvoir hausser un son sans jamais pouvoir l’abaisser, et partant, d’interdire certaines modulation. Erard y remédia en 1802 à l’aide d’une cheville pouvant tourner à droite et à gauche. La pédale occupant une position centrale, on accordait la harpe en ut au lieu de mi b –changement important- puis, lorsque l’on poussait cette pédale à droite en l’abandonnant à elle même, la tension de ((p 167)) la corde diminuait et le son se trouvait naturellement abaissé. Pour le hausser, il suffisait de presser la pédale et de la diriger à gauche, la tension primitive se trouvant augmentée, le son devenait plus aigu. C’était à l’état rudimentaire le principe du double mouvement, auquel Erard ne devait parvenir que quelques années plus tard. En indiquant dans l’énoncé d’un brevet suivant (1809), ainsi conçu : « harpe sur laquelle on peut exécuter les dièses sans nuire à l’accord », cet habile facteur a fait la critique du système précédent. Enfin en 1811, le double mouvement était créé par l’emploi de deux fourchettes opérant deux raccourcissements successifs de la corde qui, a vide, donnait un son bémolisé, que l’on rendait naturel par un premier mouvement de pédale et qui devenait dièse par le second mouvement. On obtenait alors 27 gammes au lieu de 13 et l’on pouvait moduler rapidement et même exécuter des suites ininterrompues de demi-tons. L’Académie approuva en 1815 les importants perfectionnements d’Erard, néanmoins les avantages qui en résultaient ne furent pas unanimement reconnus. F.-J. Naderman se montra toute sa vie adversaire inébranlable du nouveau système. Alors même que plusieurs années d’expériences en eurent confirmé le succès, il persévéra dans son hostilité. Il contesta la possibilité d’exécuter toutes les modulations en arguant de la complication qu’occasionnait les pédales qui ne servaient, disait-il, dans l’introduction de sa méthode (1824) qu’à embarrasser l’exécutant : « J’affirme que le mécanisme de la harpe simple est infiniment préférable à celui de la harpe à ((p 168)) double mouvement. On ne peut donc considérer comme un perfectionnement des changements sans utilité réelle et qui entraînent de graves inconvénients ». F.-J. Naderman qui avait été nommé professeur au Conservatoire, n’enseigna donc qu le vieux système, qu’il fabriquait d’ailleurs avec son frère, et ce n’est qu’après sa mort (1835) que la harpe d’Erard pût prendre place dans l’enseignement de notre grande école. A dater de ce moment, la harpe simple avait vécu, et l’adoption générale de la harpe nouvelle est venue depuis donner un cruel démenti à l’opinion de Naderman.
Orgue - S. Erard
Bien que Sébastien Erard ne se soit pas occupé spécialement de l’orgue, il apporta quelques perfectionnements à cet instrument, totalement dépourvu alors d’expression. Notre éminent facteur parvint à lui donner la faculté de nuancer le son, selon le degré d’enfoncement de la touche, découverte admirable qui fit dire à Grétry dans ses Essais (1797) : « c’est la pierre philosophale en musique, que cette découverte. Le gouvernement devrait faire établir un grand orgue de ce genre et récompenser dignement Erard, l’homme le moins intéressé du monde ». Absorbé par ses recherches sur la harpe et le piano, Erard laissa s’écouler une trentaine d’année avant de reprendre ses études sur l’orgue ; ce n’est qu’en 1827, qu’il présenta à l’exposition un orgue expressif par le moyen de pédales actionnant des jalousies et par l’élargissement ou le rétrécissement progressif des conduits du vent sur les jeux d’anches, procédés connus, sinon en usage depuis quelques années. Cet instrument fut ((p 169)) complété l’année suivante par un sommier à soupapes brisées de l’invention d’Erard, à l’aide desquelles le volume de son augmentait à mesure que l’on pressait la touche. C’était la réalisation complète des espérances de Grétry, car l’instrument possédait l’expression par la touche et il était construit par ordre du gouvernement pour la chapelle des tuileries. La commission de réception le reconnu admirable sous tous les rapports, malheureusement, détruit une première fois en juillet 1830, et reconstruit en 1855 par P Erard (L’orgue du palais des tuileries, Paris (didot) 1855, gr.in-f°, avec planches), il disparut dans l’incendie de 1871. La perte de cet orgue est d’autant plus regrettable qu’il n’en existe pas de semblable et qu’il devient impossible d’apprécier l’importance de la découverte d’Erard. C ‘est cependant pendant la construction de cet orgue que S. Erard fut repris par la maladie qui devait l’emporter le 5 avril 1831, après une année de cruelles souffrances. Les magnifiques travaux de cet homme de génie lui avaient valu trois fois la médaille d’or aux expositions de 1819, 1823 et 1827 et la croix de la légion d’honneur en 1823.
Pianos - Harpes – Erard
Jean-Baptiste Erard, frère de Sébastien étant mort le 10 avril 1826, c’est son fils Jean-Baptiste-Pierre Orphée, né à Paris en 1794, qui succéda à son oncle et fut chargé de la mission de maintenir la haute réputation acquise par la maison. Ayant collaboré aux travaux de ses parents ainsi que l’indique un brevet de ((p 170)) 1821, pris au nom d’Erard frères et fils, il ne faillit pas à la tâche. En 1834, Pierre Erard introduisit un perfectionnement à la mécanique à double échappement ; en 1838, il imagina la barre harmonique donnant aux sons aigus une pureté et une intensité inconnue jusqu’alors et appliqua, en 1843, le double échappement au piano carré. Parmi les autres inventions de ce célèbre facteur, il faut citer le clavier de pédales adapté au piano à queue (1848), le sommier de bronze formant avec le sommier d’attache, un châssis augmentant la puissance de l’instrument, sans avoir l’inconvénient du châssis en fer fondu d’une pièce (1850) et diverses autres améliorations de détail (1853-55) Sans toucher au principe si parfait de la harpe inventée par son oncle, P. Erard apporta quelques modifications à s construction. En diminuant de moitié la hauteur de la cuvette, il augmenta la longueur de la table et du corps, et par suite, employa des cordes de diamètre plus fort, ce qui donna plus d’ampleur à la sonorité (1835-38). A cette époque, Erard faisait des harpes style gothique et grec, grand modèle en ut, et d’autres, plus petites, en la b. Les distinctions les plus flatteuses furent la récompense des efforts faits par ce digne continuateur des nobles traditions du fondateur. Des médailles d’or en 1834, 1839, 1844 ; la grande médaille d’honneur à Londres en 1851, puis à Paris en 1855 ; la croix de chevalier de la légion d’honneur en 1834 et celle d’officier en 1851, proclamèrent la supériorité de la maison et attestèrent la haute estime qu’on lui ((p 171)) portait. Mais P. Erard ne put assister au nouveau triomphe ; il mourut au château de La Muette, le 16 août 1855 avant la clôture de l’exposition. P. Erard disparu, sa veuve secondée par son beau-frère M. Schoeffer conserva la maison dont la prospérité allait toujours croissant. A la mort de ce dernier (27 janvier 1873), qui avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur à l’occasion de l’exposition de 1867 où la maison Erard était hors concours, c’est à M. Albert-Louis Blondel que Mme Erard confia l’administration de sa manufacture, dont il a l’entière direction depuis le 13 octobre 1889, date de la mort de cette dernière. Dans l’état de perfection auquel S et P. Erard avaient les instruments, il était difficile à leurs successeurs d’ajouter beaucoup à leurs travaux. Ils ne restent pas néanmoins inactifs, et en continuant d’assurer le développement et la supériorité de la maison, ils se préoccupent toujours des moyens d’améliorer la fabrication. Le dernier perfectionnement date de 1880 ; il consiste dans une nouvelle disposition de la pédale douce du piano droit. L’ancien système à languette de feutre s’interposant entre les marteaux et les cordes, est d’un maniement difficile pour les personnes peu exercées, et le système avec déplacement des marteaux de droite à gauche, fatigue le mécanisme et produit une usure inégale des feutres qui les garnissent. Le nouveau système n’a aucun de ces inconvénients, la diminution d’intensité du son s’obtenant par le rapprochement des marteaux qui ((p 172)) frappent la corde avec plus ou moins de vigueur, selon qu’ils sont plus loin ou plus près d’elle. A la vérité l’idée n’était pas neuve, mais les essais tentés jusque là, avaient toujours échoué, parce qu’ils entraînent une altération du toucher. A l’exposition de 1878, la maison Erard reçut une médaille d’or ; elle obtint le grand prix en 1889 ; son directeur M. Alb. Blondel a été décoré de la légion d’honneur en 1888. De telles maisons sont la gloire d’un pays. Grâces aux travaux de ses directeurs, à leur parfaite honorabilité, à leur conscience artistique et à la qualité irréprochable de leurs instruments, le bon renom de l’industrie française a été affirmée dans le monde entier. C’est que dans la maison Erard on a beaucoup plus le souci de faire d’excellents instruments, que d’en produire beaucoup laissant à désirer sous quelque rapport, et pour y arriver, aucun sacrifice n’est épargné ; tout instrument qui ne réunit pas les qualités voulues est impitoyablement détruit ; les matériaux sont tous de premier choix et ce n’est pas le prix de revient qui décide de l’adoption d’un système, mais bien ses qualités. C’est ainsi que pour les pianos droits, il est fait usage de la mécanique d’Erard dite à lames, bien que son prix soit plus élevé que celui de la mécanique à baïonnette. Les merveilleux pianos à queue, richement décorés, qui ont fait la curiosité des expositions de 1851, 1867, 1878, et 1889 prouvent bien que la question d’art prime tout chez Erard, car ils ont coûté chacun plus de 50 000 francs, et il n’est pas certain qu’en les vendant, le facteur se soit entièrement ((p 173)) récupéré. Celui de 1867 orné de peintures en camaïeux et de riches sculptures, a été acquis par Sir Richard Wallace pour sa galerie de tableaux ; celui de 1878, style Louis XVI a été offert par un groupe de dame du monde à la duchesse de Bragance, aujourd’hui reine du Portugal, à l’occasion de son mariage ; enfin celui de 1889, style Louis XIV avec applications de bronze ciselés et dorés est devenu la propriété de Mme Anchorena, la personne la plus riche de Buenos-Ayres (C’est une ancienne tradition chez Erard que de faire des instruments exceptionnels : en 1834, il y eut un piano style Louis XIV avec sculptures et peintures en couleur sur fond or.) La fabrication de la harpe montre aussi le désintéressement des Erard, car il n’y a certainement aucun instrument de moins productif aujourd’hui, que celui-là. Il n’est plus fabriqué maintenant que deux sortes de pianos : des pianos à queue et droits à cordes obliques ou demi-obliques, de divers formats, mais de qualité uniforme, la différence de prix ne portant que sur la différence de dimensions et la puissance sonore. Cette maison a renoncé à faire des pianos droits à cordes verticales et ceux à cordes croisées. Cinq cents ouvriers sont employés dans la manufacture de Paris ; la production s’élève annuellement à environ 150 pianos dont 500 à queue, et jusqu’à ce jour les ateliers de Paris et de Londres (ce dernier fondé en 1786) ont produit plus de 100 000 instruments.
Pianos - Pleyel
Si le nom d’Erard est universellement connu, ((p 174)) celui de Pleyel ne l’est pas moins. Même traditions, mêmes efforts se retrouvent dans cette maison, moins ancienne de quelques années, mais qui a su acquérir une importance considérable et produire dans sa fabrication courant, des instruments dont la perfection a fortement contribué au bon renom de la facture française. C’est par occasion, qu’après avoir fourni une brillante carrière comme compositeur et s’être fait éditeur de musique, qu’Ignace Pleyel prit la résolution de s’établir facteur de pianos, à l’âge de 50 ans. Autrichien de naissance, élève de Haydn, I. Pleyel s’était fixé à Strasbourg en 1783 où il occupa la place d’organiste de la cathédrale, puis il vint à Paris vers 1795 et fonda peu après une grande maison d’édition, puis en 1807 sa célèbre manufacture de pianos. Les premières années de sa nouvelle exploitation, n’offrent rien de saillant ; c’était la période d’organisation. Etranger à la facture, I. Pleyel trouva dans son fils Camille (né à Strasbourg le 18 décembre 1788), un auxiliaire actif et expérimenté qui lui succéda en 1824. Aidé des conseils du pianiste Kalkbrenner qu’il prit pour associé, C. Pleyel se mit en mesure de rechercher les perfectionnements qui répondaient le mieux aux desiderata des virtuoses. En 1825, il se signala par une innovation : le piano unicorde dans lequel une seule corde devait produire l’effet de deux ou trois employées habituellement. Pour arriver à ce résultat il fallut augmenter le diamètre des cordes et conséquemment modifier la construction ((p 175)) du piano de façon à lui donner une résistance proportionnée à l’effort plus grand. Deux ans après (1827), la maison Pleyel qui n’avait encore participé à aucune exposition, remporta son premier succès : une médaille d’or lui fut accordée pour ses diverses inventions et pour un piano à queue à trois cordes, qui parut « égal aux meilleurs pianos anglais ». L’année suivante, C. Pleyel fit breveter un système de sommier dit prolongé, puis un système de placage à contre-fil pour les tables d’harmonies (1830) et divers autres perfectionnements parmi lesquels un mécanisme permettant d’obtenir plusieurs sons simultanément (1844). Dans l’intervalle, C. Pleyel avait obtenu une nouvelle médaille d’or et la croix de la Légion d’honneur (1834). Parmi les instruments exposés étaient un piano à queue de 7 octaves à cadre en fer fondu et un grand pianino à 2 cordes dont la disposition verticale des cordes et la mécanique différaient des pianos « appelés droits » importés en France par I. Pleyel en 1830. En 1839 et 1844, autres médailles d’or ; enfin, une médaille d’honneur fut attribuée à sa maison en 1855, mais comme P. Erard, il ne put jouir de ce dernier succès, la mort les ayant frappé tous deux la même année avant la distribution des récompenses. C. Pleyel mourut le 4 mai 1855, vingt-quatre ans après son père décédé le 14 novembre 1831, année même ou mourut Séb. Erard qui le précéda de sept mois dans la tombe. C’est par une coïncidence particulière que les deux fondateurs des deux plus célèbres manufactures de pianos ((p 176)) perdirent la vie la même année, et qu’il en fut de même pour leurs successeurs immédiats. Ce fut au temps de C. Pleyel que la salle de concert de la rue Rochechouart devint le centre où les grands artistes étrangers venaient faire assaut de talent avec les artistes français. Chopin, l’ami intime de C. Pleyel, jouait ses pianos de préférence, trouvant que ses œuvres s’harmonisaient mieux avec leur sonorité, et ce fut dans la salle Pleyel, qu’il se fit entendre pour la dernière fois à Paris, le 16 février 1848. Après la mort de C. Pleyel la direction de la maison échut à Auguste-Désiré-Bernard Wolff, né à Paris le 3 mai 1821 que Pleyel s’était associé en 1852. Virtuose et compositeur distingué, A. Wolff avait fait ses études au Conservatoire où il avait remporté un 1er prix de piano en 1839 ; il ne se montra pas moins bon facteur que musicien accompli. On lui doit diverses innovations importantes : le piano pédalier, la pédale tonale permettant de prolonger certains sons, un système particulier de double échappement, un clavier transpositeur très ingénieux s’adaptant sur tous les pianos, etc. Pendant la direction d’Aug. Wolff, qui avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur, le 24 janvier 1862, eut lieu l’exposition de Londres (1862), où les améliorations dues à ce facteur-virtuose furent très remarquées. La Prize medal fut donc décernée à la maison Pleyel pour la perfection, la puissance et l’égalité de son, la précision et la solidité du mécanisme de ses pianos. En 1867, elle fut hors concours, son chef ((p 177)) remplissant les fonctions de membre du jury ; mais en 1878 elle participa au concours et reçut une médaille d’or avec mention très élogieuse. Bien qu’elle eût obtenu déjà de brillants résultats, cette maison continuait l’étude comparative des cordes parallèles et des cordes croisées, mais l’adoption du fer forgé donnant plus de légèreté à la construction et une plus grande force de résistance que le fer fondu, était acquise. Les instruments ainsi construits avaient ‘une sonorité fine et distinguée » et le mécanisme, à l’action facile et précise, permettait au pianiste la plus grande souplesse d’exécution. Comme innovations, la maison Pleyel représenta le clavier transpositeur et la pédale tonale exposés précédemment à Londres. Le clavier-transpoditeur, différent de tous les systèmes connus jusqu’alors, constitue un appareil mobile et complètement indépendant du piano. Il se pose sur le clavier de n’importe quel instrument et agit sur les touches sans qu’il en résulte le moindre effort pour l’exécutant. La pédale tonale avait pour but de laisser vibrer les notes fondamentales du ton, à l’aide d’un petit clavier supplémentaire d’une octave. La mort ayant surpris A. Wolff le 9 février 1887, la direction de la manufacture revint à son gendre, M. Gustave-Frantz Lyon (né à Paris, le 19 novembre 1857), ancien élève de l’Ecole polytechnique. Les lumières d’un savant n’étant pas moins précieuses que celle d’un musicien, pour la construction des instruments, la maison Pleyel se trouvait sûre, dès lors, de se maintenir à la hauteur des progrès de la science. ((p 178)) Déjà M. G. Lyon a pu déterminer, par des formules pratiques, la manière de trouver le diamètre, la longueur et la tension à donner aux cordes simples ou filées pour obtenir un son donné. C’est à l’aide des tables qu’il a dressées, que MM. Gand et Bernardel ont connu d’une façon précise la densité et la grosseur à donner à la cinquième corde qu’ils ont ajoutée à la contrebasse ordinaire, pour obtenir l’ut grave sans changer la longueur des autres cordes. Les travaux de M. G. Lyon ne se bornent pas à des découvertes théoriques, il faut y ajouter divers types de mécaniques à répétition dont les plus récents datent de 1891 et 1892 ; deux systèmes de cadres, l’un en acier fondu d’une seule pièce, l’autre en bronze ; la harpe éolienne s’adaptant aux pianos à queue de concert et vibrant par sympathie ; la pédale harmonique qui laisse vibrer à volonté un accord frappé par les doigts, alors même qu’ils ont cessé de maintenir les touches ; le durcisseur, appareil d’étude destiné à développer la vigueur d’attaque ; l’application du molliphone, assourdissant le piano au point qu’il n’est plus entendu des pièces voisines et permet à l’artiste de travailler sans gêne pour autrui ; le piano scolaire, l’appareil digito-égaliseur (1891), etc. L’exposition de 1889 a couronné les travaux des directeurs successifs de la maison Pleyel, Wolf et Cie ; le jury lui décerna un Grand Prix pour ses instruments, et dans la section d’économie sociale, elle obtint une médaille d’or. Quelque temps avant, M. G. Lyon avait été décoré de l’ordre de Léopold de Belgique (1888), il a été nommé ((p 179)) chevalier de la Légion d’honneur (le 8 avril 1889), et a reçu, en 1892, la croix de chevalier du Danebrog. La maison Pleyel a pris part à un grand nombre d’expositions étrangères, mais, dans la plupart elle fut hors concours, ses directeurs faisant partie du jury (Vienne 1873 ; Amsterdam, 1883 ; Bruxelles, Melbourne, Copenhague, 1888) Les modèles actuellement fabriqués par la maison Pleyel sont à cordes croisées ou parallèles, pour les pianos à queue, et à cordes obliques croisées ou non, pour les pianos droits ; elle n’a pas abandonné la construction des pianos à cordes verticales. Ces divers modèles se font en plusieurs grandeurs et d’une seule qualité. On a pu voir en outre à l’exposition de 1889, différents types d’instruments richement ornés, tels que le piano à queue, style Louis XVI, en vernis-Martin fond or ; les pianos droits style renaissance italienne et Louis XVI avec sculptures, laquage en plusieurs tons et peintures décoratives, etc. Une grande souplesse de mécanisme, une sonorité claire et argentine, une grande légèreté de toucher, un prolongement remarquable des vibrations, telle est la caractéristique des instruments de cette maison. L’usine Pleyel, située à Saint-Denis, occupe une superficie de 55 000 m carrés, on y emploie 600 ouvriers qui produisent annuellement de 2 600 à 3 000 pianos. En 1820-30, on n’en fabriquait que 50 par an et le personnel ne comprenait qu’une vingtaine d’individus ; puis, en 1844, la production s’éleva à 900 instruments. Depuis la fondation il est sorti de cette usine 107 000 pianos. Quoi de plus éloquent que ces ((p 180)) chiffres, et que pourrions-nous ajouter qui prouve mieux le succès et la prospérité de la maison Pleyel, qui contribue si puissamment à l’honneur de la facture française ? Quant au mouvement artistique qu’elle a créé, il est considérable, 200 concerts étant donnés chaque saison dans ses deux salles.
Pianos Herz
Pendant un certain temps, trois noms figurèrent au premier rang sur les palmarès des expositions et se partagèrent la faveur du public, pour la qualité et le fini des instruments. Deux nous sont déjà connus, Erard et Pleyel, le troisième aujourd’hui disparu est Henry Herz qui, comme ce dernier, fut virtuose avant d’être facteur. Dans le but de donner du relief à leur établissement, il fut de mode parmi les facteurs de pianos, durant les premières années du sicle, de s’assurer le concours de pianistes renommés, soit comme intéressés, soit comme associés. C’est ainsi que H. Herz débuté vers 1825 avec H. Klepfer, de Lyon, qui venait de transporter ses ateliers à Paris ; (Klepfer avait inventé, en 1824, un mécanisme à échappement donnant une répétition très rapide et un piano dont les cordes étaient attachées au couvercle. Il eut une méd. De bronze en 1827) mais, plus occupé de sa carrière de virtuose que de celle de facteur, a laquelle il n’était nullement initié, il dut se reposer sur son associé, de la gestion de la maison, qui fut désastreuse. Herz rompit alors avec Klepfer et fonda une fabrique dont il dut, dans son ignorance du métier, confier la direction à un étranger ; aussi le résultat ne fut-il pas beaucoup satisfaisant au point de vue financier. Depuis 1839 ((p 181)) où il n’avait obtenu qu’une mention, sa maison avait pris, en 1844, un grand développement : il faisait à cette époque ; il faisait à cette époque 400 pianos par an, et leur valeur artistique était fort appréciée ; le jury lui décerna une médaille d’or pour ses petits pianos à queue, ses pianos carrés à 2 et 3 cordes et son piano droit à cordes obliques, classé au premier rang. H. Herz partit alors à l’étranger ou il donna une fructueuse série de concerts de 1845 à 1851. Pendant son absence, un brevet fut pris à son compte pour des instruments dont la mécanique reposait sur le parquet du clavier (1849). L’exposition de Londres, en 1851, ne lui valut qu’une mention, mais à Paris, en 1855, il mérité une médaille d’honneur. A dater de ce moment, la manufacture de H. Herz fit de rapides et incessants progrès. Si elle a longtemps végété, elle s’est élevée tout à coup au rang des premières maisons de Paris. A Londres, en 1862, le jury reconnut : « la perfection de toutes les parties de ses pianos, la puissance, l’égalité et la pureté de son, ainsi que la précision du mécanisme et la souplesse du clavier ? » Hors concours en 1867, en raison de sa qualité d’expert, Herz prit part au tournoi artistique de 1878 et obtint un rappel de médaille d’or avec mention élogieuse. Bien loin était le temps où on louait la salle de concert édifiée par ce pianiste-facteur, rue de la Victoire, avec condition de n’être pas obligé de jouer ses instruments. Agé de 86 ans, H. Herz mourut le 5 janvier 1888. Il était né à Vienne (Autriche), et avait fait ses études au Conservatoire de Paris où il remporta un 1er prix de piano ((p 182)) en 1818, et où il enseigna cet instrument de 1842 à 1866. C’est Mme V° Herz qui présenta en 1889, les derniers instruments préparés pour l’exposition par son mari, lesquels furent à la hauteur de la réputation de la maison, et lui valurent une médaille d’or. Mais elle ne conserva pas longtemps le sourd fardeau qui lui incombait ; depuis le 3 juillet 1891, Mme V° Herz a cédée à MM. A. Thibout et Cie, matériel et fond de commerce, qu’ils ont réuni à la maison fondée par Amédée Thibout père, dont il sera question plus loin. D’autre membres de la famille Herz se sont livrés à la facture du piano : Jacques Simon, frère du précédent, né à Francfort sur Mein, le 31 décembre 1794, élève du Conservatoire de Paris, premier prix de piano en 1812, qui, comme facteur, obtint une mention en 1844, il n’occupait que 24 ouvriers tant chez lui qu’au dehors et ne produisait que 70 pianos par an. Un neveu des précédent, Philippe-Henri Herz, s’acquit une certaine renommée et fit remarquer ses instruments en 1867. Après son décès, sa veuve conserva la maison avec le concours d’un neveu (méd. De bronze, 1878) ; elle est devenue la propriété de M. Lévy Mario (méd. D’argent, 1889).
Pianos, divers
Si les trois maisons dont il vient d’être question se sont placées en tête de la facture des pianos, ((p 183)) tant par l’importance que par la perfection de leur fabrication, bon nombre de facteurs plus modestes, aujourd’hui disparus, ont tenu une place honorable dans la corporation, et participé dans une assez large mesure au progrès accomplis dans cette industrie. Parmi les ouvriers de la première heure, citons Dupoirier, qui reçut une médaille d’argent en 1806 ; Pfeiffer, qui obtint une mention la même année pour un piano vertical fait en collaboration avec Petzold, imagina un piano à caisse triangulaire soumis à l’académie des Beaux-arts en 1807, perfectionna le piano carré en lui donnant la longueur de la table d’harmonie et présenta en 1827 un piano transpositeur par le moyen d’une pédale (méd. D’argent, 1819-22) ; Schneider, à qui vint l’idée de faire plaquer en argent les cordes de piano (1827). J.-Henri Pape, d’origine allemande, mais formé à la fabrication dans les ateliers de Pleyel, fonda vers 1818 un établissement qui fut longtemps prospère. Le nombre des inventions de ce facteur est considérable (137), sans qu’elle soient toutefois d’une utilité et d’une valeur égales. Nous faisons bon marché des instruments en forme de meubles usuels, tels que le piano-table, le piano rond (1834) le piano-console, comme du piano sans cordes dans lequel ces dernières étaient remplacées par des ressorts (1825-34-40) ; mais nous devons citer son système de marteaux en dessus des cordes (1827-35), son piano vertical d’un mètre de hauteur (1828), son système de montage des cordes tendant à diminuer le tirage (1838), et surtout l’emploi du feutre pour ((p 184)) la garniture des marteaux, d’où résulta une égale intensité de son, telle que cette matière a été adoptée universellement depuis (1826). Comme récompenses, H. Pape a obtenu des médailles d’argent en 1823 et 27, des médailles d’or en 1834, 1839, 1844, une médaille de 2eme classe à Londres, en 1851. Depuis lors, cette maison a pour ainsi dire, cessé d’exister ; elle ne reparut plus aux expositions, ou du moins elle ne s’y est point signalée ; de 1872 à 1885 environ, elle fut tenue par Mme Pape et Delouche. En 1855, parmi les exposants, figurait le fils de J.-H. Pape, qui exerçait encore vers 1875, et un de ses neveux, qui n’ont rien ajouté à l’éclat du nom. C’est par une sonorité exquise, bien que d’une extrême ténuité que se distinguèrent les pianos de Petzold (Guill.-Lebrecht), né à Lichtenstein (Saxe), le 2 juillet 1784 et établi à Paris vers 1805. Associé ) Pfeiffer jusqu’en 1814, il travailla seul ensuite. Petzold fit quelques changements dans la direction de la table d’harmonie qu’il rendit indépendant (1823), et obtint un brevet pour un piano carré à cadre en fer fondu (1829) ; il reçut une médaille d’argent en 1823.
Pianos - Roller et Blanchet
Le premier essai de piano droit tenté à Paris fut exposé par Roller et Blanchet en 1827 et fit sensation ; c’était un beau résultat que d’avoir construit un piano de un mètre de hauteur sur 1 m 30 de large et l’on sait quel succès a eu ce genre de piano qui devait faire disparaître le piano carré. Des modifications apportées au premier modèle par Roller en 1830, en firent le type qu’adoptèrent tous leurs confrères ; ((p 185)) ; l’échappement en était très ingénieux. Ces facteurs à l’esprit inventif n’en étaient pas à leurs débuts ; en 1829, ils avaient déjà produit un piano pouvant changer de ton à volonté par le déplacement du clavier, qui entraînait les marteaux et les faisait changer de cordes. En 1829, ils firent paraître un nouvel échappement différent de ceux faits jusqu’alors. Roller voulut aussi augmenter la puissance de la sonorité des grand pianos de concert, il tenta d’y arriver 1° par le moyen d’une table renversée et l’utilisation de la plus grande force d’impulsion du marteau ; 2° en construisant un piano à double queue, doublant par conséquent le nombre de cordes (1839) ; peu après, il apporta une simplification à ce système qui fut seulement pourvu d’un double rang de cordes et d’une double table d’harmonie (1844) ; c’était en quelque sorte deux pianos renversés à un seul clavier. La dernière invention de Roller fut une nouvelle mécanique à point de contact mobile (1852). N’oublions pas de signaler aussi le chromamètre qu’il avait imaginé en 1829, pour faciliter l’accord des pianos sans que l’accordeur ait à établir une partition, mais dont le prix (80 francs), en était trop élevé pour qu’il se répande. Cependant ces facteurs se prévalaient du bon marché de leurs pianos (V. chap VI.). Ils se faisaient aussi un scrupule « étant français » de n’employer que des ouvriers français et avaient à cœur de prouver par la qualité de leurs produits que c’était « à tort que l’on donnait la préférence aux ouvriers anglais ou allemand ». Roller et Blanchet remportèrent des médailles d’argent en 1823 et 1827, ((p 186)), et d’or en 1834, 39, 44 et, à Londres, en 1851, une médaille de 2eme classe. A cette époque, Roller se retira de l’association, P.A.C. Blanchet fils, ancien élève de l’école polytechnique, qui succédait à son père Nicolas, se présenta seul à l’exposition de 1855 et se vit décerner une méd. De 1ere classe. Continuant les traditions de la maison, il obtint à Londres en 1862 la Prize médal pour l’excellence de la facture de ses instruments de petites dimensions qui joignaient la puissance à la bonne sonorité. L’exposition de 1867 fut la dernière à laquelle participa Blanchet fils. Il y présenta quatre instruments remarquables à divers titres ; le premier, par son nouveau tablage, le deuxième, par sa petite dimension –80 centimètres de hauteur seulement- qui n’excluait pas la beauté et la puissance de sonorité ; le troisième par son mécanisme, et le quatrième, par la construction spéciale à emboîtements permettant de le démonter comme les pièces d’anatomie servant à la démonstration ; il était destiné à l’école normale de Cluny. Blanchet fils fut décoré de la Légion d’honneur le 14 novembre 1855.
Pianos divers
Les frères Gaidon fondèrent chacun une maison ; l’aîné obtint une mention en 1827 et 1855 ; le jeune (Marie) qui avait créé sa manufacture en 1820 et obtenu des méd. De bronze en 1834-39, et d’argent en 1844-49, s’est distingué par l’invention d’un mécanisme tendant à donner au clavier les avantages du double échappement (1849) ; en 1855 il eut une médaille de 1ere classe, et il présenta en 1867 un piano à sons prolongés ; puis en 1878 un modèle de grand ((p 187)) piano vertical pouvant devenir instantanément un piano à queue (Médaille d’argent). Séb. Mercier, voulut devenir son maître vers 1830. Il n’entreprit pas une vaste exploitation ; il se contenta de produire de très bons instruments portant son cachet personnel, car il ne dédaignait pas de terminer l’ouvrage préparé par ses ouvriers. Un système de piano droit à cordes verticales, permettant de transposer de cinq demi-tons lui valut une méd. D’argent en 1844, renouvelée en 1849. A cette époque, il occupait 30 ouvriers et faisait 140 pianos par an. Mercier apporta des perfectionnements importants au nez de l’échappement de Roller dont il avait été l’élève, et créa un autre piano transposant, par le moyen de touches brisées agissant sur plusieurs leviers, selon de déplacement du clavier (1851) et ajouta une pédale d’expression. L’exposition de 1855, où il obtint une méd. De 1ere classe, est la dernière à laquelle Mercier participa. Si extraordinaire que cela puisse paraître, Claude Montal, quoique aveugle de naissance, fut un de nos plus adroits facteurs. Il débuta fort modestement vers 1835 avec un seul ouvrier ; en 1839, il en avait une douzaine et en 5 ans, il avait construit 172 pianos. On lui doit quelques applications nouvelles, entre autres un système de mécanique à répétition (1842), deux modèles de pianos transpositeurs (1846-50) ; une mécanique de pianos transpositeurs (1846-50) ; une mécanique à échappement continu (1851), un piano dont le corps sonore était renversé sur la mécanique (1848), un autre à sons soutenus (1858) qui témoignent de ses vives facultés. Antérieurement, il avait obtenu une méd. De ((p 188)) bronze (1844) ; une d’argent (1849) ; une méd. De 2e classe (Londres, 1851) et une 1ere classe (Paris, 1855). A Londres en 1862, il fit apprécier un piano dont le clavier s’abaissait au moyen d’une pédale pour modifier la force de la sonorité. (Prize medal). Montal mourut le 7 ou 8 mars 1865, dans sa 65e année, ayant été fait chevalier de la Légion d’honneur le 22 nov. 1851 et exercé les fonctions de professeur à l’institution des jeunes aveugles. En 1834, il avait publié un volume qui eut la vogue : l’art d’accorder soi-même son piano ; Tessereau lui succéda, mais il n’hérita pas tout d’abord de ses qualités, car, à l’exception de 1867, il n’obtint qu’une mention et ce n’est qu’en 1878 qu’il put se faire décerner une méd. D’argent. Aujourd’hui le propriétaire de la maison est M. Donasson. Ce fut aussi un habile et un modeste que Wolfel ; sa maison ne datait que d deux ans à peine, qu’il obtenait en 1839, une médaille d’argent pour la bonne exécution d’un piano carré classé le troisième, mais ce facteur ne se borna pas à être un constructeur parfait, il voulut être novateur et il y réussit. De 1840 à 53, il fit subir des modifications, trop longues à énumérer ici, à toutes les parties du piano. C’est à lui qu’appartient l’idée de construire le clavier en forme d’arc de cercle pour permettre aux petits bras d’en atteindre facilement les extrémités et de monter les dessus, de quatre cordes au lieu de trois. Mais ce qui est plus important, c’est son mécanisme répétiteur et sa cheville mécanique à vis, donnant la faculté de passer du forte au piano sans variation dans la touche (1846), d’une merveilleuse ((p 189)) précision, mais d’un prix trop élevé pour en faciliter l’adoption. Laurent, professeur de piano au Conservatoire, fut un moment l’associé de Wolfel. En leur décernant une médaille d’or en 1844, le jury constata la belle exécution des instruments : un piano dtoit à cordes verticales fut placé au premier rang ; un autre à cordes obliques au troisième, et un piano à queue au cinquième. En 1849, Wolfel obtenait le premier rang pour son piano à queue, ce qui lui valut le rappel de sa méd . d’or et à Londres en 1862, dernière exposition à laquelle il prit part, ce facteur remporta la Prize médal, pour la perfection de ses travaux. Pierre Scholtus, établi en 1848, trouva le moyen de construire un piano de voyage de 82 notes, dont le poids n’était que de 60 kilo. Au lieu de 240, et dont la plus grande dimension (largeur) n’était que de 1m 10 (1856). Il imagina aussi une pédale douce par le rapprochement des marteaux et des crampons, contre le tirage des cordes qui portent son nom. Nous ne savons au juste la date de fondation de la maison Ch. L. Franche ; toujours est-il qu’en 1849 une méd. De bronze lui était décernée et qu’après avoir obtenu une méd. De 2e classe en 1855, elle fut mentionnée en 1867 et 1878. Divers perfectionnements sont dus à ce facteur : mécanisme répétiteur pour piano droit (1850-51), amélioration de la mécanique anglaise (1852) Nombre de facteurs distingués, aujourd’hui disparus, mériteraient une place dans cette galerie, mais nous ne pouvons nous y arrêter sous peine d’excéder les bornes raisonnables et d’abuser de la ((p 190)) patience du lecteur, alors surtout qu’il nous reste beaucoup à dire sur ceux dont les maisons subsistent encore. (Voici tout au moins le nom de ceux qui ont obtenu des récompenses aux expositions françaises : Beckers (méd. D’argent, 1827), pianos et harpes. P. Bernhardt, établi en 1824, occupait 60 ouvriers en 1839, méd. De br., 1827, 34, 44 ; J.-B. Cluesman, auteur de différents perfectionnements, 1827, 34, 40, mention honorable 1834-39, faisait environ 100 pianos par an avec 60 ouvriers ; Christian Dietz (méd. D’arg., 1827), présenta un piano à queue en forme d’ogive tronquée, un autre de forme elliptique, un clavi-harpe, inventé en 1814, et un organo-diapazo, dont les cordes étaient frottées ; J.-E.J. Wetzels, auteur de pianos avec moyen de régler facilement l’échappement, (méd. De bron ., 1827, 39, 44,) exposa en 1855 ; Endres, méd. de br., 1827 ; Bauvais, Bayen, Bierstedt, Brouton et Duport, Bumler (pianos obliques), P Couder, Freudenthaler, F. Janus, Ch. Lemmé (établi avant 1820) ; Payen, Roloff et Romer, Richter, V. Triquet, Zullig (établi avant 1820) ; Walther, reçurent chacun une mention en 1827, et ils en restèrent là, car ils ne figurent plus sur les palmarès suivants ; Rinaldi (M. H., 1827-44) auquel sa veuve, Madeleine-Elisabeth, succéda (méd. de br., 1849, de 1ere classe, 1855 et M. H., 1867) ; Koska, ment. Hon. En 1834, pour pianos carrés d’une construction parfaitement soignée (il avait exposé en 1823 un piano carré à griffes de lion et à 6 octaves), méd. de br., 1839 et 1844, occupait en dernier lieu 4 ouvriers et faisait 15 à 18 pianos par an ; J.-B. Gibaut, établi vers 1828 ; ment. Hon. pour pianos verticaux à cordes obliques, imités de Roller (1834-39 et 1844) ; occupait alors 35 ouvriers et faisait 250 pianos par an ; méd. de br., 1849 ; Busson, bonne fabrication, méd. de br., 1839 et 44 ; Cote, méd. de br., 1839, Fr.-Eug. Rosellen, père du célèbre pianiste compositeur, ment. Hon., 1839-44 ; exposa en 1855 ; Louis-Bastien Eslanger, mention 1839, méd. de bronze 1844 ; d’argent, 1849 ; faisait en 1839, avec 8 ouvriers, 20 à 25 pianos par an ; Alph. Grus, établi depuis 1805, ment. Hon., 1839 et 44 ; ((p 191)) exposa en 1823 « un piano vertical à jour » ; G. Mermet, élève de Roller, établi en 1837, méd. de br. En 1839, 1844, exposa en 1855, avait 12 ouvriers en 1844, fit un piano triangulaire et un piano à queue vertical (1844) ; Rogez, (Charlemagne Emmanuel) breveté en 1838 pour un clavier à bascule se relevant comme le tablier d’un secrétaire, dont A. Blondel a continué la fabrication, ment. Hon., 1839-1844, méd. de br. 1849 ; J.-Fr. Dussaux, établi vers 1835, méd. de br., 1844, exposa en 1855 : Faure et Roger, faisant 200 pianos par an ; en 1844, méd. de bronze ; Girard, (Ph) mention honor. En 1844 pour un piano à queue dit tremolophone, breveté en 1842 ; B. Hatzenbühler, associé avec Faure, en 1839, méd. de bronze, méd. d’argent en 1844, pour piano à queue classé au 4e rang et piano droit au 10e, occupait 65 ouvriers ; Hercé, ment. Hon. en 1844 et 1855, méd. de br. En 1849, rit une armoire-piano, associé avec Mainé ; Hesselbein, avait 20 ouvriers fabriquant 120 pianos par an (méd. de br., 1844-49) ; Issaurat-Leroux, exposa en 1844 un petit piano à queue placé au 4e rang (méd. de br.) et en 1855 un piano-orgue (méd. de 2eme classe) ; Isidore Magnié, ment. hon., 1844 ; Martial-Etienne Monniot, ment. Hon., 1844, et br. 1849 ; Mullier, Alexandre et Louis, établis en 1826, faisaient 100 pianos par an en 1844, méd. Hon. en 1827, méd. de br., 1844, d’argent, 1849, exposa en 1855 ; F. Niederheiter, méd. de br en 1844 pour piano carré placé au 2e rang,méd. d’argent en 1849 et mention en 1855 ; Schoen, méd. de br. En 1839, d’argent en 1844-49, occupait 22 ouvriers faisant 90 pianos annuellement ; Vandeventer ; Louis-Hipp. Beunon, méd. de br. En 1849 pour piano à cordes obliques, placé au 1er rang ; Mussard frère, méd. de br., 1849, exposa de bons pianos droits en 1855, l’un d’eux, Emile, était déjà établi en 1835 ; J. Bardiès, méd. de 1re classe 1855 ; P. Gaudonnet tenta de prolonger les sons du piano,méd. de 2e classe en 1855, mention en 1862) La plus ancienne est celle fondée en 1820 par Clément-Charles Aviseau. Son histoire est brève : un seul brevet pour divers changement au piano droit ((p 192)) est à enregistrer (1844), mais les instruments sont avantageusement connus des amateurs pour leur sonorité et leur solidité. Céleste-Michel Avisseau, né à Nogent-le-Rotrou, le 21 juillet 1820, succéda au fondateur vers 1867, il est actuellement secondé par son fils Charles-Philippe-Etienne, né à Paris, le 10 mai 1860. En 1889, la maison a obtenu une mention honorable. C ‘est en 1828 que François Soufleto, élève de Roller, créa sa maison qui eut son heure de célébrité, grâce à sa bonne fabrication et à la publicité qui résultait pour le facteur, des nombreux concerts donnés dans ses salons. Comme innovations, F. Soufleto compte à son actif un perfectionnement de l’échappement anglais (1836) et du mode d’ajustement de la touche (1840) ; un système de compensation dans la charge des cordes sur la table d’harmonie (1853), et un piano droit à table bombée à l’instar du violon, pour éviter la détérioration que subissent les tables planes (1855). F. Soufleto avait obtenu une méd. d’argent en 1834, pour des pianos verticaux à cordes obliques, les meilleurs après ceux de Roller ; il en reçut une autre en 1839, pour un piano à queue placé le premier après celui d’Erard, qui fut renouvelée en 1844, et, tous ses instruments ayant encore obtenu le premier rang, la médaille d’or lui fut acquise en 1849. A Londres, il n’eut pourtant qu’une mention en 1851, mais une méd. de 1re classe lui fut accordée en 1855. F. Soufleto mourut le 1er août 1872, âgé de 72 ans, laissant sa maison à son fils Charles-Etienne, né le 18 mai 1827, qui obtint une méd. d’argent en 1878 ((p 193)) pour un piano de concert à cordes parallèles, et des pianos droits dont les cordes étaient disposées en éventail sur la table d’harmonie, pour obtenir une plus grande sonorité. En 1889, une intéressante exposition de divers modèles lui valut la même récompense.
Pianos - Kriegelstein
Trois ans après l’établissement de la maison précédente (1835), Jean-Georges Kriegenstein, natif de Riquewihr (Haut-Rhin), quittant l’atelier de Pape où il avait été contremaître depuis son arrivée à Paris en 1826, fondait une manufacture de pianos qui devait acquérir une belle renommée. Kriegelstein n’avait alors que 30 ans ; deux ans après, il faisait breveter en collaboration avec Arnaud, un piano carré avec mécanisme et marteaux au dessus des cordes (1834) qui lui valut une méd. d’argent à l’exposition de la même année ; en 1839, ce fut un piano à queue à sillet, contre-sommier et marteaux frappant les cordes contre le point d’appui, avec étouffoirs perfectionnés, récompensé d’une nouvelle méd. d’argent ; puis, en 1841, ce sont des agrafes de précision pour faciliter l’accord, et, en 1844, le système de double échappement qui porte son nom, « chef-d’œuvre de simplicité et de précision » adopté par beaucoup de facteur et perfectionné plus tard par son fils, bientôt suivi d’un mécanisme à répétition pour le piano droit également simple et précis (1846). L’année précédente avait été marquée par l’apparition du piano demi-oblique de 1m 07 de hauteur, -véritable et précieuse innovation- dont l’exécution et la sonorité étaient en tous points remarquables ; la méd. de ((p 194)) 1re classe qui fut décernée en 1855 à son auteur déjà titulaire de deux médailles d’or (1844-49) était donc parfaitement justifiée. En 1858, sept ans avant sa mort qui survint le 20 novembre 1865, J.-G. Kriegelstein confia la direction de sa manufacture à son fils Charles (né à Paris le 16 déc. 1839) qui sut conserver la bonne renommée acquise et confirmée par le jury des expositions de Londres (1862, Prize medal), de Paris (1867 et 1878, méd. d’argent). En 1889, MM. Kriegelstein et Cie, peu satisfaits de l’emplacement qu’on leur concédait, renoncèrent à exposer leurs instruments au Champ-de-Mars ; pourtant, ils avaient des modèles nouveaux à soumettre au concours. Modifiant les plans primitifs, M. Kriegelstein a résolument adopté le système à cadre tout en fer et cordes croisées. Depuis 8 ans, ces instruments ont pris faveur auprès de la clientèle de cette maison, qui, sur 10 modèles n’en a plus qu’un de l’ancien système.
Pianos Burckhardt
Chronologiquement, c’est bien ici que la maison Burckhardt doit prendre place. Bien que fondée en 1839, on ne la vit apparaître à une exposition qu’en 1855 où elle obtint une mention confirmée en 1867. En 1878, ce fut une médaille de bronze. Dans l’intervalle, le propriétaire de la manufacture s’était associé son neveu Marqua qui, à partir de 1883, resta seul chargé de la direction. L’originalité de son exposition, en 1889, consista dans l’adjonction au piano à queue d’une pédale-sourdine, ne laissant vibrer qu’une seule corde de façon à pouvoir rendre fidèlement l’indication « una corda » que l’on rencontre fréquemment ((p 195)) dans les œuvres pour piano et qui, en réalité, est faite à deux cordes, avec la pédale douce ordinaire. Dans ce système, contrairement à l’usage courant, le clavier et la mécanique restent en place –ce qui évite l’usure causée par le va-et-vient,- le nouveau jeu d’étouffoirs est fixé au delà du frappé du marteau et les feutres en forme de coins, viennent se placer entre deux cordes, de façon à n’en laisser vibrer qu’une. On voyait aussi, à la galerie Desaix, un piano droit avec clavier établi de manière à permettre de transposer de trois demi-tons et construit de telle sorte qu’il n’y ait pas de frottement comme à l’ordinaire. Appliqué au piano à cordes croisées, le clavier-transpositeur présentait des difficultés que l’inventeur a pu surmonter heureusement ; une médaille d’argent a été la récompense de son ingéniosité.
Pianos - A. Blondel
C’est aussi de 1839 que date l’établissement de M. Blondel (Alphonse-Philippe-Alfred). Ce facteur, originaire de Douai où il naquit le 4 février 1813, se fit d’abord connaître par l’invention d’une mécanique indépendant du clavier (1841), puis, il imagina un appareil d’adaptant à tous les pianos, à l’aide duquel on peut ajouter à chacune des notes de la basse, son octave grave et à celles des dessus, l’octave aiguë, et que, pour cette raison, il nomma piano-octave (1853-55) : ensuite il apporta diverses modifications à la construction générale du piano, consistant dans l’invention d’une baïonnette d’étouffoir détachée du levier d’échappement dont l’usage s’est généralisé, et dans l’emploi d’une grande table d’harmonie libre, ayant pour but de donner aux basses des pianos droits la ((p 196)) sonorité des pianos à queue. A. Blondel n’a guère fréquenté les expositions ; pourtant, en 1849, il avait eu ses pianos classés au troisième rang et reçu une médaille de bronze ; puis, une mention en 1855. Ce ne fut qu’en 1878 qu’il se représenta devant le jury pour lui soumettre un système de double échappement pour piano droit, dit mécanique Blondel, donnant la répétition des notes quelle que soit la distance du marteau et un piano à clavier mobile, se relevant de façon à supprimer la saillie qu’il présente d’ordinaire en avant de la caisse, inventé en 1838 par Rogez, chez qui il avait travaillé, qui lui valurent une médaille d’argent. S’inspirant d’une disposition de son clavier mobile qui, en s’abaissant, fait ouvrir un volet formé d’une partie du panneau placé au dessous du clavier, afin d’augmenter la sonorité comme cela a lieu avec les jalousies de la boîte expressive du grand orgue, A. Blondel a rendu mobile le panneau placé au-dessus du clavier et sur lequel sont fixés les flambeaux, pour le faire servir de pupitre et donner en même temps un large passage aux ondes sonores, qui ne trouvent plus d’issues suffisante depuis que la mode est venue de charger le couvercle des pianos de livres, statuettes et autres objets d’art (1890). Une des ingénieuses découvertes de cet infatigable chercheur est le piano-orgue à un seul clavier permettant de jouer séparément l’un ou l’autre de ces instruments, soit de les faire entendre simultanément ou bien encore d’employer la moitié de l’un et moitié de l’autre, de façon à obtenir les basses avec l’orgue ((p 197)) et le chant avec le piano et vice-versa. M. Adolp . Blondel est mort le 26 mars 1893, laissant à son fils Alphonse-Alexandre-Ferdinand, né à Paris le 14 avril 1852, dont il avait fait son collaborateur depuis 24 ans, le soin de maintenir sa maison au rang des plus honorables où il avait su l’élever et qui lui mérité, en 1840, le titre de fournisseur de l’académie de musique. C’est comme l’a dit sur sa tombe M. O. Commettant, le distingué critique du Siècle, par un travail persévérant dont il a été le témoin dès la première heure, et grâce aux facultés d’intuition qui donnèrent naissance à leur amitié dans des circonstances peu communes, que M. A. Blondel a pu convertir l’étroit atelier où il débuta avec deux ouvriers, en une manufacture dont les produits ont reçu les suffrages des maîtres du piano : F Planté, Marmonte, Mme Massart, etc.
Pianos - A Thibout
Après avoir fait son apprentissage chez Mussard et avoir travaillé quatre ans chez Pape, Thibout (Amédée-Benoit), fils du luthier J.-P. Thibout, dont il sera question plus loin, s’établit fort modestement en 1840. Il n’occupa d’abord que 20 à 25 ouvriers produisant 75 à 90 pianos par an ; en 1867, il en construisait environ 500 avec 80 ouvriers tant à l’atelier qu’au dehors ; aujourd’hui la maison en emploie une centaine et fait à peu près 700 pianos. A. Thibout s’est acquis une certaine réputation pour la fabrication des instruments à prix modérés ; il reçut des médailles de bronze en 1844 et 1849, puis des médailles d’argent en 1867 et 1878. A Vienne, en 1873, il obtint une médaille de mérite. Il mourut le 14 fév. 1877, à l’age de ((p 198)) 54 ans. Par suite de ce décès, c’est Mme veuve Thibout, qui prit part à l’exposition de 1889 où elle obtint une médaille d’argent pour ses divers instruments parmi lesquels on remarqua un piano à cadre en fer au prix très accessible de 550 fr., destiné à l’exportation. Mme veuve Thibout, en présence des suffrages recueillis par ses instruments et des récompenses précédemment obtenues (médaille d’or, Bruxelles, Amsterdam, Anvers) ne crut pas devoir accepter cette médaille et, par exploit d’huissier, elle notifia son refus à l’administration. En 1891, après avoir acquis le fonds H. Herz, Mme veuve Thibout s’est associée son fils Hugue-Amédée (né le 2 juin 1862), qui avait été nommé officier d’académie l’année précédente, et elle continue avec lui, sous la raison sociale Am. Thibout et Cie, son ancienne fabrication.
Pianos - A Bord
En 1843, alors qu’il commença à fabriquer lui même ses premiers pianos, Antone-Jean-Denis Bord, tout optimiste qu’il put être, ne dut certainement pas prévoir l’importance qu’acquerrait sa manufacture, laquelle comporte aujourd’hui 300 ouvriers et d’où il est sorti jusqu’ici 84 000 pianos, soit une moyenne de 12 par jours. Humble fils d’un boulanger de la rue des pénitents noirs, à Toulouse, où il naquit le 13 octobre 1814, A. Bord, à peine établi depuis un an, prenait part à l’exposition de 1844 et obtenait une médaille de bronze pour un petit piano à queue classé au 3e rang ; c’etait heureusement débuter. Cinq ans après, ce fut un grand piano à queue qui lui valut la médaille d’argent. A. Bord ne s’est pas attardé à la recherche de procédés nouveaux –il ((p 199)) n’imagina guère qu’un mécanisme à double échappement en 1851- il s’est spécialement appliqué à produire des instruments dans les meilleurs conditions économiques, et est ainsi parvenu à établir, entre autre, un système de piano droit au prix exceptionnel de 580 francs. Améliorant sans cesse sa fabrication, A. Bord obtint de hautes récompenses aux expositions françaises et étrangères (Méd. de 1re classe : Paris 1855, Londres 1862 ; méd. d’argent : Paris 1867 ; méd. d’or : Sidney, 1879, Melbourne 1880, Amsterdam, 1883), et en 1878, il fit parti du jury. A la suite de l’exposition d’Amsterdam où il avait soutenu dignement l’honneur de la facture française, A. Bord reçut du gouvernement français la croix de la Légion d’honneur (26 sept. 1883). En 1877, Antoine Bord avait appelé auprès de lui son neveu, M. Antonin Bord, né à Toulouse en 1853, pour en faire son élève et collaborateur, et à sa mort (5 mars 1888), ce dernier qui dirigeait les ateliers depuis 4 ans, devint son continuateur. C’est lui qui présenta en 1889 divers modèles de pianos toujours construits suivant les principe du bon marché établis par le fondateur, très remarqués du jury, notamment le piano petit format avec barrage en bois à 450 francs, celui à cordes verticales à cadre en fonte et sillet en dessus, le piano demi-oblique avec trois barres de fer et sommier prolongé ainsi que ceux à cadre en fonte et à cordes croisées, pour lesquels M. Antonin Bord reçut une nouvelle médaille d’or. Ce jeune facteur s’efforce de propager le système à cordes ((p 200)) croisées avec cadre en fer, et parmi les améliorations qu’il poursuit, il faut citer particulièrement la prolongation du son, problème qui de longue date, exerce la sagacité des facteurs, ainsi que l’adoption d’une nouvelle division du travail permettant à l’ouvrier d’acquérir une plus grande habileté et lui procurant un salaire plus élevé. Son envoi à Chicago comprend un petit modèle de piano à queue avec cadre en fonte d’acier et cordes croisées, construit sur un nouveau plan et dont la puissance, l’homogénéité des sons ainsi que la qualité du timbre sont à remarquer. Les pianos droits, également à cadres de métal et cordes croisées, sont pourvus de mécaniques à lames d’Erard, la seule qui convienne aux instruments à longue vibrations et d’une pédale douce par rapprochement des marteaux.
Pianos – divers facteurs
Un an après la fondation de la maison Bord, s’élevait celle de M. Prouw-Aubert (1844) aujourd’hui dirigée par M. L. Burgasser, qui s’est presque toujours abstenue aux expositions. En 1889, une mention a été accordée au propriétaire actuel. C’est de Prouw-Aubert qui eût l’idée de la vente à tempérament, qui contribua beaucoup à répandre le piano dans la classe bourgeoise. Contrairement à la précédente, la maison Aucher n’a guère manqué de participer aux expositions depuis 1849, où une médaille de bronze lui fut accordée pour un piano droit (Elle fut à Londres en 1851 et 1865 (M. H., à Paris en 1865 (méd de 2e classe), 1867 (bronze), 1889 (argent)) . En 1889, le jury constata que ((p 201)) les frères Aucher conservaient les « bonnes et anciennes traditions de la maison ». Un système de barrage mixte et d’agrafes mobiles posées sur le chevalet pour compenser la charge des cordes, imaginé en 1850 donne bonne sonorité aux instruments. Une semblable exactitude aux expositions est à noter pour l’établissement créé en 1846 par fréd. Elcké. (Médailles de bronze 1849, de 2e classe 1855, menton à Londres 1862, méd. de bronze, paris 1867 et d’argent 1878.) En 1878, ce facteur qui s’était fait aussi une loi de vendre à des prix peu élevés, et ne construisait que des pianos droits, avait réalisé de grand progrès constatés dans le rapport du jury. En prenant la direction de la maison (1878), M. Ed. Gouttière résolut d’attendre sa fabrication aux pianos à queue. A ce titre il reçut un diplôme d’honneur à Anvers (1885) et à Bruxelles (1888), mais c’est à l’exposition de 1889 que M. Gouttière obtint la meilleure consécration de son succès. En le plaçant « le premier sur la liste des médailles d’or », le jury reconnut à ses instruments de remarquables qualités. Deux d’entre eux fixèrent particulièrement son attention : le grand piano à queue de concert, modèle Erard, par sa « grande puissance de son et ses basses excellentes » ; et celui à cadre en fonte avec cordes croisées, par la beauté des sons, leur prolongement et leur égalité dans toute l’étendue. M. Gouttière a su placer sa maison au rang des plus réputées et des plus importantes ; il occupe 100 ouvriers et fabrique environ 700 pianos par an. ((p 202))
Pianos Gaveau
S’il est un nom très connu du public, c’est certainement celui de Joseph Gabriel Gaveau, né à Romorantin en 1824. Il n’a pas non plus accumulé les brevets d’inventions, pourtant il a introduit bien des modifications à la construction du piano et donné son nom à une mécanique adoptée par beaucoup de facteurs français et étrangers, connue sous le nom de mécanique Gaveau. Il est aussi l’auteur d’une transformation de la mécanique de piano à queue d’Erard, à laquelle il applique le ressort à boudin et d’un système de piano démontable en cinq parties. M. Gaveau a tenté d’obtenir l’amplification du son par réflexion, en plaçant une glace à quelques millimètres de la table d’harmonie ; l’expérience nous fixera sur la valeur de cette innovation présentée à l’exposition d 1889. En attendant, elle témoigne du souci et des soins que ce facteur apporte à sa fabrication. C’est en 1847 que M. Gaveau débuta, dans de fort modestes conditions ; aujourd’hui il occupe 200 ouvriers et construit environ 1 500 pianos par an ; sa production totale s’élève actuellement à près de 15 000 instruments. Ce facteur eut une médaille de deuxième classe en 1855, une d’argent en 1867. La médaille d’or en 1878 et en 1889, atteste l’excellence de la qualité de ses instruments, affirmée à diverses reprises aux expositions d’Amsterdam (1883), d’Anvers (1885) et de Bruxelles (1888) par le diplôme d’honneur. Depuis peu, M. Gaveau s’est adjoint ses six fils qu’il a placé à la tête des différents services de son usine.
Il est assez rare qu’une association ouvrière ait une existence durable, la Société des facteurs de pianos ((p 203)) fondée en 1849 s’est cependant maintenue jusqu’ici. En 1867, sous la raison sociale Yot, Schreck et Cie, elle obtint une mention honorable ; vers 1872, M. Hanel remplaça M. Schreck et aux expositions de 1878 et 1889, il représenta l’association avec M. Benard (méd. de bronze). Leurs instruments sont bons et de prix raisonnables.
Pianos - Pruvost
Encore un nom bien connu que celui de Pruvost ; ce n’est point pourtant pour avoir paru aux expositions. Bien qu’établi depuis 1850, Henri-Joseph Pruvost s’y présenta seulement pour la première fois en 1878. Il reçut une médaille d’argent pour ses pianos droits à sonorité bien homogène, construits sur des plans à lui particuliers. Deux ans après, il cédait la maison à son fils Henri, initié de bonne heure aux détails de la fabrication. Adoptant le cadre en fer, il lui fit subir des modifications propres à l’alléger, en compensant la diminution d’épaisseur par des nervures augmentant la résistance. Les modèles de pianos droits de ce facteur sont au nombre de cinq : deux à cordes croisées, deux à cordes obliques et un demi oblique dont les dimensions varient de 1 m 22 à 1 m 40 de hauteur ; le meilleur marché coûte 490 francs. V.-H. Pruvost père, décéda à Champigny, au commencement de juin 1892, âgé de 72 ans. Une médaille de bronze a été attribuée à son fils en 1889. Plus heureux, M. Victor Pruvost, oncle du précédent, dont la manufacture date de 1852, reçut une médaille d’argent à la même exposition. Il est vrai que les instruments soumis au jury étaient d’une bonne facture, consciencieuse et offrant de réelles qualités ((p 204)). Les termes du rapport sont des plus élogieux : « un piano à cadre en fer forgé d’une seule pièce, lisons nous, possédait une qualité de son aux vibrations étendues », un autre, de plus grand modèle, à cordes croisées, « joignait à une grande sonorité et à des vibrations prolongées, beaucoup d’égalité et de distinction » ; enfin le piano mi-oblique « avait une mécanique fort bien réglée, un son distingué et très égal ». Avec ces qualités, les pianos de M. V. Pruvost sont cependant à des prix fort accessibles, ce qui contribue à en assurer le succès. Ce facteur emploie les deux systèmes de mécanique, l’ancien, dit à baïonnette, et celui à lame d’Erard, qui donne une belle sonorité et une plus grande douceur. Depuis 1890, M. V. Pruvost a cédé sa maison à son fils Edmond-Victor, né le 7 juin 1863, qui suit les mêmes principes de fabrication.
Pianos divers
C’est de 1850 que date la maison fondée par Gervex père auquel son fils Félix a succédé. Il a obtenu une médaille de bronze en 1878 pour ses pianos droits et un système de pédales à ressort en bois, et une médaille d’argent en 1889. Périodiquement M. Gervex fait une loterie entre ses locataires de pianos et le gagnant reçoit un instrument de son choix. A la même époque remonte la fabrique crée par Focké père qui, après avoir associé son fils aîné, exposa en 1878 et reçut une médaille de bronze. En 1889, M. Focké fils aîné a présenté un essai de piano à queue avec double table d’harmonie à divisions, formant boites sonores pour renforcer toutes les notes du clavier (méd. d’or). L’ancienne maison Angenscheidt-Everhard (M. H. 1855 ((p 205)) et méd. de br. 1878), devenue la propriété de MM. Angenscheidt frère, a présenté deux innovations en 1889 : un piano vertical démontable par pièces de 40 kilog., pour l’exportation, dont ces fabricants se sont fait la spécialité, et un piano oblique à double table d’harmonie (méd. d’arg.) Après les facteurs dont il vient d’être question, il faut citer, toujours par ordre d’ancienneté, M. Ruch, originaire d’alsace, dont l’établissement date de 1869 et compte parmi les plus renommées. Sa facture est surtout artistique. Tout en continuant la fabrication des pianos droits et obliques d’après les traditions des meilleurs facteurs, M. Ruch a été un des premiers à adopter le système à cordes croisées et cadre en fer forgé avec la mécanique à double échappement d’Erard, pour les pianos à queue et celle à lames pour les pianos droits. Ses instruments ont une belle sonorité, pleine et puissante, et offrent une grande délicatesse de toucher. L’excellente fabrication de M. Ruch, (qu’il dirige lui-même, aucun piano ne sortant de ses ateliers sans avoir été revu par lui) a été très appréciée dès le principe, et son succès est allé toujours grandissant. Les hautes récompenses obtenues en France Et à l’étranger par ce facteur (Méd. d’argent, Paris, 1878 ; de mérite, Melbourne, 1880, d’or, Amsterdam, 1883, Anvers 1885 et Barcelone 1888.), et sa grande compétence, l’ont désigné pour faire partie du jury à l’exposition de 1889, où il fut par conséquent hors concours. Arrêtons ici cette nomenclature déjà bien longue. Parmi les facteurs contemporains qui nous resteraient ((p 206)) à nommer, il n’en est aucun qui ait à son actif une découverte importante, donnant lieu à une notice particulière. En général, ils s’attachent à construire le mieux possible les divers modèles créés et perfectionnés par leurs prédécesseurs, et beaucoup y réussissent, de façon à conserver à l’industrie des pianos français une excellente renommée. Bornons nous à donner ci-après le nom des lauréats des expositions de 1878 et 1889, dont il n’a pas encore été question. (MM.J. Lafontaine, établi en 1878, MH 1878, méd. d’arg, 1889 ; MM. Louis Lévêque, méd. de br. 1878, d’argent 1889 ; Jeanpert, méd. de br., 1878-89 ; Bauvais et fils ; Bellet ; Limonaire ; Mayeur fils ; Mertens ; Philippi frères , méd de br 1878 ; Constantz, M. H., 1878, méd. de br 1889 ; A. Guillot, M. H., 1878, méd. br. 1889, auquel MM. C. Renard et Cahouet viennent de succéder ; J. Nicolas Erard, méd. de bronze en 1878, qui ne s’est pas représenté en 1889 ; Eisenmerger, piano à diapasons légers et peu coûteux, M. H. 1878, un facteur de ce nom avait fait en 1858 des pianos inclinés ; J.-B. Gilson, M. H., 1878, dont la maison existait déjà en 1855. Facteurs ayant exposé pour la première fois en 1889 : Méd. d’arg. : P. Hansen, établi en 1874 ; Lévêque et Thersen, Tomasini (clavecins) ; Méd. de bronze : J.-B. Frantz, ancien marchand de pianos à Paris, mort en 1892 ; Gauss ; Labrousse ; Lary ; Legay, qui présenta un piano euthophone à deux tables d’harmonie . Mentions honorables : F Barrouin, auteur d’un durcisseur de clavier au moyen d’un régulateur à poids ; Dieffenbacher, dont la maison existait avant 1855 ; Jouffroy ; Leguérinais ; H. Leibner ; Toudy, dont la maison est antérieure, 1856 ; R. Vanet, qui a trouvé le moyen de supprimer le ressort d’échappement et l’a remplacé par un contre poids et a imaginé un clavier à toucher doux ou dur à volonté, brevet 1882-88 ; Winther. Dans notre revue des principaux facteurs, nous ((p 207)) n’avons encore rien dit des manufactures édifiées en province, aujourd’hui peu nombreuses et peu prospères, mais qui un moment furent redoutables pour la capitale, au point de vue de l’exportation.
Pianos - Boisselot
Boisselot (Jean-Louis), né en 1785, fut certainement bien avisé lorsqu’il choisit Marseille pour y établir sa fabrique en 1830. Aux protes de l’Italie, où il exporta largement, et à proximité des quais d’embarquement pour les diverses contrées du monde, il avait des débouchés faciles et moins coûteux que ses confrères parisiens. Sa situation devint rapidement prospère ; ayant débuté avec deux ouvriers, quatre ans après il était en état de fournir 150 pianos par an, et en 1839, avec 70 ouvriers, il en livrait de 2 à 300 à la consommation, chiffre qui s’accrut considérablement par la suite. D’ingénieuses innovations sont dues à ce facteur, entre autres le piano cledi-harmonique (1839), lequel permettait de monter 2 cordes à la fois, à l’unisson parfait, de supprimer la cheville ordinaire remplacée par une vis sans fin et de substituer au nœud ordinaire de la corde, une cheville d’attache à vis de pression ; la mécanique à fourche (1840) ; le piano à double son (1843) dont les marteaux frappaient à volonté 5 cordes, trois à l’unisson et deux à l’octave haute ; le piano planicorde dans lequel les cordes étaient remplacées par des lames d’acier. Ces recherches ne lui faisaient pas négliger la fabrication courante. Après avoir eu une mention honorable en 1834 et une médaille d’argent en 1839, Boisselot obtint une médaille d’or en 1844 pour un piano à queue placé au premier rang et un petit piano de même forme mis au second ((p 208)) rang. Boisselot père mourut au mois de mai 1847, laissant sa maison à son fils Louis-Constantin, associé depuis longtemps à ses travaux, mais qui ne lui survécut pas de beaucoup : la mort le surprit au mois de juin 1850. Force fut donc à son frère Dominique-François-Xavier, né à Montpellier le 3 décembre 1811 (C’est par erreur que l’article nécrologique du Ménestrel du 16 avril indique la ville de Marseille comme lieu de naissance), qui avait obtenu le Grand prix de Rome pour la composition musicale en 1836, et fait représenter avec succès, en 1847, son opéra-comique Ne touchez pas à la reine, d’abandonner la composition pour donner tous ses soins à la fabrication des pianos. Il ne fut pas moins bon facteur qu’habile musicien ; une seconde médaille d’or avait été décernée à son frère en 1849 ; il obtint une méd. de 1re classe en 1855 et, à Londres en 1862, il reçut la même distinction pour la perfection de ses instruments, auxquels il sut donner une belle et ample sonorité, par une plus grande longueur et un plus gros volume des cordes. X. Boisselot est mort le 8 avril 1893. Voici quelque 25 ans qu’il ne s’occupait plus de facture ; à la suite de l’incendie (1865) de la manufacture fondée par son frère à Barcelone vers 1850, il avait abandonné la maison à son neveu Frantz dont le fils a pris la suite. Un autre facteur, nommé Schulz, après avoir travaillé quelques années à Paris, se fixa à Marseille ; il obtint une mention en 1844 et une médaille de bronze en 1849.
Pianos - Mangeot
Tandis que Boisselot père s’établissait à Marseille, Pierre Hyacinthe Mangeot fondait une fabrique de ((p 209)) pianos à Nancy (1830) qu’il cédait à ses fils Alfred et Edouard-Joseph en 1859, n’ayant participé qu’à des exposition régionales (Nancy 1833-43). Ces derniers firent remarquer à l’exposition de Londres (1862), un piano à cordes obliques d’une charmante sonorité, lequel était muni d’un système de contre-tirage opposant une résistance convenable à la tension des cordes. En 1867, les frères Mangeot qui occupaient 60 ouvriers et faisaient 360 pianos par an, alors qu’in 1850 leur père n’en fabriquait que 180, adoptèrent d’enthousiasme les modèles américains, qui devinrent la base de leur fabrication ; ils les réussirent assez bien pour mériter une médaille d’argent. Mais il était réservé à ces facteurs de faire la tentative la plus originale que l’on ait à enregistrer, en construisant le piano à deux claviers renversé, qui fut la curiosité de l’exposition de 1878. Cet instrument réunit deux pianos à queue superposés de façon à ce que la corde la plus grave du premier se trouve en vis à vis de la corde la plus aiguë du second. L’idée d’un semblable instrument appartient au fameux pianiste J Wienawski alors professeur à Bruxelles qui dans une conversation tenue en 1877, racontait que les facteurs étrangers auxquels ils s’étaient adressé, avaient refusé de l’entreprendre, vu les difficultés à surmonter. Séduits immédiatement, MM. Mangeot réalisèrent l’instrument que le pianiste polonais Zarebski fit entendre aux visiteurs de l’exposition. L’avantage qui résultait de cette disposition des claviers, consistait dans la suppression de l’écartement du bras pour atteindre aux limites extrêmes de l’étendue et des ((p 210)) croisements de mains, avantages bien minces en comparaison des études auxquelles ce système entraînait l’exécutant. Il a cependant été fait six de ces instruments, sur lesquels il y en a un au Conservatoire de Varsovie et un autre à Bruxelles ; leur prix était de 5.000 fr. Avec une plus grande facilité d’exécution, MM. Mangeot frères parvinrent à faire quelques pianos droits du même système au prix de 2.500 fr. La médaille d’or leur échut et M Ed. Mangeot, aujourd’hui directeur du journal Le monde Musical, reçut la croix de la légion d’honneur (20 octobre 1878) ; son frère Alfred est décédé le 29 avril 1889. Egalement à Nancy était, dès avant 1855, J Staub, gendre de Warnecke, qui eut une médaille de bronze en 1878 et auquel son fils a succédé.
Pianos
A Lyon, toujours en 1830, s’installait Samuel Wirth qui, pour payer son tribut à l’innovation, produisit en 1840 un piano-doucine de forme et de mécanisme différent des pianos ordinaires et un double échappement à frappé en dessus avec un nouveau jeu d’étouffoirs, exposés en 1844 ; puis en 1854, un nouveau genre d’échappement pour pianos droits. S. Wirth s’est contenté de ses succès locaux, car depuis la mention qu’il remporta à Paris en 1844 (époque à laquelle il employait 15 ouvriers et faisait une soixantaine d’instruments par an), il déserta les lutes pacifiques du Palais de l’industrie et du Champ de Mars. Ce n’est qu’en 1889 que son successeur M. Aurand-Wirth sortit de cette réserve et reçut une médaille de bronze, pour les jolis pianos qu’il présenta. Ce facteur n’est plus le seul dans la cité Lyonnaise ((p 211)), il compte aujourd’hui un concurrent sérieux, M. Baruth, qui présenta en 1878 des pianos droits d’un travail soigné, à sons homogènes (médaille de bronze), et obtint une médaille d’argent en 1889. De Lyon, franchissons les 280 kilomètres qui nous séparent de la ville de Nîmes, pour donner un souvenir à Pol-Louis qui, en 1854, imagina, pour éviter les ruptures occasionnées par la tension et la distension des cordes lors de l’accord, d’employer la pression angulaire au moyen d’une cheville à vis, dont l’effet fut de rendre la corde sensible au moindre effort (méd. de 2e classe, 1855). Mieux que ce succès éphémère, le piano qui est au musée Kraus à Florence, conservera le nom de l'ingénieux facteur nîmois, qui a aussi tenté de donner à la table d'harmonie du piano, la forme de celle du violon (1854). Une mention fut accordée en 1855 à deux autres facteurs de Nîmes : Maury et Dumas. Suivons maintenant le cous capricieux de la Loire et arrivons à Orléans, où était établi J. Ch. Loddé qui se distingua en 1854 par quelques perfectionnements et par l’adjonction au piano droit, d’un clavier de pédales de 27 notes, faisant vibrer des cordes indépendantes de celles du clavier à mains, aussi récompensé d’une médaille de 2e classe en 1855. En 1878, Louis Loddé lui avait succédé. A Nantes, nous trouvons J. Lété, marchand de pianos dès 1827, devenu fabricant en 1847. Les succès régionaux lui suffirent, mais M. L. Didion, son successeur depuis 1871, fut plus ambitieux et la chance le favorisa d’une médaille d’argent en 1878, et, en 1889, il fit partie du juré en qualité ((p 212)) d’expert. Hors concours, ce facteur exposa des pianos droits à cordes obliques, établis pour résister aux influences atmosphérique du voisinage de la mer. La majeure partie des pièces ayant servi à la fabrication de ces instruments était de provenances parisienne, lisons-nous dans le rapport de M. Thibouville-Lamy, ce qui veut dire, en d’autres termes, que ce facteur ne construit pas entièrement ses pianos. Ils possèdent cependant un caractère de facture spécial, ajoute le susdit rapporteur. La ville de Toulouse ne pouvait rester en arrière. Grâce à Martin fils aîné dont le frère, Casimir Martin, inventeur du Chirogymnaste avait exposé un piano secrétaire en 1844 avant de s’établir à Madrid, elle eut sa manufacture de pianos vers 1840 et elle figura avec honneur aux expositions de Londres en 1862 (prize medal) et de Paris en 1867 et 1878 (méd. d’argent). A cette dernière, la raison sociale était devenu Martin et Cie. On le voit la facture de pianos n’a pas été bien considérable en province et c’est Paris, qui est resté le véritable foyer de cette fabrication.
Harpes
Trois facteurs de harpes du XVIIIe siècle continuèrent à exercer directement ou par leurs descendants pendant une partie du XIXe siècle, et, (faut-il le dire ?) ils ne comptèrent point parmi les partisans de la harpe à double mouvement, soit par un reste d’attachement au passé, soit par intérêt commercial. Mais en présence des ressources nouvelles qu’apportait ce système, quelques-uns ((p 213)) cherchèrent à en donner l’équivalent par d’autres moyens. (Piane fit breveter en 1813 un mécanisme propre à exécuter les demi-tons et doubles demi-tons avec facilité, et, l’année suivante, Gilles appliqua à la harpe un système ayant le même but, mais en addition aux tons produits par la même corde.) Les frères Naderman (François-Joseph et Henry) fils d’un célèbre facteur de harpe du XVIIIe siècle, ne furent pas de ceux-là. Nous avons dit (p 167) avec quelle opiniâtreté ils défendirent l’antique système, qu’ils fabriquaient d’ailleurs d’une façon parfaite ; ce qui leur valut une médaille d’argent en 1823 et en 1827. L’aîné, François-Joseph, naquit à Paris en 1773, il y mourut le 3 avril après avoir été pendant 10 ans professeur au Conservatoire ; le second, Henri, est né en 1780, il fut aussi virtuose. C’est lui qui écrivit en 1815 et 1828, trois brochures contre la harpe à double mouvement. Cousineau père et fils, déjà cités au chapitre précédent, qui avaient fait breveter en 1799 un mécanisme pour tendre les cordes, et en 1803, une mécanique « à plans inclinés paraboliques et à renforcement acoustique », obtinrent une médaille d’argent en 1806 et en 1819. Pierre Chailliot, qui avait succédé à son père Antoine, présenta en 1820, des harpes avec pédales munies d’un mécanisme particulier pour lesquelles il reçut une mention. En 1827, une médaille de bronze lui fut décernée pour de belles harpes ; il mourut en février 1839. Son fils Etienne avait pris en 1836 un brevet pour un système tendant à éviter la casse des cordes, par un mécanisme réduisant de plusieurs ((p 214)) degrés l’angle formé par la colonne et la table d’harmonie ; en 1839, il voulut faciliter le jeu de la main droite en plaçant les cordes de côté, et en même temps, il allongea la table d’harmonie en la courbant de façon à ce qu’elle s’étende jusqu’à la colonne, et couvre la moitié de la cuvette. Pour ces innovations qui n’ont point prévalu, il reçut une médaille de bronze en 1839. A l’exemple d’Erard, Pleyel voulut joindre la harpe à sa fabrication, et en 1834 il en exposa à simple et double mouvement, d’après un système d’une grande simplicité dû au harpiste Dizi qui furent reconnues les meilleures après celles d’Erard ; mais ce facteur ne persista pas longtemps dans cette spécialité. Domeny (Louis-Joseph) est de ceux qui tentèrent de réagir contre le courant de défaveur qui se manifestait envers la harpe. En 1827, il exposa des instruments remarquables de fini et de solidité, dans lesquels il avait introduit un perfectionnement, dont le résultat était un raccourcissement du diapason avec une plus grand longueur des cordes du haut et dont les pédales étaient coudées (méd. d’arg.). En 1834, ses harpes offraient quelques modifications au mécanisme réglant les demi-tons. Après avoir obtenu des médailles d’argent en 1834, 39 et 44, Domeny reçut une médaille d’or en 1849 et une mention à Londres en 1851 ; il fabriquait indistinctement des harpes simples et à double mouvement. En 1855, il soumit divers changements à cette dernière. Comme E. Challiot il voulut obvier à la rupture des cordes par leur dissension, mais il l’obtint par un moyen différent : ((p 215)) la mobilité de la console ; enfin, il tenta de supprimer le mouvement d’une fourchette au premier accrochement, pour éviter le frisement ; le second disque n’accomplissait son effet qu’au second accrochement. La facture des harpes a subi des fortunes diverses. Après avoir eu une vogue considérable, cet instrument perdit faveur vers 1827, au point de faire redouter un abandon prochain qui ne tarda pas à se produire. En 1855, on dut déplorer cette fâcheuse situation d’autant plus extraordinaire, qu’elle s’accentuait à mesure que l’instrument se perfectionnait et que s’élargissait son domaine. En 1867, l’intérêt pour ce bel instrument n’avait pas repris, et si quatre facteurs avaient encore exposé des harpes en 1839, sans la maison Erard on n’en eût vu aucune, ni en cette année 1867, ni en 1878 non plus qu’en 1889. On peut dire sans exagération, que c’est le piano qui a tué la harpe, car si les besoins de l’orchestration moderne n’exigeaient impérieusement l’emploi de cet instrument, elle ne serait peut-être plus qu’un souvenir à l’heure actuelle.
3. Facteurs d’Orgues et d’Harmoniums.
Orgues Cavaillé-Coll.
Dans la facture des orgues, Aristide Cavaillé-Coll s’est acquis une renommée égale à celle d’Erard pour les pianos. Il occupe sans contredit la première place parmi ses confrères de France et même de l’étranger. Ces derniers le reconnaissent d’ailleurs très ((p 216)) volontiers : « En ce qui concerne les orgues de M. Cavaillé-Coll, a dit l’éminent directeur du Conservatoire de Bruxelles, M. Gevaert, mon opinion, d’accord avec celle de tous les artistes compétents, est que ses instruments sont incomparablement supérieurs à tout ce qui se fait dans l’Europe entière » (Causerie sur le grand orgue de la maison Cavaillé-Coll, Avranche, 1890, p 11) ; à quoi M. Best, de Londres, ajoute : « En quelque lieu que ce soit, M. Cavaillé-Coll est considéré comme un artiste tenant absolument le premier rang ». L’unanimité dans les éloges, que rencontre ce facteur, est justifié par les améliorations importantes qu’il a apporté au plus majestueux des instruments. Pour les énumérer, il faudrait un volume, car il n’est pas un organe de cet instrument si compliqué, qui n’ait été l’objet des recherches et des perfectionnements de cet éminent organier. Ecrire son histoire serait faire une étude sur la transformation de l’orgue en ce siècle. La meilleure preuve de l’utilité des inventions de M. Cavaillé-Coll, c’est qu’elles ont été adoptée par tous les facteurs, car leur auteur les a généreusement laissées dans le domaine public. (A ce sujet, M. Lemmens, célèbre organiste belge écrivait : « M. Cavaillé-Coll n’a pas de rival sérieux. Les facteurs d’orgues de toutes les nations sont forcés de lui emprunter ses belles inventions, qu’en véritable artiste, il a abandonné à la facture ; »loc. cit.). Si nous ne pouvons analyser ici ses nombreuses découvertes, nous signalerons celles qui ont le plus marqué la facture : les réservoirs ((p 217)) d’air à diverses pressions, donnant une égalité de son inconnue auparavant ; les jeux harmoniques apportant la rondeur, l’éclat et l’intensité de son qui manquaient ; la multiplicité des laies, les pédales et registres de combinaisons actionnés par des moteurs à double mouvement, imaginés d’après le levier de Barker, donnant à l’organiste le moyen d’avoir successivement et par la seule manœuvre d’un bouton, différents mélanges de jeux sur le même clavier. C’est à ce savant facteur que l’on doit aussi la formule soumise à l’Académie des sciences en 1860 et connue sous le nom de loi Cavaillé-Coll, à l’aide de laquelle on peut calculer exactement les dimensions à donner aux tuyaux, pour obtenir des sons déterminés ; formule que les acousticiens appellent « empirique » parce qu’elle ne s’explique pas scientifiquement, mais qui n’en est pas moins conforme à la pratique et dont ils sont forcés de reconnaître la justesse. (Antérieurement, M. Cavaillé-Coll avait déjà soumis à l’académie des Sciences un mémoire : Etude expérimentales sur les tuyaux d’orgues. Séance du 24 février 1849.) La renommée de notre grand facteur est universelle et il est peu de pays qui ne possède d’instrument de sa fabrication. Plus d’un millier d’orgues ont été construits jusqu’ici sous sa direction, M. Philbert en a publié une liste en 1876 dans son volume l’Orgue du Palais de l’Industrie d’Amsterdam. Ils se font tous remarquer par la savante composition, le choix des matériaux, la perfection du mécanisme, d’une exécution telle que dans de ((p 218)) lointaines années ils témoigneront encore de la parfaite conscience de leur auteur et de son travail plus artistique, qu mercantile, alors que d’autres instruments moins coûteux au début, auront subi les ravages du temps. Parmi les magnifiques instruments de M. A. Cavaillé-Coll, citons ceux de St-Denis (1841), de la madeleine, (1846), de St-Sulpice (1862), de Notre-Dame (1867), de Sheffield (1873), du Trocadéro (1878), du Conservatoire de Bruxelles (1880), de St-Ouen de Rouen (1890). Jamais carrière ne fut mieux remplie, car dès l’age de 11 ans, A. Cavaillé-Coll, né à Montpellier le 4 février 1811, travaillait avec son père à l’orgue de Nîmes et c’est à 23 ans qu’il conçut et réalisé les modifications importantes qui firent l’admiration des juges du concours pour la construction de l’orgue de St-Denis. Depuis, les récompenses les plus flatteuses lui ont été décernées ; médaille d’or, diplôme d’honneur, etc. Nommé chevalier de la légion d’honneur en 1849, M. Cavaillé-Coll a été fait officier de cet ordre le 20 octobre 1878. Après avoir collaboré pendant onze ans aux travaux de son père, M. Gabriel Cavaillé-Coll, né à Paris, le 17 octobre 1864, s’en est séparé le 17 mai 1892, pour fondre une nouvelle maison. Digne en tout point du nom qu’il porte, ce jeune facteur a déjà donné la mesure de ses capacités, dans les divers travaux qu’il a conçus et dirigés, soit dans la maison paternelle, soit dans la sienne. Parmi les premiers, il faut citer : 1° un nouveau système d’orgue électrique ; 2° un système de sommier basé sur une distribution d’air différente de celle en usage, ((p 219)) pour les jeux du clavier de pédale, rendant les mouvements aussi doux aux pieds que ceux du clavier à main, et donnant une meilleur alimentation des jeux, dont la première application a été faite, en 1889, aux orgues d’Amiens et des Andelys ; 3° un système de transmission tubulaire dans lequel l’action de l’air comprimé est entièrement substituée aux mouvements mécaniques ordinaires : registres, éviers, vergettes, etc. ; un petit tuyau établi directement la communication entre la touche et le sommier, à l’instar du fil conducteur dans les orgues électriques, système imaginé pour l’église St-Gervais à Rouen, dont la disposition ne permettait pas ((p 220)) l’emploi des anciens procédés de transmission (1889). Pour son compte personnel, M. Gabriel Cavaillé-Coll a restauré l’orgue de Villejuif et construit un grand orgue d’accompagnement pour l’église paroissiale de St-Emilion et un orgue de salon placé chez M. Widor, le célèbre organiste de St-Sulpice et professeur du Conservatoire, qui se compose de 9 jeux en 8 pieds ouverts, avec 2 claviers à mains, pédalier et soufflerie hydraulique (Figure p 219). Cet instrument, dont le buffet a été dessiné fort artistiquement par M. Emmanuel Cavaillé-Coll, frère aîné du constructeur, est un petit chef-d’œuvre de facture. Ainsi se perpétuent les traditions qui illustrent la famille depuis plus d’un siècle et demi.
Orgues
Moins célèbre que les Cavaillé, Louis-Paul Dallery, né le 24 février 1797 à Paris, s’est cependant fait remarquer par des travaux importants aux orgues de la Couture, de Bourges et de la chapelle de la Sorbonne. A partir de 1826, il exerça seul et débuta par des réparations assez considérables aux orgues de l’église de St-Ouen, à Rouen (1826-38) et de St-Germain-l’Auxerrois, de St-Nicolas-des-Champs, de St-Severin, de Notre-Dame de Paris, etc., et d’importants changements à celles de St-Thomas-d’Aquin (1842), de St-Gervais (1843), de St-Germain-l’Auxerrois (1844). Successeur de Somer, vers 1821, Louis Callinet (Plusieurs membres de sa famille ont exercé la facture d’orgues, parmi lesquels Claude-Ignace Collinet, né à Rouffach (Haut-Rhin) en 1803, qui fut associé quelques années à son frère aîné. Ils firent ensemble 38 orgues neufs, pour la plupart en alsace. J. Callinet en fit seul une trentaine, entre autres celui de Saint-Chamont, de Bourg) ((p 221)) n’a pas de grands travaux à son actif, hors l’orgue de l’oratoire de la rue Saint-Honoré. Il vendit, en 1839, son fonds à Daublaine, avec qui il fut associé pendant cinq ans (F. Danjou fut le fondateur et le directeur artistique de l’entreprise à laquelle il intéressa les meilleurs spécialistes. Une succursale fut établie à Lyon sous la direction de Th Sauer.), après quoi il entra comme ouvrier chez Cavaillé-Coll, où il resta jusqu’à sa mort, en 1846. Un peu avant 1844, cette maison fut reconstituée sous la raison sociale Girard et Cie ( En 1803, d’autres facteurs, les frères Philippe et Frédéric Girard firent breveter un procédé de construction de tuyaux permettant d’enfler ou de diminuer à volonté les sons, sans en changer la nature ou la justesse.), Barker y était entré comme contremaître en 1842. Les plus importantes travaux de ces facteurs sont la reconstruction de l’orgue de St-Eustache (1844) et la restauration de celui de St-Sulpice (1844-46). Pierre-Alex. Ducroquet leur succéda et sut donner une grande impulsion à son établissement. Seul facteur français en concurrence avec les facteurs anglais à Londres, en 1851, il remporta la grande médaille d’honneur qui lui valut, en France, la croix de la Légion d’honneur (22 nov. 1851). Ses derniers instruments, sont le second orgue de St-Eustache et celui qu’il présenta à l’exposition de 1855, comprenant les derniers perfectionnements connus et ceux qui lui sont personnels, ainsi que les nouveaux jeux qu’il venait de créer : la flûte à pavillon, l’ophicléide, le kéraulophone. P.-A. Ducrocquet ((p 222)) se retira peu après ; il mourut à Varennes (Somme), le 29 juillet 1877. Désireuse de l’établir en France, la maison Merklin-Schutze, de Bruxelles, prit la suite de Ducroquet à Paris et à Lyon. Depuis 1855, où ces facteurs obtinrent une médaille de 1re classe, ils n’ont plus reçu que des médailles d’or (1867-78-89). « Ce facteur, qui s’inspire encore plus des organiers allemands que des organiers français, écrivait le rapporteur du jury en 1878, applique à ses instruments de moyenne dimensions, le système de transmission facultative des jeux d’un clavier sur un autre ou même sur le pédalier ». M. Jos Merklin, né le 17 février 1819 à Oberkausen (duché de Bade) est chevalier de la Légion d’honneur depuis le 30 juin 1867 ; il s’est fait remarquer surtout par l’application de l’électricité aux grandes orgues (1881) que longtemps avant lui M. Alb. Feschard et Barker avaient réalisé pour la première fois dans l’orgue de Salon (1866) et de St-Augustin à Paris (Alb. Peschard. Les premières applications de l’électricité aux grandes orgues, Paris, 1890.)(1868), dans un temps où ce fluide ne jouissait pas d’une faveur comparable à celle qu’il a obtenue depuis une vingtaine d’année. Le procédé employé par M. Merklin est emprunté à MM. Schmoèle et Mols qui se sont inspirés du système A. Peschard. Un facteur anglais, John Abbey, né à Wilton le 22 décembre 1785, s’est acquis en France un juste renom. Il vint à Paris en 1826, appelé par S. Erard pour ((p 223)) coopérer à la construction des orgues de la maison de la légion d’honneur à Saint-Denis, de la chapelle des Tuileries (L’exécution du jeu expressif imaginé par Erard, fut confiée par lui à Cosyn, ex-ouvrier de Grenié. Ce premier orgue fut détruit en grande partie en 1830 et complètement refait par P. Erard en 1855) et du château de la Muette, résidence d’Erard. (Cet instrument est aujourd’hui placé dans la grande salle du Conservatoire.) Abbey, introduisit dans ces instruments le mécanisme anglais et la soufflerie à plis renversés imaginée en 1814 par son compatriote Cummins. L’invention de la boîte expressive à l’aide de laquelle on fait varier l’intensité du son est attribuée à J. Abbey. (Lété de Mirecourt, a revendiqué la priorité de ce procédé, employé par lui en 1825. (rapport du jury, 1839, t II, p 357). Une disposition analogue était appliquée à un piano droit de Mercier exposé en 1834.) Ce facteur apporta aussi d’Angleterre l’usage des pédales d’appel et de combinaisons. (Le système anglais propagé en France par Abbey dispensait l’organiste de tirer ou de pousser avec la main, les registres formant combinaison, mais la composition de ces combinaisons déterminées à l’avance par le facteur, était toujours la même et l’organiste ne pouvait y introduire les jeux de son choix, sans manœuvrer les registres à la main comme à l’ordinaire. Le système imaginé par Cavaillé-Coll laisse au contraire à l’exécutant toute liberté de mélanger les jeux à son gré, l’action des pédales s’exerçant au sommier et non sur les registres. (La Fage, l’Orgue de l’église royale de St-Denis, 1846, 2e édition, p 67, 68)) Etabli à son compte, il ne tarda pas à s’attirer la faveur des artistes. Ses orgues, de petites dimensions, prirent facilement place au salon et c’est peut-être leur succès qui décida La Fage, alors maître de chapelle à ((p 224)) St-Etienne-du-Mont à en demander un pour l’accompagnement de la musique du chœur et du plain-chant (La Fage. L’orgue de l’église royale de St-Denis (loc . cit.) p 52, note 1.) C’est donc J. Abbey qui construisit en 1829 le premier orgue de ce genre, dont l’usage devait se généraliser ; il en fit environ 25. Parmi les grandes orgues faites ou restaurées par Abbey, citons celles des cathédrales d’Amiens, de Châlons-sur-Marne, de La Rochelle, de St-Flour, de Moulins, de Nevers, d’Evreux, de Tulle, etc.. Ce dernier, présenté à l’exposition de 1839, valut à son auteur la plus haute récompense (médaille de bronze) décernée pour les orgues. Lorsqu’il fut chargé (vers 1842) de la réparation de l’orgue de la cathédrale de Versailles, Abbey se fixa dans cette ville où il mourut en 1859. Ses fils, E. et J. Abbey lui ont succédé. Ils ont obtenu une médaille d’argent en 1878 pour les excellentes améliorations qu’ils présentaient : pédalier concave, régulateur en métal appliqué aux jeux de fonds de menue taille (système adopté par beaucoup de facteurs) ; la même récompense leur échut en 1889. S’ils n’ont pas obtenu plus, c’est évidemment à cause des dimensions peu considérables de l’instrument exposé, car le rapport du jury constate le soin apporté aux détails, notamment à la soufflerie « traite de main de maître », ainsi que la distinction et l’homogénéité des sons. MM. E. et J. Abbey ont construit ou réparé jusqu’ici 70 instruments (orgues de chœur ou grandes orgues) dont les plus importants sont ceux d’Amiens (église St-Martin, de Chartre (cathédrale) ((p 225)), de Gonesse, de Neuilly, de Versailles (St-Symphorien), de Louviers et des églises St-Georges, St-François-de-Sales, de l’immaculée Conception, de Notre-Dame-de-Lorette, et de St-Severin, à Paris, ce dernier récemment inauguré. Ch. Sp. Barker (né à Bath, le 10 oct. 1806), l’auteur du levier pneumatique, venu en France en 1838, par suite de l’opposition qu’il rencontra dans son pays et dont la merveilleuse invention ne fut appréciée que grâce à la perspicacité de M. Cavaillé-Coll, et à l’application qu’il en fit pour la première fois à l’orgue de St-Denis, dirigea pendant dix ans les ateliers de la maison Ducroquet. Il fit breveter en 1839 divers perfectionnements, tendant à diminuer la résistance au toucher, à produire des sons à l’octave par accouplement et à rendre plus sensible la modération des sons de l’écho (boite expressive). En 1855, le jury reconnut les services qu’il avait rendu à la facture, en lui accordant une médaille de 1re classe, bien qu’il ne fût pas exposant, et le gouvernement le nomma chevalier de la Légion d’honneur le 14 novembre de la même année. En 1860, Barker s’associa avec Ch. Verschneider –qui mourut peu après (1865)- et fit, avec la collaboration de M. Alb. Peschard, la première application de l’électricité aux grandes orgues, ainsi que nous l’avons dit plus haut. Barker est mort en 1880. A la transformation de la maison Daublaine et Callinet en société Girard et Cie, Ant. L. Suret qui en était un des premiers ouvriers, s’en sépara et s’établit à son compte. En 1844, il put exposer un petit ((p 226)) instrument dont il fut récompensé par une médaille de bronze ; l’orgue de St-Laurent lui valut en 1849 la médaille d’argent et celui de Ste-Elisabeth du Temple, se distinguant par la qualité des jeux, l’égalité et la promptitude d’articulation, fut l’occasion d’une médaille de 1re classe en 1855. La facture d’orgue, un moment abandonnée, avait repris faveur depuis l’impulsion que les travaux de Cavaillé-Coll lui avait imprimée ; conséquemment de nouveaux facteurs surgissaient, et ce mouvement de reprise, se trouvait favorisé par la liberté qu’ils avaient d’appliquer les belles découvertes de l’illustre organier. Parmi les nouveaux venus, signalons P. Domingolle, inventeur de l’orgue à double piston (Méd de bronze 1839, 49, 55) ; Charles. J-B Gadault, établi avant 1834 (médaille de bronze, 1849, méd d’honneur 1855) ; J-B. Aug Boudsocq, qui avait travaillé successivement dans les meilleurs ateliers de Paris, mais dont les travaux personnels ne se sont pas imposés ; Stoltz et Schaaf qui, pour réaliser la construction à bon marché, abandonnèrent les avantages apportés par les derniers perfectionnements, soit en plaçant les jeux d’anches et de fond sur les mêmes sommiers, malgré l’inconvénient reconnu ; soit en employant pour les tuyaux un métal de qualité inférieure, composé mi-partie de plomb et d’étain ; une médaille de 2eme classe leur fut pourtant attribuée en 1855. Ces principes de construction n’étaient point changés en 1867 (méd. de bronze), car la même remarque fut faite, M. Stoltz fils ayant alors succédé à Schaaf ; mais en 1878, MM Stolz n’eurent pas à encourir ((p 227)) semblable reproche, et pour bien dégager leur nouvelle manière, le rapporteur donne le détail de la composition de l’instrument présenté (médaille d’argent). Sans insister sur ce point, il écrivait que l’instrument comprenait 20 jeux complets et réels. Cette réflexion était amenée par l’habitude prise par certains facteurs, dont la spécialité était le bon marché, d’éblouir l’acheteur par un nombre considérable de boutons de registres, qui n’agissaient en réalité que sur des demi-jeux, ou en accouplaient plusieurs sous forme d’une dénomination quelconque, afin de faire croire à l’importance de l’instrument. Dès son début, M. Fermis (A. J.)), associé à M. Eug. Persil, se signalait par une innovation remarquable, très appréciée en 1878 : l’emploi de l’air comprimé substitué à l’électricité pour faire parler les tuyaux. Ce système était appliqué à un orgue de chapelle et au grand orgue de l’église St François-Xavier ; il fut récompensé d’une médaille d’argent. Un autre lauréat de l’exposition de 1878 qui a peu fait parler de lui depuis, M. P. Chazelle d’Avallon qui avait déjà exposé en 1867, présentait des orgues à bas prix (méd. de Bronze). La même année Paul Férat se faisait connaître par une série d’orgues à tuyaux de petites dimensions, se composant de 3 jeux, ne coûtant pas plus cher qu’un harmonium (2.200 Francs) et se démontant pour la facilité du transport (Méd. de bronze). C’est également à la construction des petits orgues que s’attache P. Archimède Pilverdier, mais il n’a pas seulement en vue l’église, il les fait de façon à ce ((p 228)) qu’elles aient facilement accès au salon. A cet effet, il leur donne des dimensions très restreintes : 2m 70 de hauteur, 1m 35 de long ; mais comme un buffet aussi petit ne saurait contenir un grand nombre de gros tuyaux, suivant l’exemple de certains autres facteurs, il les a rendus polyphones à l’instar des instruments à souffle humain, en perçant sur la paroi des trous fermés par des clés, que les touches vont ouvrir lorsqu’elles sont abaissées (méd de bronze, 1889). En province, la facture d’orgue resta, au commencement de ce siècle, ce qu’elle était au XVIIIe ; d’ailleurs, comme à Paris, elle subit la stagnation qui suivit la révolution. Très peu de noms par conséquent à citer : Fr Joseph Carlier (né à St-Amand-Les-Eaux, le 2 avril 1787) établi avec son père à Douai en 1808, construisit une quarantaine d’instruments (On cite les orgues de Notre-Dame, à Douai ; de Marchienne, de la cathédrale d’Arras, de la Madeleine, à Lille, etc., parmi les meilleurs). fit une soixantaine de réparations, inventa un mécanisme basculaire pour égaliser la force du vent ainsi qu’un jeu de cor et de trompettes céleste ; Pierre Lefèvre, de Verbery (Oise), remit en état l’orgue de la cathédrale de Sens (1806) ; Dominique Huet, (Mirecourt ?) de Caen, rétablit l’orgue de Ste Croix, à Bernay, en 1816 ; Cuvillier, né à Neufchateau en 1801, fit les orgues de Bon Secours, St Pierre et St Nicolas, à Nancy et restaura complètement celui de la cathédrale (1826) ; Ergaut répara celui de St-Alpin à Châlons (1834), remanié plus tard (1862) par Jacquet de Bar-Le-Duc ; ((p 229)) ; Auguste Zeiger, né en Alsace en 1805, établi à Lyon en 1835, inventeur d’un jeu de voix humaines, auteur de 33 orgues (méd. d’argent 1849) ; Wetzel, de Strasbourg, fit l’instrument de l’église de St Loup à Châlons (1839) ; P. A. Moitessier (Mirecourt), originaire de Carcassonne, établi à Montpellier, auteur d’un mécanisme transpositeur analogue à celui de Roller, adapté au grand orgue du temple protestant de cette ville, construisit ou restaura les orgues de Béziers (1841), de Carcassonne (1842), de Forcalquier (1847) ; G. Luce, auteur des orgues de St-Denis de Lisieux (1818), de Cormeille (1841), restaura celles de St-Germain d’Argentan (1839), Falaise (1842), de St Pierre de Dreux (1843) et de N-D d’Alençon (1846 47) que les frères Damiens de Gaillon (Eure), qui avaient exposé un petit orgue en 1867, devaient augmenter en 1872. Nicolas Antoine Lété, né à Mirecourt le 29 mars 1793, d’un luthier en gros (Simon?) (Antoine), s’est livré à la fabrication des orgues sur une assez grande échelle. Après avoir séjourné à New-York de 1814 à 1821, il resta quelque temps à Paris où il appliqua le premier, dit-il, en 1825, la boite à lame mobiles à un orgue à cylindre et fit en 1829 l’orgue d’accompagnement de St Leu. En 1832, il se fixa dans sa ville natale et y créa une fabrique d’orgue, dans laquelle il occupa de 20 à 25 ouvriers. Il construisit 23 orgues dans la région, entre autre celles de Bar-sur-Aube, Annecy, Nantua, etc, et 74 orgues à cylindre. En 1839, il reçut une médaille de bronze pour 2 orgues qui parurent bien confectionnées et dont les tuyaux avaient une force et une pureté de sons qui fixa l’attention du jury. ((p 230)) Les progrès réalisés dans la grande facture parisienne ne furent pas mis rapidement à profit par les organiers des départements, qui disparaissaient d’ailleurs à mesure que les établissement de leurs confrères de Paris prenaient de l’extension. Bien que leurs instruments fussent encore conçus selon les procédés anciens, les frères Claude (Arn et Ed) de Poussay, près de Mirecourt, en présentèrent un au jury de 1855, qui était pourvu d’une innovation brevetée en 1853, qui attira l’attention à ce moment. Ces facteurs supprimaient les gravures ou conduits d’air et le mécanisme qui en dépend, pour les remplacer par des pistons placés à la base des tuyaux, système qui malgré sa plus grande simplicité de construction, n’a pas prévalu (méd de 1ere classe). En 1844, ils avaient fait breveter un sommier d’orgue à pression uniforme. Aujourd’hui la facture d’orgue de province ne compte que de rares représentants, mais ceux qui s’y sont maintenus n’ont pas suivi l’exemple de certains de leurs prédécesseurs ; ils se sont mis à la hauteur des connaissances actuelles de la science et quelques-uns, comme M. Louis. Debièrre de Nantes, dont l’établissement date de 1862, ont apporté leur contingent d’innovations utiles. Si ce n’est pas lui qui a inventé les tuyaux polyphones, il a du moins trouvé le moyen d’en rendre l’usage pratique pour les orgues. En faisant donner trois sons à un seul tuyau, ce facteur est arrivé à supprimer les 2/3 des tuyaux de basses, sans rien perdre de l’effet et des ressources de l’instrument (V. le Monde musical du 15 Janv. 1891). M. Debièrre a fait également, en 1887, l’application de ((p 231)) l’électricité aux grandes orgues (A. Peschard, loc. Cit., p 49 et brevet du 1er Octobre 1888 ; appareil pneumatique et électrique pour la translation du mouvement aux orgues à tuyaux. Un aperçu de ce système a été donné par M. Tolbecque dans le Monde musical du 15 avril 1891.), d’après un procédé très simple qui lui est particulier. Le premier qu’il a construit est actuellement au théâtre de Nantes ; le clavier se trouve à l’orchestre, et l’organiste y prend place comme les autres instrumentistes, d’où il résulte un sérieux avantage pour l’exécution. Jusqu’à ce jour, M. Debierre a construit 300 orgues tant en France qu’à l’étranger. Mentionnons encore parmi les facteurs contemporains MM Jaquot (Jean-Pierre) et C. Didier de Rambervilliers qui ont fait récemment les orgues de St-Loup à Châlons-sur-Marne, d’Euville et Révigny (Meuse) ; François Mader et Cie, de Marseille, auteurs de l’orgue de la Seyne ; Duputel, de Rouen, qui a fait il y a peu de temps l’orgue de l’église de Sannoie et M. J-B. Ghys de Dijon qui est à la fois menuisier, mécanicien, fondeur et organiste de talent, auteur des orgues de Notre-Dame de Montluçon. A Nevers, sa ville natale, s’est établi en 1872, M. Lud. Duvivier, ex contremaître des maisons Gavioli, Narc. Martin (Narcisse Martin avait été d’abord employé dans la maison Daublaine. Il est l’auteur des orgues de St-Paul-St-Louis, de Précy, etc.) et Suret. On lui doit divers instruments très ingénieux, parmi lesquels un piano-pédalier à double effet de basses (1858), le clavi-flûte (1865), un appareil ((p 232)) scientifique pour la démonstration du principe pneumatique (1866 80), un piano-orchestre actuellement à la maîtrise de Nevers (1873), un autre piano à jeu de flûte construit sur le principe de l’accord instantané, avec soufflerie à modèle diviseur et anti-secousse (1882). Dans le domaine spécial de la facture d’orgues, il fait citer le magnifique orgue de salon à cinq claviers qui figura à l’exposition de Vienne en 1873, et dont le délégué ouvrier M. L. A. Pilverdier a fait le plus grand éloge dans son rapport à la chambre syndicale (p 54 et suivantes). Des quatre claviers à mains, le premier actionnait un piano joint à l’orgue. Le travail de cet instrument était d’un fini merveilleux, luxueux même. Toutes les pièces de mécanique en bois, avaient été passées une douzaine de fois au vernis copal et poncées, celles de fer étaient polies et vernies ; les tuyaux étaient du bois le mieux choisi, les dièses du pédalier en ébène et les notes naturelles en ivoire. Ce facteur à l’esprit inventif a fait breveter récemment (10 novembre 1892) une découverte assez originale : l’adaptation d’un clavier mobile à la contrebasse à cordes, pour en rendre le doigté accessible à quiconque joue un peu de piano (Semblable tentative a déjà été faite en 1839 par un professeur de physique du collège de Corbigny (Nièvre) (V. la Gazette musicale du 15 sept, p 376). De prime abord, cela peut sembler bizarre, mais il n’en est pas moins vrai que cet appareil est destiné à rendre des services, non pas dans les grand centres, l’inventeur n’a pas la prétention de supprimer les artistes ((p 233) contrebassistes, il veut seulement pourvoir à leur défaut dans les petites villes, ou au peu d’habileté de quelques-uns. A l’église, à la société philharmonique, au salon, à l’école même, la contrebasse à clavier a sa place indiquée, et qui sait si elle n’apporte pas aux professionnels un moyen facile d’être à la hauteur de la virtuosité qui se rencontre de plus en plus dans les compositions nouvelles, et au compositeur, un surcroît de ressources? Le clavier de M. Duvivier comporte 35 ou 38 notes ; il est applicable aux contrebasses à 3 cordes en sol ou en mi ; un spécimen de ce curieux instrument est visible chez M. Cherpitel à Paris.
Orgue expressif
C’est encore à des facteurs français qu’appartient la constitution d’un nouvel instrument de musique au moyen de l’anche libre, connue de longue date, mais dont on n’avait tiré aucun parti utile ; nous avons nommé l’orgue expressif qui donna naissance à l’harmonium. Gab. Jos. Grenié (né à Bordeaux, en 1756 ou 1762) n’a jamais réclamé autre chose que la paternité de l’application de l’anche libre, c’est à dire de l’orgue expressif et non de l’intervention de lames vibrantes, qui ont d’ailleurs leur origine dans le principe de la vulgaire guimbarde. Dès 1798, ainsi que l’a constaté Fétis, Grenié avait fait en présence du Comité d’enseignement du Conservatoire, des essais de comparaison entre tuyaux à anche battante et à anche libre ( Biogr. Univer. des musiciens, t IV, p 100, note 1), mais ce n’est qu’en 1810 que le problème ((p 234)) fut complètement résolu (Description des brevets, t VI, p 61) et soumis à l’appréciation de l’institut et du Conservatoire. L’expression était obtenue à l’aide d’une soufflerie susceptible d’augmenter ou de diminuer la pression de l’air, et donnant par conséquent une plus ou moins grande intensité de son. La pression était primitivement produite par le clavier, Grenié la fit ensuite exercer par deux compresseurs mus par une double pédale, dont chaque partie fonctionnait alternativement. Bien que l’académie ait fait l’accueil le plus flatteur à cette invention (avril 1811), elle n’eut pas tout d’abord le succès qu’elle méritait et qui lui vint par la suite, par une cause bien minime : la vogue de l’accordéon imaginé par Candide Buffet en 1827. L’invention de Grenié a été le point de départ d’une série de perfectionnements qui ont abouti à la création de l’harmonium et donné naissance à une branche importante de la facture. Avant de mourir (3 septembre 1837) Grenié avait fait un élève, Th - Ach Muller (né à Vertus en 1801) qui contribua à parfaire son oeuvre. En 1834, il produisit un orgue expressif à anche libre combiné avec un piano (organo-piano), ayant par conséquent 2 claviers et une soufflerie à pédale, dans lequel il avait substitué aux porte-vent carrés de son maître, des porte-vent cylindriques (médaille de bronze. En 1839, il consolida la rasette de l’anche par une pièce à vis, dont le résultat fut de mieux déterminer la longueur de la partie vibrante et de donner au son plus de pureté. En 1844, ce fut un orgue expressif de voyage ((p 235)) breveté de l’année précédente (médaille de bronze). A part quelques amélioration de détails, Muller resta fidèle au système de Grenié, c’est à dire à l’anche associée aux boites des tuyaux, bien qu’on fût arrivé (depuis 1839) à s’en priver. En 1834, Chameroy (Edme-Augustin) qui avait commencé en 1829 à fabriquer des harmonicas, exposa des orgues expressifs de 3 à 6 octaves à un seul jeu, réunissant trois qualités de son différent : basson, hautbois et flûte qu’il destinait à l’accompagnement des chants d’église. Il faisait aussi alors des pianos à vent (A la même exposition, Duvernoy aîné, établi depuis 1829, présenta des pianos à soufflet ayant l’avantage de produire des sons continus et d’imiter le son du hautbois et Cavaillé-Coll y produisit son poïkilorgue (ou orgue varié) à anches libres, différent des phy-harmonicas et pianos à soufflet, par la puissance des sons et la faculté d’expression, qui s’obtenait par le renflement ou la diminution de l’intensité. Cet instrument avait un clavier de 4 octaves 1/2, d’ut à fa : sa forme était celle d’un piano carré de 1 m 15 sur 1 mètre environ). En 1836 il débarrassa l’orgue expressif de tous ses organes encombrants, en plaçant la soufflerie dans les parois ou pilastres de l’instrument et les anches sous les touches système qui le conduisit à faire un clavier mobile d’anches libres s’adaptant à tous les pianos. Deux ans après, J-B. Nap. Fourneaux père (né à Léard dans les Ardennes le 21 mai 1808) qui, abandonnant la profession d’horloger, devenait son successeur, construisait un orgue expressif à deux jeux à l’octave et deux claviers, dont les lames vibrantes étaient disposées au fond d’une case voûtée, et non ((p 236)) plus sur des tuyaux, pour lequel il reçut une médaille de bronze en 1844. C’est Fourneaux qui eut l’idée de placer les anches dans le réservoir d’air comprimé, au lieu de faire arriver le vent aux languettes par les soupapes inférieures, et qui modifia la qualité du son en recouvrant les cases d’une table d’harmonie. En l’année 1844, vu l’extension colossale prise par les divers systèmes d’orgues expressifs, il voulut produire un instrument à ressources plus étendues ; il lui donna 5 octaves et 12 registres pour les jeux de bourdon, basson, cor, clarinette, flûte, flageolet ou petite flûte et jeux doux, qui pouvaient s’accoupler par une genouillère, et recevaient l’expression d’un système de soupapes diminuant le passage de l’air ; la diversité des timbres était obtenue par la modification des dimensions des laies et sommiers. L’année suivante, Fourneaux père adapta un cylindre à cet orgue qu’il avait nommé orchestrion. Ce facteur étant mort le 19 juillet 1843, son fils J. L. Napoléon, né en 1830, continua la construction des orgues expressifs auxquels il apporta divers perfectionnement (1852) et inventa le mélodina (1855). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages spéciaux : Petit traité de l’orgue expressif (1854) et Traité théorique de l’accord des instruments à sons fixes (vers 1867). Il a fait breveter en 1883 un piano-exécutant.
Orgue expressif - A. Martin
Par l’invention de la percussion, Louis-Pierre-Alexandre Martin de Sordun, dit Martin de Provins, supprima le défaut principal des instruments à anche libre : l’action lente du vent. En faisant ébranler l’anche par un marteau à échappement, il obtint la ((p 237)) mise en vibration immédiate, que l’air seul ne produisait qu’avec un léger retard (1841). En même temps, Martin trouva l’expression par la touche, au moyen d’un système de soupapes ouvrant graduellement des trous pratiqués au sommier de l’anche, de façon à donner à chacun une nuance différente de son sans altération de la justesse. D’autres innovations, non moins précieuses, furent apportées l’année suivante à la construction des orgues expressifs par Martin (1842) : le prolongement du son produit par l’adjonction d’un petit soufflet retardant légèrement le retour de la soupape, de façon à soutenir les sons quelques instant après l’abandon des touches, comme cela a lieu avec la grande pédale du piano, effet que dans les orgues Martin on obtenait par l’action de genouillères ; la modification de la forme de l’anche, établie de telle sorte que l’air vibrant soit soutenu sur les côtés, sans qu’il puisse se répandre par derrière, dans le but d’obtenir des sons plus forts et plus harmonieux : l’imitation du timbre du hautbois, du cor anglais et du basson, par l’application de baudruche sur les châssis, cercles ou ouvertures, à l’instar du vulgaire mirliton. Ces innovations valurent à Martin une médaille de bronze en 1844 « l’instantanéité n’ayant jamais été obtenue dans aucun instrument de ce genre » disait le rapport. Tous ces perfectionnements et quelques autres se trouvaient réunis dans les instruments que Martin exposa en 1844, savoir : la percussion à tous les jeux, les genouillères pour le prolongement des sons (donnant à volonté la sonorité de la corde ou l’harmonie ((p 238)) soutenue), l’accouplement des registres par des soupapes et de nouveaux trembleurs. Cette fois le jury lui décerna une médaille d’argent, mais c’est surtout en 1855 que les inventions d’A. Martin furent remarquées et appréciées ; outre la médaille de 1ere classe, il reçut la croix de la légion d’honneur (14 novembre) En 1867, P Bourlet lui avait succédé ; il reçut une médaille de bronze à l’exposition de 1878.
Harmoniums - Debain
Dans la transformation de l’orgue expressif, Alexandre-François Debain (né en 1809) a joué un rôle capital, et nul plus que lui, n’a donné une plus grande extension aux ressources de cet instrument, qui parut si borné de prime abord. En ouvrant son atelier (1834) après avoir travaillé dans diverses maisons à la construction de pianos et pièces mécaniques, Debain faisait breveter un nouveau système de mécanisme de piano ; deux ans après il faisait un piano droit de forme nouvelle qu’il appela piano-écran à clavier mobile. Puis ce fut un nouveau système de piano de concert (1847) et le piano mécanique ou à manivelle (1848-53) qui fit fureur à l’époque en France et à l’étranger et dont le succès n’était pas encore épuisé en 1862, car il fut une des attractions de l’exposition de Londres. Dans l’intervalle, A Debain avait fait d’autres découvertes certainement plus utiles, parmi lesquelles il en est une qui lui crée un titre à la postérité : l’invention de l’harmonium (1842). Il avait préludé à cette création en imaginant le concertina (1838), dont le défaut principal était comme celui de l’orgue expressif, duquel il dérive, la monotonie du timbre. Debain parvient à y remédier en donnant aux anches diverses épaisseurs, ((p 239)) et en plaçant dans des cases sonores de différentes formes et proportions, de façon à reproduire les effets des tuyaux d’orgues, hautbois, bassons, clarinettes, etc. Le brevet qu’il prit en 1842 énumère une longue suite de découvertes ingénieuses, adoptées en grande partie par la facture d’orgues expressives. Ces instruments n’avaient eu jusqu’alors qu’un seul jeu de 6 octaves au plus, non seulement Debain augmenta ce nombre comme nous venons de le dire, mais il trouva le moyen de faire parler plusieurs jeux (de un à 20) par la même touche et cela sur 6 ou 7 octaves. Dans le but de parer au reproche que l’on faisait à l’orgue expressif de produire des sons courts et secs, il adapta des cordes tendues sur une table d’harmonie comme pour le piano, lesquelles étaient mises en vibration par l’ébranlement des anches. Debain eut aussi l’idée de garnir de baudruche des trous percées au sommier, pour modifier le timbre des anches de certains jeux et de joindre à l’orgue un jeu d’harmonica en verre ou de timbres de cloches, ressorts, etc., frappé par un marteau, ainsi que de faire des instruments à 3, 4, ou 5 claviers. Peu après (mars 1843) une importante amélioration était appliquée à l’harmonium par Debain : l’expression par la suppression momentanée du réservoir d’air et la communication directe du soufflet avec les anches, qui devinrent dès lors sensibles aux divers mouvements des pédales. On put donc obtenir à volonté, des sons détachés ou soutenus, forts ou faibles, augmentés ou diminués, par la seule action des pieds. Signalons encore quatre autres modifications de détail qui ((p 240)) datent de la même année. L’une, par laquelle le clavier était rendu mobile et s’ouvrait à charnière pour faciliter la recherche des dérangements qui pouvaient survenir (disposition analogue à celle du clavier du poïkilorgue de Cavaillé-Coll (1834) ; il s’ouvrait à la manière d’un livre.) ; l’autre, portant sur une nouvelle disposition des boutons de registres, placés au-dessus du clavier (ils avaient été jusque-là sur les cotés), et l’inscription du nom du jeu sur les boutons avec l’indication en notation musicale de son étendue, lesdits boutons n’ayant porté jusqu’alors qu’un numéro ; la troisième, consistant en un nouveau sommier dont les cases avaient à peu près la forme d’une coquille de noix allongée ; et la quatrième, en un nouveau registre à pédale pour ouvrir les jeux, chacune des anches était jointe, dans le principe, à un corps sonore en forme de cône, de tulipe ou de pavillon, de différentes dimensions, selon la hauteur des sons. Avec l’augmentation du nombre de jeux, ces corps sonores devinrent bientôt encombrants ; Derain remédia à cet inconvénient en plaçant plusieurs anches sur un même corps et même en ne faisant qu’un seul corps formant boite pour un jeu entier (1844). En même temps, il fit connaître son piano-harmonium et le panharmonium réunissant tous les systèmes perfectionnés. Il semble qu’à l’exposition qui suivit (1844) le jury n’ait pas compris toute l’utilité de ces découvertes, car tout en reconnaissant l’habileté de l’inventeur et la variété ((p 241)) des effets de son nouvel instrument, il constata que l’avantage n’était obtenu « que par un peu de complication dans le mécanisme », et ne lui accorda qu’une médaille de bronze ; il revint toutefois sur cette appréciation en 1849, en lui décernant une médaille d’argent ; et depuis, le temps est venu donner raison à l’ingénieux facteur. Le Symphonium, inventé en 1845, était un acheminement vers l’harmonicorde (1851), combinaison de l’harmonium et du piano formant un « magnifique instrument aux sons délicieux » suivant un écrivain, et produisant avec beaucoup de bonheur, suivant un autre, « une imitation de la harpe accompagnant des instruments à vent ». Esprit fécond, A Debain a encore inventé l’antiphonel (1846), mécanisme s’adaptant facilement sur les claviers pour produire automatiquement l’accompagnement des chants liturgique, dans les églises dépourvues d’organistes, qui lui donna l’idée du piano mécanique (L’antiphonel Debain. Paris, 1873. Le Piano mécanique. Id. 1871.). Tous ces travaux apportèrent profit et gloire à leur auteur : médaille d’argent en 1851, de deuxième classe, à Londres en 1851, de 1ere classe, à Paris, en 1855 et à Londres, en 1862 ; il avait été nommé chevalier de la légion d’honneur le 11 février 1860, il fit membre du jury en 1867, époque à laquelle sa manufacture occupait 600 ouvriers. Al. Debain est mort en novembre 1877 à la veille de l’exposition et n’a pu recevoir la médaille d’or attribuée à ses produits. Un superbe spécimen ((p 242)) de la facture de cet ingénieux inventeur, chef-d’oeuvre de mécanique, est entré depuis peu au Conservatoire des Arts-et-Métiers ; c’est un harmonium à 4 claviers analogue à celui qu’il exposa en 1867 et qui était composé de 50 jeux et ne comprenait pas moins de 3050 anches.
Harmoniums - Rodolphe
La mort de Debain entraîna la disparition de son importante manufacture. P. L. Rodolphe qui avait fondé en 1850, à la sortie des ateliers de Fourneaux, un petit établissement, se rendit acquéreur de sa marque seulement. En 1851, il avait imaginé un clavier mobile transpositeur en rapport direct avec les soupapes, présentant autant de solidité que s’il était fixe. Après avoir participé à l’exposition de 1855, il envoya à Londres (1862) un remarquable instrument de 5 jeux, 23 registres dont la soufflerie était disposée de façon à obtenir à volonté l’expression sur tout ou partie du clavier (Prize medal). Mais c’est en 1848 que d’énormes progrès furent constatés dans la facture d’Alph. Rodolphe, aussi une médaille d’or lui fut-elle accordée, il n’en avait eu qu’une de bronze en 1867. Pour 1889, ce facteur qui dans l’intervalle, s’est associé à ses fils, a voulu faire mieux et y a réussi en combinant, sur un même instrument, les deux systèmes de soufflerie française et américaine (foulante et aspirante), celui-ci donnant des sons très doux, et très appropriés par suite à la musique du culte protestant ; le premier seul usité jusqu’ici en Europe, produisant l’intensité, la rondeur et la netteté des sons. Cette innovation est heureuse en ce sens, qu’elle augmente la variété des effets si nécessaires à ((p 243)) cet instrument. Des registres ad hoc donnent la faculté de jouer l’un ou l’autre des systèmes, ou les deux à la fois. MM Rodolphe ont été récompensés par une médaille d’or. Depuis, ces facteurs ont fait breveter un nouveau système de casier harmonique applicable à l’harmoniphone (14 aout 1891).
Harmoniums - Alexandre
Chronologiquement nous aurions dû déjà parler de Jacob Alexandre (né à Paris en 1804), dont la manufacture a été fondée en 1829, mais il n’y était construit alors que des accordéons et phys-harmonicas, et comme nous suivons, autant que possible les progrès de l’orgue expressif, force nous est de placer ce facteur après les créateurs de l’instrument auquel il n’apporta que plus tard son contingent d’améliorations. Cependant dès 1839 (D’après le rédacteur de la notice sur la maison Alexandre dans les Grandes Usines, un orgue à deux jeux de ce facteur aurait figuré à l’Exposition de 1834. Sans contester le fait, disons qu’il n’est corroboré par aucun document officiel, compte rendu, almanach-annonce, etc. Il est inadmissible pourtant que semblable innovation soit passée inaperçue des organes spéciaux), Alexandre présenta à l’exposition, avec des accordéons et harmonicas, des orgues expressives et le piano-concertina et, en 1844, il envoya un orgue(mélodium) pour chapelles et salons « bien exécuté et d’une bonne qualité de son « , qui lui valut une médaille de bronze. De nouveaux progrès furent ensuite réalisés et les divers brevets qui suivent, constatent des perfectionnements à l’accordéon (1846 54), à l’orgue expressif (1854 57). En 1852, J. Alexandre fit connaître un piano-organisé à ((p 244)) sons prolongés à l’aide de genouillère et à cordes vibrantes. Ne se contentant pas de ses inventions, Alexandre achetait le droit d’exploitation de tous les perfectionnements connus, de façon à mettre ses produits à la hauteur des derniers progrès : percussions, prolongement, expression à la main, etc. En 1855, l’établissement Alexandre père et fils avait pris par conséquent un grand développement : alors que dans l’origine le chiffre d’affaire était de 50 000 francs, il atteint, dit-on à ce moment 1.500.00 francs. Une médaille d’honneur fut décernée à cette maison par le jury international. Cinq ans après (16 janvier 1860, Edouard Alexandre fils, était décoré de la Légion d’honneur ; à l’exposition de Londres (1862), il obtint la Prize médal en raison du bon marché et de la bonne construction de ses instruments et, en 1867, il reçut une médaille d’or. J Alexandre père est mort à Paris le 11 juin 1876. Depuis 1872, une société s’est constituée sous ce titre : « société des orgues d’Alexandre père et fils », pour l’exploitation de la marque de fabrique. Elle fut administrée au début par M. H. Bionne et la fabrication resta sous la direction d’Ed. Alexandre jusqu’à sa mort (8 mars 1888). En 1873 il s’était adjoint son gendre M. Edmond Séciles qui fut nommé administrateur en 1884, fonction qu’il exerce actuellement. Les traditions de la maison ont été continuées quant à la qualité des instruments et à la recherche des perfectionnements propre à facilite l’exécution. Plusieurs brevets ont été pris dans ce but, notamment pour le système dit à boite sonore, permettant à l’exécutant de ((p 245)) nuancer les sons sans s’être astreint à la longue et difficile étude de l’expression par les pédales, et pour l’orgue mixte, réunissant les jeux d’anches libres et des jeux de tuyaux (1885). La difficulté, pour un instrument de cette nature, était de maintenir l’accord entre le jeu d’orgue et le jeu d’anche, le premier étant essentiellement sujet aux variations de températures. On a paré à cet inconvénient en rendant mobile la partie supérieure des tuyaux, qui forme coulisse et peut s’allonger ou se raccourcir à l’aide d’une vis de réglage, au moyen de laquelle on les met facilement d’accord avec l’harmonium qui lui, ne varie pas. Une création qui ne saurait donner lieu à brevet, mais qui est appelée à rendre des services, est l’harmonium à 4 jeux, 2 claviers à main et pédalier. Sa disposition est identique à celle du grand orgue et, beaucoup mieux que le piano-pédalier, il prépare à l’exécution de la musique spéciale à cet instrument. Voila résolu le problème de l’étude du grand orgue chez soi, et il n’est pas un organiste qui n’apprécie une telle ressource. En 1889, la société des orgues d’Alexandre exposa une série d’instruments résumant l’ensemble de sa fabrication, ‘instruments de qualité supérieure et instruments à bon marché » composée de 14 modèles ‘sur les 30 ou 40 qui se construisent couramment), depuis le petit orgue à 100 francs jusqu’à l’orgue mixte (anches libres et tuyaux), lesquels furent l’objet de remarques flatteuses de la part du jury qui lui décerna une médaille d’or.
Harmonium - Mustel
Ce ne fut pas un grand industriel que Ch-Victor ((p 146)) Mustel, et de nombreux instruments ne répandront pas son nom de par le monde, mais il est de ceux qui remplacent la quantité par la qualité. Artiste, il le fut, et ce n’est pas trop s’avancer que de dire qu’il a été à l’harmonium, ce que Cavaillé-Coll est aux grandes orgues, pour le soin, la conscience et l’ingéniosité qui président à la construction de ses instruments. (Le rapport de l’exposition de 1889 s’exprime ainsi sur le travail de V. Mustel : « Dans un instrument de M. Mustel, les touches, les registres, la soufflerie, les genouillères, tout enfin fonctionne d’une manière parfaite. Le mécanisme intérieur est ajusté avec une précision mathématique. Les notes parlent avec une facilité et avec une égalité qui n’a été atteinte, jusqu’à ce jour par aucun autre facteur, et il est d’ailleurs le seul qui ait donné à l’accord de ses instruments des soins aussi minutieux. Non seulement il s’assure, avant de l’employer, de la nature du métal dont il formera les languettes des lames, mais encore ces languettes seront préparées par lui-même ou par un des siens, afin que, sur ce point qu’il trouve très important, aucune négligence ne puisse se produire. Pour assurer la perfection de l’accord, il observera l’instrument pendant plusieurs mois, le réglant à des intervalles déterminés et sous l’influence de températures diverses. Aussi peut-on être assuré que tout harmonium sortant de la maison Mustel est un véritable objet d’art.) Fils d’un jardinier, menuisier de sa profession, Mustel (né au Havre le 13 juin 18158, devint facteur par goût : un mauvais accordéon qui lui tomba dans les mains et qu’il entreprit de réparer lui-même, décida de sa vocation. C’est seulement en 1853 qu’il put s’établir après avoir été longtemps contremaître de la maison Alexandre ; l’année suivante, il faisait breveter le fruit de ses premières recherches : la distribution ((p 247)) facultative du vent sur l’une ou l’autre partie du clavier, autrement dit, la double expression, sans laquelle il n’est plus aujourd’hui d’instrument parfait. Dès ses débuts aux expositions, il reçut les plus hautes récompenses pour le fini de son travail au point de vue factural et artistique (Le rapport de Lissajous constate que les jeux étaient d’une pureté exquise et articulaient avec facilité sous le vent le plus faible, ce qui permettait d’éviter la percussion. En 1867, Fétis écrivit dans son rapport : « Mr Mustel n’est pas à proprement dire, un fabricant, car le nombre d’instruments qui sortent chaque année de ses mains ne dépasse pas 15. M. Mustel est un artiste ; il porte dans son travail les soins les plus minutieux ; toutes les parties de ses instruments se font remarquer par la précision et le fini et la qualité des sons a une rare distinction.) (médaille de 1ere classe, Paris 1855 et Londres 1862, méd d’argent 1867). L’instrument présenté pour la première de ces expositions était pourvu du jeu de harpe éolienne, oscillant comme la voix céleste, mais d’un timbre parfaitement distinct et d’un effet tout particulier. En le plaçant à la basse, V. Mustel réussit à renforcer la sonorité de cette partie du clavier et à créer des ressources nouvelles et variées pour l’accompagnement. Si l’idée du Typophone, que V Mustel construisit en 1865, ne lui appartient pas, il se l’est approprié de telle sorte qu’il en a fait une création originale. Cet instrument consiste en une série de 49 diapasons montés sur des caisses résonnantes et mis en vibration par des marteaux actionnés par les touches d’un clavier, dont l’effet est analogue à celui de la flûte harmonique du grand orgue ; son prix élevé en a entravé la diffusion, mais il ne faut pas ((p 248)) trop le regretter puisque le palliatif de cet inconvenant a donné naissance au célesta, que nous signalerons à son tour. Il nous faut mentionner avant, le métaphone créé en 1878, qui a pour but, en éliminant les harmoniques suraigus et en renforçant les sons graves, de donner deux caractères différents au timbre de certains jeux et de les rendre à volonté plus ronds ou plus éclatants. Par diverses modifications à la forme du châssis de l’anche (1880), brevetées sous le nom d’anche euphonique, V. Mustel est parvenu à donner à ses instruments une sonorité mâle et pleine, qui les distingue des harmoniums courants à sonorité aiguës et criardes, nasillardes même, que l’on rencontre si souvent. Aucun harmonium ne donne, mieux que ceux de Mustel, l’illusion de l’orgue à tuyau, par la puissance, la pureté et la variété de la sonorité. En remplaçant les diapasons du typophone par des plaques métalliques et en les disposants sur des cases sonores, V. Mustel créa le célesta (1886), au timbre si pur, qui peut être joué seul et se substituer fort avantageusement aux jeux de timbres employés à l’orchestre (Aux théâtres de l’Opéra et de l’Opéra comique, on fait usage du célesta-Mustel.), mais qui se joint de préférence à l’harmonium, auquel il apporte une nouvelle source d’effets ravissants. Sa dernière création est la partition-Mustel (1888), consistant en 12 lames de bronze accordées avec précision, selon le tempérament égal, de la à sol dièse, pour faciliter l’accord des instruments à sons fixes, le plus pratique et le plus immuable des nombreux procédés qui ont paru jusqu’ici. ((p 249)) Une médaille d’or avait récompensé en 1878 les efforts de V. Mustel. De plus hautes distinctions lui étaient réservées en 1889 : le seul grand prix pour les harmoniums lui fut attribué, ainsi que la croix de la légion d’honneur (29 octobre), juste couronnement d’une carrière toute de travail et de dévouement à l’art. Hélas la joie bien légitime de V. Mustel devait être de courte durée. Il mourut au mois de janvier 1890, laissant à ses fils Charles et Auguste, ses dévoués collaborateurs (qui à ce titre reçurent chacun une médaille d’or à la dernière exposition) le soin de continuer son oeuvre, dont ils possèdent heureusement le secret ( Depuis que ces lignes sont écrites, la mort a frappée l‘aîné des frères Mustel, Charles (20 mai). C’est une perte regrettable à tous les égards, car il était le maître dans l’art d’harmoniser les jeux.). Les facteurs cités jusqu’ici sont ceux qui se sont le plus distingués dans la perfection ou la construction de l’orgue expressif ; à l’époque où la vogue commença pour cet instrument, quantité de facteurs s’improvisèrent que nous ne pouvons citer ici. (Exception doit être faite cependant pour ceux qui obtinrent des récompenses aux expositions : Fr. Dubus qui tenta, en 1841, d’obtenir l’instantanéité des sons en faisant un sommier formant le fond du clavier (Mention honorable 1844, méd de bronze 1849 et de 2eme classe 1855 pour orgue à deux claviers) ; P Stein, P Sergent (M. H., 1849) ; Maillard (M. H. 1855) ; Salaün ; Schwaab et Cie (M. H. 1867) ; Couty et Richard (M. H. 1867) ; Couty et Liné (méd d’argent 1878), auxquels M. Chabin a succédé ; Guéroult (méd. de bronze 1878) ; C Cavioli fils (br. 1878, lesquels ont cessés depuis la fabrication.). Parmi ceux qui continuent à exercer, le premier ((p 250)) en date est L. Boutevilin qui, après avoir eu en 1878 une médaille de bronze pour un harmonium à 2 claviers, céda la maison qu’il avait fondé en 1863, à MM Costtino et Tailleur, dont la facture a été récompensée en 1889 par une médaille d’argent. Viennent ensuite MM Christophe et Etienne, dont les progrès ont été toujours croissants (méd de br, 1867, d’argent, 1878 et d’or, 1889). En 1878, ces facteurs présentèrent un instrument pourvu d’une boite résonnante appliquée aux sommiers, donnant la faculté de faire parler les notes graves avec la même rapidité que les notes aiguës, ainsi qu’un harmonium à volume réductible. Pour 1889, ils soumirent au jury, outre divers modèles, un harmonium construit d’après les indications de Dr Gontard, (Voir le brevet du piano-Gontard, 19 mars 1888 et 27 janvier 1889, n° 189404), pour obtenir des cinquièmes de tons. (ex. si dièse, do bémol, do naturel, do dièse, do double dièse). Cet instrument, dans lequel l’auteur s’est proposé de réaliser la justesse absolue, est aujourd’hui au musée du Conservatoire. MM Christophe et Etienne ont fait breveter, en 1891, un harmonium pliant nommé angelophone. En 1878, MM. Dumont et Lelièvre, des Andelys, n’exposaient que des instruments ordinaires bien construits (méd de bronze) ; en 1889, ces facteurs voulurent se distinguer par l’abondance des nouveautés : le médiopnone ou harmonium de forme élevée ; le Choriphone pour accompagner à l’unisson le chant ((p 251)) d’église, donnant au moyen d’une pédale spéciale l’illusion du coup d’archet de contrebasse ; l’harmoniphrase, petit instrument à clavier pneumatique dont les touches actionnent le soufflet (méd. d’argent). MM Richard et Cie se contentent de bien soigner la construction de systèmes courant (méd de br, 1878, d’argent 1889.)
Orgues mécaniques
Au XIXe siècle la facture des instruments mécaniques, orgues et pianos à manivelles, a pris une grande extension ; néanmoins nous ne nous y arrêterons pas, car, si nous avons pu admirer l’adresse et l’esprit d’invention des facteurs du XVIIIe siècle dans la construction des petites orgues et automates (véritables objets d’art et de précision), on ne saurait accorder la même attention aux orgues à cylindre dits de Barbarie ou pianos à manivelle, quelque développement qu’on leur ait donné, qui ne concourent en rien à l’expression de l’art musical. Si nous faisons exception en faveur de Davrainville, c’est qu’il procède directement des anciens spécialistes et que ses travaux ne sont pas moins remarquables que les leurs. Davrainville est fils du fabricant de serinettes dont nous avons déjà parlé. Il naquit le 30 août 1784 et reçut des leçons de musique de Couperin fils, tout en exerçant, sous la direction paternelle, à la construction des instruments mécaniques. A 15 ans, il notait son premier cylindre, et de 1810 à 1814, il aida son père qui, pour sacrifier à la mode, faisait beaucoup d’orgues à manivelle ((p 252)) pour la danse. Il fit le jeu de flûte à cylindre parcourant 3 octaves et exécutant avec netteté et précision quatre ouvertures, que son père présenta à l’exposition de 1806. Il reçut une mention, et en 1823, une médaille de bronze. Cette même année (1823) Davrainville fit pour le duc de Bordeaux, une pièce mécanique représentant un escadron de 120 lanciers manoeuvrant au son des fanfares de trompettes, actuellement en possession du Conservatoire de Bruxelles (n° 457). Un autre instrument du même genre, merveille d’exécution, est aussi dans cette collection (n° 458) ; il fait entendre les 32 sonneries d’ordonnance des fanfares de cavalerie, avec un éclat et une pureté de son extraordinaire et une grande exactitude de coup de langue. Cet instrument était destiné à l’instruction des trompettes des régiments de cavalerie et quantité de militaires n’eurent pas d’autre maître. Le même musée possède un jeu de flûte, dont « la précision et la délicatesse sont admirables » au dire de M. Mahillon, fait pour Louis-Philippe, jouant des quadrilles et l’ouverture du Pré aux clercs (n° 459). Davrainville fit aussi des jeux de trompette pour les voitures publiques. En 1842, il exerçait encore. Cet adroit constructeur a laissé un digne successeur en la personne de P. Ern. Kelsen qui fixa l’attention du jury de 1855 avec un orgue à cylindre actionné par un mouvement d’horlogerie faisant mouvoir les touches. La précision, la netteté de l’articulation, la variété des jeux, donnant le coloris de l’orchestre, justement appréciées, firent beaucoup ((p 253)) d’honneur au talent de l’auteur de l’instrument, qui reçut une médaille de 2e classe. Kelsen, qui était établi depuis 1845, cessa de fabriquer peu après 1873.
IV. Luthiers.
Luthier - Gand
La disparition de nombreux instruments à corde, causé en grande partie par l’évolution musicale qui marqua la période révolutionnaire, les guerres de l’Empire et l’incontestable supériorité des violons italiens, rendirent fort précaire la situation des luthier. Aussi de tous ceux qui avaient surgi dans les dernières années du XVIIIe siècle, ne vit-on prospérer et se maintenir au XIXe siècle que ceux qui s’attachaient à reproduire les qualités des plus beaux modèles de la lutherie italienne. Le plus célèbre d’entre eux, celui de qui date réellement la belle école française est N. Lupot, qui jusqu’en 1824 forma un grand nombre d’élèves expérimentés, lesquels ajoutèrent successivement aux connaissances pratique et au bon renom des produits français ; de telle sorte qu’à mesure que s’accentuait la décadence de l’école italienne, les luthiers français voyaient leurs efforts couronnés et leurs produits appréciés de plus en plus, au point de tenir une des premières places, sinon la première, dans la facture européenne. Celui qui a su acquérir au plus hait degré les précieuses qualités de N. Lupot et les transmettre utilement, est Charles-François Gand, fils de ((p 254)) Charles-Michel, luthier établi à Versailles depuis 1780, dont il a déjà été question. Ch.-Fr. Gand naquit en cette ville le 5 août 1787 et après s’être initié quelque temps à la lutherie sous la direction de son père, il entra comme apprenti le 1er germinal an X (1802) dans l’atelier de N. Lupot, « pour l’espace de quatre années, moyennant la somme de 732 l. seulement pour sa nourriture, plus 100 l tournois, reçue comptant pour apprendre l’état de luthier ». Le 17 juillet 1806, à l’expiration de son contrat, il retourna chez son père à Versailles jusqu’en 1810, après quoi il revint à Paris où il s’établit rue Croix-des-petits-champs, n° 5, et en 1820, il acheta le fonds de Koliker, situé au n° 24 de la même rue, puis il prit en 1824 la succession de Lupot, dont il avait épousé la fille. (Pendant le séjour qu’il fit chez Lupot et chez son père, il construisit des instruments qu’il signa : « Gand, chez Lupot, rue de Grammont, 1805 » et « Ch. F. Gand fils, Versailles, 1807 » ainsi qu’il résulte d’étiquettes que l’on a retrouvée. Les rares talents de N. Lupot l’avaient fait nommer luthier de l’Ecole royale de musique et de la chapelle du roi ; Ch F. Gand était digne de ces titres, il les obtint et fut chargé de terminer les instruments que Lupot n’avait pu achever pour la chapelle royale : 6 violons, 3 quintes, 5 basses, 4 contrebasses (1824 28). Tous ces instruments, dont quelques-uns avaient été détériorés en 1830 lors de l’envahissement des Tuileries, ont été détruits en 1871 dans l’incendie du Palais. Un fragment de la contrebasse faite ((p 255)) en 1827 et brisée à la prise du Château le 29 juillet 1830, a été donné au Conservatoire par Eug Gand (n° 200. Il porte le chiffre de Charles X avec l’écusson (en or et couleur) de la famille des Bourbons et sur une banderole, cette inscription : Musique de la chapelle du roi. Un alto fait en sus du nombre commandé et qui servait dans les concerts exigeant la présence de musiciens supplémentaire (également au Conservatoire n° 163) permet d’apprécier la belle facture et la coupe savante des instruments dont on ne saurait trop déplorer la perte, car les produits de Gand père, sont aujourd’hui très estimés. A sa mort (10 mai 1845), ce fut son fils aîné Charles-Adolphe, né à Paris le 11 décembre 1812, qui prit la direction de l’atelier et les titres de fournisseur de la Cour et du Conservatoire. Homme d’une grande intégrité, ouvrier très consciencieux, il n’a produit qu’un nombre relativement restreint d’instruments, mais portant sa marque personnelle. Connaisseur expérimenté, il excellait dans la réparation des instruments anciens, grâce à l’étude approfondie qu’il avait fait des maîtres de la lutherie. En 1855, il s’associa son frère Charles-Nicolas-Eugène ; et peur après, ils remportèrent une médaille de 1ere classe. C’était la première fois que cette ancienne maison soumettait ses produits à l’examen d’un jury. Ni le fondateur, ni son successeur immédiat n’avaient jugé à propos de prendre part aux diverses expositions ; que pouvaient-ils y gagner? Ils n’avaient pas besoin de ces sortes de succès pour établir solidement leur réputation. Pour les frères Gand, les choses n’en allaient pas de ((p 256)) même, malgré leur talent, ils ne pouvaient se désintéresser davantage, ni paraître déserter la lutte : situation, comme noblesse, oblige ; d’ailleurs l’importance même de cette exposition et son caractère international leur faisaient un devoir de s’y présenter. Ils n’eurent pas à le regretter puiqu’ils triomphèrent. Quelques temps après, le 19 août 1862, la croix de chevalier de la Légion d’honneur accordée à Ch. Ad. Gand, vint rendre un éclatant témoignage du mérite de cette famille, qui sut honorer la lutherie française et attirer sur elle la considération générale. Mais l’heureux titulaire de cette haute distinction ne put en jouir longtemps, il s’éteignit le 24 janvier 1866.
Luhiers - Gand et Bernardel
La mort de Ch. Ad. Gand laissait à son jeune frère Eugène, né à Paris le 5 juin 1825, la lourde tâche de soutenir la renommée de Lupot. Avant de s’exercer à la lutherie, sous la direction de son père et de son frère aîné, Eug. Gand s’était adonné à l’étude de la musique. Il entra au Conservatoire le 19 nov 1834 dans la classe de solfège de Leborne et obtint un 1er prix en 1838. Puis de la classe préparatoire de violon, dirigée par Guérin, où il avait été reçu élève le 6 décembre 1837, il passa dans la classe spéciale de Baillot, le 28 nov 1840, qu’il quitta en 1843 à la mort de ce dernier. Joignant une l’excellente culture musicale une pratique déjà grande, E. Gand se trouvait donc, au décès de son frère (1866), en mesure de continuer les traditions qui ont fait de la maison « la première du monde entier ». Cependant, les multiples occupations qu’occasionnait sa qualité de luthier de la musique de l’Empereur, du Conservatoire, de l’Opéra, de ((p 257)) l’Opéra comique, etc., etc., le déterminèrent à faire appel au fils de Séb. Ph. Bernardel, associés depuis 1859 à leur père, aussi élève de N. Lupot, qui s’était établi en 1826 et qui se retira à cette occasion. La fusion de ces deux maisons, dignes l’une de l’autre, entre lesquelles balançaient quelques artistes, fut accueillie par tous avec joie. A partir de ce moment, la raison sociale devint Gand et Bernardel frères (Auguste-Ernest, né le 2 avril 1826, et Gustave-Adolphe, né le 26 avril 1832) ; mais Eug. Gand en conserva la direction administrative et artistique. Il surveillait l’exécution des instruments, les retouchait parfois et les vernissait presque toujours lui-même ; aucun ne sortait de son atelier sans porter quelque chose de sa manière. Peu après, s’ouvrit l’exposition de 1867 ; la maison Gand et Bernardel y remporta une médaille d’argent (il n’y eut pas de médaille d’or pour la lutherie), et depuis lors sa réputation n’a cessé de grandir. L’édification de la salle de concert du Trocadéro en 1878 fut l’occasion, pour cette maison, d’un important travail : elle fut chargée par le gouvernement de construire tous les instruments à archet de l’orchestre, soit 52 violons, 18 altos, 18 violoncelles et 18 contrebasses. Jamais on n’avait réuni un orchestre aussi considérable composé d’instrument de la même facture ; la sonorité et l’homogénéité y gagnèrent. Comme exposants, MM. Gand et Bernardel présentèrent un double quatuor qui conquit tous les suffrages. Nous ne pouvons faire que de reproduire les notes du rapporteur G. Chouquet : « Bois ((p 258)) de la plus grande beauté, proportions harmonieuses et mains d’oeuvre soignée, vernis rouge de Lupot, sons homogènes et d’excellente qualité ; tout dans ces instruments, annonce des luthiers d’élite. » Aussi la médaille d’or ne leur fut pas disputé. Eug. Gand qui s’était dévoué comme membre de divers comités et de la commission des sciences historique, reçut en outre la croix de la légion d’honneur (20 octobre 1878. Depuis lors, aucune exposition n’eut lieu, soit en France, soit à l’étranger, sans qu’on fit appel à son expérience et qu’on n’eut recours à ses connaissances spéciales, pour obtenir son concours désintéressé. Il fut ainsi membre du jury à Amsterdam (1883) à Rouen (1884), à Anvers (1885), au Havre (1887), à Barcelone (1888) et à Paris en 1889, où il remplit successivement les fonctions de membres des comités d’admission et d’installation et de secrétaire des jury des récompenses. A la suite de cette dernière, E. Gand fut élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur (29 octobre 1889). Il avait déjà reçu d’autres distinctions honorifiques des gouvernements étrangers : Nicham-Iftikar (30 oct. 1885) ; ordre de Léopold de Belgique (1er février 1886), d’Isabelle la catholique (18 mars 1889) et les palmes académiques (29 décembre 1888). Membre du jury en 1889, E. Gand exemptait sa maison du concours ; il ne se dispensa pas pourtant de soumettre ses instruments au public et l’on put constater la perfection de leur forme, la solidité des tables, en même temps qu’un changement dans la nuance du vernis qui, de rouge vif qu’il était en 1867 et 1878, ((p 259)) se trouvait un peu atténué. En sus des instruments courants, MM. Eug. Gand et Gust. Bernardel (M Aug Ern. Bernardel s’étant retiré en 1886), présentèrent une contrebasse à cinq cordes donnant l’ut grave. La chose en soi n’était pas nouvelle. Déjà on avait résolu le problème, en augmentant les dimensions des tables et la longueur des cordes ; mais les énormes proportions d’un tel instrument le rendaient peu pratique. Obtenir le même résultat sur une contrebasse ordinaire, était la véritable, mais difficultueuse solution à trouver! A l’aide des formules de M. G. Lyon dont nous avons parlé, la grosseur de l’âme de la corde et des traits pour le filetage furent facilement vérifiés ; il ne resta plus qu’à approprier le manche en vue de l’adjonction de la cinquième mécanique et à élargir la touche pour recevoir cette corde supplémentaire. L’orchestre serait donc doté d’un instrument puissant, sonore, si l’esprit d’initiative ne faisait défaut à nos modernes directeurs de concerts et théâtres de musique. En attendant, cette contrebasse a été acquise par la maison Pleyel, comme un témoignage frappant de la justesse des théories fixées par son savant directeur. Hélas! ce nouveau succès fut le dernier connu par le très regretté luthier ; atteint d’une cruelle maladie, Eug. Gand mourut à Boulogne-sur-mer, le 5 février 1892. Il ne nous sied pas d’insister davantage sur ses qualités, l’hommage de ses confrères étrangers sera moins suspect et plus éclatant. Voici comment s’exprimait le Musical News par la plume anonyme de M. Hill, luthier à Londres: « Mr Gand jouissait d’une plus grande réputation ((p 260)) qu’aucun autre luthier de son temps en ce qui concernait l’ajustage du chevalet et de l’âme du violon. Pour prouver combien était parfaite la connaissance du violon que possédait cet habile luthier, nous pouvons rappeler que Sarasate et d’autres grand artistes ne confiaient qu’à lui le soin d’accorder leurs instruments. Il connaissait à fond toutes les parties de son métier ; il vernissait lui-même tous les instruments qui portent son nom ; et ainsi, en dépit des exigences du commerce moderne, il ne sacrifia jamais qu’à son art. En plus de sa réputation comme ouvrier, M. Gand jouissait du juste renom comme connaisseur d’instruments anciens et, dans cet ordre d’idée, sa mort est une perte sérieuse. » (Musical-News du 26 février 1892. Après avoir constaté au commencement de son article que la maison Gand « occupait la première place du monde entier dans l’industrie du violon » et rappelé que N. Lupot est « le plus célèbre luthier que la France est possédée », l’auteur remarque que la famille Gand « n’est pas originaire de Mirecourt, ce qui, dit-il, constitue une exception important dans l’histoire de la lutherie française ». Observons à ce sujet que l’écrivain anglais commet une légère erreur ; si Ch.-Fr.. Gand, le père d’Eugène, naquit à Paris, il ne faut pas oublier qu’il est le fils du luthier Charles-Michel que nous avons signalé. L’erreur d’ailleurs est excusable, le renseignement que nous donnons, n’ayant encore été publié nulle part.) Dans l’Echo musical de Bruxelles, M.V. Mahillon écrivait: « C’était un remarquable artiste, d’une habileté professionnelle que nous avons toujours admirée et qui était d’ailleurs universellement appréciée.» De son coté, la Zeitfricht für Instrumentenbau de Leipsig, disait:((p 261)) «Gand était un des plus célèbres luthiers modernes et jouissait d’une très grande réputation dans le monde musical de sa patrie? C’était un expert éminent pour les instruments anciens et son avis faisait autorité en la matière. »
C’est à juste titre que l’on avait recours à ses lumières, car la sûreté de son jugement, la droiture de son caractère en firent le juge le plus autorisé, et ce n’est pas trop dire que presque tous les instruments anciens ont été soumis à son appréciation, et qu’il savait en indiquer l’auteur à première vue. C’était assurément un sympathique, qui sut conquérir l’estime de tous. On a dit autour de sa tombe quels furent son désintéressement, sa probité, sa générosité, sa courtoisie, sa modestie et son dévouement dans les fonctions honorifiques qu’il occupa, soit à l’association des artistes musiciens dont il était un des vice-présidents, soit à la chambre syndicale des facteurs d’instruments de musique. Depuis que le Conservatoire a cessé d’offrir des instruments aux lauréats, c’était une tradition de la maison Gand et Bernardel, que de faire don aux premiers prix de violon et de violoncelle, d’un instrument à leur choix ; tradition que n’a pas abandonné le titulaire actuel, M. G Bernardel. Si l’on considère qu’il n’est pas sorti d’instrument portant l’étiquette Gand et Bernardel sans qu’il ait été contrôlé ou terminé par E. Gand, on jugera de l’importance de son oeuvre. De 1866 à sa mort, 1506 violons lui sont passés par les mais, le dernier a été fini le 14 août 1891 ; les ((p 262)) violoncelles sont au nombre de 460 et les altos de 190. Le Monde musical (n° du 25 mars 1862) a fixé à 159 le nombre des violoncelles ; il y a évidemment eu erreur, puisqu’il existe dans les classes du Conservatoire un de ces instruments, daté de 1879 portant le n° 375. Aujourd’hui c’est à Mr Gustave Bernardel qu’incombe la direction de la maison. Initié de longue date à ses travaux auxquels il a pris depuis 1866, une part importante, nul doute qu’il ne soutienne dignement la haute réputation qui lui est léguée. Comme la précédente, la maison fondée par J.-B. Henry, prend son origine au XVIIIe siècle et nous conduit jusqu’au temps présent ; mais beaucoup plus modeste a été son rôle. Après avoir travaillé dans l’abbaye Saint-Martin (nous avons vu un violon daté de 1781), ce luthier ouvrit en 1788 un petit atelier rue St-Martin où il existe encore. Il le dirigea jusqu’en 1831, année de sa mort. Son second fils Charles, dit Carolus, né en 1803, lui succéda et s’acquit une plus grande notoriété. En 1847, il fit un baryton sonnant à l’octave grave du violon, qu’il présenta, ainsi que ses successeurs aux diverses expositions. (Dubois, ancien contrebassiste de l’opéra a fait un instrument analogue qu’il nomma violon-ténor et qui se jouait comme le violoncelle. Le baryton de Henry se joue comme le violon). A celle de 1849, C. Henry eut un violon placé au 3e rang et reçut une médaille de bronze, en 1855 il eut une médaille de 2e classe. Il décéda en 1859, un an après son frère aîné J- Félix (né en 1793), qui s’était établi ((p 263)) successivement à Paris (1817), Bordeaux (1822), Marseille (1825), avant de revenir définitivement à Paris (1825). Ce dernier avait eu en 1826 un fils, nommé Octave, élève de son oncle Carolus et de Maucotel, qui se fixa en 1854 à Grenoble où il est encore. A la mort de Ch. Henry (1859), son fils L. Eugène (né en 1843) lui succéda, mais trop jeune encore pour avoir acquis l’expérience et la pratique nécessaire, il fut contraint de recourir à des mains étrangères et beaucoup d’instruments portent sa signature, qu’il n’a pas entièrement fait. Il reçut en 1878 une mention honorable et en 1889 une médaille de bronze. A l’essai, un de ses violons fut trouvé bon, ainsi qu’un violoncelle ; quant au baryton, on lui reconnut un son particulier ne s’opposant pas à son introduction à l’orchestre où il aurait son utilité, si l’on adoptait une composition rationnelle pour le quatuor. L. E. Henry est mort le 7 septembre 1892. Sa maison a été reprise par M. Charles Brugère, né en 1865, qui en dehors de l’atelier de Gand où il fut quelque temps, avait travaillé pour lui. L’étiquette adoptée par ce jeune luthier est originale : la vignette représente une lyre très élargie, surmontée d’une étoile ; au dessous, à l’intérieur de la lyre, est le nom de l’auteur et l’année, et un peu plus loin, à gauche, sont croisés, un violon et un archet ; à droite un petit cercle traversant une branche où se voient les initiales C.B. Ces initiales, en forme de paraphe, se trouvent à l’intérieur de l’instrument, sur la table d’harmonie, tracée par la main de l’auteur. Revenons encore au commencement du siècle pour ((p 264)) signaler, comme précédemment, les nouveaux luthiers au fur et à mesure de leur établissement ; il n’y aura maintenant que très peu de retours en arrière, le nombre de maisons dont l’existence s’est prolongée étant fort restreint. Nous ne voyons guère que celle de Claude Pirot qui n’ait pas encore été signalée parmi ces dernières. On connaît de ce luthier, quelques violons datés de 1803 et 188, le Conservatoire en possède un de 1813 (n° 29), il figure sur les annuaires de 1816. Decombe, qu’il ne faut pas confondre avec Ambroise De Comble, était en l’an VII au carrefour de l’Ecole de Médecine. Divers morceaux de musique publiés à son magasin situé alors quai de l’école, et dont l’enseigne était à l’accord parfait, nous font connaitre qu’il exerçait à la fois les professions de luthier, de maître et marchand de musique. Jacques-Pierre Thibout est originaire de Caen, (16 sept 1779). Il travailla d’abord dans sa ville natale, puis à Paris chez Koliker en 1796, et s’établit peu après son mariage qui eut lieu en 1800. J. P. Thibout fit bientôt remarquer ses violons construits sur une forme avantageuse qui, par une disposition particulière des éclisses, avaient une excellente qualité de son. (Rapp de l’acad. des Beaux-Arts, le Monit. Univ, p 634.). Leur prix, variant entre 250 et 350 francs, était relativement élevé pour l’époque ; mais, ils étaient des plus beaux sous le rapport du travail et du vernis, ils peuvent encore soutenir la comparaison avec les meilleurs instruments italiens. A l’exposition de 1827, ce luthier reçut une médaille d’argent ; ((p 265)) en 1844 il en obtint une nouvelle, puis, en 1855, ce fut une médaille de 1ere classe pour un excellent violoncelle. J. P. Thibout mourut à St Mandé le 4 décembre 1856 et son fils Gabriel-Adolphe qui l’assistait depuis longtemps et avait pris la direction de la maison en 1838, ne lui survécu pas de beaucoup : il décéda le 14 juin 1858, laissant un fils, Albert Thibout, né le 17 avril 1839. Trop jeune pour lui succéder dans ses fonctions de luthier des l’Opéra, elles furent confiées à son oncle Gabriel-Eugène (né à Paris le 11 juin 1825) qui faisait partie de l’orchestre de ce théâtre, en qualité de 2eme violon, depuis le 1er août 1846 et qui le quitta le 1er octobre 1861 pour se fixer à Boulogne-sur-Mer, où il est encore. Son neveu mourut le 25 décembre 1865, abandonnant aux frères Gand le titre de luthier de l’Opéra. A Caen se trouvait Aimé-Justin Thibout (né en février 1808) qui exerça jusqu’en 1862. Sans grands renseignements sur Jean-Laurent Mast, cité au précédent chapitre, on ne connaît de son fils qu’une étiquette indiquant la ville de Toulouse pour sa résidence en 1825, où nous le trouvons encore en 1836. Peut-être est-ce lui qui était à Mirecourt en 1820? Dans l’impossibilité de faire la lumière sur ce point, nous signalerons seulement le violon de Conservatoire (n° 1015) qui apporte quelques détails, sans permettre de préciser l’identité de son auteur. L’étiquette qu’il porte est ainsi conçue : Josephus Laurentius Mast fecit Appollini Deo Harmoniae, 1816, réparé chez Schubert, Epinal, 1831. Fils d’un luthier de Mirecourt, François Chanot ((p 266)) était entré dans la marine au sortir de l’Ecole polytechnique. Rendu à la vie civile après la restauration, il se persuada, en voyant travailler les ouvriers de son père, que les instruments à archet étaient construits contrairement aux lois de l’acoustique. Précédant le physicien Savart, il parvint à produire un violon qui soutint avantageusement le parallèle avec les violons anciens et reçut l’approbation des deux académies des Sciences et des Beaux-Arts (monit. Univ, 1817, 26 juillet, p 924, id, 1819, 3 avril, p 1001) et valut son auteur, avec les éloges les plus flatteurs, une médaille d’argent en 1819. Un, de ces violons, fait en 1818 pour Viotti, et un violoncelle sont au Conservatoire. Rappelé à l’activité, peu après sa découverte, F. Chanot abandonna ses travaux et partit à Rochefort ou il mourut en 1823 (Vidal dit par erreur 1828). Son frère Georges Chanot, né à Mirecourt le 26 mars 1801, qui avait embrassé la profession paternelle, s’était fixé à Paris en 1819. Il passa une année chez Clément et entra en 1821 chez Gand qu’il ne quitta que pour s’établir en 1823. Pendant quelques temps, il construisit des instruments sur le modèle imaginé par son frère, mais il fut bientôt contraint d’y renoncer. G. Chanot a laissé la réputation d’un habile ouvrier et d’un parfait connaisseur en instruments anciens. Il a produit beaucoup d’instruments pour l’étranger ; en 1844, il fit une basse dans laquelle était une seconde caisse, dans le but de donner plus d’énergie au son. Il se retira en 1872 après ((p 267)) avoir brillamment figuré aux diverses expositions (M. H., 1827, méd d’arg., 1839, 44 49 ; de 2eme classe 1855), confiant sa maison à son gendre, Marie-Joseph Chardon (né à Paris le 22 mai 1843) qui, marchant sur ses traces, présenta à l’exposition de 1878 un double quatuor, d’une bonne facture et dont les bois étaient choisis avec soins (méd. d’argent). G. Chanot est décédé à Courcelle (S et Oise) le 10 janvier 1883 (Son fils, appelé aussi Georges Chanot, s’en fut à Londres en 1851 chez le frère du luthier parisien Maucotel, et s’y établit en 1858 ; il prit part à l’exposition de 1878 où il reçut une mention honorable). Le fils de M. Chardon (Marie-Joseph-Antoine-Georges) né le 22 avril 1870, après s’être exercé à la lutherie sous sa direction, le seconde maintenant dans ses travaux artistiques Un autre membre de la famille Gand, Guillaume-Charles-Louis, né à Paris le 22 juillet 1792, frère de Charles-François, fut aussi élève de N. Lupot et succéda à son père en 1820 à Versailles où il mourut le 31 mais 1858. Guill. Gand n’a produit qu’un très petit nombre d’instruments, mais ils rappellent la belle manière de son maître et sont très estimés. Il passa un violon de 1810 à la vente Miremont et le Conservatoire en possède un, daté de 1835, genre Stradivarius, parfaitement imité. Bien que les qualités des instruments de Clément (1820 - 47) aient été appréciées par les jurys de 1823 et 1827, il ne reçut qu’une médaille de bronze. Ce luthier, dit-on, travaillait peu par lui-même ; il ((p 268)) employait d’habiles ouvriers tels que G. Chanot, Calot (né à Mirecourt en 1810) et Augière. Ces deux derniers s’associèrent en 1830. Clément inventa une cheville à frein. A Lejeune (J.-C. ?) qui avait fondé sa maison en 1876 avec cette enseigne « au dieu de l’harmonie », succéda vers 1822 son neveu Guillaume Martin qui eût lui même pour successeur, en 1863, un de ses neveux, Charles Martin dont le fils Alexandre a pris la maison en 1890. Ces luthiers se sont occupés surtout de la vente de toutes espèces d’instruments et de la réparation des instruments à cordes. De François Steininger, quelques bons spécimens sont restés. En 1887 deux de ses violoncelles atteignirent en vente les prix de 410 et 650 francs. En 1827, ce luthier avait tenté d’améliorer les cordes basses, au moyen d’un renfort en bois collé sous la table près de la barre d’harmonie. J.-B. Vuillaume, né à Mirecourt le 7 octobre 1798, premier fils de Claude (né en 1772) qui faisait des instruments bon marché, a conquis un haute situation dans la lutherie au XIXe siècle par le nombre prodigieux d’instrument qu’il a signé et par les savantes analyses qu’il fit, avec Savart, des instruments des maîtres italiens. Venu à Paris en 1818, JB Vuillaume entra d’abord chez Chanot où il resta jusqu’en 1821, puis chez Lété (Simon Lété, de Mirecourt, s’était fait une spécialité d’instruments bon marché. Il fit remarquer en 1823 un violon de 25 francs assez satisfaisant, etc. Il reçut à cette occasion une médaille d’argent. Son fils Nicolas-Antoine s’occupa de la construction des orgues avant de prendre sa succession (voir chap 3)), avec lequel il s’associa ensuite. C’est en 1828 qu’il resta seul à la tête de son atelier ; il avait déjà ((p 269)) exposé l’année précédente de très bons violons au prix de 200 fr (médaille d’argent). De bonne heure ce luthier se proposa d’imiter les Stradivarius, les Amatis, les Maggini, les J Guarnéri ; il y réussit parfaitement, le jury de 1834, le reconnut en ces termes: « Les instruments qu’il a construit trompent la vue par l’aspect et le genre de travail ; ils ont l’avantage infiniment plus précieux d’imiter avec tant de perfection la qualité des sons de l’instrument ancien pris pour modèle, que l’oreille la plus exercée peut s’y laisser tromper ; » Deux violons, sur cinq réservés, deux altos sur trois, une basse sur trois, obtinrent le premier rang en 1839 et valurent à Vuillaume une médaille d’or, rappelée en 1844 et suivie de la grande médaille d’honneur (Londres, 1851). C’est par une étude sérieuse des instruments anciens et par l’observation scrupuleuse des plus petits détails de leur structure, l’épaisseur des tables, etc., que Vuillaume parvint à reproduire les qualités caractéristiques des maîtres ci-dessus. Il en fit une démonstration éclatante en 1855 avec quatre violons construits d’après les procédés de chacun d’eux ; l’illusion fut absolue au point de vue de la sonorité et d’habiles artistes s’y trompant, crurent entendre, des Stradivarius et des Amati et non des Vuillaume. En même temps il exposa un alto conçu ((p 270)) dans les véritables proportions par rapport au violon et au violoncelle ; la sonorité en était des plus belles, mais le maniement en était incommode et peu pratique. Son octo-basse (Dubois, contrebassiste de l’Opéra, avait déjà fait une octo-basse en 1834), (1849 50), véritable mastodonte de 4 m de hauteur que l’on peut voir au Conservatoire (n° 203) est de même fantaisie sans utilité, tout comme le violon muni d’une sourdine actionnée par la pression du menton, qu’il présenta en 1867. L’archet, pour lequel Vuillaume recourait au concours des plus habiles faiseurs, fut aussi l’objet de ses études et il en détermina les véritables proportions d’après les plus beaux modèles de Tourte. Il essaya d’en fabriquer en acier creux (1834), mais il dut revenir au bois, beaucoup plus solide et plus souple ; puis, il en fit un dont la mèche pouvait se monter et se démonter en quelques secondes (1836). J. B. Vuillaume mourut le 19 mars 1875, laissant près de 3000 instruments (un violoncelle du Conservatoire porte le n° 2876) ; il est vrai que cette énorme quantité ne lui appartient pas en propre, il occupa toujours un assez grand nombre d’ouvriers : en 1834 - 39, il en avait 8 à l’aide desquels il confectionnait annuellement 600 archets et 150 instruments « don une partie passe à l’étranger » dit le rapport. Trois autres frères de J-B. Vuillaume s’occupèrent de facture : Nicolas qui naquit en 1800, vint à Paris en 1832, et s’en retourna à Mirecourt en 1842, dont la lutherie est fort commune ; Nicolas-François, né le ((p 271)) 13 mai 1802, qui s’établit à Bruxelles après être resté à Paris jusqu’en 1828, et mourut le 16 janvier 1876, dans la capitale du Brabant, où il avait apporté le premier, selon Fétis, les bonnes traditions de la lutherie Française ; Claude François, né en 1807, s’adonna à la construction des orgues d’église. Un fils de ce dernier, Sébastien , Vuillaume s’installa à Paris, Boulevard Bonne-Nouvelle ; il remporta une médaille de bronze en 1867, et mourut 9 ans après (17 novembre 1875). Nestor-Dominique Audinot, également natif de Mirecourt (12 décembre 1842) qui avait fait partie de sa maison de 1863 à 1868 et s’était ensuite établi faubourg Saint-Denis, lui succéda. Ce luthier s’occupe beaucoup de recherche sur les vernis et de réparations mais il ne néglige pas la construction d’instruments neufs ; sa production s’élève actuellement à 588. En mentionnant la fusion des maisons Gand et Bernardel, nous n’avons pu, pour ne pas interrompre l’historique commencé, faire connaître les origines de cette dernière qui comptait alors 40 ans d’existence. Elle avait été fondée en 1826 par Auguste-Sébastien-Philippe Bernardel, né à Mirecourt en 1802, brillant élève de N. Lupot et Ch.-Fr. Gand. Les expositions le tentèrent et il passa rapidement par les divers ordres de récompenses : mention 1827, médaille de bronze, 1834 39, médaille d’argent en 1844 pour alto placé au premier rang et médaille d’or en 1849. S. Ph. Bernardel était dès lors définitivement classé. A Londres, en 1851, il remporta une médaille de 2e classe. Le superbe violon imité de Maggini ainsi que la basse et la contrebasse qu’il présenta en 1855 ((p 272)) lui valurent une médaille de 1er classe. En 1859, ce luthier s’associa ses deux fils qui travaillèrent avec lui jusqu’au moment où il devinrent les collaborateurs d’Eug Gand (1866), et se retira de façon à ce que la réunion des maisons Gand et Bernardel put se faire. Séb. Ph Bernardel est mort à Bougival le 6 août 1870, laissant des instruments d’une facture très soignée et d’une belle sonorité, dont il y a un magnifique spécimen au Conservatoire. C’est lui qui eut l’idée de tailler en biseau la touche de la viole et de l’alto, afin de permettre le rapprochement du sol et d’éviter ainsi le frisement des cordes (1830), et qui imagina de filer à double trait les cordes des instruments à archet (1835). Quoique son père ne se soit pas livré à la fabrication des instruments (il fut maître tailleur dans un régiment d’infanterie), Charles Jacquot appartient à une ancienne famille de luthiers de Mirecourt dont le chef parait avoir été Claude Jacquot qui vivait en 1645, ainsi qu’il résulte d’un travail que prépare M. Albert Jacquot. (La lutherie d’art et la lutherie en Lorraine). Son apprentissage fait chez Nicolas et chez Breton (Breton naquit à Mirecourt en 1780, où il exerça, croit-on, de 1812 à 1830, époque de son décès. Il fut luthier de la duchesse d’Angoulême. Un violon sans date de ce luthier, dont les produits sont très soignés, fut dans la collection Samary), Ch Jacquot quitta Mirecourt en 1823 pour se rendre à Nancy, où il s’établit en 1827. Attiré par la capitale, il confia sa maison à son fils en 1854 et vint en fonder une autre à Paris. Ce luthier, né ((p 273)) à Mirecourt en 1804, travailla presque jusqu’à sa mort, survenue le 29 mars 1880 à Saint-Maur-les-fossés. Ses instruments sont estimés pour le fini du travail et la régularité de la forme ; ils lui valurent un certain nombre de récompenses aux diverses expositions où il se présenta (Nancy : médaille de bronze (1838), d’argent (1843) ; Paris : (1849) mention hon. (1855) ; méd. d’or, Bayonne (1864) ; de Bronze, Paris (1867). Une médaille de 2e classe lui fut décernée, parait-il, à Londres en 1851 ; elle ne figure pas au palmarès français (trav. de la comm. Fr., t 1, p. 53) bien qu’elle soit, avec le diplôme, entre les mains de la famille.). Son fils Pierre-Charles Jacquot (Nancy, 10 mars 1862), ne crut pas devoir abandonner sa ville natale pour reprendre la maison de Paris ; il conserva celle qui lui avait été confiée en 1854, alors très prospère. En 18162, il avait pris part à l’exposition de Londres et obtenu la Prize medal pour la bonne qualité et le bon marché de ses instruments ; en 1867, il reçut comme son père, une médaille de bronze et, en 1878, une médaille d’argent. Semblable récompense fut décernée, e 1889, à MM Jacquot, père et fils, pour leurs instruments d’une belle coupe, vernis en imitation de vieux, dont la qualité principale était l’égalité de son, et, le 14 juillet 1892, M. P.-Ch. Jacquot père, recevait la croix de la Légion d’honneur (Antérieurement, M. P.-Ch. Jacquot avait obtenu un 1er prix à Metz (1861) ; une médaille d’or à Lyon (1872) ; des diplômes d’honneur à Bar-le-Duc (1880) et Alger (1881) ; depuis, MM. Jacquot père et fils ont pris part aux expositions de Moscou (1891, et de Vienne (1892), qui ne comportaient pas de récompenses ; actuellement, ils ont des instruments à Chicago.) Ses deux fils le secondent ; l’aîné ((p 274)), Etienne-Charles-Albert, né le 18 septembre 1853, élève et associé de son père, s’est fait connaître en outre comme écrivain, il a publié notamment La Musique en Lorraine, et un dictionnaire des instruments de muisque, etc., il est officier de l’instruction publique et membre de la Société des Beaux-Arts des départements ; le plus jeune, Jules-Victor, est né le 12 août 1855. Il y eut à Metz un autre luthier, Jean-Charles Jacot, né en 1811 et décédé à Pont-à-Mousson il y a quelques années, dont le fils aîné, A Jacot est aujourd’hui à Paris où il s’occupe de facture ; le second, Lucien, premier basson du Conservatoire en 1875, est à l’orchestre de l’Opéra-Comique et de la Société des Concerts du Conservatoire. Originaire de Mirecourt, comme la plupart des luthiers, Etienne Laprévotte séjourna quelque temps à Marseille, où il était encore en 1821, avant de se fixer dans la capitale. Il se fit d’abord remarquer par la parfaite exécution des ses violons. Mentionné en 1823, il reçut une médaille de bronze en 1827. Un des violons qui figura à cette dernière exposition est actuellement au Conservatoire (n° 40) ; c’est une belle pièce à encadrement d’ivoire et d’un vernis de couleur agréable, mais Laprévotte ne tarda pas à sacrifier à la mode et il s’adonna à la construction des guitares. En 1834 il recevait une mention pour une série de ces instruments de diverses formes ; en 1844 ce fut une médaille de bronze. Deux jolis spécimens de la fabrication de ce luthier sont au Conservatoire (n° 179, 286) ; il portent, collés à l’intérieur, cette singulière étiquette : « Guitare Laprévotte, dédiée aux dames. » ((p 275)). Ce galant luthier mourut en 1856. Aussi renommées que furent ses guitares, celles de Lacote ne lui cédèrent en rien. La médaille de bronze qu’on lui décerna en 1839 était accompagnée de cette flatteuse appréciation : « M. Lacote est un luthier fort distingué, qui fabrique des instruments forts recherchés du public » Parmi celles qu’il exposa, il s’en trouvait une à 7 cordes, parfaitement exécutée et d’une fort belle qualité de son. En 1844, elles furent au premier rang (méd. de bronze). Le Conservatoire possède deux guitares de Lacote de modèles différents. L’une, à 6 cordes, datée de 1852 ; l’autre, heptacorde, la septième corde étant disposée comme les cordes basses du théorbe ; l’étiquette indique qu’elle a été faite entre 1820 et 1830 (182). En 1826, Lacote fit breveter une guitare à 10 cordes (décacorde) qu’il exposa l’année suivante. Un autre fabricant, celui-là de Mirecourt, Coffe-Goguette présenta des guitares ornées avec goût et d’une belle sonorité (1834-39, méd de bronze). Pons, de Grenoble, avait exposé en 1827 une guitare dont le manche se rapprochait ou s’éloignait à volonté des cordes, pour laquelle une mention lui fut décernée. La guitare avait fait sa première apparition à une exposition en 1819 ; un certain Delaborne en présenta qu’il nomma d’abord « guitare à double jeu et à registre », puis à l’exposition suivante (1823) : « une guitare à double jeu et à digitale ». Cette fois, ce spécialiste ne fut plus seul, il eut pour concurrents : Campion, dont la guitare à 6 cordes était en acajou avec garniture ébène et nacre ; Nicolas Legros de la Neuville qui présenta en outre des violons et ((p 276)) basses, ainsi qu’un fixateur à violon. Un descendant des célèbres Guadagnini, exposa une guitare en 1827 ; il n’est pas autrement connu, et L. Géo. Warnecke, de Nancy, ne l’est que par le brevet qu’il prit en 1826 pour sa guitare-basson et la mention qu’il reçut en 1827, pour ses violons, violoncelle et alto.
Parmi les nombreux artistes qui font honneur à la lutherie française, les frères Silvestre occupent incontestablement une des premières places. L’aîné, Pierre, qui vit le jour à Sommerviller près de Nancy, le 9 août 1801, fit son apprentissage à Mirecourt, chez Blaise, et vint se perfectionner à Paris chez Lupot et Gand père. Après avoir travaillé comme ouvrier chez ce dernier, il alla s’établir à Lyon en 1829 où son frère Hippolyte, natif de St-Nicolas-de-Port (14 décembre 1808), vint le rejoindre en 1831 au sortir de l’atelier de J.B. Vuillaume. Ils restèrent associés jusqu’en 1848, époque à laquelle Hippolyte se retira. La lutherie de P. Silvestre est très estimée ; d’une sonorité remarquable, d’une grande finesse d’exécution et de forme séduisante. Ce célèbre luthier mourut en 1859. Rappelé à Lyon par le décès de son frère, Hippolyte Silvestre reprit la maison qu’il céda en 1865 au fils de sa soeur, Hipp. Chrétien, et retourna finir ses jours à Sommerviller (3 décembre 1879). Né dans cette dernière ville le 1er avril 1845, M. Chrétien n’avait donc que 20 ans lorsqu’il prit la succession de son oncle. Il ne faillit pas à la tache, et sous le nom de Silvestre neveu, il a su perpétuer l’excellente réputation qui lui avait été transmise. La médaille ((p 277)) de progrès à Vienne, en 1873, une médaille d’argent en 1878 et la médaille d’or en 1889, en sont les meilleurs garants. Une coupe nette et élégante, un vernis transparent et une belle sonorité, telles sont les principales qualités des instruments de ce luthier. Il est donc à regretter que la plus grande partie de son temps soit absorbée par les réparations (dans lesquelles il excelle d’ailleurs) puisqu’elle restreignent forcément sa fabrication d’instruments neufs. Depuis 1884, M. Silvestre neveu a transféré son atelier à Paris, où il a vu rapidement augmenter sa clientèle, grâce à son habileté et à ses persévérants efforts. Modestement, seb. Paquotte (né à Mirecourt en 1800), s’installait à Paris en 1830 où il ne rechercha pas les succès bruyants ; quand il mourut en 1863, il ne s’était pas encore décidé à prendre part à une exposition. Son fils Sébastien, né le 13 septembre 1843, faisait alors ses études au Conservatoire, où il remporta un 2e accessit de violon en 1864. Ne pouvant lui succéder, c’est J. B. Paquotte, neveu du défunt, avec lequel il avait travaillé 8 ans avant de passer 14 ans chez Lafleur, qui reprit la maison, qu’il conserva jusqu’en 1888, époque à laquelle il passa la main à ses fils Henri-Félix (né à Paris le 11 mars 1857) et Placide (né en 1864). Plus ambitieux que leurs prédécesseurs, les frères Paquotte se présentèrent à l’exposition de 1889 et obtinrent, pour leurs débuts, une médaille de bronze, une belle qualité de son ayant été reconnue à leurs violons. Il n’est pas inutile de remarquer que l’un d’eux, Henri, a fait ses études musicales au Conservatoire dans la classe de ((p 278)) solfège de M. Lavignac et dans celle de violon de M. Sauzay, de 1873 à 1878. La réparation constitue la principale occupation des frères Paquotte. J. A. Lapaix, de Lille, est de ceux qui crurent pouvoir obtenir de meilleurs résultats en abandonnant la forme classique des instruments à cordes. Peu satisfait sans doute du modèle qu’il imagina en 1841, il en produisit un second en 1855, s’écartant moins que le premier des données habituelles, et dont la construction se vérifiait expérimentalement, en faisant vibrer les pièces de bois avec un archet, aux diverses phases de la fabrication. Lapaix imagina aussi de tailler les éclisses dans une pièce de bois évidée dans la forme ordinaire, de façon à n’avoir que six pièces à réunir au lieu des 24 qu’exige le système ordinaire. Il reçut une médaille de 2e classe en 1855. Déjà en 1838, Claude-Victor Rambaux avait tenté de modifier la forme de la voûte et des éclisses ; en 1847, il façonna la table de ses violons par moitié, en portion de cylindre, et leur donna à chaud, la courbure longitudinale, afin de ne pas trancher le fil du bois. Enfin, en 1855, il exposa un violon avec une seconde barre collée sur le fond et sur laquelle était posée l’âme, dans le but d’obtenir une meilleure sonorité. Cet habile luthier, qui avait eu des médailles d’argent en 1844-49, en reçut une de 1ere classe. Né à Darney (Vosges) le 25 février 1806, il avait travaillé à Mirecourt de 1820 à 24, ensuite à Caen, chez Thibout. De 1827 à 38, il resta chez Gand père qu’il quitta pour s’établir à son compte. En 1857, il se retira à Mirecourt où il mourut le 25 juin 1871. ((p 279)) Après avoir travaillé chez J. B. Vuillaume, Ch Simonin revint à Mirecourt, sa ville natale, puis s’établit en 1841 à Genève, qu’il quitta en 1849 pour se fixer à Toulouse, d’où il envoya divers instruments à l’exposition de 1855. Entre autres une imitation de Jos. Guarnéri d’une sonorité ayant de l’ampleur, qui lui valurent une mention. Pierre Napoléon Jeandel, né à Courcelles-sous-Vaudémont en 1811 ou 12, doit être rangé parmi les habiles ; à la seule exposition à laquelle il prit part, celle de 1855, il remporta une médaille de 1ere classe. Son apprentissage fait à Mirecourt, il s’en fut en 1835 chez Charotte aîné, de Mirecourt, établi à Rouen depuis 1830, et lui succéda l’année suivante avec Lucien Delau, dont il se sépara en 1848. Jeandel exerça jusqu’en 1878 et mourut peu après, le 10 mai 1879. Après un intervalle de 5 années, M. A. Klein, marchand de musique et d’instruments, résolut de prendre la place laissée libre par Jeandel, et il fit appel à M. Antoine Brubach (né à Mirecourt le 22 janvier 1847) pour rétablir la fabrication des instruments à cordes à Rouen. Jamais exposition n’avait encore réuni un aussi grand nombre de luthier de talent que celle de 1855. Quelques-uns nous sont déjà connus, il en reste beaucoup d’autres à signaler dont les produits sont de plus en plus estimés. Charles-Adolphe Maucotel est du nombre. Il avait 19 ans lorsqu’il vint de Mirecourt à Paris. En 1839, chez J. B. Vuillaume, où il ne resta que 5 ans. Dès 1844 il se mit à son compte. Après un premier succès en 1844 (médaille de bronze pour alto placé au 2eme rang), il se fit remarquer par d’excellentes imitations ((p 280)) de Stradivarius et Joseph Guarneri, d’une sonorité pleine de distinction (médaille de 2eme classe, 1855). Les espérances qu’il faisait concevoir furent brisées par sa mort tragique (6 février 1858). Charles Mennegand et Claude-Auguste Miremont ont cela de commun que, sujets français, ils figurèrent au titre étranger à cette exposition de 1855, par suite du séjour momentané qu’ils firent hors de France. Le premier, Mennegand, est originaire de Nancy (19 juin 1822). Il travailla successivement à Mirecourt, à Paris, chez Rambaux (1840), puis chez Maucotel (1851) et partit à Amsterdam en 1852 où il resta jusqu’en 1857, époque de son retour à Paris. Il n’obtint pas de grand succès aux expositions ; en 1855 une médaille de 2eme classe lui avait été décernée, bien qu’un de ses violons et un violoncelle aient été très remarqués du jury. Il fut plus habile réparateur que constructeur. Mennegand est mort le 9 janvier 1885 à Villers-Cotterets. C’est à New-York que le second fils de Séb. Miremont, luthier de Mirecourt, élève de C. N. Collin, s’en fut l’année même ou Mennegand s’installait en Hollande (1852). Son séjour chez les Yankees fut de plus longue durée que celui de son collègue, car il ne revint qu’en 1861 à Paris, où il avait déjà passé en 1844 et 46 (chez Lafleur et Bernardel), en quittant sa ville natale. Doué d’une merveilleuse sûreté de main, il faisait ses instruments avec une extrême précision et sans le secours d’aucun ouvrier ; aussi portent-ils tous son cachet particulier. A chaque exposition, C.-A. Miremont reçut les plus hautes récompenses : médaille de ((p 281)) 1ere classe en 1855 et 1832, d’argent en 1867 et 1878. Il se retira en 1884 à Pontorson où il décéda en 1887 à l’âge de 60 ans. Beaucoup de ceux que nous venons de signaler ont disparu sans laisser de successeurs directs. La lutherie d’art serait donc menacée d’un rapide déclin, si leurs élèves et ouvriers ne venaient former de nouvelles souches et assurer à la France un nombre suffisant de représentants exercés. Peu de nouveaux ateliers se sont ouvert durant cette seconde moitié de siècle, mais avec les anciens, il en reste encore assez pour répondre aux besoins actuels et soutenir le rang élevé auquel les luthiers de talent dont il vient d’être question, ont porté la production française. Celui qui ouvre cette période est Louis-Joseph Germain. En quittant Mirecourt, où il naquit le 23 juillet 1822, il entra chez Gand père en 1840, et passa chez J. B. Vuillaume en 1845 et devint premier ouvrier chez Gand fils en 1850. Germain s’établit en 1862. Malgré la grande supériorité de ses produits et l’habileté qu’il déployait dans la réparation des anciens instruments, sa trop grande modestie l’empêcha de se mettre en évidence pendant sa trop courte carrière. En 1870, il transmit sa maison à son fils Emile, et s’en alla mourir dans sa ville natale (5 juillet). Trop jeune pour rester seul, M. Emile Germain (il est né à Paris le 24 juillet 1853), s’associa avec un amateur nommé Dehommais qui avait entrepris des expériences sur les vernis. En 1882, ce dernier se retira. Pendant l’association, il fut fait une centaine d’instruments au ((p 282)) nom de Dehomais et Germain. Depuis, ce dernier s’est fait beaucoup apprécier par le soin qu’il apporte tant à la fabrication purement artistique, qu’à la réparation des vieux instruments à laquelle il suffit à peine, aussi ne se charge t-il de remettre en état que les instruments de valeur. En dix ans, M. Emile Germain a produit plus de 500 instruments presque tous de sa main. En 1868, J.-B.-Charles Collin dit Collin-Mezin, natif de Mirecourt (12 nov. 1841) se fixait à Paris. Elève de son père Claude-Nicolas (mort en 1864), doué d’aptitudes sérieuses, il réussit à force de persévérance à attirer sur ses instruments l’attention des maîtres du violon. L’exposition de 1878, lui donna l’occasion de les mettre plus en lumière et son attente ne fut pas trompée : il reçut une médaille d’argent à raison de leur beau vernis et de leur remarquable sonorité. Un semblable succès lui était réservé en 1889, et sans les accidents qu’ont éprouvé ses instruments, par suite d’un vice de construction du bâtiment où ils étaient exposés, peut-être eut-il obtenu mieux. Les modèles adoptés par ce luthier sont Stradivarius, Amati et Guarneri, trouvés fort bons par le jury, de bois bien choisi et d’une belle facture. M. Collin-Mezin est officier d’académie depuis 1884. Il se livre beaucoup plus à la fabrication d’instruments neufs qu’à la réparation des anciens, aussi sa production s’élève-t-elle a ce jour à près de 4 000 instruments. (?) Paris est l’objectif général, tous rêvent d’y venir sans songer à l’encombrement qui rend les efforts si pénibles, alors que d’autres villes offrent des ((p 283)) ressources que l’on parait méconnaître, et dans lesquelles un artiste intelligent peut aussi bien se faire valoir que dans la capitale. C’est probablement ainsi qu’a pensé M. Hel (Pierre-Joseph), en allant fonder sa maison à Lille (1865), et l’expérience a prouvé une fois de plus que l’on peut faire ses affaires et acquérir la renommée en dehors de la capitale. Né dans les Vosges à Mazirot, le 8 février 1842, M. Hel passa 7 ans à Mirecourt, 2 ans à Paris, chez Séb. Vuillaume, et un an chez Nicolas Darche, à Aix-la-Chapelle (1864-65), avant d’entreprendre la fabrication à son compte. Ouvrier de premier ordre, il fait lui-même ses instruments et, par un procédé qui lui est personnel, il vieillit les bois sans feu, ni acides, et leur donne ainsi une excellente sonorité. M. Hel, est en outre, inventeur d’une pointe de violoncelle (1878), et d’un système pour fixer les chevilles, qui permet de tendre les cordes sans secousses, et sans qu’elle puissent se dérouler (1886). Une simple mention avait été le résultat de l’exposition de M. Hel en 1878 ; depuis, il n’a plus remporté que des médailles d’or : Lille (1882), Anvers (1885), Liverpool (1886), et Paris (1889). De même que le précédant, M. Blanchard (Paul-François) n’a pas dédaigné la province. De Mirecourt où il naquit en 1850, il vint à Lyon chez M. Silvestre neveu et après être resté 7 ans chez ce luthier, il travailla pour lui-même à partir de 1876. Les instruments fabriqués par lui, portent une étiquette spéciale formée d’une grecque sur laquelle s’enroule une banderole où se lit la légende de Duiffoprugcar ((p 284)) (Viva fui in sylvis, sum dura occisa securi ; dum vixi tacui, mortua dulce cano, c’est à dire « J’ai été vivante dans les forêts. La hache m’a tuée. Vivante j’était muette, morte je chante doucement » qui les distingue de ceux dont la construction est confiée à ses ouvriers, lesquels portent simplement « fait dans l’atelier de P. Blanchard ». Ce luthier a rapidement conquis un bon renom ; à sa première exposition (1889) il se vit décerner une médaille d’argent avec ce commentaire : « facture soignée, jolies fournitures, vernis transparent et d’une belle couleur rouge ambrée. Sur trois violons entendus, celui du modèle Guarnérius a été trouvé le meilleur : il avait une bonne sonorité et une certaine distinction et l’alto était bon sur les quatre cordes ». C’est de bon augure pour l’avenir. Actuellement M. P. Blanchard tente la construction d’un violon miniature dont la table ne mesure que 8 centimètres. Amateur plus que luthier de profession, M. Eloph Poirson, ex-commis principal du télégraphe à Lyon, s’est livré à la fabrication des instruments à archet avec passion. Ayant soumis en 1878 un de ses violons à M. Marsick, il en reçut de telles félicitations qu’il se décida à donner carrière à son irrésistible aspiration. Le jury de 1889 reconnut dans ses instruments un grand soin de détails et remarqua un, violon d’une très bonne qualité : il attribua une médaille de bronze à l’auteur. Cette petite excursion à travers la province nous a écarté un moment de l’ordre d’ancienneté que nous suivions. Revenons donc quelque peu en arrière pour signaler l’établissement à Paris de Nicolas-Emile ((p 285)) Cherpitel qui, après avoir été dans l’atelier de Grandjon, resta dans celui de Gand de 1859 à 1870, époque à laquelle il se mit chez lui. M. Cherpitel a été mentionné en 1878 pour ses instruments où se reconnaît une main habile. Il est né le 24 juin 1841 à Mirecourt et décédé au mois de février 1893 ; le magasin est tenu depuis par sa veuve assistée de M. Charles Moinel, son neveu ( Aux quelques luthiers des départements dont il a été question dans le courant de ce paragraphe, ajoutons les suivants sur lesquels l’on a peu de renseignements : Mougnet de Lyon, inventeur d’une lyre-guitare (1811) ; Chalon « luthier et facteur d’instruments à vent, à Chalon-sur-Marne » (1812) ; G. Roger, Montpellier (1820) ; Charles Plumerel, Angers (1822) ; Sulot de Dijon, auteur d’un violon à 3 tables (1829) ; Amelot, Lorient (1829) ; Salomon Lacroix qui proposa un nouveau système de barrage ; Pierre Pacherelle, né à Mirecourt en 1803, établi à Nice, puis à Gêne, Turin et fixé définitivement en 1839 à Nice où il mourut le 31 décembre 1871 ; J. B. Gaillard-Lajoue, Ch. Lullier, à Douai et Fr. Mette, exposants en 1855 ; François Brugère, né et décédé à Mirecourt (1822-1874) dont le fils Malakoff Brugère, né en 1856 ou 57 est établi depuis quelques années à Marseille ; Bailly, de Mirecourt, médaille de bronze en 1878 pour lutherie de peu d’apparence mais de bonne qualité, figure parmi les exposants de 1893 à Chicago.) Bon élève de Miremont chez qui il entra en 1876, M. Georges Cunault, (né à Paris en 1856), après avoir obtenu en 1878 une mention comme collaborateur, a formé en 1882 un atelier qui promet de devenir important. C’est également en quittant l’atelier de Miremont où il était entré en 1873 comme premier ouvrier, que M. Séb.-Aug. Deroux tenta la fortune pour son compte personnel en 1884. Fils de luthier ((p 286)), né à Mirecourt le 29 juin 1848, M. Deroux, en sortant de la maison paternelle alla se perfectionner à Lyon chez Silvestre (1866-69). C’est dire qu’il a acquit des connaissances précieuses, dont il recueille déjà les fruits. Une médaille d’argent en 1889 est venue attester la bonne facture de ses instruments et la distinction, l’ampleur et aussi leur égalité de son. Depuis 1890, M. Simoutre (Nicolas-Eugène), s’est fixé à Paris, revenant de Bâle où il avait fondé une maison en même temps qu’à Mulhouse (1860), après avoir exercé pendant 4 ans à Strasbourg. Ce luthier est né à Mirecourt, le 19 avril 1834 ; il travailla d’abord avec son père Nicolas Simoutre (né dans la même ville en 1788, qui s’était établi en 1820 et qui s’installa à Metz en 1844, où il mourut en 1870), puis chez Darche (1852) à Paris, et chez Ch. Roth, à Strasbourg (1856). M. N.-E. Simoutre est un chercheur qui a pensé améliorer la sonorité des instruments à cordes par l’addition du support harmonique (1885) et de la barre semi-adhérente (1887), appendices de différentes formes qui se placent sous la table d’harmonie, dont il a donné la description dans diverses brochures : Un progrès en lutherie (1886) et Supplément aux amateurs de violons (1889). Antérieurement (1883) il avait publié sous ce titre : « Aux amateurs de violon », un résumé historique suivi d’une étude sur la construction de cet instrument. A l’exposition de Bâle (1877) et à celle de Zurich (1883), ce luthier obtint un diplôme d’honneur, mais, à Paris en 1889, il ne lui fut décerné qu’une médaille de bronze qu’il crut devoir refuser. Le dernier venu et le plus jeune des luthiers est ((p 287)) M. Paul Jombar, qui après avoir travaillé quelque temps dans l’atelier Gand et Bernardel, a formé, en 1892, une maison qui n’a pas encore d’histoire.
A coté de la lutherie artistique, la lutherie courante occupe une place honorable, et ses produits, pour ne pas avoir la valeur et les qualités de la première, ne sont absolument pas à dédaigner. Tout le monde ne peut s’offrir ces beaux instruments, oeuvre patiente et personnelle d’artistes de talent, pour lesquels la précision, l’ampleur et la distinction de la sonorité sont des lois inéluctables ; il faut pour les bouses modestes et l’exportation des instruments faits rapidement, le mieux possible et coûtant peu. C’est à Mirecourt qu’est née cette spécialité. Longtemps les instruments sortis de cette petite ville des Vosges ont été considérés comme inférieurs et indignes de l’attention des amateurs, à raison des conditions dans lesquelles ils étaient établis, car, si la majeure partie des ouvriers qui ont illustré la lutherie sont originaires de Mirecourt, ce n’est qu’après avoir fréquenté des maîtres habiles et étudié sous leur direction, les plus beaux types d’instruments anciens et modernes, qu’ils sont parvenus à se distinguer. Les produits de la petite cité lorraine ne peuvent donc tire une valeur quelconque de la grande réputation acquise par ses plus célèbres enfants. Néanmoins de réels progrès ont été faits et il est juste de constater une supériorité relative dans la fabrication. Les saines traditions de le fabrication parisienne, écrivait Lissajou en 1832, ont pénétré ((p 288)) dans les Vosges et la fabrique de Mirecourt ne sera plus désormais célèbre exclusivement par le mérite du bon marché. Le premier qui donna un certain développement à cette industrie, vieille de plusieurs siècles, est Didier Nicolas l’aîné, dit le Sourd. Il est le premier qui ait participé à une exposition. Il représenta la lutherie de Mirecourt à celle de 1802. Cette initiative ne fut pas alors récompensée, mais quatre ans après, force fut au jury de reconnaître les qualités de facture qui distinguaient les produits de ce luthier entreprenant, et une médaille d’argent lui fut attribué pour ses produits personnels. En 1819 il exposa un « violon pour les symphonies » c’est à dire de facture ordinaire, les instruments de choix étant alors appelés « violons pour les quatuors ». De bonne heure Nicolas avait initié à la fabrication son fils Joseph, né en 1796, de sorte qu’à sa mort (1833), ce dernier était en état de diriger l’important établissement qu’il lui laissa, car Nicolas n’employait alors pas moins de 600 ouvriers fabriquant pour un million d’instruments de musique dont les prix variaient de 2 fr. 50 à 60 fr. A ce titre J. Nicolas reçut une médaille de bronze en 1834. Nous ne saurions dire dans quel but il construisit en 1855 un violon à deux tables, pouvant se jouer des deux cotés et muni par conséquent de deux touches, deux chevalets, etc., l’utilité n’en est pas plus démontrée que celle du violon-alto entré récemment au musée du Conservatoire, car l’épaisseur des doubles éclisses n’en rend pas la tenue des plus faciles. J. Nicolas fils décéda en ((p 289)) 1864 et J. J. Derazey réunit sa maison à celle qu’il possédait et qui, après avoir obtenu une mention en 1839 et 1844 avait réussit à remporter une médaille de 1ere classe en 1855 et 1862, pour le bon marché et la bonne qualité de ses instruments. Sa production était en 1844, de 600 instruments par an, vendus de 5 à 150 francs. Les succès de Nicolas engagèrent un de ses concitoyens à entre dans la lice et, en 1839, apparut Buthod, ancien ouvrier de Vuillaume, qui se vit décerner une médaille de bronze. Il fabriquait à ce moment 800 violons, 40 altos et 50 basses environ par an ; les violons au prix de 5 à 40 francs. Depuis, cette maison a pris une extension considérable. Buthod remplaça Duchène vers 1848, comme associé de Husson, fabricant d’instruments à vent, auxquels se joignit, vers 1857, M. Louis-Emile-Jérome Thibouville, né à Mouettes, le 1er février 1833, de Louis-Martin Thibouville, également facteur à La-Couture. Cette société fit donc sous le nom de Husson et Duchène, puis sous celui de Husson et Buthod et ensuite Husson, Buthod et Thibouville, le commerce général d’instruments de toutes sortes ; en 1849 elle avait pour enseigne : Aux grands Magasins d’instruments. Devenu seul propriétaire des diverses manufactures, un peu avant 1867, M. J. Thibouville-Lamy donna une impulsion nouvelle à la production en transformant le système de fabrication. Il substitua peu à peu au travail manuel, le travail mécanique permettant d’augmenter la quantité d’instruments et d’abaisser les prix à ce point qu’à Vienne, en 1873, il put présenter au jury ((p 290)) ses fameux violons à 5, 10 et 20 francs. C’est par la création de diverses machines et par la division du travail que M. Thibouville-Lamy est parvenu à ces résultats surprenants sous le rapport des prix et de la production qui s’élève, parait-il à environ 30.000 instruments par an. Ainsi que l’a fait remarquer Fétis dans son rapport de 1867, « ces séries d’instruments ne sont digne d’éloge que comme objets de commerce et d’exportation ; ils n’ont pas de rapport avec les produits de la lutherie de précision, et il ne s’agit pas dans leur examen de rechercher l’ampleur, la distinction et l’égalité de la sonorité, mais ils ont la supériorité relative dans la lutherie commune. » M. Thibouville-Lamy, en différentes usines, réunit toutes les branches de la facture. A La couture se font les instruments en bois et à Grenelle ceux en cuivre ; en 1864 il acheta la fabrique de cordes harmoniques fondée par H. Savaresse (Depuis 1766, la famille Savaresse s’occupait de la fabrication des cordes harmoniques.) à Grenelle, et dès lors commença une sérieuse concurrence à l’Italie. En 1878, 800.000 boyaux de mouton étaient transformés en cordes harmoniques par les sons de 120 ouvriers. M. Thibouville-Lamy est l’inventeur d’un appareil spécial à l’aide duquel on peut constater sur les cordes des différences de diamètre d’un centième de millimètre. Aussi nombreuses sont les récompenses obtenues par ce grand industriel (Ne citons que les dernières et plus importantes : (médaille du progrès et décoration de François-Joseph (Vienne, 1873), grande médaille d’honneur (Santiago, 1875), prize medal (Philadelphie, 1876), médaille d’or (Londres, 1885)). A Paris, en ((p 291)) 1878 et 1889, M. Thibouville-Lamy fut membre du jury et, par conséquent, hors concours ; à cette dernière, il remplit les fonctions de rapporteur du jury. Chevalier de la Légion d’honneur le 10 avril 1877, il a été promu officier le 15 janvier 1892. Parmi les autres fabricants qui s’adonnèrent à la lutherie commune, citons Grand-Gérard (Grandgérard), à la fin du XVIIIe siècle et au commencement du présent ; Remy, dont l’établissement date de 1835 ; Gautrot aîné, dont nous parlerons plus loin et Grandjon aîné, auquel succéda son fils (médaille de 1ere classe 1855, de bronze 1867 et d’honneur 1878), puis son gendre, M. E. Lantez. A Reims, M. Emile Mennesson s’est aussi fait une spécialité d’un modèle de violon à bon marché qu’il a nommé Guarini, pour lequel une mention lui fut accordée en 1878 avec cette note « bon pour le prix ».
Archets
Nous n’avons rien dit encore des fabricants d’archets, cet accessoire sans lequel le meilleur instrument n’est qu’un corp inerte ; nous ne saurions cependant les passer sous silence, car si l’Italie peur à juste titre revendiquer la perfection du violon, c’est à de modestes artisans français que revient la réforme définitive de l’archet. Ce sont les Tourte qui ont créé le type que l’on n’a pu depuis qu’imiter et non transformer. Tourte père, et son fils Xavier passent pour avoir supprimé la crémaillère à laquelle ils substituèrent la vis à écrou mue par le bouton placé à l’extrémité ((p 292)) inférieure de la baguette, vers 1740. Ils sont les auteurs de la courbure de la baguette, de la forme plus élégante de la tête des archets, perfectionnements préliminaires, qui devaient être complétés par François Tourte (né e 1847). C’est lui qui fixa définitivement les règles essentielles à observer : longueur, poids, coupe, courbure, etc., avec une telle précision qu’elles ont été universellement adoptées. Il choisit le bois de Pernanbouc, inventa la virole en métal adaptée à la hausse pour maintenir les crins, couvrit d’une plaque de nacre la partie de la mèche reposant sur la hausse, et constitua ainsi ce que l’on nomme l’archet à recouvrement. Pour la construction des archets, F. Tourte n’a pas eu son égal au monde ; Spohr l’a constaté dans sa méthode de violon, et les prix qu’ils atteignent aujourd’hui le prouvent surabondamment. F. Tourte faisait payer ses archets ordinaires 36 F. et ceux à garniture 72 livres ; on les paye maintenant de 200 à 500 Francs. En 1887, à l’hôtel Drouot (vente Bonjour), un archet de violoncelle (les plus rares) atteignit le prix fabuleux de 1100 francs, c’est M. Hill, de Londres, qui s’en rendit acquéreur. F. Tourte mourut au mois d’avril 1835 après s’être acquis une grande renommée « sans la désirer, a dit fort justement Fétis, et sans avoir conscience des droits qu’il y avait ». Depuis, la France a produit un assez grand nombre de fabricants d’archets qui, sans l’égaler, ont néanmoins marché sur ses traces : François Lupot qui ajouta à la hausse la doublure en métal appelée coulisse, auquel succéda Dominique Peccate (né à Mirecourt le 15 juillet 1810), dont les baguettes peuvent ((p 293)) rivaliser avec celles de F. Tourte, mais qui, à partir de 1847, se retira dans sa ville natale pour ne plus travailler que pour quelques amateurs ou artistes distingués. Il y mourut le 13 janvier 1874. De nos jours, Charles Peccate s’efforce de soutenir la réputation du nom qu’il porte ; en 1889, il a obtenu une médaille d’argent pour sa collection d’archets de bonne qualité. Jacques Lafleur (Nancy 1756, Paris 1832) s’est aussi distingué dans la confection des archets ; comme son père, Joseph-René Lafleur (Paris, 9 juin 1812, Maisons-Lafitte, 18 février 1874), fut fort habile et produisit des archets comparables aux meilleurs de F. Tourte. Citons également parmi les dignes continuateurs de ce novateur : Eury (1820), Persoit, qui travailla pour J.-B. Vuillaume de 1821 à 43 ; Pageot, fils de Louis-Simon, né à Mirecourt le 25 janvier 1791, où il mourut le 24 août 1849, après avoir obtenu une mention en 1834 pour le fini de son travail ; J. Henry (né à Mirecourt en 1810 ou 23, décédé à Paris en 1870), Gradadam (Grandadam) dit Adam (Mirecourt, 26 février 1823 - 19 janvier 1869, bien supérieur à son père Jean Adam, Simon (né à Mirecourt le 1er décembre 1808), Georges Fréd. Schwartz (Strasbourg, 7 avril 1785 - 29 décembre 1849, fils de Bernard, luthier décédé en 1821 ou 22, et frère aîné de Théophile-Guillaume (né le 16 octobre 1787, décédé le 29 juillet 1861), également luthier à Strasbourg, où son fils (né le 3 septembre 1821) lui a succédé. Enfin, François-Nicolas Voirin, qui selon quelques-uns est le meilleur après Tourte, Peccate ne venant ((p 294)) qu’ensuite. Il est certain que cet artiste avait une habileté peu ordinaire. En s’inspirant des modèles du créateur de l’archet moderne, il leur apporta quelques améliorations de détail d’un heureux effet. La tête de ses archets est moins carrée et le chanfrein dont il les a pourvus, en fait ressortir la finesse. Né à Mirecourt le 1er octobre 1833, F.-N. Voirin est mort à Paris le 4 juin 1885. N.-Alf.-Jos. Lamy, né à Mirecourt le 8 septembre 1850, s’est perfectionné à l’école de Voirin ; il fait ses efforts pour s’élever à sa hauteur ; une médaille d’argent lui a été décernée en 1889.
5. Facteurs d’Instruments a vent (Bois)
Pendant la plus grande partie du XVIIIe siècle, cinq facteurs suffirent à construire les instruments à souffle humain, (dits à vent en bois). Au début du XIXe, ils furent encore peu nombreux, mais peu à peu leur nombre s’accrut et s’éleva un moment à 35, pour ne décroître ensuite que très légèrement. Les anciens facteurs fabriquaient cinq sortes d’instruments, ceux de ce siècle firent de même en grande partie, cependant quelques-uns se sont spécialisés à un seul instrument ou à une seule famille : flûte, serpent, etc., ou hautbois, cors anglais, etc. Plusieurs de ceux que nous avons mentionné au chapitre III, exercèrent pendant les premières années du XIXe siècle, rappelons-le sans revenir sur leur compte et arrivons aux nouveaux venus. ((p 295)) Nous voyons tout d’abord Pezé, de 1800 à 1830, auteur d’un basson à 6 clés (musée Sax) et d’un serpent à 4 clés du Conservatoire (n° 644) dont la forme offre quelqu’analogie avec celle de l’ophicléïde ; Baumann de 1800 à 1830, dont un basson à 7 clés fit partie du musée Sax et qui a une clarinette à 6 clés à Bruxelles ; il fit aussi, suivant une annonce de 1825, des contrebassons et serpents basse. Laurent borna sa fabrication à celle de la flûte et il fit ce que personne n’avait encore tenté, en substituant le cristal (verre coulé) au bois. Il est aussi le premier facteur d’instrument à souffle qui se soit présenté à une exposition. C’est à celle de 1806 qu’il fit apprécier sa flûte en cristal ; le jury constata que le son n’était pas altéré par le changement de matière et que l’instrument conservait sa justesse en dépit des variations atmosphériques, et lui donna une médaille d’argent. (Rapp. à l’acad. des Beaux-Arts. Le mon. Univ., 1806, p 720) Plusieurs spécimens de ces instruments sont au Conservatoire (n° 428, 445, 6) ; l’un a 7 clés en argent, l’autre 8, ornées d’améthystes. En 1835, Laurent faisait des flûtes de 1 à 12 clés, l’année précédente il avait réussi à construire une flûte descendant au sol du violon, dans laquelle il remplaça les longues tiges des clés par des fils d’argent. Ce facteur semble avoir cessé de fabriquer après 1848. Holtzapffel (1806-43), était marchand de musique au Palais-Royal, mais il parait avoir fait des flûtes. En 1807 il fit breveter un système de flûte sans clés. En 1823, il annonçait des flûtes de 1, 4 et 8 clés, cette ((p 296)) dernière avec un perfectionnement de sa façon. S’il plane quelque doute sur la qualité du précédent, il n’en est pas de même de Clair Godefroy aîné qui a consacré sa longue carrière à cet instrument : établi en 1814, il ne cessa d’exercer que peu de temps avant 1878. A partir de 1823, il ne laissa passer aucune exposition sans y prendre part et y remporter un succès (Il reçut une mention honorable en 1823, des médailles de bronze en 1827, 34, 39 et 44, d’argent en 1849 et 67 ; une médaille de 2e classe en 1851 et de 1ere classe en 1855 et 1862.) De bonne heure il se fit remarquer par la justesse de ses instruments et à dater de 1834, il occupa toujours le premier rang. En 1839, Godefroy était cité comme ayant le plus contribué, avec Buffet, à introduire en France la flûte Boehm et à la modifier avantageusement. Il exposa chaque fois des clarinettes, hautbois et flageolets, mais il dut négliger quelque peu ses instruments, car c’est toujours pour la flûte et particulièrement la petite flûte Boehm qu’il fut récompensé. Après la mort de Godfroy sa veuve conserva quelque temps la maison et participa à l’exposition de 1878 (médaille d’argent). Son fils Frédéric exerça quelque temps ; il fit breveter en 1834 un nouveau système de ressort à boudin en spirale, pour supprimer le frottement et faciliter le remplacement des ressorts cassés. P Godfroy jeune, frère de Clair, fabriqua aussi (1823-45 environ) ; il avait une maison à La Couture. Peu de temps après C. Godfroy, apparaissait Bellissent, mais il s’en fallut que son exercice fut aussi long (1818 - 42) et sa réputation ((p 297)) aussi grande que pour lui : ses flûtes bien construites cependant lui valurent une mention en 1823 et 1827. A cette dernière exposition il présenta une flûte à 6 clés à recouvrement, dont les trous étaient bouchés avec du liège, du prix de 1000 fr. ; une autre en grenadille à patte de si et munie de 13 clés, offrait diverses innovations : les trous bouchés par les clés étaient garnis d’un tube en argent et les tenos étaient montés en liège et renforcés par une virole en argent ; elle coûtait 600 francs. Enfin, un dernier système de l’invention de Bellissent était pourvu d’une mécanique permettant de hausser ou de baisser le diapason en jouant. En 1834, il exposa une flûte en argent avec ornements en or à patte d’ut, pourvue de 8 clés et une autre en grenadille à 12 clés. Comment Jean-Louis Tulou (né à Paris le 12 septembre 1786), virtuose célèbre, s’improvisa-t-il facteur? On ne sait, mais ce n’est pas à coup sûr pour combattre la flûte Boem, puisqu’elle ne parut qu’après 1832 et que nous le trouvons fabricant dès 1818. Adversaire du nouveau système, il le fut résolument, et jusqu’en 1855, dernière exposition à laquelle il participa, Tulou présenta toujours des flûtes coniques perfectionnées par lui et par son collaborateur J Nonon. Cette hostilité s’explique. Possesseur d’un talent merveilleux, Tulou ne voulut pas, même au prix d’une plus grande facilité d’exécution, sacrifier les avantages que lui offrait l’ancienne flûte car la nouvelle, il faut bien le reconnaître, changeait la nature et la qualité de certains sons, par suite des modifications apportées à la forme et au diamètre du tube, à la dimension et à la ((p 298)) position des trous. Tulou en vit plus les inconvénients que les qualités, et comme il fallait perdre certains avantages pour en acquérir d’autres, notre célèbre flûtiste préféra le statu quo, et il faut l’en excuser. Il est juste d’ajouter que les flûtes construites par Tulou selon son système, avaient de réelles qualités ; elle furent toujours placées au premier rang aux diverses expositions (méd. de bronze 1834-39, d’argent 1844-49, d’honneur 1851, méd. de 1ere classe 1855). Pour faire disparaître l’inconvénient des corps de rechange et surtout celui de la pompe, il imagina de leur substituer des anneaux qui se plaçaient aux emboîtures et allongeaient l’instrument d’un demi ton ou d’un quart de ton, suivant leur grosseur. Ce facteur virtuose fit quelques hautbois qu’il présenta en 1844 et 1855. A partir de ce moment il semble avoir renoncé à la lutte, car il cessa de figurer parmi les facteurs, bien qu’il ne mourût que le 18 juillet 1867. E, 1831, Tulou avait pris pour contremaître Jacques Nonon né à Metz en 1802, qui lui avait soumis trois ans avant, un système de flûte de son invention, dont le Conservatoire possède un exemplaire (n° 449). En 1853, ils se séparèrent et J. Nonon construisit jusqu’à 1867, des hautbois dans lesquels il avait simplifié le mécanisme, en adoptant une nouvelle disposition des trous et des clés (méd. de 2e classe, 1855). Bien qu’il ne fût pas fabricant, Victor Coche, célèbre virtuose apporta quelques modifications à la flûte Boehm, pour lesquelles il reçut une médaille en argent (1867). Il doit être mentionné surtout pour son ardeur à propager ce système, dont il fut, dès le principe, un adepte fervent. Son exemple ((p 299)) et l’Examen critique de la flûte ordinaire comparée à la flûte de Boehm, qu’il publia en 1838, ont fortement contribué à l’adoption en France de cet instrument, surtout lorsque plusieurs de nos facteurs l’eurent doté de divers perfectionnements indispensables. De la flûte au flageolet, la transition est facile ; revenons donc un instant en arrière pour signaler Prudent-Thierriot (1812 - 30), et Collinet (1823 - 42) qui s’adonnèrent spécialement à cet instrument que l’on a vu disparaître sans regret, malgré les perfectionnements que lui ont apporté plusieurs facteurs, tel que Buffet. Un autre instrument, heureusement disparu est le serpent qui eut aussi ses spécialistes en la personne de Baudoin (1812 - 36, et de Forveille qui, en 1822, lui donna la forme du basson et reçut une mention en 1823. Forveille cessa de fabriquer vers 1839 ; deux de ses instruments sont au Conservatoire (n°s 645-646). En 1835-37, il y avait deux autres facteurs de serpents : Malet qui les faisait droits et courbés, et Turlot qui s’en tenait aux droits. Le basson eut aussi ses spécialistes : Savary père que l’on trouve, de l’an VII jusqu’après 1826, parmi les facteurs, fit peut-être aussi d’autres instruments (Il y a au Conservatoire un fifre en si bémol de ce facteur, que son fils joua pendant qu’il fit partie des pupilles de la garde impériale (n° 426)), mais Jean-Nicolas Savary, son jeune fils, s’adonna entièrement à cet instrument pour lequel il acquit en son temps une grande réputation. Rien d’étonnant à cela, d’ailleurs, car, premier prix du Conservatoire en 1808, puis basson solo au théâtre des Italiens, il fut plus ((p 300)) à même que quiconque de reconnaître les imperfections de l’instrument et d’y remédier. En 1823, il avait formé un atelier distinct de celui de son père, et apporté quelques innovations dans la construction du basson : petite branche a coulisse mécanique (crémaillère), et culasse à bascule. Divers instrument de Savary jeune sont au Conservatoire. Il cessa de fabriquer avant 1840. Son frère aîné exerça quelque temps, nous en suivons la trace de 1829 à 1833. Le fond de Savary jeune fut racheté, croyons nous par Galander (1835-55) qui inventa, vers 1853 un basson militaire en si b, dit galandronome et dont il y a aux Arts et Métiers un serpent en forme de basson, avec bocal et pavillon en cuivre, muni de 3 clés. Ces deux fonds réunis devinrent ensuite la propriété de Géo. Schubert qui, en 1854, avait succédé à Adler. Cet Adler (Frédérique-Guillaume) s’était établi à Paris un peu avant 1809, année où il apporta quelques améliorations au basson. En 1827, il exposa un basson à 15 clés, « bien exécuté, en bois des îles » pour lequel il obtint une mention et en 1839, il avait fait subir à cet instrument divers changements indiqués dans le rapport du jury : « Le basson de M. Adler diffère du basson ordinaire en ce qu’il est un peu plus long, qu’il se termine par un petit pavillon, et qu’au moyen de deux nouvelles clés on peut en tirer deux sons aigus : le ré et le mi b. Il a une fort belle qualité de son, quoique un peu différente, par le timbre, de celle du basson ordinaire, auquel il semble supérieur, surtout par la justesse, la pureté et l’égalité des sons. Du reste, le doigté en est ou plutôt ((p 301)) peut en être le même que celui du basson ancien ; aussi plusieurs de nos artistes les plus distingués se sont-ils empressés de l’adopter. M. Adler est digne de la médaille de bronze. En 1844, , une semblable récompense lui échut pour un basson d’orchestre, un contrebasson et un basson de nouvelle construction à pavillon en métal, remarqué pour l’intensité des sons. En 1849, autre médaille pour ses bassons placés au premier rang. Nous avons vu de ce facteur un basson à 10 clés, de date assez ancienne puisqu’il n’a pas de trou pour le si grave, ni de clés pour les quatre doigts de la main gauche, et qui pourtant présente des innovations que d’autres ont cru imaginer depuis (Eug. Jancourt. Perfectionnements apportés au basson. Notice e tête des 24 Exercices mélodiques, op 98) : trou du bocal, 2 clés sur la petite branche pour le pouce gauche et une clé dont la spatule est placée sur la culasse entre les trous de l’index et du médium, laquelle donne les trilles si-do dièse, do-do dièse, do dièse-ré, ré-mib du registre moyen et sol-la, la-sib aigus. Au Conservatoire il y a un fifre de ce même auteur. Fr. G. Adler eut un fils Fr. Alexandre né à Paris le 26 décembre 1813, qui fut élève de basson au Conservatoire en 1837, mais nous ne savons pas s’il s’est occupé de facture. En 1854, le fond Adler passa entre les mains de Georges Schubert qui acheta ensuite ceux de Savary-Galander. Après sa mort, en 1857, ses fils qui avaient embrassés la profession de musicien, (l’un d’eux, Théodore, est aujourd’hui 1er basson à l’Opéra) abandonnèrent ((p 302)) ce fond, et le matériel fut vendu à l’hôtel Drouot. Plus que le basson, la clarinette occupa les facteurs, et nombreuses sont les tentatives de perfectionnements à enregistrer. Depuis 1791, année où le clarinettiste X. Lefèvre la dota d’une 5eme clef, jusqu’en 1808, il n’y fut fait aucune amélioration importante. En cette année, Jacques-François Simiot de Lyon, fit connaître le résultat de ses recherches consistant dans l’addition de deux nouvelles clés et dans diverses modifications aussi simples qu’utiles. La 6eme clé ajoutée par Simiot (petit doigt de la main droite), avait pour but de baisser le si b et de hausser le si naturel du chalumeau (au dessous de la portée) et de faciliter l’émission du mi b de la 4eme octave, tout en servant à triller le si b et si du chalumeau et les mi et fa de la 3e octave. La 7e clé (médium gauche) n’avait pour effet que les trilles de la avec si et si b avec ut (2e octave). Un double trou, sous l’annulaire gauche, remplaçant avantageusement la clé d’ut dièse avec ré (1er octave) et sol dièse avec la (3e octave). Parmi les inconvénients inhérents à la construction de l clarinette, l’écoulement de la salive par le trou du pouce gauche est des plus désagréables ; Simiot tenta d’y obvier par l’adjonction d’un tuyau saillant à l’intérieur. De même la clé de si b ou de clairon se trouvait facilement obstruée par la salive, à cause de la petitesse du trou. Notre ingénieux facteur y remédia par un mécanisme qui, en conservant au pouce la branche ou spatule actionnant cette ((p 303)) clé, la faisait ouvrir en dessus du corps de l’instrument, tandis qu’elle ne s’ouvrait ordinairement qu’en dessous. Ce système qu’un facteur belge nommé Albert a cru inventer longtemps après, donnait un si b plus sonore et une grande pureté à toute l’octave du clairon, en rendant impossible l’obturation accidentelle du tuyau d’âme. A la même époque Simiot construisait des clarinettes en ut avec corps de si b portant 10 coulisses et dont le corps des grandes clés se graduait dans tous les tons par une charnière mécanique. (Tableau explicatif des innovations et changements faits à la clarinette, par Simiot, facteur à Lyon ; in-f, enregistré à la bibliothèque impériale, 1808) En 1823, il exposa une clarinette en ut à laquelle il avait donné les qualités qui n’avaient appartenu jusqu’alors qu’à celle en si et une autre dite à mécanique, sans âme. Enfin ce facteur inventif soumit à l’Académie des Beaux-Arts en 1828 un modèle muni de 19 clés. Le musée Kraus possède une clarinette à 6 clés de Simiot et M. Millereau a de lui une clarinette basse en Fa. J.-F. Simiot s’attacha aussi au perfectionnement du basson. C’est lui qui, avant 1808 ajouta à la petite branche une coulisse destinée a faciliter l’accord, et une clé pour faire « avec aisance » le la de la 3e octave et d’autres pour le si naturel et l’ut dièse de la 1e octave. Ses bassons dont les clés étaient d’un nouveau genre, plus jolies, plus légères et plus solides que les anciennes, avaient une justesse et une égalité supérieure aux systèmes connus jusqu’alors. En 1817, il supprima le bouchon de liège fermant la partie ((p 304)) inférieure de la culasse en formant deux angles défectueux, il le remplaça par un canal en métal s’ouvrant à volonté pour permettre l’écoulement de la salive, qui conservait la forme ronde de la perce. En même temps Simiot fit la petite branche à coulisse pour faciliter l’accord de l’instrument et il donna une forme évasée au pavillon pour accroître la vigueur des sons. (Rapport à l’Académie des Beaux-Arts, 22 nov. 1817. Le Moniteur universel, p 236). Ces améliorations furent remarquées à l’exposition de 1823: « M. Simiot, à Lyon, fabrique des bassons auxquels il est parvenu à donner plus de justesse, plus d’égalité et une plus grande étendue de moyens que n’en avaient eu jusqu’ici les instruments de cette espèce. On y remarque un cramail interne à la coulisse, un piston pour extraire l’eau, une clé de si et une d’ut dièse au grave, une clé d’ut dièse aux deux octaves, une clé de si b et une clé de fa à levier à la première et à la seconde octave. Cet instrument renferme encore des tubes qui sont disposés pour éviter l’écoulement de l’eau par les ouvertures. Enfin on y remarque plusieurs améliorations dont l’objet est d’augmenter la solidité des tubes. »
Il y a aux Arts-et-Métiers un basson de Simiot pourvu de ces diverses perfectionnements ; il est à 9 clés (si, ré, mi b, fa dièse grave, fa dièse, sol dièse), la petite branche, à coulisse, porte deux autres clés pour les sons aigus (pouce gauche). Simiot exerça jusque vers 1835, mais n’exposa qu’une seule fois, en 1823, et reçut une médaille d’argent ; son fils, ((p 305)) André-Reine, né en 1815, est devenu compositeur de musique après avoir fait ses études au Conservatoire. Winnen, dont nous avons dit quelques mots au chapitre précédent, exerça jusque vers 1833, sans avoir participé aux expositions. Il laissa plusieurs fils ; G. Chouquet en a signalé un, nommé Jean, qui naquit à Paris le 21 janvier 1795 et mourut le 12 novembre 1867. Il en eut d’autres ; Alexis-Nicolas-Victor, né le 5 juillet 1816, qui fréquenta le Conservatoire (classe de flûte) en 1832 et Léon-Louis-Honoré, né le 31 Août 1817, élève de hautbois de la même école, de 1832 à 1834. Nous ne saurions dire quel est celui qui continua la fabrication des instruments, toujours est-il que nous avons vu des flûtes à une clé marqué : Winnen cadet, à Paris ; l’une d’elle, appartenant au musée du Conservatoire, offre cette particularité que le disque de métal supportant le tampon est mobile sur un petit axe, de façon à rester parallèle au trou lorsque la clé est ouverte, au lieu de se trouver dans la position légèrement oblique de la tige de cette clé. Winnen père décédé, son successeur prit part à l’exposition de 1834 ; il y présenta entre-autre un nouvel instrument « inventé par feu son père et lui », nommé bassonore « parce qu’il joue les parties de basse et que tous ses sons sont pleins et sonores » (C’est donc par erreur que M. A. Jacquot a dit dans son dictionnaire (p 19) que le bassonore a été inventé à la fin du XVIII siècle. Il a donné aussi (p 22) une définition inexacte, en décrivant que le trou latéral du bocal du basson est fait afin que la salive ne puisse séjourner en jouant. Il n’a d’autre but que de faciliter l’octaviation du ré). Cet instrument avait trois octaves ((p 306)) d’étendue depuis l’ut du violoncelle et il rendait des sons plus beaux que ceux du cor et beaucoup plus intenses que ceux du basson, par suite de l’augmentation d’un pavillon. Winnen soumit aussi au jury : une embouchure factice au moyen de laquelle «personne ne devait plus être privé de jouer de la flûte par la perte de dents, soit par suite d’une difformité des lèvres » ; un basson auquel il avait supprimé la mécanique actionnant la pompe (ou coulisse) et ajouté une semblable pompe à la culasse, et enfin des flûtes et clarinettes en bois « recouvertes en cuivre » à l’usage de la cavalerie. Une médaille de bronze fut le partage de ce facteur. En 1839, quelques unes de ces tentatives, améliorées, reçurent l’approbation du jury, notamment le basson à pavillon, émettant des sons « d’une intensité et d’une vigueur remarquable » ; quelques notes restaient cependant à ajuster et en 1844, on distingua son bassonore perfectionné, également en raison de l’intensité de ses sons. De nouvelles médailles de bronze furent accordées à Winnen qui ne reparut plus depuis aux expositions ; pourtant nous suivons sa trace jusqu’en 1860. Un des plus anciens et des plus renommés facteurs de clarinettes est François Lefèvre qui fit partie de la musique du Roi. C’est en 1812 qu’il ouvrit son atelier ; en 1823 il reçut une mention pour ses clarinettes « parfaitement exécutées » ; en 1827, une médaille de bronze pour une clarinette et une flûte de bonne ((p 307)) construction et le jury de 1834, confirmant cette récompense, constata que ses instruments étaient très estimés des artistes. Lefèvre fit breveter en 1835 un nouveau système de flûte qui porte son nom, simplifiant de beaucoup l’exécution. Onze ans après, il réalisa la suppression des notes factices de la clarinette au moyen d’anneaux mobiles, sans changer les positions de la main gauche de l’ancienne clarinette à 13 clés. En 1853, il imagina une nouvelle disposition des clés. Ce facteur dont le fils fabriqua également, mourut en 1856. Le 16 mars 1855, il avait vendu son fond à Paul Bié et à Rustique Noblet. Ce dernier étant mort en 1858, P. Bié conserva seul la maison à laquelle il appartenait de longue date comme ouvrier. Après une abstention de plus de 30 ans aux expositions, il présenta en 1867 des clarinettes Boem, une clarinette basse et une flûte cylindrique en métal, parfaitement établies, ainsi que la clarinette imaginée par A. Roméro de Madrid pour perfectionner le système Boehm, merveille de mécanisme qui fait honneur au facteur à qui l’inventeur en confia la conception et la réalisation. En 1886, M. André Thibouville (né en 1831 à La Couture) succéda à P Bié. Après avoir participé brillamment à l’exposition de 1889 où il remporta une médaille d’argent, ce facteur associant ses fils sous la raison sociale André Thibouville et Cie, confia à l’aîné, Désiré (né en 1861), la direction de la maison de Paris et au plus jeune, Henry (né en 1863) celle de la fabrique installée à La Couture en 1886. Un perfectionnement consistant dans l’application d’une double clé de si b. et d’une ((p 308)) clé de trille fa dièse-sol dièse décrit dans la Facture instrumentale (loc. cit., p 72) fut soumis au jury de 1889 qui, en constatant la belle exécution de la clarinette Roméro, ne manqua pas de remarquer la justesse et le beau timbre d’une clarinette soprano et d’une clarinette basse en la. Depuis, ces facteurs ont fait breveter un nouveau système de bec dit mégallophone, dont l’intérieur est rayé en spirale à l’instar d’un canon de fusil, avec lequel on obtient une grande facilité d’émission et une plus grande sonorité (1891). Les instruments construits par les divers successeurs de Lefèvre sont toujours marqués à son nom. Sept ans après Lefèvre (1819), parut Gentelet qui fit aussi de la clarinette l’objet principal de sa fabrication. C’est à lui qu’Iwan Muller confia la construction de sa clarinette ) 13 clés et de sa clarinette solo, voyons nous dans une annonce de 1821. Prestreau lui succéda vers 1854 et étendit sa fabrication aux flageolets, flûtes et hautbois instrumentaux qu’il présenta en 1867 avec une clarinette en cuivre argenté, pour lesquels il reçut une mention. Ce facteur exerçait encore en 1873. Bien qu’on lui doive l’adaptation de rouleaux aux clés des instruments pour en faciliter le doigté, Janssen n’es pas à comprendre parmi les facteurs. Son invention fût adoptée par tous les artistes et elle lui valut une mention en 1823. De Guerre (1825-50), l’on connaît des clarinettes et des flageolets à 7 clés (M H. 1827), mais de Wideman (1837-50) l’on ne sait rien, si ce n’est qu’il faisait spécialement les clarinettes et s’intitulait fournisseur du Gymnase musical. ((p 309)) Louis-Auguste Buffet jeune n’a pas borné sa fabrication à la clarinette, mais c’est surtout par elle qu’il est parvenu à la célébrité. Etabli vers 1831, il ne tarda pas à se faire connaître. En 1836, il construisit une clarinette basse en ut, puis en 1838 une nouvelle flûte à 15 trous, perfectionnement du système Boehm comportant entre autre un nouveau trou pour le ré dièse, et le montage de 3 clés de la patte d’Ut sur une seule tringle au lieu de 3. En 1839 il exposa ces instruments ainsi que des flûtes et petites flûtes Boehm et « une clarinette construite d’après le même système, mais que M. Boehm n’avait pas cherché jusqu’ici à appliquer à la clarinette ». Cet extrait du rapport (p 365, t II) prouve que la date acceptée d’ordinaire (1843) pour l’application des anneaux mobiles à la clarinette, autrement dit la création de la clarinette Boehm, est erroné. Cette erreur provient de ce que le brevet n’a été accordé qu’en 1844 (n° 16036) après que Buffet eut également pourvu le hautbois du même système, que l’on appelle également à tort hautbois-Boehm. On sait que c’est avec le concours du clarinettiste Klosé que Buffet chercha à doter la clarinette des perfectionnements qui ont été adoptés par tous les facteurs français et que l’on commence à suivre à l’étranger (Voir dans la Facture instrumentale p 60 et suivantes, un parallèle entre le système à 13 clés et le système dit Boem, avec réfutation des objections de M. V. Mahillon contre ce dernier.). Avec Soler, il fit de même pour le hautbois, mais le succès n’a pas été comparable ; les artistes n’ont pas adopté ce système ((p 310)) qui dénature le timbre de l’instrument. C’est en 1844 que Buffet exposa son nouveau hautbois ; on lui renouvela la médaille de bronze qu’il avait eu en 1839. Sur toutes les clarinettes présentées en 1849 par les divers exposants, seules celles de L.-A. Buffet furent classées au premier rang ; il y en avait des systèmes Muller (En 1823, Brelet avait déjà exposé des « clarinettes à la Muller ») (13 clés) et Boehm, des clarinettes-alto mi b et deux petites clarinettes, l’une en mi b, l’autre en la b d’un mécanisme simplifié (médaille d’argent) ; ses hautbois eurent le second rang et sa flûte le troisième. Après avoir figuré honorablement à l’exposition de Londres en 1851 (méd de 2e classe), il remporta des succès non moins brillants à Paris en 1855 où il fit apprécier la bonne sonorité de ses instruments ; Fétis constate dans son rapport, que seul il eut un modèle de clarinette alto satisfaisant (méd. de 1ere classe). Ne voulant pas se rendre une seconde fois à Londres (1862) sans offrir d’innovation, il imagina la clarinette métallique à double tube et double tonalité que nous avons décrite ailleurs. (La Facture instrumentale p 170). Pour 1867, ce fut un fifre en aluminium et des becs de clarinettes en porcelaine (méd. de bronze). Cet ingénieux facteur s’abstient aux expositions suivantes ; il mourut en 1885. Buffet-Auger, qui fonda en 1825 la maison si connue et si justement célèbre du passage du Grand-cerf, est frère du précédent ; il céda bientôt (1830) à son fils qui débuta à l’exposition de 1839 avec une mention. Marié en 1836 à Melle Crampon, il fit suivre son ((p 311)) nom de celui de sa femme pour se distinguer de son oncle et depuis, sauf une exception (de 1855 à 59, Tournier et Goumas), quels qu’aient été les propriétaires de la maison, les instruments ont toujours porté la marque universellement connue Buffet-Crampon. A partir de 1850 il prit F. Tournier pour associé, puis son frère Louis Buffet (1850-55), lequel fut remplacé par P. Goumas. En 1859, Tournier étant disparu, une nouvelle société fut constituée entre Buffet-Crampon, P Goumas et le clarinetiste Leroy (Buffet-Crampon et Cie), mais la mort du premier (17 avril 1865) et les difficultés qui surgirent entre les deux autres associés, laissèrent Goumas seul à la tête de la maison. Il s’associa ses deux gendres (Léon Leguay et Léon Crampon), en 1871 ; puis il céda le fond le 1er juillet 1885, après avoir reçu la croix de la Légion d’honneur, à MM. Paul Evette et Ernest Schaeffer. Les débuts de cette maison ne furent guère marqués que par une bonne fabrication d’instruments courants (méd. de bronze 1844-49), mais en 1845, Buffet-Crampon fit breveter la clarinette conçue avec Blancou, sous le nom d’omnitonique, destinée à donner les mêmes facilités que le système Boehm, sans changer de doigté, qui eut quelques succès. Néanmoins ce facteur ne négligea pas les autres systèmes et il s’appliqua tant à en perfectionner la construction, qu’il put rivaliser avec les meilleurs fabricants. Progrès et succès furent croissants à chaque exposition (Méd de 2e classe, Londres 1851, de 1ere classe, Paris 1855 ; Londres 1862 ; Paris, méd. d’argent, 1867), mais c’est surtout à partir de 1878 que la ((p 312)) supériorité de la maison fut portée à son comble. Les 42 instruments exposés ; familles complètes de clarinettes et saxophones, hautbois, flûtes, bassons, furent reconnus d’une justesse et d’une qualité de son parfaite, et la médaille d’or fut décernée à P. Goumas. Une plus haute récompense était réservée à ses successeurs ; un seul grand prix fut accordé, en 1889, pour les instruments à vent et c’est à MM. Evette et Schaeffer qu’il échut. En sus des instruments en usage, ils avaient exposé des petits bassons en mi b, fa et sol et un contrebasson. (V. La Facture instrumentale, p 25 et 31). La famille des clarinettes « d’une perfection rare » dit le rapport et d’une « grande égalité de son » se composait de petites clarinettes en mi b et fa (cette dernière est très difficile à bien réussir), des clarinettes soprano en ut, si b, la, des clarinettes alto mi b et fa et des clarinettes basses en ut, si b et la. Pour la compléter, MM. Evette et Schaeffer ont entrepris depuis une clarinette-contrebasse sonnant à l’octave inférieur de la clarinette basse. Ce qui distingue cette nouvelle clarinette, c’est non seulement la rondeur, la justesse et la beauté des sons (qui ne sont pas accompagnés de vibrations ou bruits désagréables, comme certains instruments similaires), mais encore la facilité d’octaviation ou plutôt de quintoiement, et surtout la conservation du timbre particulier à la clarinette, qui fait de ce nouvel individu, un membre appartenant bien à la famille. Le clarinette-contrebasse Evette et Schaeffer ((p 313)) est en métal à perce large (4 centimètre environ), elle est cotée 650 francs. Ces facteurs ont également fait une contrebasse de saxophone sonnant à l’octave inférieur de baryton en mi b. A l’exemple de Triebert. MM Evette et Schaeffer ont placé des clés de correspondance sur la culasse du basson pour supprimer les écarts auxquels étaient astreint le pouce gauche dans les successions de notes graves (V. La Facture instrumentale, p 28). Dans sa spécialité cette maison tient la première place comme importance et comme supériorité des produits ; depuis longtemps elle justifie la confiance des artistes, et c’est elle qui fournit le Conservatoire et les écoles de musique des départements, pour les clarinettes, saxophones et bassons. Le principal obstacle à l’adoption de la clarinette imaginée par L. A. Buffet et dite système Boehm, fut, à l’origine, le changement de doigté qu’elle entraînait. Aussi s’évertua-t-on à obtenir par d’autres procédés les avantages qu’elle procurait. Fr.-Jos. Gyssens, qui avait quitté l’atelier de Buffet pour s’établir en 1845, fut du nombre des chercheurs. En 1852, il fit une clarinette dont il avait modifié la disposition des trous, clés et anneaux, pour obtenir la justesse et les facilités du système Boehm, sans changement de doigté. Gyssens fit aussi des flûtes et flageolets appréciés ; après avoir été mentionné en 1849, il obtint une médaille de 2e classe en 1855. Vers 1860, ce facteur abandonna la fabrication des instruments de musique pour faire commerce de faux-cols, mais ((p 314)) il ne cessa pas de se préoccuper des améliorations à donner au mécanisme de la clarinette et, devenu rentier, il fit breveter en 1878-80-85, un système de spatules jumelles articulées pouvant s’appliquer également aux autres instruments. Il mourut le 31 octobre 1888, à l’âge de 76 ans. Elève de Laurent, J. D. Breton ne pouvait manquer d’employer le cristal pour ses flûtes, mais il ne le fit pas à l’exclusion de toute autre matière. C’est avec des flûtes en bois ordinaire et Boehm, remarquables par le fini du travail, qu’il concourut en 1844 et 1849 (méd. de bronze). Breton faisait ses instruments sans le secours d’aucun ouvrier étranger à son atelier. Il tenta quelques changements à la perce et au mécanisme en 1855, et fit remarquer à l’exposition de cette année, plusieurs flûtes en cristal dont une, de nuance verte, ne coûtait pas moins de 1.500 francs (méd de 1ere classe). Breton utilisa aussi cette matière pour la confection des becs de clarinettes (1859) qu’il présenta à Londres en 1862 (Prize medal), où il avait déjà obtenu une mention en 1851, et à Paris, en 1867, il y joignit des embouchures pour instruments en cuivre (méd. de bronze). Breton cessa d’exercer vers 1874. Puisque Breton nous a ramené aux facteurs de flûtes, abordons de suite les spécialistes contemporains et leurs prédécesseurs. Etabli depuis le mois de mars 1855, Louis Lot se signala inopinément à l’exposition de cette année par l’excellence de ses flûtes ordinaires et système Boehm (méd. de 1ere classe) Depuis, nul ne l’a surpassé ; ses succès de Londres (Prize medal) et à Paris (1867) le constatent. A cette ((p 315)) dernière, il présenta des flûtes en argent système Boehm, l’une à trous très ouverts, l’autre à trous plus petits. la qualité de son de celle-ci sembla préférable. L. Lot fit, en 1872, une flûte système Boehm, à 13 clés, descendant au si, portant le n° 1746 que l’on peut voir au Conservatoire (n° 652). Ce fut une des dernières, car il se retira en 1875 à Chatou. H. D. Villette qui travaillait avec lui depuis 1855, prit sa succession et soutint dignement la réputation de la maison. En lui décernant une médaille d’argent, le jury de 1878 reconnut la justesse parfait, l’excellente qualité de son et la facture irréprochable de ses instruments. Comme Lot, Villette fut contraint par l’âge de cesser la fabrication ; en 1882, il céda le fond à un de ses ouvriers Debonneetbeau, qui vendit à son tour, le 1er mai 1889, l’outillage et la marque Lot à M. E. Barat, lequel continue les traditions de cette maison de premier ordre, que les artistes auraient vu disparaître avec regrets. C’est le modèle établi définitivement par L. Lot, c’est à dire la flûte à trous larges pour la main droite et à petits trous pour la gauche, qui fait la base de la fabrication. Alors que le Conservatoire donnait en prix des instruments à ses lauréats, ils étaient livrés par ce facteur qui a conservé la fourniture des flûtes nécessaires aux classes, à laquelle il joint celle des Ecoles de musique des départements dont il est chargé par la Direction des Beaux-Arts. En 1869, F. Barbier imaginait une flûte cylindroplane avec colonne d’air unie assez ingénieuse, mais c’est par la nouvelle dispositions des clé qu’il ((p 316)) appliqua à la petite flûte Boehm pour la rendre enfin pratique, qu’il s’acquit quelque notoriété (1874). En 1875 il perfectionné le système de bouchage des instruments à clés. Une médaille d’argent fut attribuée à Barbier en 1878, qui, depuis plusieurs années, est attaché à une manufacture d’instruments et ne travaille plus à son nom personnel. C’est la flûte qui réunit aujourd’hui le plus de spécialistes. En 1877, s’établissait M. Cl. Rive, qui exposa l’année suivante des instruments d’une fabrication très soignée et d’une belle qualité de son, pour lesquels il reçut une médaille d’argent. En 1889, même jugement et même récompense. Presque en même temps, M. Aug. Bonneville ouvrait son atelier et obtenait le suffrage des artistes. En 1889, il recueillait celui du jury, qui lui décerna une médaille d’argent avec cette note : « flûte cylindrique très juste, joli son, mécanisme fonctionnant bien »? L’année précédente, M. Bonneville avait fait aux flûtes l’application des anneaux mobiles sans tampons, dans un but que nous avons fait connaître ailleurs. Les instruments de la famille du hautbois ont eu aussi leurs spécialistes et, parmi eux, nul n’a égalé les Triebert. Le fondateur de la maison, Guill. Triebert, naquit à Horndorf (Hesse) le 24 février 1770. Il vint de bonne heure à Paris et travailla chez Winnen, rue Froidmanteau où il était en l’an XI ainsi qu’il appert du livret d’ouvrier qui lui fut délivré le 11 thermidor an XII, en exécution de la loi du 22 germinal de l’année précédente, sur les manufactures. Le 4 juillet 181 G. Triebert se présenta à la préfecture ((p 317)) de police pour réclamer la jouissance des droits de citoyen français, en vertu de l’article 3 de la Constitution. A cette époque il était devenu maître-facteur et habitait depuis 1810, année de son mariage, la rue Guénégaud, qu’il ne quitta qu’en 1830 pour s’installer rue Dauphine, avant de se fixer rue Montmartre (1839). C’est à l’exposition de 1827 que Triebert produisit pour la première fois ses instruments : flûtes à patte d’ut, hautbois, cor anglais et hautbois baryton, dit aussi « hautbois-ténor » (sonnant une octave plus bas que le hautbois), lequel fixa l’attention du jury par sa belle qualité de son et les ressources qu’il apportait à l’orchestre et aux musiques militaires (méd. de bronze). En 1834, ses hautbois furent jugés « supérieurs à tous ceux du même genre » présentés à l’exposition. G. Triebert mourut en 1848, mais il laissait en ses fils Charles-Louis (né à Paris le 30 octobre 1810) et Frédéric (né le 8 mai 1813), d’adroits et intelligents continuateurs. Plus occupé de sa carrière de virtuose, l’aîné, après avoir remporté le 1er prix de hautbois au Conservatoire en 1829, laissa à son jeune frère, également hautboïste, qui fit un moment partie de l’orchestre de l’Opéra-comique (Il y entra en 1839 en qualité de second hautbois, aux appointements de 1.000 francs par an. En 1846, il y était encore. F. Triebert n’avait cependant pas été destiné à la musique, il apprit la gravure chez Lecoq, rue Dauphine, où il entra en 1826, mais il dut abandonner cette partie en 1830) la plus grande part dans la direction de l’atelier. La première innovation de F. Triebert fut l’invention du bec de clarinette à table mobile et ((p 318) presse-anche, breveté en 1847, en même temps que la clarinette multiphonique, s’allongeant au moyen d’emboîtures à coulisse, de façon à donner à l’instrument la longueur des clarinettes en ut, si b et la. Puis ce fut l’application d’une nouvelle combinaison de clés simplifiant le doigté (1849) ; beaucoup d’autres suivirent, qui ne firent pas l’objet de brevets et qui, par la suite, sont difficiles à suivre exactement ; nous les verrons cependant définies d’une façon précise dans le rapport de 1855 où, après avoir eu une médaille de bronze en 1849 et une de 2eme classe à Londres en 1851, Triebert obtint la seule médaille d’or décernée. C’est d’abord le perfectionnement du hautbois de Buffet dit Boehm, à 14 clés, dans lequel le même doigt pouvait faire l’office de plusieurs ; puis vint le hautbois en la donnant une amélioration de sonorité des notes supérieures si b à ré. Voici d’ailleurs l’opinion de Fétis en 1855: « La qualité de son très pure est celle qui a toujours été préférée dans les hautbois français ; tous les détails du mécanisme sont terminés avec une grande perfection. La clé du demi trou, ajoutée au hautbois ordinaire par ce facteur, est une heureuse innovation, en ce qu’elle fait disparaître une des plus grandes difficultés du doigté de l’instrument et donne plus de sûreté dans l’exécution. On remarque aussi dans leurs nouveaux instruments les dispositions particulières des clés de ré et de fa dièse, si b, ut et ut dièse, dont l’effet est de rendre le doigté d’un grand nombre de traits plus simple et plus facile. Etablie il y a plus d’un demi siècle par le père du facteur actuel, la maison Triebert ((p 319)) n’a cessé de progresser ; sa persévérance à chercher des améliorations pour ses produits ne s’est jamais démentie. Ses appareils mécaniques et, en général, son outillage pour la précision dans la fabrication des pièces, sont dignes de beaucoup d’intérêt. »
Pour compléter la famille, Triebert présenta des hautbois aigus en mi b. et autres tons élevés, un cor anglais auquel l’application de clés à anneaux mobiles permit de rectifier l’échelle chromatique et d’en redresser la forme, courbée jusqu’alors ; puis un basson construit d’après les proportions Boehm, qui ne ressemble en rien à celui de Sax, quoi qu’on en ait dit. Inachevé en 1855 (on ne put faire entendre que l’échelle chromatique du tube sonore, l’adjonction des clés n’ayant été terminée qu’après l’exposition), le basson Triebert-Boehm put être jugé convenablement à Londres en 1862. Le mécanisme en était heureusement conçu et le son plus juste et plus homogène que celui du basson ordinaire, mais il avait l’inconvénient de différer « un peu trop de l’ancien par son timbre et son ampleur ». Ajoutons que le prix très élevé de cet instrument, 1 200 Francs en rendait le placement difficultueux. On peur voir un spécimen de ce chef-d’oeuvre de facture au musée du Conservatoire (n° 150) ; Il n’en a été fait que trois. La Prize medal fut décernée aux frères Triebert pour l’excellente qualité des instruments et la première application du système Boehm au basson. Charles Triebert étant mort le 18 juillet 1867, c’est à Frédéric, qui s’était toujours beaucoup occupé de la fabrication et avait complètement abandonné la ((p 320)) carrière d’artise musicien, qu’échut la médaille d’or décernée par le jury de 1867. F. Triebert, en conservant les avantages de la nouvelle construction, était parvenu à retrouver le joli timbre du hautbois français « très préférable au gros son du hautbois allemand » disait Fétis. A l’égard du doigté, ajoutait-il, il a rendu facile des successions de notes qui offraient auparavant de grandes difficultés dans la vitesse, des combinaisons heureuses de clés ayant supprimé la nécessité de se servir du même doigt pour deux notes différentes et rapides. Ce fut le dernier succès public de Fr. Triebert qui mourut le 19 mars 1878. Six ans auparavant, il avait fait breveter divers autres perfectionnement au hautbois et au basson. Pendant quelques semaines, la maison fut dirigée par Mme C. Dehais, après quoi elle fut rachetée par un des ouvriers de Triebert, Félix Paris, très habile cleftier ; mais la faillite étant survenue, la maison Gautrot acheta, à la vente qui eut lieu par autorité de justice, le 5 août 1881, le matériel et, avec lui, la marque de Triebert, de sorte que l’on peut rencontrer des instruments portant le nom de ce fameux facteur, qui ne sont pas de sa fabrication. (En tête du catalogue de la maison Couesnon (anciennement Gautrot), on lit : Comme par le passé, nos instruments porteront, suivant leurs diverses catégories, nos marques de fabrique : Gautrot aîné, Gautrot-Marquet, Tulou, Triebert. Nous les livrons également sans marque, à la volonté de l’acheteur. » Nous avons dit (La facture instrumentale, p 254), qu’il résulte des inconvénients pour les collectionneurs, de la transmission des marques de fabrique qui se pratique aussi bien dans la facture que dans les autres industries. Au point de vue historique, elle laisse ((p 321)) subsister un doute sur l’époque précise des instruments, ainsi que sur leur authenticité, en tant que produits personnels de celui dont ils portent le nom. Ajoutons qu’une excellente marque peut passer entre des mains incapables de faire des instruments qui en soient digne) ((p 321)) En droit, la succession de Triebert appartient à la maison que nous venons de nommer ; en fait, elle est passée, pour la fourniture du Conservatoire et des écoles nationales de musique, à M? François Lorée, son ex-chef d’atelier depuis 1867, qui s’est établi en 1881 et qui a eu la bonne fortune, par sa fabrication soignée, d’obtenir l’approbation de M. G. Gillet, le distingué professeur du Conservatoire, puis celle du jury de 1889 : « Le cor anglais avait une sonorité égale, charmante, sympathique , dit le rapport, et la justesse était parfaite. Le hautbois d’amour et le baryton ont un timbre particulièrement agréable ; construits avec méthode, ils ont un son d’une grande pureté et d’une justesse irréprochable ». (Médaille d’argent). Pour plus amples détails sur ces instruments, renvoyons à la Facture instrumentale (p 20) Pour en finir avec les facteurs que nous avons appelé petits spécialistes comparativement à ceux qui occupent un personnel nombreux et comprennent dans leur fabrication la totalité des instruments, bois ou cuivre, ou réunissent les deux espèces en y joignant quelquefois les instruments à corde et mécanique, signalons le hautboïste Henri Brod, auteur de diverses compositions musicales qui, comme Tulou, Savary et autres, s’improvisa facteur en 1835. Il apporta de notables perfectionnements à son ((p 322)) instrument, mais il ne put recevoir la récompense de ses efforts : il mourut le 6 avril 1839 avant que le jury de l’exposition eût examiné les produits exposés. C’est donc à sa mémoire que fut décerné la médaille de bronze qu’il avait mérité pour son hautbois « remarquable non seulement par la qualité du son, mais encore par la disposition de toutes les parties qui le constituent » ; Brod avait exposé en même temps une machine à raboter le roseau pour les anches ; il était né à Paris le 13 juin 1799 et avait obtenu un premier prix au Conservatoire en 1818. A. Marzoli, bassoniste au théâtre Italien, qui travailla quelque temps avec Triebert et essaya de jouer à ce théâtre le basson-Boehm dont il a été question ci dessus, fit aussi d’excellents bassons et contrebassons. En quittant la maison Ad. Sax, où il était encore en 1867, Aug. Feuillet se fit une spécialité du saxophone (1872). Il obtint une médaille de bronze en 1878 et céda sa maison vers 1885 à l’association des ouvriers facteurs. George, de Toulon, avait fait en 1867 quelques changements au montage des clés des saxophones et clarinettes, qui lui valurent une mention en 1878. La même année, MM. Micollier père et fils reçurent une médaille d’argent pour leurs instruments de bonne facture et surtout pour un hautbois d’une très belle qualité de son. Ils exercent encore.
Nous avons vu, pour les instruments à cordes, quelques fabricants de Mirecourt prendre part aux expositions et améliorer par conséquent leur fabrication. Il en a été de même pour les facteurs d’instruments à vent de La Couture qui, longtemps, avaient borné ((p 323)) leur production aux instruments rudimentaires. Quelques-uns même sentirent la nécessité de créer un magasin à Paris et de tenter la fabrication artistique, tout en continuant à faire les instruments ordinaires, pour les besoins du commerce et de l’exportation. Le premier qui entra dans la lice est Martin (Jean François) qui obtint en 1834 une médaille de bronze. Il occupait alors 20 ouvriers, « ses instruments sont de beaucoup meilleur marché que ceux de Paris, quoiqu’ils soient inférieurs de bien peu de chose à ces derniers pour le choix des bois et la qualité des sons », disait le rapporteur. Les instruments exposés étaient : clarinettes en si et ut, à 6 et 13 clés ; flûtes à 5, 6 et 7 clés ; 4 petites flûtes à 4 clés et 1 flageolet à 3 clés. En 1839 et 1844, même récompense ; depuis 1840, la maison, devenue Martin frère (Jean Baptiste et Félix), avait un magasin à Paris. Après avoir mérité des médailles de 2eme classe (1855), de bronze (1867 et 78), J. B. Martin fils, obtint une médaille d’argent en 1889. L’exemple de Martin ne pouvait manquer d’être suivi par ses concitoyens et concurrents. Aussi vit-on les frères Hérouard lui disputer la palme en 1839. Une mention leur fut accordée et le jury s’étonna de la modicité des prix, l’exécution étant assez soignée « pour qu’on ne puisse pas s’expliquer comment on peut les livrer à des prix si faibles ». Ces facteurs occupaient de 30 à 40 ouvriers. Même récompense et même remarque en 1844, pour des flûtes à 5 clés en argent « bien confectionnées » ne coûtant que 30 francs. Un flageolet et une canne flûte de ces facteurs sont au Conservatoire. Ils eurent pour ((p 324)) associé M. Laubé, qui leur succéda vers 1878 et qui reçut une médaille de bronze en 1889. M. Martin Thibouville fils aîné, avait déjà une fabrique à La Couture depuis 1820, lorsqu’il vint établir une maison à Paris peu avant 1848. Après avoir obtenu des mentions en 1849-55, il reçut une médaille de bronze en 1867 et 1878. Sa facture devenait de plus en plus artistique : « »les flûtes, hautbois et clarinettes sont de nonne facture et très soignés dans les détails » lisons nous dans le rapport de 1889. La transformation s’est accomplie et les produits de la maison Martin Thibouville sont aujourd’hui estimés des artistes. Un essai de contrebasson en métal dont il a été question dans la Facture instrumentale (p 33) fut, avec une flûte Boehm en bois avec anneaux sans tampons (loc. cit., p 82), la nouveauté de l’exposition de ce facteur, qui reçut une médaille d’argent. Son fils (Martin-Victor-Gustave, né à Tilly en 1856) qui dirige la maison de Paris, et revoit tous les instruments, est actuellement archiviste de la chambre syndicale. L’association Thibouville frère (Louis, Nicolas et Pierre) à La Couture, ayant pris fin, deux d’entre eux continuèrent la fabrication, le cadet sous le nom de Thibouville-Buffet, le plus jeune sous le nom de Thibouville-Hérouard (1842). Les fils de ce dernier lui succédèrent et, pendant que lainé restait à La Couture, l’autre Jean Baptiste, né le 4 mai 1832, créait une maison à Paris, en 1857, sous la raison sociale Thibouville frère ; mais, le premier étant mort en 1864, il fut remplacé par son cousin Béranger, gendre de Thibouville-Buffet, dont les nouveaux ((p 325)) associés Thibouville et Béranger conservèrent la marque de fabrique, pour peu de temps il est vrai, car ce dernier mourut à la fin de 1865. Le survivant adopta en 1869 la marque Thibouville-Cabart (Depuis quelques années, les instruments d’artistes (système compliqué de mécanisme) portent seulement le nom de Cabart) pour éviter toute confusion, et il transporta sa manufacture à Ezy. Ce facteur fit, dès lors, tous ses efforts pour améliorer sa fabrication et la rendre digne des artistes. Après avoir participé à l’exposition de 1867, il remporta une médaille de bronze en 1878, pour ses instruments, reconnus d’une bonne justesse et en 1889, il mérita une médaille d’argent. La clarinette en si b qu’il présenta était, de même que la flûte cylindrique, « parfaite d’égalité et de justesse » ; elle était munie de 2 clés nouvelles facilitant divers trilles (fa dièse-sol dièse) dont nous avons parlé à l’époque dans notre ouvrage déjà cité (p 71). Le hautbois « avait un très joli son et était juste dans toute son étendue ». On ne s’en étonnera pas, sachant que M. Louis Bas, 1er prix du Conservatoire, hautboïste à l’opéra et à la société des Concerts, gendre de M. J. B. Thibouville-Cabart est chargé du magasin de Paris. Actuellement ce facteur étudie divers perfectionnements à apporter à la construction du basson. Parmi les facteurs de La Couture et des environs, prirent part encore aux expositions : Isidore Lot (méd de br., 1878) ; Thibouville-Coudevillain, son successeur, qui ajouta à la flûte en 1886, des clés de trilles dignes de remarques (médaille de bronze, 1889) ; ((p 326)) Eugène Thibouville et fils qui déserta Paris où il était en 1855 ; pour s’associer en 1863 avec Noblet jeune, à La Couture (méd de br., 1889 ; auxquels il faut joindre MM. Dolnet, Lefèvre et Pigis, établis à Mantes, auteurs de perfectionnements à la clarinette Boehm (1885) et au saxophone (1888), qui obtinrent une médaille de bronze en 1889. Faute de plus amples détails, bornons nous à signaler Lefebvre, de Nantes, qui reçut en 1839 une mention pour une clarinette avec laquelle on jouait dans tous les tons sans changer de bec ; Buhner et Keller, de Strasbourg, dont le Conservatoire possède une clarinette alto et des bassons ; Dobner et Consort de la même ville, qui ne nous sont connus que par une clarinette à 7 trous et 5 clés carrées ; Ferry qui créa à Mirecourt la première fabrique d’instruments à vent en bois, comprenant 10 à 12 ouvriers (M. H. 1839 ; Leroux aîné, de la même ville (M. H. 1839-44) qui eut une maison à Paris et s’est associé avant 1867 à Castegnier (M. H. 1867). Cuvillier fils aîné, de saint-Omer, prend place parmi les réformateurs du hautbois. Il exposa en 1834 un instrument avec une clé de si grave donnant effectivement ce son, cette clé ne servant, disait-il, sur les autres hautbois, qu’à corriger l’ut toujours trop haut. Une 10eme clé donnait la facilité de couler les octaves de fa à si et faire sortir les notes aiguës. Un serpent droit, dit basson russe, de ce facteur nous est connu, et le musée de Bruxelles possède un cor anglais à 2 corps s’emboîtant dans un barillet coudé. ((p 327))
6. Facteurs d’Instruments en cuivre.
La facture des instruments de cuivre avait à peine compté durant tout le XVIIIe siècle. Bornée aux cors et trompettes, qui aurait pu prévoir qu’elle prendrait un développement rapide et jouerait un rôle capital dans l’industrie des instruments de musique? Au commencement du siècle même, malgré l’activité qui se manifesta, il eût été difficile de se prononcer. Non-seulement la consommation devait s’accroître, mais la transformation des instruments et des procédés de fabrication devaient faire de cette branche de la facture une industrie indépendante et prospère, n’ayant plus rien de commun avec l’ancienne chaudronnerie. Peu de maisons du XVIII siècle prolongèrent leur existence. L. J. Raoux se préparait néanmoins un digne successeur en son fils Marcel-Auguste, né le 21 Août 1795. Comme ses ancêtres, celui-ci fut à la fois instrumentiste et facteur, et, après s’être initié à la fabrication, il commença sa carrière de virtuose dans les pupilles de la garde impériale, où il s’engagea le 16 octobre 1813. Son service terminé, il reprit sa place à l’atelier de son père et entra comme corniste à l’orchestre du théâtre italien, où nous le trouvons en 1833 comme second cor et où il était encore en 1856 en qualité de premier, avec 150 francs d’appointements par mois. Ce n’est que lorsque M. A. Raoux eut l’entière direction de son atelier, que l’on vit ses ((p 328)) produits aux expositions ; malgré l’excellente réputation de sa maison et les suffrages de sa clientèle, il comprit qu’il ne pouvait se désintéresser de ces concours périodiques. Il y parut pour la première fois en 1839 et obtint une médaille d’argent (la première qui ait été accordée aux instruments à vent) « ayant été placé trois fois au premier rang ». En 1844 ce fut une médaille d’or, également la première accordée aux instruments de cette catégorie : « quatre instruments sortant de l’atelier de M. Raoux, dit le rapport ont été placés, au premier rang dans le concours, savoir : un cor sans piston, un cor, un cornet et un ophicléide, tous trois avec pistons. Un pareil succès trouve son explication dans les soins apportés à la construction de ces instruments et peut être aussi dans la nature des procédés employés par M. Raoux qui continue à se servir du marteau pour façonner ses cuivres. » Cinq ans après, nouvelle médaille d’or avec la croix de la légion d’honneur et, en 1855, médaille de 1ere classe. Parvenu à ce point, M. A. Raoux crut devoir se retirer après 48 ans d’exercice, il céda son fonds le 12 janvier 1857 à Labbaye, moyennant une rente viagère de 2 400 francs. Chose bizarre, il n’avait pas voulu, rompant avec les anciennes traditions de sa famille, que son fils suivit la carrière d’artiste et de facteur. M. A. Raoux mourut le 3 juin 1871. Ses instruments sont aujourd’hui très recherchés, les cors surtout qui ont une pureté de son et une justesse irréprochable. Toutefois l’on rencontre des instruments qui ont perdu ces qualités par la faute des artistes qui ((p 329)) ont fait transformer des cors simples en cors à piston, opération très délicate dont le résultat est souvent incertain. Courtois qui, en 1789, était rue Mazarine, exerça aussi au commencement du siècle, puis, des membres de sa famille formèrent deux maisons distinctes ; l’une eut son siège rue des Vieux-Augustins, 34 et fut dirigée d’abord par Courtois neveu aîné, puis vers 1841 par ses enfants (Auguste, Eugène et Louis), sous la raison sociale Les trois fils de Courtois neveu, avant de devint la propriété de l’aîné, Auguste Courtois, (1847-48), qui la transporta rue de la Folie-Méricourt, un peu avant 1860 (Son frère Eugène créa une maison qui dura peu, rue Bichat. En 1849, il figurait sur la liste des exposants.) l’autre, datant de 1803, connue sous le nom de Courtois frère, située rue du Caire, eut pour continuateur Antoine Courtois fils (1844-80) qui la transféra, en 1856, rue des Marais, où elle est encore sous la direction de M. Mille. Courtois neveu fit, en 1838, un cornet à piston et à coulisse. On retrouve peu d’instruments de sa fabrication. Nous ne connaissons que le cornet à 2 pistons du Musée du Conservatoire (Inv n° 1227) et de son fils Aug. Courtois aîné, aucun ne nous est encore parvenu. A l’exposition de 1849, ce dernier obtint une mention pour un cornet placé au 4eme rang ; il figura sur la liste des exposants de 1855, mais il ne parait pas avoir soumis ses produits au jury. Aug. Courtois inventa, en 1847, le piston curviligne et, en 1856, les pistons obliques par rapport à l’instrument. ((p 330)) De Courtois frère, il y a au Conservatoire une trompette de cavalerie en usage sous Napoléon 1er (n° 604), une trompette circulaire en sol qui servit à l’opéra de 1826 à 32 (n° 605) et un autre en forme de demi lune avec laquelle on obtenait des sons bouchés comme sur le cor. On y voit aussi un clairon présenté par Courtois frère qui fut adopté en 1823 par le ministre, lorsqu’il fit appel aux facteurs pour la création d’un instrument à sons différents de la trompette, pour les signaux dans l’infanterie (n° 590). La même collection possède les trombones à coulisse, décernés en prix à D Simon et à Delisse (1838-41), des cornets, bugles à clés, cors, ophicléides, donnée par M. Mille, dont nous avons parlé dans la facture instrumentale. La renommée des instruments des frères Courtois est solidement établie aussi bien à l’étranger qu’en France, elle est due à un travail consciencieux et très artistique. On ne s’explique donc pas pourquoi ces habiles facteurs se sont abstenues aux diverses expositions ; ce n’est que lorsque Antoine Courtois eût pris possession de la maison qu’elles y parurent. Pour ses débuts, A. Courtois obtint la Prize medal à Londres en 1851, et la médaille de 1ere classe à Paris, en 1855, où figura une grande variété de beaux instruments, parmi lesquels les cornets, trompettes et trombones firent merveille et dont l’excellence ne s’est jamais démentie (Prize medal, Londres 1862, méd d’argent, Paris 1867, d’or à Moscou 1872, et Paris 1878. Depuis 1856, M. Aug. Milles (né à Lille, le 3 avril 1838) faisait partie de la maison ; après l’exposition de 1878, où il reçut une médaille ((p 331)) de bronze en qualité de chef d’atelier, A. Courtois se l’associa et, à son décès, (1880), il lui succéda. Initié de longue date aux procédés de facture qui ont fait la gloire de la maison et lui ont valu le titre de fournissuer du Conservatoire et des écoles succursales, M. Mille était à même de les maintenir ; ses succès, personnels aux expositions postérieures le prouvent assez : décoration nationale (Boston 1883), grand diplôme d’honneur à Anvers, médaille d’or à Londres (1885) et à Paris (1884). A cette dernière, il présenta un trombone à coulisse avec une 8eme position (si naturel), que nous avons décrit à l’époque (loc. cit., p 105). Revenons au commencement du siècle pour suivre le mouvement qui fut tout d’abord à peu près nul, car aux facteurs du XVIII siècle qui exerçaient encore, nous n’avons à ajouter que J.-B. Dupont (1785-1865), inventeur d’un cor et d’une trompette omnitoniques au moyen d’une coulisse à crémaillère (1818), qui lui valut un prix de l’institut, et dont il y a, au Conservatoire, un cor composé d’autant de tubes que de tonalités, qui s’obtiennent en plaçant l’embouchure sur celui du ton désiré ; François Riedlocker, né à Linz, en 1753, élève de Cormery, et son successeur peu avant 1808, inventeur, dit Choron, de la coulisse d’accord du trombone, et que nous trouvons jusqu’en 1831, époque à laquelle Halary père acheta son fonds (Il y a au Conservatoire un trombone-alto de ce facteur (n°661). Dans la même collection sont une basse de musette (n°468) et un hautbois en cuivre (n° 478) poinçonnés, l’un I.I.R ((p 332)), l’autre J. J. R, initiales sous lesquelles G Chouquet a cru voir celles d’un Riedlocker (1770-1820). Nous ne le contestons pas, mais il ne s’agit pas assurément du facteur ci-dessus). Boileau qui présente à l’exposition 1849 : 1° un ((p 332)) cor en bois avec pavillon et bocal en cuivre ayant la faculté de donner des sons justes et d’accompagner dans tous les tons, sans corps de rechange ; 2° des trompettes d’harmonie et de cavalerie ; 3° une grande flûte en la et une clarinette en sol avec petites clé (méd. de bronze), mais ne reparut plus aux expositions suivantes, bien qu’il ne cessa de fabriquer qu’après 1840 ; André-Antoine Schmittschneider (1820-31) auteur d’un procédé de fabrication des cors et trompettes (1821), d’un cor à 23 tons de rechange et de trombones d’une construction nouvelle, ayant plus de rondeur et de force dans le grave, récompensé en 1823 d’une médaille d’argent. En 1826, il faisait des cors, cors octaves, trompettes, trombones et cornets. De cette époque datent également deux maisons qui devaient avoir une plus longue durée et une plus grande renommée. La première est celle de Jacques-Charles Labbaye père, élève de Courtois, qui débuta à l’exposition de 1819, avec des cors mécaniques « portant 9 tons depuis le si du haut jusqu’au si du bas, sans changer de ton, ni d’embouchure, modulant dans tous les tons en moins d’une seconde, dans le même système que le cor ordinaire », dont il existe un spécimen au Conservatoire (n° 1016 d’inventaire), plus un cor avec 3 tons de rechange, faisant l’office des 9 tons ordinaires, ((p 333)) sans changement d’embouchure, et une trompette d’harmonie faite sur le même principe ; inventions qui enlèvent la priorité aux tentatives semblables faites par Sax père, en 1824 et 1826 (quoiqu’en aient dit les panégyristes du fils), et qui ne peuvent être contesté à Labbaye, puisqu’en sus du rapport de l’exposition, l’almanach Bottin de 1820 (p 1205) donne la description de ces instruments. En 1822, Labbaye produisit un système d’ophicléide démontable à 10 clés ; en 1827 ce fut une trompette dite à ventilateur, munie de 3 pistons, et à l’exposition de la même année, il présenta des cors à pistons d’une construction très soignée (méd. de bronze). Parmi les instruments qu’il fabriquait en 1829, nous voyons les buccins, trompettes et cor d’harmonie à ventilles ou pistons. Labbaye avait eu le 15 octobre 1814, un fils nommé Jacques-Christophe, qu’il avait associé à ses travaux et qui avait obtenu avec lui une mention à l’exposition de 1834 pour les ophicléides. Avant de succéder à son père, J.-C. Labbaye étudia le cor à piston au Conservatoire, ce qui lui permit d’apporter tous les soins désirables à la fabrication ; aussi en 1849, obtenait-il une médaille d’argent, son cornet à pistons ayant obtenu le 1er rang, et son ophicléide ayant été le seul classé sur quatre présenté. Les expositions de 1851 et 1855 lui valurent des mentions, celle de Londres (1862), la Prize medal « pour l’excellence de qualité de ses instruments de cuivre » et des médailles d’argent lui furent attribuées en 1867 et 1878. J.-C. Labbaye avait acquis le fond de M. A. Raoux en 1857, il le vendit à son tour avec le sien, ((p 334)) le 20 août 1878 à M. Millereau, chez lequel il fut employé jusqu’à sa mort. C’est à l’année 1768 que l’on fait remonter l’origine de la maison Halary, mais on ne peut dire exactement quel en a été le fondateur. Il est question d’un nommé Engoulevent qui aurait cédé en 1804 à Jean-Hilaire Asté dit, par corruption, Halary, natif d’Agen et venu à Paris vers 1796. Nous n’avons rencontré nulle part le nom d’Engoulevent, peut-être a-t-on confondu avec Amboulevart? Quoi qu’il en soit, nous avons la certitude qu’en 1809 Asté dit Hilary, était établi à Paris et qu’il fit preuve d’imagination. En 1817, il soumit à l’académie des Beaux-Arts une série d’instruments nouveaux qu’il ne fit breveter qu’en 1821 : le clavi-tube ou trompette à 7 clés en fa, mi b, ut ou si b, avec coulisse d’accord à crémaillère, ayant chromatiquement deux octaves d’étendue ; le quinticlave ou trompette quinte et basse en fa, mi b, ut ou si, en forme de basson, à 9 ou 10 clés, et trois octaves d’étendue ; l’ophicléide ou contrebasse en fa, descendant 3 demi-tons plus bas que la contrebasse d’orchestre ; le clairon métallique ou clarinette en cuivre. Ces instruments, exposés en 1823, étaient déjà adoptés dans plusieurs régiments de la garde royale, ils valurent une mention à leur auteur. A cette époque, il fabriquait en outre, suivant une annonce, des instruments à clé, des trompettes en si, ut, mi b, des quintes, cors, trompettes, trombones et contrebasses d’harmonies. En 1825, Jean-Louis Antoine, né à Paris le 14 janvier 1788, qui avait quitté l’atelier de Courtois pour entrer chez Halary, lui ((p 335)) succéda (Asté-Halary se retira dans son pays natal où il décéda vers 1810), et substitua à son nom celui de ce dernier, alors très connu. Il ne fut pas moins actif que son prédécesseur, et, en 1827, il présentait des clarinettes, flûtes et cors en cuivre parfaitement exécutés (méd. de bronze). Puis, alors que chacun cherchait à perfectionner les instruments à pistons, introduits depuis peu en France, il produisit, en 1835, son système à plaques tournantes, imité plus tard par Robertson, digne d’un meilleur sort que celui qui lui a été réservé. (V. La Facture instrumentale, p 295). Sans négliger le système de pistons, il tentait d’en reproduire l’effet à l’aide d’un autre dispositif mécanique ; ses cornets et cors à 2 pistons furent classés au second rang en 1839, et ses trombones au premier (médaille de bronze). Avec Belorgey, il fit breveter en 1843 d’importantes améliorations au piston, puis il imagina les pistons à perce conique, c’est à dire dont la grosseur était proportionnée au diamètre du tube (1846). L’année précédente, Halary avait adapté au trombone à coulisse la soupape à ressort qui sert à vider l’eau en appuyant l’instrument sur le sol. Ce facteur continuait d’occuper la première place pour la qualité de ses instruments, et il reçut une médaille d’argent en 1849. Une contrebasse omniton, un ophicléide à clés montée sur tringle à pivot avec ressort à aiguilles et un cor ascendant dont un piston raccourcissait le tube au lieu de l’allonger (Cette innovation est à remarquer : c’est la plus ancienne ((p 336)) application connue actuellement ; elle est antérieur à celle de Sax. L’annuaire de la société des anciens élèves des écoles des arts et métiers (1851) contient un rapport sur ce système), avaient fait partie de son ((p 336)) exposition en cette année. Au grand tournoi international de 1855, Halary remporta une médaille de 1ere classe ; il y exposa, entre autres curiosités, un trombone contrebasse à double coulisse, descendant au contre-fa, et des instruments avec pavillons à courbe parabolique. Ce facteur avait alors associé à ses travaux son fils, Jules-Léon Antoine dit également Halary (né le 1er mai 1827), qui avait obtenu un 1er prix de cor à piston au Conservatoire en 1855, et était entré à l’orchestre de l’Opéra en 1853, qu’il avait quitté depuis peur. Hallary père mourut le 16 mai 1861. C’est un de ceux auxquels la facture est redevable de notables progrès : en 1827, il a perfectionné les pistons que Meifred avait fait construire par Labbaye ; il fut un des initiateurs des bugles et trompettes à clés, et c’est lui qui construisit en France le premier cornet à piston. Les musées et collections renferment beaucoup d’instrument de ce facteur ; citons seulement la clarinette-alto en cuivre à 13 clés du musée Sax et le trombone à coulisse des Arts-et-Métiers, muni d’un tortil à la naissance du pavillon. Les instruments de ce facteur sont généralement marqués Halari sans y ; c’était, nous dit son fils pour surprendre la contrefaçon. M. Halary fils n’eut qu’à continuer l’oeuvre de son père ; il apporta pourtant diverses améliorations aux instruments et fit en 1863, un cornet solo. En 1873 il céda la maison à la société Coste et Cie, dont le directeur était M. François Sudre, qui en resta seul propriétaire ((p 337)) deux ans après (1875). Non moins ingénieux que ses prédécesseurs, il faisait breveter successivement une machine à faire les pavillons (1879), un procédé pour le cintrage des tubes (1882), l’adaptation aux instruments d’une membrane résonante pour en augmenter l’intensité (1889), une grosse caisse portative, un système produisant l’effet des doubles et triples coups de langue, des sudrophones, instruments à pistons avec bec et anches que nous ne connaissons que de nom (1892) et le remplacement des pistons ordinaires par un clapet (brevet du 20 mars 1893). Cette innovation est susceptible de causer une véritable révolution dans la facture, car elle supprime le piston actuel qui exige une grande précision dans sa fabrication et dont l’action est plus lente (par suite de la course qu’il effectue dans le cylindre), que celle d’un disque ou d’un clapet, dont le mouvement, n’est que d’un quart de cercle. M. F. Sudre construit également, d’après le système imaginé par Daniel, les instruments compensateurs décrits dans notre précédent volume (p 142) ; il reçut, en 1878 et en 1889 une médaille d’argent (Paris) et une médaille d’or à Anvers (1885) ; M? F. Sudre est né à Carcassonne en 1844 ; il a fait son apprentissage, chez à Marseille, chez Daniel, après quoi il travailla chez Couturier, à Lyon, et chez Halary (1866), qu’il quitta pour devenir le représentant de Couturier, à Paris, avant de diriger l’association des ouvriers facteurs, et de prendre la succession d’Halary. Les besoins croissants des musiques militaires amenèrent peu la création de nouveaux ((p 338)) établissements, morts pour la plupart avec leurs fondateurs. Ils ont cependant quelque titre à une place dans les fastes de la facture, soit par la bonne qualité de leurs instruments, soit pour les perfectionnements qu’ils leur ont apporté. De ce nombre est D. Jahne (1820-57), qui se distingua dans la fabrication du trombone. En 1834 il fit subir quelques changements à la forme du trombone à piston, qu’il modifia complètement deux ans après. Déjà en 1835, il faisait des bugles à 3 pistons avec lesquels on pouvait jouer dans l’étendue des instruments ordinaires. Sa facture était fort soignée, les instruments qui nous sont parvenus l’attestent et aussi la mention qui lui fut décernée en 1839 pour un cor à 3 pistons et un trombone-alto placés au 1er rang. François Perinet a attaché son nom à un système de piston qui a fait fortune dans la facture, et qui a contribué beaucoup aux progrès de cette catégorie d’instruments. En 1829, il ajouta le 3e piston au cornet ; en 1834, il fit un nouveau cornet qu’il perfectionna en 1839, et inventa un piston-basse en 1841, qu’il proposa pour remplacer l’ophicléide. M. J.-M. Pettex-Muffat quitta l’atelier de Raoux pour prendre la suite de Perinet, mais il s’en tint à la fabrication des trompes de chasse (méd. d’argent 1889). Désiré Paridaens (1829-56) n’est guère connu ; un cornet à piston de sa fabrication est entré récemment au Conservatoire et Jules Paridaens, peut-être son fils, parait avoir exercé quelques années après lui. Pertus n’est également connu que par un système diminuant la course du piston (1833) et une ((p 339)) trompette en fa à deux pistons au Conservatoire. Moins obscur a été Z.-J.-M. Dujariez (1831-55) ; c’est lui qui parvint à corriger les notes défectueuses du cor simple, telles que les sol, mi fa dièse des tons de mi b, fa, etc. Un rapport du 30 juin 1831 fait à Chérubini, directeur du Conservatoire, par les cornistes Dauprat, Gallay et Meifred, fait l’éloge de son cor solo ; en 1834 et 1855 le jury reconnut que ses instruments étaient bien confectionnés et doués d’une belle qualité de son (mention honorable). Bartsch se fit connaître en 1835 par l’invention d’un mécanisme pour le cor à pistons, permettant de jouer dans tous les tons. A l’exposition de 1849, il présenta un cor à coulisse et à ressort (méd. de br.) et fit breveter en 1854 une nouvelle forme de pistons cylindriques. De ce facteur il existe au Conservatoire un cornet à 2 pistons datant de 1840. Rien ne s’attache au nom de Baillet (1833-50), mais de Nic. Firmin Michaud (1837-72), quelques souvenirs sont restés. En 1849 il reçut une médaille d’argent, son clairon et son baryton ayant été placé au 1er rang et son cor au 2e. Il est cité à diverses reprises dans le rapport de 1855, notamment pour ses cors et trombones à coulisse qui lui valurent une médaille de 1ere classe. David (1837-73) a fort peu fait parler de lui ; il n’offre à signaler que son système de gros piston chromatique (1855), ses instruments à petits tubes, perce ronde et pleine, diminuant la course du piston (1866). Mongin (1843-57) est dans le même cas que le précédent ; deux brevets de perfectionnements en 1849 et 50 sont les seuls souvenirs qu’il ait laissé. Roen (1848-84) n’est ((p 340)) pas beaucoup plus fortuné avec la mention qu’il obtint en 1849 et son perfectionnement du trombone à coulisse (1880). Ce n’est pas non plus le propre des associations ouvrières de se distinguer par des innovations nombreuses, souvent fort onéreuses ; elles se contentent d’apporter leur soins à la fabrication des modèles adoptés. L’association fraternelle d’ouvriers facteurs d’instruments à vent fondée en 1848 et dirigée par Houze obtint à ce titre une mention en 1849 et en 1855, alors qu’elle avait à sa tête M. Deschamps ; seule de toutes celles qui furent présentées, sa trompette satisfit complètement le jury. Depuis une vingtaine d’année, cette association a cessé d’exister. Il s’en est formé une autre en 1865, dont il sera question tout à l’heure. Oscar Beaubeuf (1849-67) malgré son système de piston à pompe (1851), n’est guère connu. Il n’en est pas de même de Gust-Aug. Besson, né à Paris en 1820, qui n’a rien ménagé pour faire parler de lui (De Pontécoulant. Douze jours à Londres, p 254 et 296). Comme plusieurs de ses confrères, il est fils de ses oeuvres. Dès l’âge de 10 ans, il entra en apprentissage chez Dujarier, puis travailla dans plusieurs maisons, et, à 18 ans, tourmenté du désir de réaliser divers projets, il s’établit à son compte avec des ressources restreintes, qui l’obligèrent tout d’abord à n’entreprendre que des ouvrages à façon. Mais peu à peu la situation s’améliora, et G. A. Besson parvint à présenter à l’exposition de 1844, un cor à piston et un bugle qui, bien qu’inachevés, furent placés au ((p 341)) second rang du concours et lui valurent une mention. Sept ans après, il remportait à Londres une médaille de 2e classe, puis une autre de 1re classe, à Paris en 1855. Nous ne saurions donner ici une liste complète des brevets de ce facteur ; bornons-nous aux principaux : l’adjonction de cylindres aux coulisses des pistons (1853), puis la perce droite, assurant le passage direct de la colonne d’air, dans les 1er et 3e pistons (1854) et 6 mois après (1855), la perce pleine qui remédia à l’inégalité des sons des instruments à pistons, et à leur manque de justesse dans certaines positions. Tous les trous des pistons de trouvèrent dès lors en rapport de diamètre avec le tube sonore, d’où résulta une plus grande ampleur de son et une plus grande facilité d’émission. Le meilleur gage du succès de cette découverte est dans son adoption par la généralité des facteurs. En 1856, G.-A. Besson commença à établir ses prototypes, mandrins en acier autour desquels on fit grand bruit, et qui, après tout, ne constituent qu’une partie de l’outillage nécessaire à tout facteur, depuis que l’étirage des tubes se fait au banc. Ensuite, il fit connaître divers systèmes nouveaux, dont les plus importants sont : les trombones et basses à registre avec pistons dépendants, puis indépendants (1858), décrits dans la Facture instrumentale (pages 92, 159 et 284). Les difficultés crées par Ad. Sax à la facture française avec son monopole déguisé, contraignirent Besson à s’expatrier pour se soustraire aux entreprises dont il était l’objet. En 1858, il partit à Londres où il fonda une nouvelle manufacture, sans ((p 342)) abandonner toutefois celle de Paris qui fut administrée en son lieu et place par Mme Besson. A l’exposition de 1867, sa maison figura donc dans les sections anglaises et française. Ce fut la dernière à laquelle il participa personnellement ; la mort l’ayant surpris, en 1874. Mme Ve Besson, aidée de ses filles Cécile et Marthe, ne laissa pas péricliter son oeuvre et, en 1878, une médaille d’or était attribuée à cette maison pour « ses instruments en cuivres, de formes élégantes, d’une belle qualité de son et d’une grande justesse » dit le rapport. Depuis lors, les plus hautes récompenses ont été le partage de cette marque, dans les expositions françaises et étrangères. Le décès de Mme Ve Besson n’entraîna pas la disparition des diverses traditions établies par le fondateur, sa fille Marthe, devenue Mme Fontaine-Besson, initiée de bonne heure aux multiples détails de l’entreprise, put les transmettre au nouveau chef de la maison. Les travaux des descendants de G. A. Besson, sont également considérables, nous en avons suffisamment parlé dans notre précédent ouvrage pour n’y pas revenir (La facture instrumentale, p 5, 56, 109, 114, 160, 19 et 77). Signalons seulement un essai de création de nouvel instrument : le cornophone dont le principe est analogue à celui des tuben allemands (embouchures de cor et tube conique), que nous avons déjà fait connaître ailleurs, et la construction d’une clarinette contrebasse dite clarinette-pédale, proposée pour remplacer le contrebasson, tentative diversement ((p 343)) appréciée et ne constituant pas, au sens propre du mot, de nouveaux instruments. La maison fondée en 1859 par Arsène-Zoé Lecomte, ex-employé de Gautrot, a tenu une place très honorable dans la facture des instruments en cuivre où il se fit une spécialité pour l’exportation. En 1874, il imagina le clairon-trompette (Duplex), le saxophone-Boehm (1888-89) et le basson en métal (1889) sur lesquels nous ne reviendrons pas en ayant parlé dans la Facture à l’exposition. Les récompenses obtenues sont : méd de bronze (1867), d’argent (1878), diplôme d’honneur à Philadelphie (1876), 1er prix à Melbourne (1881). Pour 1889, A. Lecomte fut appelé à faire partie du jury, mais déjà atteint du mal qui devait l’emporter (26 février 1892), il ne put prendre part à ses travaux. A. Lecomte était né le 3 juin 1818 à Ferrière-Haut-Clocher (Eure). C.-A. Cassarini son associé réunit sa maison à celle de MM. Massin et Thibouville, afin d’adjoindre les instruments en bois à sa fabrication ; mais il ne resta pas longtemps à la tête de cette nouvelle association, il mourut au mois d’avril 1892. L’association générale des ouvriers facteurs d’instruments de musique fondée en 1865 a eu pour directeurs : Neudin, qui, en la quittant, prit la suite de Michaud ; F. Sudre, qui est devenu propriétaire du fonds Halary ; MM. L. François, et J. Maître, actuellement en fonctions. En 1878, ils recevaient une médaille de bronze pour leur bonne facture et en 1889, une médaille d’argent. Les divers types d’instruments ((p 344)) de cuivre exposés, ont eu en grande partie l’approbation du jury. L’association a acquis les modèles de saxophone de Feuillet, lorsqu’il s’est retiré. L’établissement crée en 1878 par E. Roblin n’est pas considérable, mais il a figuré avec honneur devant le jury en 1889. Ses instruments sont d'une facture de premier ordre, ainsi que le constate le rapport (méd. D’argent). Le bugle-contralto imaginé en 1878 par M. Roblin (V. la Facture, p 107 ) fut aussi reconnu d’un fort beau timbre et d’une justesse remarquable, qualités que possèdent d’ailleurs les autres instruments de ce facteur. Chef d’atelier de Gautrot en 1867-78, M. G. Gandilhon s’est établi depuis, et continue à fabriquer sans chercher à innover.
En province, la facture des instruments de cuivre est une exception et sauf deux, les rares maisons qui se sont établies ont cessé d’exister. Des deux qui restent, l’une a été fondée par François Sautermeister, à Lyon, en 1809. Ce facteur se signala en 1812 par l’invention d’un curieux instrument qu’il nomma basse-orgue. Il était parfaitement cylindrique jusqu’au pavillon et recourbé comme le basson, il avait pour embouchure un bec semblable à celui de la clarinette et produisait plus de 3 octaves par demi-ton. Le pavillon pouvait se remplacer par un globe ou par un tube percé de part en part. En 1827, Sautermeister imagina une basse d’harmonie ou nouvel ophicléide, à 11 clés, perce conique et pavillon évasé, dont le son tenait du buccin et du ((p 345)) serpent. Les instruments de ce facteur sont très rares, une seule clarinette en cuivre, à 9 clés, déjà signalée (La Facture, p. 168) nous est connue. Il mourut en 1830 et sa veuve continua avec son neveu Louis Muller pendant quelques années, après quoi, il resta seul jusqu’à son décès, qui survint en 1867 (Dans le Catalogue du musée du Conservatoire, G Chouquet a indiqué comme époques d’exercice de ce facteur 1835-55 (page 136) et 1830-60 (page 166). Ce facteur fut très inventif ; en 1835, il donna aux pistons une perce plus forte ; en 1838, il fit un système de cor à 2 pistons percés de trois trous au lieu de quatre et actionnés par des touches ou boutons, à volonté ; en 1846, il construisit une clarinette-basse à deux corps parallèles en forme de basson, descendant à l’ut, qu il proposa pour remplacer le basson, puis, une clarinette à 14 clés et 4 anneaux dont un spécimen est au Conservatoire (n° 539) ; en 1855, ce fut une contrebasse à anche à corps parallèle, également en forme de basson, descendant une octave au dessous de cet instrument, à perce cylindro-conique, pavillon en cuivre et disposition nouvelles des clés, qu’il appela muller-phone. Ses cornets à 2 et 3 pistons furent jugés les plus satisfaisants en 1855 (méd. De 2eme classe). Peu après la mort de Muller, M. Jean-Léon Cousin, né à Paris le 30 janv. 1843, se rendit acquéreur de son fonds (sept. 1868) ; il avait fréquenté les clases entretenues au conservatoire par le ministre de la guerre, alors qu’il était musicien au 2e génie, et obtenu un 3e accessit de clarinette au concours de 1863. M . Cousin ((p 346)) enseigne actuellement cet instrument à l’école de musique de Lyon, succursale du Conservatoire de Paris. Comme facteur, cet artiste a remporté deux médailles d’argent (1878-89) ; il a imaginé un système d’instruments à 5 piston sur lequel nous nous sommes étendu dans la Facture (p 138) ; il est encore l’auteur d’un entre-deux articulé, servant à monter et à démonter instantanément les instruments à pistons, faits avec un tube sans soudure. Trois ans après la création de la maison Sauter-Meister à Lyon, Couturier en fondait une seconde (1812), ayant pour but la facture ordinaire. En 1852 elle passa aux mains de son fils Jacques Couturier, qui fit breveter la même année un perfectionnement à l’ophicléide, consistant dans la suppression des 4 dernières clés et leur remplacement par un piston à rotation. Un ophicléide basse de ce genre est au Conservatoire (n° 654). A l’exposition de Londres, en 1890, on vit un cor marqué « Dubois et Couturier, Lyon », probablement du père de ce dernier (Des almanachs de 1836-38 indiquent cette raison sociale). Après avoir reçu une médaille de 2e classe en 1855, J. Couturier fils, obtint en 1867, une médaille de bronze. Vers 1875, son fond devint la propriété de la maison Pellisson frère. A Lyon, il y eut encore Tabard (1820-48) qui ne fut pas sans mérite, à en juger par les instruments que l’on connaît. Le plus original, à coup sûr, est l’espèce de serpent à 3 clés. A pavillon en forme de tête de dragon, dont il y a des spécimens à Bruxelles et à Leipzig dans la collection P de ((p 347)) Witt. Le catalogue A. Sax mentionne un instrument de cette espèce marqué Jeantet à Lyon. Au Conservatoire de Paris, on voit un clavicor de Tabard fait avec une magnifique corne (n° 674) ; dans la collection Sax il y avait un buccin et un ophicléide-basse, si b. à 9 clés et le musée Kraus possède une canne-flûte de ce facteur. De Rust qui vendit le serpent à une clé n° 645 du Conservatoire ; on ne connaît que le curieux basson entré récemment dans la même collection. P. Piattet et Benoît n’ont guère laissé, en dehors de leur projet de remplacement des clés et pistons par les soupapes (1836), que le souvenir de leur participation à l’exposition de 1855. Enfin, plus anciennement, le grand-père du compositeur L. Clapisson était établi dans cette ville et un petit facteur, nommé Rivet, dont nous possédons un cor à 2 pistons, fut mêlé au procès Sax, de 1846 à 50. Il était déjà établi en 1840. Lyon est la seule ville qui ait fourni autant de facteurs ; à peine en compte-t-on quelques uns pour le reste de la France. A Marseille, nous ne voyons que l’ancienne maison Guérin qui fait remonter son origine à 1762 et fut dirigée par Daniel vers 1847 et ensuite par sa veuve et son fils (1857-81) avant de revenir au descendant du fondateur qui exposa en 1889 des violons et des clarinettes (méd. De br.) Daniel est l’auteur de divers perfectionnements aux instruments à pistons brevetés en 1858, 64 et 81, dont il a été question dans notre précédent ouvrage. Lille n’a donné que Henri-Louis-Joseph Jacques dit Printemps (1820-36 dont il y a un ophicléide alto ((p 348)) en la b. au Conservatoire (n° 652) et Bayeux nous a offert E.-Fr. Cassine (1855). A Strasbourg, J. Chr. Roth entreprit en 1840 la fabrication des bois et des cuivres. Il se présenta à l’exposition de 1844 et reçut une médaille de bronze pour une trompette placée au 1er rang et un alto au 3eme. Puis il adapta aux instruments de cuivre un mécanisme transpositeur à coulisse mobile (1852-56). En 1855, Roth fit une flûte descendant au sol et une clarinette-basse, dont aucun trou n’était bouché directement par les doigts, qu’il présenta à l’exposition avec un cornet-clarino (cornet et bugle duplex), un cornet omnitonique à cylindre et à coulisses et des clarinettes en cuivre (méd. De 2e classe). Charles Kretzschmann également de Strasbourg fit breveter divers changements aux instruments à cylindre de 1850 à 58 ; le Conservatoire possède un bugle alto en mi b à 3 cylindres (n° 586) et nous avons vu un cor à son nom.
7 Facteurs d’instruments dits en cuivre et en bois Facteurs d’instruments de toutes sortes.
A. SaxPeu de facteurs exécutent réellement les deux sortes d’instruments que l’on est convenu d’appeler en « bois et en cuivre », bien qu’il en soit vendu beaucoup comme tels. Les procédés de travail, l’outillage , etc., sont tellement différents, que cela n’a pas lieu de surprendre. D’ailleurs, il n’y a pas très longtemps que l’on a eu l’idée en France de réunir ((p 349)) les deux genres (Sauter meister avait fabriqué à Lyon, des bois et des cuivres. Ch. Collin (1820), Husson et Duchêne et d’autres déjà cités ainsi que Gambaro (1833-50) succédant à son père Jean-Baptiste, , fixé à Paris vers 1818, ont tenu toutes sortes d’instruments. Sans pouvoir l’affirmer d’une façon précise, nous croyons que la fabrication de ces derniers se bornait aux deux sortes « cuivre et bois », Gambaro étant inventeur d’un système de pistons à clés à bascule (1845)), et même les instruments à cordes. Adolphe Sax, qui, à l’imitation de son père établi à Bruxelles, s’occupa des deux sortes d’instruments, a été certainement une personnalité marquante de la facture, mais l’efficacité et l’utilité de ses travaux, ainsi que leur influence sur le progrès et le développement de la facture sont discutables. Il s’est abusé sur la valeur de ses découvertes et l’on peut dire qu’il est lui-même l’auteur des déceptions et des déboires qui abreuvent la fin de son existence. Il est à regretter que ce facteur ingénieux n’ait pas fait un meilleur usage de ses facultés, et qu’il ait eu la folie de vouloir concentrer toute la facture en ses seules mains. C’est pour avoir tenté de dominer tout et de se substituer à tous, qu’il s’est attiré les procès qui ont été le début de luttes violentes, également fatales aux deux partis. En vain, on essayerait d’incriminer les facteurs parisiens ; ils défendaient leur existence et ce n’est pas sans raison qu’ils qualifiaient d’intrus, l’étranger qui, sous prétexte de perfectionnement souvent plus apparent que réel, portait la main sur tout, et voulait monopoliser, par le moyen du brevet, la fabrication des instruments à l’usage des musiques militaires. ((p 350)). On ne peut exciper en sa faveur de l’intérêt de l’art, la question de commerce et d’intérêt privé ne lui était pas indifférente, sans quoi, il n’eut pas quitté sa patrie, où il eut pu paisiblement produire ses découvertes. Ad Sax n’a guère été jugé jusqu’ici que par ses adversaires acharnés ou par ses panégyristes, amis maladroits ou écrivains par trop intéressés, d’où il résulte de part et d’autre une exagération évidente. Pour dégager l’exacte vérité il faudrait une longue étude comparative qui ne peut trouver place ici ; toutefois nous essayerons de ramener les choses à leur véritable proportion. On ne peut refuser à Ad. Sax le mérite d’avoir eu d’ingénieuses conceptions, mais il est certain qu’elles ont touchée souvent l’utopie et que beaucoup dépassaient les bornes raisonnables de la pratique, ce qui leur occasionna plus l’opposition des artistes que celle de ses concurrents. D’ailleurs son compatriote, M. Mahillon n’a-t-il pas lui-même émis un doute sur l’utilité du système à 6 pistons ? (V. L fact. Instr., p 134). Si l’on examine froidement l’œuvre d’Ad.Sax, on reconnaît que la somme de ses inventions réellement utiles, est très restreinte. C’est sur la clarinette-basse que ce facteur porta d’abord ses efforts ; or il est avéré que les proportions données par lui, ne sont pas celles qui ont prévalu et que son mécanisme, à coup sûr, préférable à celui à 13 clés, n’a pas davantage été adopté, puisque c’ est à celui de Buffet, dit système Boehm, que s’en tiennent les facteurs français, lequel a pris tout récemment place dans l’enseignement de Conservatoire de Bruxelles. En outre, l’opinion ((p 351)) de Fétis sur la clarinette-basse de Dacosta que l’on verra plus loin (p. 402, note 4), prouve que les facteurs français aveint pu faire un instrument convenable, avant d’avoir eu connaissance des travaux de Sax. Pour la flûte, Sax n’a pas vu non plus ses efforts couronnés ; pour le basson, malgré l’éloge que l’on en fit, il faut avouer qu’il ne pouvait détrôner l’ancien, tout chargé qu’il est d’inconvénients fort regrettables. A qui fera-t-on croie d’ailleurs que s’il offrait des qualités réelles, le basson Sax ne serait pas usité en Belgique ? Il n’y a donc pas eu, comme on l’a dit, opposition systématique (Le Conservatoire possède un basson de Sax. Il est donc aisé de se rendre compte de sa juste valeur) Quant au hautbois, on sait que c’est à Triébert qu’il doit le meilleur de ses perfectionnements et non à Ad. Sax. Pour les instruments à embouchure, nul n’aura la pensée de soutenir que sans lui, les cors, cornets, trompettes et trombones seraient encore à l’état absolument imparfait. Sax n’a pas balancé, que nous ne sachions la réputation des Raoux, des Labbaye, des Courtois, des Halary, qui l’ont devancé, et l’on ne peut dire que leur succès vient de l’imitation de ses modèles, leur réputation étant établie avant celle de Sax, on l’a vu. Les inventions utilisables de se facteur se réduisent donc au saxophone (La première application de l’anche battante au tuyau conique principe du saxophone- appartient à Desfontenelles, de Lisieux (1807), ainsi que nous l’avons démontré le premier, dans la Facture instrumentale (p 49) M. Mahillon en a cité un autre exemple antérieur à Sax, dans le Tenoroon (Annuaire du Conservatoire de Bruxelles, 1892, p 183) (1846), car nous nous ((p 352)) refusons à voir une création dans le saxhorn. Qu’il y ait modification, nous l’admettons, mais le clavicor et le néocor qui l’ont précédé, ne lui étaient pas inférieurs. Quant à la constitution de famille complète d’instruments à pistons, elle avait été réalisé bien avant lui par Halary avec les ressources de l’époque, lorsqu’il dota les instruments de clés, les pistons étant encore inconnus en France. Ce qui appartient sans conteste à Ad. Sax, ce sont les instruments à 6 pistons ascendants (Nous avons cité à l’article Halary, page 335, une application antérieure (1849) du piston ascendant ; la nouveauté de l’invention d’Ad. Sax ne consiste donc que dans les tubes indépendants.), et à tubes indépendants. Mais s’il y a eu difficulté vaincue par le constructeur pour le groupement des sept corps sonores, l’instrument s’est compliqué pour l’exécutant, ce qu’il ne saurait admettre, et si quelques-uns ont joué ce système, ils ne l’ont fait que parce qu’il leur était imposé, car ils ne manquent pas de l’abandonner dès qu’ils échappent à la contrainte (La facture instrumentale, à l’exposition, p 133). L’idée même de donner aux sax-tuba que l’on entendit à l’opéra en 1852, dans le Juif errant, la forme des instruments représentés sur la colonne Trajane à Rome, ne revient pas exclusivement à Ad. Sax ; elle a été mise à exécution 60 ans avant lui par B. Sarrette, directeur du Conservatoire, qui les fit entendre pour la première fois le 12 juillet 1791, à la translation du corps de Voltaire au Panthéon (La Chronique de Paris, p 781. « … des strophes de Chénier, mises en musique par Gossec, exécutées en partie avec des instruments antiques, copiés sur la colonne Trajane et qui produisaient le plus bel effet… » Ajoutons que l’on donna à ces instruments le nom de tuba curra et de buccin et qu’il furent fréquemment employés dans les fêtes nationales. Le premier rendait le son de « six serpents » et le second celui de « quatre demi-cors ». Nous donnerons de plus amples renseignements sur ces instruments dans un autre travail.). En résumé, peu de découvertes absolument ((p 353)) marquantes et surtout utiles, justifiant l’excessive réclame faite à leur auteur. Quant à la valeur artistique et aux qualités de factures, ont-elles été toujours absolues ? L’opinion de divers artistes et écrivains laisse un doute à cet égard. H. Blanchard n’écrivait-il pas dans la Revue et Gazette musicale de 1849 (p. 253) : « … Qu’il soigne la fabrication de ses cors, qu’il les rende plus légers ; qu’il réhabilite le basson, à la proscription duquel il a quelque peur contribué et qui menace de faire bientôt défaut dans nos orchestres, dût-il le remplacer par un nouvel instrument de son invention, car la voix douce et toute empreinte de mélancolie manquerait dans le discours instrumental, y ferait lacune..." » Ad. La Fage (Quinze visites à l’exposition de 1855, p 135) a comparé l’effet des instruments Sax à celui des voix de chantre de village « qui, au lieu de prononcer par exemple a, prononcent oa, oua, etc., et croient ainsi produire beaucoup plus de son ». La Fage, nous le savons, est un juge qui a été récusé par Ad. Sax, mais on sait aussi que c’est parce qu’in ne voulut pas « comme d’autres, brûler dans la ((p 354)) gazette musicale, de l’encens sur l’autel qui lui avait été érigé. » Où l’habileté du facteur s’est fait jour, c’est dans la réclame par les journaux et dans la mise en mouvement de beaucoup de monde « et du plus gros » pour prôner ses instruments, ainsi que dans les procédés employés pour leur placement. De tout temps le monopole a été exclus des fournitures militaires, mais il n’y avait pas là de quoi embarrasser. Donner son nom par brevets à des instruments quelque peu modifiés, les faire prescrire sous ce nouveau vocable dans les ordonnances ministérielles, était un moyen assez adroit de tourner légalement la difficulté (1845). De vives et justes réclamations parvinrent, en 1848, à faire rétablir les véritables noms des instruments, mais avec le régime impérial, se retrouvèrent de hautes influences et une nouvelle ordonnance (1861), fit refleurir les noms substitués arbitrairement aux anciens. Nous avons déjà fait remarquer (La Facture, p 262) qu’il n’y a qu’en France que cette désignation a été adoptée et que, même dans la patrie de Sax, on a conservé le nom générique de bugle. Le nom de saxhorn s’est maintenu chez nous contre toute logique, car les instruments de cette nature fabriqués par les différents facteurs, ne sont pas identiques à ceux d’Ad. Sax et ce qui était le saxhorn, c’est-à-dire bugle-Sax ne l’est plus véritablement, dès l’instant que le modèle et les proportions de l’instrument type ont été modifiés (Ajoutons que Fétis n’a pas réfléchi qu’il condamnait le procédé de son compatriote en écrivant dans le rapport de l’exposition de 1867 : « Peu importe la forme, quelque nom qu’on leur donnent, les instruments à tubes larges, avec pistons, appartiennent à une classification naturelle ; suraigu, alto, basse. Etc., peu importe donc que l’on nomme euphonium la basse, helicon la contrebasse, etc… » L’esprit d’absorption de ((p 355)) Ad. Sax se remarque partout. Nommé chef de la musique de scène de l’Opéra, il y introduisit peu à peu tous ses instruments en cuivre, à l’exclusion de ceux que les auteurs avaient indiqués, et il n’hésitait pas à transformer en fanfare ce qui était écrit pour harmonie, comme dans les Huguenots par exemple (Deldevez, l’art du chef d’orchestre, p. 215. Cette question est traitée plus en détail dans notre Histoire de l’orchestre de l’opéra.). Il ne fallut rien moins que l’énergique volonté de M. Ch. Lamoureux, pour empêcher semblable abus lors de la représentation de Lohengrin et ramener sur la scène de l’Opéra, les flûtes, clarinettes, bassons, cors, etc., qui en étaient bannis depuis longtemps. Ces faits connus, il devient évident que l’opposition systématique dont se plaignait Ad. Sax ou les siens, ne se justifie guère, et que ses actions étaient bien faites pour soulever des protestations. L’on conviendra alors que les signes suivantes écrites en 1855 par Schiltz, virtuose distingué, ne manque pas de fond : « Que dire de M. Sax, ce musicien, fabricant belge qui a été soutenu dès son arrivée en France par toutes les sommités guerrières et administratives, et auquel, pour comble de bonheur, tous les facteurs ont fait des procès ((p 356)) en nullité de brevet ; par contrecoup, il a riposté par une multitude de procès en contrefaçon. Voilà 10 ans que cela dure, et cela durera encore 10 ans. Tous les journaux annoncent ces procès à grand renfort de trompes. Vaincu ou vainqueur, toutes ces vilenies judiciaires ont profités à M. Sax. La preuve, c’est que sous tous les gouvernements, M. Sax a été médaillé, décoré et fournisseur spécial. Aujourd’hui, il est facteur de la maison militaire. Avec les capitaux et les protecteurs dont M. Sax a disposé, la moindre intelligence commerciale aurait gagné depuis 10 ans plusieurs millions. Mais M. Sax, avec toutes ses protections et son habileté, a trouvé moyen de se ruiner. » (La Fage. Quinzes visites, d’après l’almanach musical.) Ad. Sax se releva pourtant de la première faillite qu’il avait faite en 1852, à laquelle Schiltz faisait allusion, mais il ne devait pas échapper à la ruine prédite ; en 1873, il dut déposer de nouveau son bilan, après une période particulièrement brillante, pendant laquelle il avait certainement vendu beaucoup d’instruments, reçu plus de 500 000 fr. d’indemnité du procès Gautrot, encaissé nombre de primes des facteurs qui avaient sa licence pour faire des instruments imposés sous son nom dans l’armée, etc. Comment donc s’il n’y eut des dépenses excessives, des remises exagérées, des frais de publicité énormes, des panégyristes largement rémunérés, s’expliquer un tel désastre, irrémédiable cette fois ? Avec le nouveau régime, Ad. Sax ne retrouva pas l’appui que ((p 357)) lui avaient prêté les fonctionnaires de l’Empire, la lutte redevint égale et toute pression officielle cessant, les facteurs purent écouler les instruments de leurs systèmes, sans être contraints comme auparavant, de se borner à la confection des types réglementaires imposés et dénommés à l’instigation d’Ad. Sax. Les artistes purent jouer les instruments de leur choix. Dès lors les affaires diminuèrent sensiblement, et Ad. Sax a constaté lui-même dans son Appel au public (1887) que « depuis la guerre » il n’a pas « fourni pour 2 000 fr. d’instruments à l’armée » (Dans ce factum, reproduit dans la Musique des familles, p 215 et 223, année 1887, M. Sax accuse l’administration du Conservatoire de l’avoir privé « sous prétexte de manque d’argent » de son emploi de professeur de saxophone. La vérité est que toutes les classes instrumentales entretenues au Conservatoire par le Ministre de la guerre pour l’instruction des musiques militaires, furent supprimées en même temps et qu’il n’y eut dans cette mesure rien de personnel à M. Sax et qu’en tout cas, la direction du Conservatoire ne saurait en être rendue responsable, le saxophone n’ayant jamais fait partie de son enseignement.) et depuis quelques année, la maison Sax, jadis si brillante a vécu ; elle n’a pu prendre part à l’exposition de 1878, ni à celle de 1889. C’est avec tristesse que l’on songe à la situation précaire de ce facteur de talent, néanmoins, il ne faut pas oublier qu’il a causé d’autres situations également pénibles : Raoux a cessé prématurément de fabriquer, non-seulement pour se soustraire aux ennuis suscités par les procès Sax, mais encore par suite de la suppression, dans les musiques militaires, des ((p 258)) instruments de sa spécialité ; Labbaye s’est vu contraint, pour les mêmes raisons, d’abandonner également la facture et de terminer ses jours comme ouvrier ; Halary est mort de chagrin en présence des difficultés qu’il rencontra ; Besson dut s’expatrier et mourir à l’étranger… Donc si M. Ad. Sax a des malheurs qu’il faut déplorer, il en a occasionné d’autres qui ont entraîné la perte de spécialistes doués de brillantes capacités. Il semble que le sort fait expier aujourd’hui à M. Ad. Sax ses anciennes et excessives prétentions : « avant moi, j’ai l’orgueil de le dire, lisons-nous dans l’Appel précité, l’industrie des instruments de musique était nulle ou à peu près en France. J’ai créé cette industrie, je l’ai portée à une hauteur sans rivale, j’ai formé des légions d’ouvriers, de musiciens et ce sont surtout mes contrefacteurs qui ont profité de mes travaux ». Libre à M. Sax d’avoir cette excellente opinion de sa personne, mais, s’il nous dit ce qu’il croit avoir créé, il passe sous silence ce qu’il a détruit. N’est-il donc pas l’auteur de la désorganisation des musiques militaires, qu’il a privées des éléments qui leur assuraient la variété de sonorité ? Beaucoup de compositeurs l’ont déploré à l’époque (L’acousticien Marloye disait, dans le rapport sur l’exposition de 1849 : « Ce n’est ni à l’incapacité, ni à l’insouciance des facteurs d’instruments à vent en bois qu’il faut attribuer l’état languissant où est restée cette partie intéressante des instruments de musique, mais bien à la malheureuse pensée qu’on a eue, il y a quelques années de substituer des instruments de cuivres aux instruments de bois dans la musique militaire. L’on a bientôt reconnu, il est vrai, que cette mesure entraînait la ruine de la facture des instruments de bois aussi bien que la perte d’une foule d’artistes, mais il était déjà trop tard.) et, plus récemment, M. Delvedez écrivait avec raison ((p 359)) : « Depuis, nous avons eu l’invention des instruments de Sax qui sont venus jeter le trouble dans la musique militaire, la dénaturer par l’introduction successive de nouveaux instruments, jusqu’enfin à la détruire complètement pour la remplacer par des fanfares plus ou moins sonores (Mes Mémoires, in-8°, Le Puy, 1890, p. 305). Quant à l’industrie des instruments, elle existait florissante, bien avant l’arrivée d’Ad. Sax à Paris, on l’a vu, et si le développement général, prit une grande extension sous l’Empire, ce n’est pas à l’influence de ce facteur qu’elle est due, mais à l’accroissement de plus en plus grand des musiques militaires et civiles, cela est indiscutable. Au point de vue manufacturier, Ad. Sax n’a pas non plus la priorité, car l’établissement de Guichard date de 1827. C’est en 1843 que Antoine Joseph Sax, dit Adolphe, fils de Charles-Joseph, facteur bruxellois, mécontent d’une décision du jury de l’exposition de Bruxelles en 1841, vint à Paris où il ouvrit tout d’abord, un modeste atelier. Né en 1814, il est l’aîné de 11 enfants. Un de ses frères, Alphonse Sax (né en 1822), lauréat du Conservatoire de Bruxelles pour la flûte, s’est aussi établi à Paris vers 1860, mais l’existence de sa maison fut de courte durée, car en 1867 elle ne figurait déjà plus sur la liste des facteurs parisiens. Il avait été croyons-nous, établi auparavant à Bruxelles, rue des ((p 360)) Comédiens, puis était venu travailler à Paris chez son frère Adolphe vers 1844. De fâcheux démêlés survinrent entre eux à propos du système des pistons ascendants lors de l’exposition de Londres en 1862. Sans prendre parti dans la question, le jury accordé la même récompense (prize médal) aux deux frères, les instruments d’Alphonse Sax étant construits en perfection. Deux de ses instruments sont au Conservatoire de Paris, un cor à cylindre à rotation et une trompette à 4 pistons (2 ascendants, 2 descendants), du système qu’il appela Saxomnitonique. Alors qu’il a fait une très large place à Ad. Sax, dans sa Biographie universelle, Fétis n’a pas même consacré une ligne à Alphonse. Est-ce là l’impartialité de ce écrivain ?
Cuivres et bois - Millereau
Il ne paraît pas qu’Alphonse Sax ait fait autre chose que « des cuivres » ; avec François Millereau, natif de Grosbois (Côte-d’or) nous revenons aux facteurs qui fabriquent les deux espèces « cuivres et bois ». Quittant l’atelier de Besson, il s’établit en 1861 et ne s’occupa d’abord que de la fabrication des cuivres, ce n’est que plus tard qu’il entreprit les « bois ». Il débuta en 1867 dans les expositions et reçut une médaille d’argent. Déjà F. Millereau avait apporté une modification à la disposition des clés du saxophone, en les faisant toutes sur le dessus de l’instrument. En 1878, ce facteur reçut un rappel, avec éloges, de la médaille d’argent : « instruments en bois et cuivre très bien faits, dit le rapport, et d’une grande justesse ; saxophone soprano excellent, clarinettes et hautbois très bons ». A cette exposition il présenta un ((p 361)) cor vocal à 3 pistons à l’octave aiguë du cor, destiné à la musique de salon. L’acquisition du fond Labbaye (1878) vint mettre F. Millereau en possession des meilleurs modèles de ce facteur, et du matériel de Raoux, et lui assurer dès lors, la supériorité pour les instruments qu’il construisait avec tant de succès. Ce succès, F. Millereau a su le conserver et les qualités exceptionnelles et rares des cors de Raoux entre autres, se retrouvent dans ceux qui sortent de ses ateliers. En lui accordant une médaille d’or, le jury de 1889 l’a reconnu d’une façon péremptoire. Dans le rapport nous relevons ces appréciations : « Le timbre de la petite clarinette est fort joli… Les saxophones alto et soprano ont une qualité de son exceptionnellement bonne et sont parfaitement justes… Les cornets sont d’une bonne sonorité et justes… Le bugle baryton et la basse sont exceptionnellement bien timbrés et d’une parfaite justesse dans toutes les positions… » En 1883, F. Millereau eut l’idée de faire le clairon en forme de cor, c’est à dire avec un pavillon en arrière, et que pour cette raison il nomma clairon-chasseur. A la suite d’expérience diverses, le Ministre de la Guerre en ordonna l’adoption dans les corps d’infanterie. Les instruments omnitoniques de M. H. Chaussier décrits dans notre volume la Facture instrumentale (p 193), sont construits par F. Millereau qui est fournisseur du Conservatoire pour les cors, et tout récemment, M. H. Altès, professeur dans ce établissement, lui décernait une attestation des plus flatteuses pour la flûte Boehm qu’il avait essayée. ((p 362))Comme plusieurs de ses confrères (MM. Sudre, Evette et Schaeffer, etc.) F. Millereau s’est fait éditeur d’œuvres musicales pour les instruments à vent, soit solos, soit en musique militaire (harmonie et fanfare) ; il publie en outre un certain nombre de grandes méthodes d’artistes, parmi lesquelles la grande méthode de flûte d’Altès, celle de trompette par Dauverné, de trombone par Delisse, de cor à pistons par Garigue, de basse par Salabert, etc.
Instruments de toutes sortes
Ce n’était guère qu’un magasin de vente que tenait Hipp. Collin, rue des Fossés-Montmartre, vers 1780, car il ne figure pas comme fabricant d’instruments à vent sur les documents de cette époque. Il n’apparut que vers 1820, parmi les facteurs d’instruments en bois ; il est vrai que son nom se trouve également mêlé aux luthiers, facteurs d’orgues, etc. Après lui, sa veuve conserva le fond jusqu’en 1830, époque où elle le vendit à M. Darche qui, en 1839 et 1844 exposa des orgues de chapelle et reçut en 1849 une mention pour une trompette chromatique à cylindres, placée au second rang et des clairons placés au quatrième. En 1855, ce facteur fit présenter par ses neveux Eugène Henri et Jules Martin, auxquels il cédait la place, un système de timbales qui leur valut, avec une trompette de cavalerie, une médaille de 2e classe. A Londres, en 1862, ils eurent la Prize médal pour instruments de cuivres bien conditionnés. Resté seul depuis 1865, J. Martin obtint en 1867 une ((p 363)) médaille d’argent pour les mêmes instruments et il fit remarquer des cors à 3 pistons d’une bonne justesse et d’une belle sonorité, mais on ne le revit plus dans les expositions. Depuis une quinzaine d’année, c’est son gendre, M. Joseph-Alexis Tournier, né à Huninge le 6 nov. 1842, qui tient la maison, laquelle s’est fait une spécialité de la location d’instruments pour théâtres, concerts, soirées, etc. Toutes les variétés d’instruments se trouvent dans cette maison, cependant elle a surtout présenté aux expositions des cuivres et instruments à percussion. Avec Guichard commença l’usinage pour les instruments de cuivre et aussi la facture courante que d’aucuns nomment pacotille. C’est en 1827 qu’il fonda sa fabrique et en 1839 qu’il se présenta pour la première fois à une exposition. Il y reçut une mention pour le clavi-cor que Danays avait inventé l’année précédente, et « pour l’étendue de son établissement. » En 1844, Guichard occupait 210 ouvriers et faisait 700 000 fr. d’affaires ; un cor et un cor à piston seulement furent remarqués du jury et classés au second rang (méd. D’argent). L’année suivante, (1845), la manufacture devint la propriété de P.-L. Gautrot associé jusque là, qui marqua ses débuts par l’adaptation aux instruments de cuivre, de cylindres transpositeurs pour les changements de tons (1847) et diverses modifications à l’ophicléide. En 1849 il se vit attribuer une méd. D’argent pour 2 trompettes classées au 1er rang et pour son cor transpositeur ; en 1851, il eut une mention et en 1855, une méd. De 2e classe. A cette époque Gautrot ((p 364)) avait joint à sa fabrication les instruments à vent en bois et les instruments à cordes. En le constatant, A. La Fage disait « ces grands établissements où l’on fait des choses si diverses finissent souvent par ne plus fournir que diverses médiocrités et tournent à la pacotille ». Ce que craignait La Fage se produisit, si l’on s’en rapporte à l’opinion de Lanome, reproduite par O. Comettant (La musique, les musiciens, p 711). P. Gautrot fut un commerçant habile et un facteur industrieux a dit quelqu’un ; il a été certainement le premier à employer la vapeur dans ses ateliers et à établir la division du travail (1849) ; son usine de Château-Thierry date de 1855. Il en résulta une production considérable de cornets à 20 fr., de flûtes à 9 fr., etc. Les préoccupations commerciales n’ont donc guère laissé place aux recherches et inventions toujours coûteuses ; à peine y a t-il à signaler quelques modifications 1854-56, un système de cor transpositeur, les sarusophones inventés par Sarrus (Voir l’historique de cet instrument dans la Facture instrumentale, p 40) (1856) et les clarinettes et flûtes en métal (1857). La dernière nouveauté présentée par ce facteur qui s’était proposé de faire changer le timbre des instruments au moyen d’un piston spécial, n’eut pas l’approbation du jury en 1878, aussi, comme précédemment, l’importance de la maison paraît avoir motivé la médaille d’argent qu’on lui attribua. Vers 1884 « la plus grande manufacture du monde » ? passa sous la raison sociale Couesnon et Cie et à l’exposition de ((p 365)) 1889, une médaille d’or, la première qu’elle reçut à Paris, lui fut décernée. Le rapport nous apprend que « des progrès considérables ont été réalisés depuis 1878 » pourtant il laisse à supposer, par les critiques énoncées sur divers instruments, qu’il en reste à faire pour atteindre la perfection absolue pour tous les produits. En terminant rappelons que M. Thibouville-Lamy dont il a été question à la lutherie, a une fabrique d’instruments en cuivre à Grenelle, et une pour ceux en bois à La Couture, indépendamment de celle de Mirecourt où se font les instruments à cordes, pianistas, orgues à manivelle ; c’est le seul facteur qui ait jamais concentré la fabrication de toutes les sortes d’instruments et d’accessoires en vue du commerce et de l’exportation, et par conséquent du bon marché.
Résumé
L’exposé succinct qui vient d’être fait des travaux des principaux facteurs du XIXe siècle fait ressortir une somme considérable d’efforts, grâce auxquels le chemin parcouru depuis le commencement du siècle est immense, mais il ne l’a été que par de nombreuses étapes ; en d’autres termes, ce n’est qu’à la suite de multiples tentatives, que la transformation des différents agents sonores a pu s’accomplir et atteindre au degré actuel de perfection. Bien des innovations ont été faites, parmi lesquelles il y en a eu d’assez heureuses pour subsister ; d’autres également bonnes n’ont eu qu’une application momentanée et ont dû céder devant de nouveaux ((p 366)) perfectionnements, les unes enfin ont péri ou faute d’utilité pratique ou par suite de circonstances qui n’ôtent en rien de la valeur et du mérite de leurs auteurs. D’une façon générale les progrès accomplis sont faits pour satisfaire et si tous les instruments n sont pas à l’état absolument parfait, cela ne dépend nullement du manque d’initiative et d’habileté des facteurs ; certes, beaucoup d’entre eux n’ont guère travaillé que par routine ou par des procédés empiriques, mais d’autres ont possédé des connaissances scientifiques remarquables. Si le sort a été capricieux pour certaines inventions il ne l’a pas moins été pour les facteurs. Les uns, après de modestes débuts sont parvenus à la fortune soit par la force de leurs travaux, soit avec l’appui de capitalistes heureusement rencontrés, tandis que d’autre, -victimes de leur conscience artistique n’ayant jamais sacrifié à la médiocrité- ont vécu péniblement, malgré leur talent et la valeur artistique de leurs produits, appréciés seulement du petit nombre. Ce n’est donc pas la prospérité seule qui doit décider du mérite individuel et servir à mesurer la célébrité. Combien se sont enrichis par le commerce d’instruments médiocres ou par l’exploitation du talent des autres, dont le nom souvent répété, grâce à une réclame énorme, a pu faire croire à la foule ignorante, à une renommée à laquelle l’histoire ne saurait souscrire ! La célébrité n’est justement acquises qu’aux novateurs sérieux ou aux constructeurs habiles. Sous ce ((p 367)) rapport, chacune des branches de la facture compte, bien qu’à des degrés divers, un certain nombre de personnalités. Après Erard et Pleyel, en qui se résume la merveilleuse évolution du piano, il y a place pour les auteurs d’utiles innovations acquises définitivement à la facture : Roller et Blanchet, les créateurs du piano droit qui a détrôné le piano carré ; Pape, auquel on doit la substitution du feutre au buffle, pour la garniture des marteaux ; Montal, inventeur d’un système de piano transpositeur ; J.-G. Kriegelstein, le protagoniste du piano demi-oblique et l’auteur d’un mécanisme à double échappement d’une grand précision ; Gaveau, également inventeur d’une mécanique ingénieuse. Citons encore, Soufleto, Boisselot, Petzold, A. Bord, etc. C’est à Cavaillé-Coll qu’est dû le relèvement de la facture d’orgues un moment tombée, mais il ne faut pas méconnaître les qualités de ses émules. Dallery, Callinet, Abbey, Ducroquet, J Merklin, etc. N’oublions pas que c’est aux découvertes successives des facteurs français, Grenié, Muller, Chameroy, Fourneaux, Martin, de Provins, Derain et Mustel, que le monde musical est redevable de l’orgue expressif, créé et porté par eux à son plus haut point de perfectionnement. Quant à la lutherie, si elle occupe sans contredit la première place, n’est-ce pas à l’habileté des Lupot, de Pique, des Gand, des Thibout, des Bernardel, des Chanot, des Vuillaume, des Sylvestre, etc., qui ont pu surprendre le secret des vieux maîtres italiens ; et l’archet ne doit-il pas sa perfection aux Tourte, aux Peccate, ((p 368)) aux Lupot, aux Voirin, etc ?. Dans le domaine des instruments à vent, d’énormes progrès ont été faits au XIXe siècle et la part des facteurs français est considérable ; rappelons seulement les noms de Simiot qui fit d’importants changements à la clarinette et au basson ; Adler, Savary, Triébert, le réformateur du hautbois et du basson ; L. A. Buffet, le créateur de la clarinette à anneaux mobiles, dit à tort système Boehm : Laurent, Tulou, Godfroy, L Lot, auteur de divers perfectionnements de la flûte, etc ; et pour les cuivres : Boileau, Labbaye, qui, les premiers imaginèrent des systèmes d’instruments omnitoniques, Halary, qui constitua entre autres, les premières familles d’instruments à clefs, imagina le piston ascendant et créa le cornet à pistons ; Courtois, inventeur du clairon, fameux par ses cornets ; Raoux, célèbre par l’excellence de ses cors ; Jahn, qui adapta les pistons au trombone ; Ad. Sax, auteur du saxophone et de quantité de modifications et d’inventions plus ou moins pratiques, etc. L’importance des facteurs français n’échappa pas au Gouvernement, et soit pour l’utilité de leurs découvertes, soit seulement- pour le développement donné à leur fabrication, plusieurs d’entre eux furent nommés membres de la légion d’honneur. Séb. Erard reçut le premier cette haute distinction, qui fut conférée ensuite aux divers représentants de sa maison : Pierre Erard, qui devint officier, Schaeffer et Alb. Blondel. Les autres facteurs de pianos admis dans notre ordre national, comme chevalier, sont C. Pleyel, A. Wolff, M. G. Lyon ((p 369)), directeurs successifs de la maison fondée par Pleyel ; Blanchet, Montal, E. Mangeot et A. Bord. Les facteurs ‘orgues et d’harmonium, ont été les plus favorisés ; après Cavaillé-Coll, élevé au grade d’officier, il fait citer comme chevaliers : Ducroquet, Barker, J Merklin, A. Martin, Debain, E. Alexandre, et V. Mustel. Parmi les luthiers, il n’y a que Ch. Ad. Gand et Ch. Jacquot, chevalier, et Eug. Gand et Thibouville-Lamy, officiers. Seuls entre tous les facteurs d’instruments à vent, Raoux, Le Comte, Goumas et A. Sax ont reçu les insigne de chevalier. D’autre ont certainement mérité la même distinction, que l’on regrette de ne pas trouver sur la liste qui précède ; il ne faut en accuser que les circonstances qui jouent un grand rôle, on le sait, dans la d ans la destinée des hommes
5 Chambres syndicales patronales et ouvrières.
La loi de 1791, en interdisant tout groupement corporatif, avait eu pou but principal la suppression d’abus flagrants contre lesquels il était urgent de réagir, mais en même temps, elle avait détruit le principe et la légalité de l’association qui, sagement réglementée et nullement despotique ni coercitive, est une puissance fort utile en mainte circonstances ? On s’en aperçut bientôt et la nécessité d’une action ((p 370)) commune, d’une entente générale pour la défense des intérêts vitaux des diverses industries, vis-à-vis des autorités compétentes ou de la concurrence étrangère, amena peu à peu, avec la tolérance du gouvernement, la constitution des chambres syndicales, dont l’existence légale ne fut reconnue qu’en 1884. Les facteurs de pianos, sur l’initiative de Savart, furent les premiers, en 1853, à former un syndicat, dans lequel les maîtres facteurs des diverses sortes d’instruments furent reçus. En 1878, des questions de personnes provoquèrent une scission ; M. Wolff, de la maison Pleyel, se mit à la tête des dissidents et fonda une seconde chambre syndicale de patrons. En 1881, devant une grève menaçante, on tenta un rapprochement qui n’aboutit pas ; cependant, vu la gravité des circonstances, les deux chambres se mirent d’accord pour une action commune, limitée à la durée de la grève ; après quoi, chacune reprit sa liberté. Une nouvelle tentative de fusionnement faite en 1889, fut couronnée de succès, et la chambre syndicale actuelle comprend presque la totalité des facteurs d’instruments de tous genres et d’accessoires ( Facteurs d’orgue : Mm. Cavaillé-Coll, Debierre à Nantes, J. Merklin, Stolz ; Orgues à cylindres Cottino et Tailleur, Limonaire frère et Cie, Alb. Martin, Alph. Mugnier, Yver (Gavioli et Cie) ; Harmoniums : Gavioli fils, Mustel, Rodolphe, Sèche (maison Alexandre) ; Pianos : Aucher frères, Aurand-Wirth à Lyon, Ch. Aurand, Avisseau, Barrouin, Alph. Blondel, Alb. Blondel (maison Erard), Ant Bord, Burgasser, Constantz, Costil, Croissandeau, Dandi, Focké fils aîné, J. Frantz, Ch. Gauss, ((p 371)) J Gaveau, J. Girard, Ed. Gouttière, Hansen, Kriegelstein, G Labrousse, Lafontaine, Langer, Lary, H. Leibner, Lévêque, G. Lyon (maison Pleyel), E. Mangeot, Mario-Lévy, Ed Pruvost, V. Pruvost, C. Renard et Cahouet, Roblot, Ruch, Sou, Ch. E. Souffleto, A. Thibout, Toudy, Walcker ; Luthiers : G. Bernardel, Silvestre ; Instr à clés (bois) : Evette et Schaeffer, Laubé à La Couture, And. Thibouville, Eug. Thibouville et fils à La Couture, Martin Thibouville fils aîné ; Instr. Simples et à pistons (Cuivre) : Fontaine-Besson, L François, Maître et Cie, Mille, Pettex-Muffat, F. Sudre ; Instr à clés et à pistons (cuivres et bois) : Herman Schoeners (maison Millereau), Massin, Thibouville et Cie, J. Tournier ; cordes harmoniques : O. Bing, E. Collet (Vve), J. Fabre ; caisses de pianos : Boll ; découpeur en marqueterie : Chevrel ; graveurs pour pianos : Garnier ; mécaniques de pianos : Gehrling, Herrburger-Schwander, De Rohden ; claviers : Grain, Ch. Grandon, Ch. Monti ; garnisseurs de marteaux : Kneip, Levet, Taurff, Truchot ; fournitures diverses pour pianos et orgues : E. Muller, Pourtier consoles et appliques), Quantin et Rolle (feutres) ; anches métalliques : L. Pinet. Soit 71 facteurs d’instruments de musique et 17 fabricants de fournitures diverses.) ; les abstentions ne portent que sur les petits ((p 371)) industriels. Par contre, les chambres syndicales ouvrières sont formées par spécialités et constituent des associations indépendantes : facteurs de pianos, ouvriers en instruments de musique, cuivre ou bois, sur lesquelles on ne possède aucun renseignements. Elles ont surtout pour but la défense de leurs intérêts contre les patrons, tandis que ceux-ci, tout en se solidarisant, à l’occasion, pour résister aux prétentions légitimes ou non des travailleurs, sont amenés parfois à les protéger contre les mesures menaçant l’avenir de la corporation, comme cela s’est présenté, par exemple, dans les diverses tentatives ((p 372))d’imposition des pianos, où l’intervention de la chambre syndicale a réussi à faire écarter les projets également nuisibles aux ouvriers et aux patrons.
6 Le prix des instruments autrefois et aujourd’hui.
Peut-être élèvera-t-on un doute sur l’utilité de ce chapitre ? Hâtons-nous de dire que nous ne lui en assignons aucune et qu’il n’a d’autre but que de satisfaire une simple curiosité rétrospective. Nous avons eu occasion de recueillir un certain nombre de renseignements peu connus, pour ne pas dire complètement ignorés, dont la réunion nous a paru devoir offrir quelque intérêt aux curieux des choses du passé ; nous les avons donc rassemblés ici sans chercher autrement à en tirer conséquence. Aussi bien toute comparaison est-elle impossible entre la valeur des instruments à diverses époques, comme entre ceux d’une même période, puisqu’elle est subordonnée, non-seulement à la qualité, à la complication, à la richesse d’ornementation, mais aussi à la main-d’œuvre qui a subi bien des variations, sous l’influence des conditions économiques propres à chaque époque. Le plus ancien prix d’instrument que l’on connaisse, se trouve dans les comptes de Charles IX ; ils enregistrent, à la date du 27 oct. 1752, le payement à ((p 373)) N. Delinet, « joueur de fluste et de violon », d’une somme de 50 livres tournois, pour lui donner « le moyen d’acheter un violon de Crémone pour le service dudit sieur ». Puis, franchissant près d’un siècle, nous trouvons, à la date du 14 novembre 1666, dans les papiers de l’église de La Couture, à Bernay, le prix d’un basson, qui était de 4 livres 10 sols. Quelques années après, lisons-nous dans Richelet, (1680), un bon basson de Hotteterre à 2 clés et 2 viroles, valait bien 4 ou 5 pistoles (40 ou 50 fr. environ) On admire les beaux clavecins flamands, mais on ignore absolument ce qu’ils pouvaient bien valoir à l’époque. Or, les affiches-annonces, de 1754, nous apprennent qu’un clavecin d’André Ruckers à 2 claviers à grand ravalement était offert pour 50 louis (11 à 1 200 fr.). En 1773, le Journal de Musique annonçait la vente d’un instrument semblable pour 500 livres et en même temps celle de plusieurs piano-forte, l’un à 6 louis (140 fr. environ et les autres à 240 livres chacun. Aussi curieux qu’ils puissent être, les détails qui précèdent n’auraient pu nous déterminer à écrire le présent chapitre, si nous n’avions quelque chose de plus complet et surtout de plus intéressant à faire connaître. Voici d’abord le Catalogue des instruments à vendre chez J. Reinhard Stock, facteur d’instruments de musique, Au concert des cigognes, près le pont du Corbeau, à Strasbourg, document rare dont il n’a encore été fait mention dans aucun ouvrage. Grâce à ce simple prospectus, nous connaissons le prix des principaux instruments en usage ((p 374)) en 1784. Les harpes simples coûtaient alors de 24 à 144 livres et celles à pédales, de 288 à 480 ; le prix des forte-pianos à l’anglaise variait entre 144 et 240 livres. Les instruments à archet étaient cotés ainsi : violons, de 3 à 100 l. ; alto-viola et violes d’amour de 6 à 100 ; les basses (violoncelles), de 12 à 192 et les contrebasses de 72 à 192 l. En fait d’instruments à cordes pincées, ce catalogue ne relate que des guitares françaises, allemandes et anglaises, toutes de 6 à 100 livres et des mandores et mandolines de 24 à 96 l. Comme ce marchand-luthier tenait spécialement les articles relatifs à la musique militaire, la série de ces instruments se trouve la plus complète. On y voit les flûtes cotées de 12 à 60 liv. ; les petites flûtes, fifres et flageolets de 2 à 12, les clarinettes de 16 à 72, les bassons de 36 à 96. Les trompettes se vendaient à la paire (peut-être de tonalités différentes), de 20 à 30 livres ; et le prix des différent individus de la famille des tromboni était ainsi fixé : pour le 1er dessus, 20 l. ; pour le second, 30 l, ; pour la taille, 40 l., et pour la basse, 48 l.. Ce catalogue nous apprend aussi qu’il y avait diverses espèces de cors : les cors de chasse dans tous les tons (la paire de 144 à 288 l .), les cors pour la chasse (48 l. la paire) et les cors pour la poste (la paire, 24 l.. Quant aux instruments à percussion, ils étaient tarifiés comme suit : grosse caisse de tambour, de 36 à 48 l. ; tambourins, de 18 à 24 l. ; triangles, de 5 à 9, et les cymbales, de 24 à 60. Evidemment les prix ci-dessus ne sont pas ceux de ((p 375)) la valeur intrinsèque, ils devaient être majorés comme ceux des tarifs modernes, et, par conséquent, susceptibles d’une remise plus ou moins forte. Mais enfin, ils offrent un aperçu suffisant pour se rendre compte de l’énorme différence qui existe avec ceux que l’on paye aujourd’hui. A la même époque une embouchure de serpent coûtait de 2 à 10 sols, et une anche de basson, 12 sols ; (Aujourd’hui, une anche de basson se paye 1 francs, celles de hautbois et celles de clarinettes de 2 fr. 50 à 3 fr. la douzaine) ; c’est du moins le prix que Michel Amlingue faisait payer en 1789 à la musique des gardes française, et un basson valait 120 l. , ainsi qu’il appert d’une demande de crédit formulée l’année précédente, par le chef de cette musique, pour le renouvellement de huit de ces instruments ( Voici les termes du rapport fait, après enquête, le 13 oct. 1789 sur cette demande : « Le basson d’un musicien de l’Opéra ou de la Comédie italienne ne dure que 5 à 6 ans. Cet instrument ne sort jamais de l’orquestre, il est enfermé dans une armoire à la fin du spectacle, il n’éprouve aucune chute ny humidité, il ne se dégrade en dedans que par la salive seule qui, étant corrosive, forme des chambres dans le corps de l’instrument, ce qui le rend faux et hors d’état de servir. Les bassons des musiciens des régiments, outre l’inconvénient de la salive, plus répété encore par l’usage continuel, ont celui d’être transportés de tous côtés et exposés à toutes les injures de l’air, ce qui fait qu’ils ne peuvent durer guère que 4 ans. Ceux qui existent actuellement au dépôt ont été fournis il y a plus de 4 ans. (arch. Hist. Du Minis. De la Guerre.)) En notant les prix suivants d’après un document de 1793, observons que la circulation du papier-monnaie ((p 376)) avait singulièrement exagéré la valeur de tous les objets en général : petite flûte, 20 francs ; grande flûte, 40 ; clarinette en ut, 60 ; en si b, 80 ; basson, 120 ; trompettes, 300 ; cors, 400 ; et trombones, 600. On ne saurait rien baser sur les estimations faites par Bruni dans l’Inventaire des instruments saisis chez les émigrés, car elles ont été faites arbitrairement sans aucun doute, et se sont trouvées subordonnées à la richesse des objets et à leur état de conservation. Cependant, nous y puiserons quelques chiffres susceptibles de donner une idée de la grande valeur de quelques-uns. C’est ainsi qu’un forte-piano organisé de S. Erard, daté de 1791 est évalué à 2 000 livres, et un forte piano de 1787, à la somme considérable de 8 000 l., tandis qu’un autre de la même date ne l’est qu’à 600. Une harpe d’Holzmann est estimée 1 000 l. ; des clavecins de H. Hemsch, 400 et 800. D’autres de B. Peronard (1760-1777), 600 et 500 l. ; puis, c’est un basson de Prudent qui figure pour 75 livres et un cor de chasse de Carlin pour 25, alors qu’une basse d’Ouvrard est marquée 150 l. et un alto de Fent, 72 livres. Le prix de quelques violons des vieux maîtres italiens est assez fantaisiste. Des Amati sont évalués l’un à 100 l. , l’autre, fait en 1566, à 400 livres et un troisième, de 1665, à 1 000 l. Un André Guarnérius est à 200 l. et un Stainer de 1664, à 200 l. seulement. En l’an X (1802) l’on était revenu à un taux plus normal, et les chiffres fournissent un élément plus appréciable que ceux de la période précédente. A cette date, nous trouvons dans le discours prononcé ((p 377)) par B. Sarrette à la distribution des prix du Conservatoire, quelques éléments de comparaison. Ainsi, avant la révolution, le prix ordinaire des meilleurs pianos anglais était, disait-il de 3 à 600 Fr. ; les cors allemands, instruments assez bruts, étaient payés 72 fr., et les bons violons du Tyrol 120 fr. ; mais l’essor pris par la facture française depuis 1789 avait renversé les rôles. La France n’achetait plus comme auparavant à l’étranger la majeure partie de ses instruments, elle commençait, au contraire à lui en fournir de fort recherchés. A ce moment, les pianos français valaient de 1 000 à 2 400 fr. ; les cors, préférables par leur fini à ceux d’Allemagne (Sur les livres du prédécesseur d’Halary, nous avons vu une paire de cors facturés 360 fr, (an VIII), et un trombone 144 L (an VI)) étaient montés de 300 à 500 Fr., et le prix ordinaire des violons avait atteint 400 fr. Pour les premières années du XIXe siècle, nous n’avons pu faire ample moisson de renseignement en ce qui concerne les instruments à vent. Que cette pénurie nous soit légère ! Le peu que nous possédons a été glané dans les archives de l’Opéra, que M. Nuitter ouvre si complaisamment aux chercheurs, ce dont on ne saurait trop le remercier. Donc, pendant la période où la direction de ce théâtre fournissait les instruments à vent aux artistes de l’orchestre, elle paya à Bauman une clarinette 150 fr. (an VIII) ; à C. Godfroy aîné, une flûte à 6 clés pour Guillou, 250 fr. (1821) ; et lorsqu’en 1824, on renouvela ((p 378)) les instruments, par suite de l’abaissement du diapason marché fut fait moyennant 170 fr. pour les hautbois (que Triébert faisait payer 200 fr., quatre ans après) ; 180 fr. pour les cors anglais ; 280 fr. pour les clarinettes et 188 fr. pour les bassons. C’est, dit-on, dans Guillaume Tell que l’on employa pour la première fois à l’opéra le cornet à pistons nouvellement inventé. Il ne s’appelait encore que « cornet d’harmonie » ainsi qu’il résulte de la facture d’Halary qui le vendit 80 fr. avec les tons d’Ut, si, la b et sol (mai 1830). Une preuve certaine de l’emploi de la « clarinette en fa ou cor de basset » nommée aujourd’hui clarinette-alto, nous est fournie par le mémoire de Brod (5 sept. 1831) qui en livra une à 14 clés, pour la somme de 150 fr., en même temps qu’une clarinette en si naturel à 13 clés, au même prix. Enfin l’année suivante, une petite flûte en grenadille à 4 clés en argent, fut achetée à Tulou pour 82 fr. En dehors de l’Opéra, nous trouvons sur divers prix-courants, lettres ou factures, quelques autres renseignements concernant les instruments dits à vent. Déjà, en 1830, ils avaient subi des améliorations et le nombre des clés s’était augmenté. Aussi le hautbois en buis à 10 clés de cuivre était-il coté 270 fr. ; le cor anglais à 9 clés en argent 220 fr. ; le basson à 11 clés avec une petite branche de rechange, 230 fr. et 300, avec la branche à coulisse d’accord. La clarinette en ébène, à 10 clés en cuivre, valait 300 fr., le prix d’un basson à 15 clés en cuivre était ((p 379)) de 200 fr. et avec 17 clés, de 215 fr., les mêmes en maillechort, valaient 240 et 260 fr. Grâce à l’obligeance de M. Alb. Blondel, directeur de la maison Erard, nous pouvons donner ici un exemple de la progression des prix du piano de facture essentiellement artistique, depuis le commencement du siècle. Observons au préalable que l’augmentation résulte non-seulement des additions et perfectionnements que reçut l’instrument, mais aussi du renchérissement général qui a suivi l’évolution sociale. Voyons d’abord le piano carré. De l’an VII à 1834, il se fit à 2 et à 3 cordes et à 5 octaves et demie d’étendue ; celui à 2 cordes resta coté de 600 à 900 fr. jusque vers 1824 ; à cette époque il fut doté de 2 ou 3 pédales et porté à 6 octaves, ce qui le fit monter à 1 200 fr., pour le mécanisme à pilotes et à 1 300 Fr. pour celui à échappement. Le piano carré à 3 cordes, de 5 octaves ½ ou 6 octaves valut dans le principe de 8 à 1200 fr. ; mais, lorsqu’il fut pourvu de 4 pédales et de l’échappement, il monta jusqu’à 1 600 fr. Vers 1843, qu’il fût à 2 ou 3 cordes, le prix moyen était, pour 6 octaves ½, de 1 500 à 1 800 fr., et en 1852, le grand modèle comportant jusqu’à 6 octaves ¾, s’éleva de 1 800 à 2 400 ; puis ce genre d’instrument déjà abandonné en France, cessa d’être fabriqué par la maison Erard. Le piano droit l’avait avantageusement remplacé vers 1824. A ce moment, il était à 3 cordes verticales et valait 1 200 fr. : on en fit ensuite à 2 et 3 cordes verticales de 6 octaves ½ au prix de 1 000 à 1 200 fr . ((p 380)) (1834-43). Peu après, on n’en fit plus qu’à 3 cordes et 6 octaves ¾ ou 7 octaves, au taux de 1 200 fr. (1852-73). Vinrent ensuite les pianos à cordes obliques, cotés ainsi qu’il suit, selon leur étendu : 1834 6 octaves ½ 1 200 à 1 800 1843 ‘’ ‘’ ‘’ 1 500 1852-63 6 octaves ½ et 6 octaves ¾ 1 400 à 2 000 1873 7 octaves 1 500 à 2 000 1883-93 ‘’ 1 600 à 1 700 1883-93 7 octaves ¼ 2 200 Pour les pianos à queue, l’écart est beaucoup plus sensible, mais aussi quelle transformation ont-ils subie sous tous les rapports ! En l’an VII, ils valent 2 000 fr., puis redescendent de 2 500 à 2 800 en 1834, bien qu’ils aient 6 octaves ½. Mais ils passent bientôt de 3 000 à 3 500 avec 6 octaves ½ ou 7 octaves (1843-52), puis à 4 000 (1863), avec 7 octaves, pour arriver enfin en 1883 au tarif ci-après : 7 octaves de 2 800 à 3 500 ; 7 octaves ¼, 4 000 ; 7 octaves ½, 5 000 ; actuellement en vigueur. (Tous les prix ci-dessus se rapportent à des instruments de qualités supérieure ; voici ceux auxquels Roller et Blanchet, qui s’attachaient au bon marché, annonçaient leurs instruments e 1827 : grand piano à queue, 2 500, Piano à 3 cordes, grand format, 1 900, piano droit à 3 cordes 1 600, piano droit, 2 cordes, 1 600, piano à 2 cordes, grand format, 1 200, format ordinaire, 1 000. Voici les prix minima auxquels on peut aujourd’hui se procurer des pianos dans une maison sérieuse ayant, avec la spécialité du bon marché, la réputation de faire bien, telle que la maison Bord : pianos droits, petit modèle, à cordes verticales,((p381)) caisse unie, 550 fr. ; moyen modèle, cordes verticales, 700 fr. ; idem cordes obliques, 750 fr. ; grand modèle, également à cordes obliques, de 900 à 1 000 fr., pianos à queue, 2 000 fr. Même variation pour les harpes. En l’an VII, elles ne coûtaient pas moins de 1 200 à 1 500 fr. de 1824 à 1834, qu’elles fussent à simple ou à double mouvement, elles valaient de 1 000 à 2 000 fr., mais la différence entre les deux systèmes fut assez sensible en 1845 ; le premier était vendu de 1 200 à 1 500 fr, et le second de 1 800 à 2 500. A partir de ce moment, on ne fit plus que ce dernier système avec 45 ou 46 cordes pour le prix de 2 500 à 3 000 Fr., qui a été très modéré vers 1883.. Depuis lors, les harpes à double mouvement se font en deux modèles, quant à l’ornementation ; le premier, style empire, à 43 cordes, vaut 2 600 fr. ; le second, style gothique, à 45 ou 47 cordes, vaut 2 800 fr.
Violons de A. Stradivarius
Les instruments à archet, de par leur structure en quelque sorte immuable, ne sont pas susceptibles de semblables augmentations ; d’autres causes, parmi lesquelles l’excellence et la rareté, peuvent toutefois en élever considérablement le prix, car, à l’encontre des autres espèces d’agents sonores, ils ne perdent pas avec le temps ; mais lorsqu’ils parviennent à exciter les convoitises de collectionneurs passionnés, ils dépassent, à l’égal de certains tableaux, les bornes d’une sage limite. Tel est le cas pour les violons des vieux maîtres italiens, et en particulier pour ceux de Stradivarius qui ont atteint, en ces dernières années, des prix tellement fabuleux, qu’ils deviennent ((p 382)) inaccessibles à tout jamais, aux artistes capables de les faire valoir, et vont s’immobiliser dans quelques galeries où ils ne servent plus qu’à satisfaire la vanité de leur riche propriétaire. On sait que Stradivarius se contentait de 4 louis d’or (environ 90 fr.) pour prix de ses magnifiques violons. Déjà, à la fin du XVIII siècle, ils s’achetaient en France, 3 ou 400 fr., puis ils atteignirent le prix de 2 400 à 5 000 fr. et s’y maintinrent un certain temps. Antérieurement à 1824, Lupot vendit à Habeneck un stradivarius de 1738 pour 2 400 fr. seulement ; celui que l’on appela d’abord le régent, puis le superbe (1716), ne fut vendu que 3 500 fr. comme ceux de 1715 qu’achetèrent Gand et Rode ; seul, celui de Vioti, datant de 1712, fut payé 5 000 fr. Mais survinrent, il y a une quinzaine d’année, les spéculateurs et amateurs anglais qui se passionnèrent tout à coup, et ces instruments parvinrent à des prix prodigieux. En 1875, un violon de A. Stradivarius daté de 1714, était adjugé à M. Hart pour 7 900 fr. ; la même année, M. Lawrie qui fit spécialement le commerce de ces instruments, acheta de D. Allard un stradivarius de 1716, pour la somme de 15 000 fr. et il le revendit 20 000 à M. Adams. Le messie (violon de 1716) ayant appartenu à Cozio de Salambue, à Tarisio 1824, puis à Vuillaume (1855), que D. Allard avait acquis en 1875 à la mort de ce dernier, son beau-père, pour 25 000 fr, fut vendu en 1890 à M. Crawford, à Edimbourg, pour la bagatelle de 50 000 fr. N’est-ce pas vertigineux ? C’est le seul, il est vrai, qui ait encore atteint ce prix ; divers autres violons tout en ((p 383)) ayant augmenté considérablement, n’ont pas dépassé 25 et 30 000 fr., ce qui est déjà plus que raison. Ainsi, en 1881, M. Meier de Londres, paya 20 000 fr. un stradivarius de 1715 (ex-Oeschner) ; en 1882, le Vicomte de Grefuile en eut un de 1709 pour 23 000 ; Mr Rutson, un autre de 1718 (ex-Maurin) pour 25 000 et le duc de Camposelice, après avoir donné en 1884, 20 000 fr. de celui de Vieuxtemps (de 1710), paya 25 000 fr. celui de 1713 qu’abandonnait M. Adams ; enfin, en 1885, M. Meier donna 30 000 fr. du violon de 1693 ayant appartenu à Garcia de Madrid, puis à M. Wilmotte. Pour ces derniers instruments, on ignore le prix payé par les précédent propriétaires, mais pour d’autres on le connaît, et la progression en est assez curieuse. On a pu suivre un violon du célèbre Stradivarius de 1736, depuis l’acquisition qui en fut faite en 1832 par M. Cornet, d’Amiens, à raison de 2 500 fr. En 1862, il était revendu 5 000 fr. à M. Wilmotte, d’Anvers, et, cinq ans après il passait aux mains de M. Menard de Marsanvillier avec une plus-value de 1 000 fr., pour être finalement acheté 10 000 fr. par M. Muntz, à Birmingham, en 1874, alors que la mode n’avait pas encore exagéré la valeur de ces instruments . Il n’en est pas de même de celui de 1717 qui, acheté 3 700 fr. par M. Sasserno, de Nice, en 1845, fut acquis par le spéculateur Lawrie en 1884 pour le prix de 20 000 fr. et immédiatement revendu 25 000 à M. Winphen. Après avoir payé 7 000 fr. un stradivarius de 1704, M. Betts le vendit 15 000 fr. à M. Meier en 1873, qui le céda à M. Hart, puis il entra en 1886, dans la collection du duc de ((p 384)) Camposelice pour la somme de 30 000 fr. qui acquit 2 ans plus tard, pour 17 000 fr., l’ex Sancy acheté 4 500 par M. Wilmotte, qui l’avait cédé en 1873 à M. Gleichauf, de Francfort, pour 5 000 fr. Le Chant du Cygne, fait en 1737 par A. Stradivarius à l’age de 92 ans, vendu 4 500 fr. par Miremont à M. Nagornof avant 1870, qui passa entre les mains de Lawrie vers 1875 moyennant 12 000 fr. et fut revendu par lui 17 500 à M. de St-Senock, fut adjugé le 15 mai 1886 à MM. Gand et Bernardel pour le compte du violoniste J. White, alors au Brésil, au prix de 20 000 fr. auquel se sont ajouté les frais d’assurance, de change et d’expédition. Citons encore un violon de M. Ch. Lamoureux, daté de 1717, vendu 8 10 fr. en 1877, à M. Lawrie, lequel le céda l’année suivante à M. Van de Weghe pour 13 500 fr. et qui devint, en 1890, la propriété de M. G. Orchard, moyennant 25 000 fr. Un autre violon de 1722 (ex Rode et Norès), ayant été acheté 6 000 fr. par M. Lamoureux fut vendu par lui 30 000 fr. en 1890, à M. Oldham. Signalons enfin que celui de 1727, payé 5 040 fr. par M. Durand, acheté 7 350 à la vente Maulaz par M. Gand et Bernardel et cédé à M. Casaretti pour 10 000 fr. ainsi que celui de 1709 surnommé la Pucelle, racheté 22 210 fr. par M. Glandz fils à la succession de son père, et enfin celui de 1694, acquis en 1888 de M. Wilmotte par M. Meier, qui est devenu en 1891, la propriété de M. Van de Weghe moyennant 16 000 fr.
Violoncelles de A. Stradivarius
Quelques violoncelles de A. Stradivarius ont vu pareilles enchères. Le plus beau spécimen de la facture de cet habile luthier est sans contredit le violoncelle ((p 385)) de M. Alb. Batta, acheté 11 000 fr., il y a 40 ans environ, et dont il a refusé dernièrement 60 000 fr. Non seulement cet instrument est de la belle époque (1714), mais il est d’une conservation exceptionnelle, sans aucune cassure, ni traces de réparation quelconque. Le violoncelle appartenant à M. J. Delsart, professeur au Conservatoire, est dans les mêmes conditions ; de plus il se fait remarquer par la beauté du bois, dont Stradivarius ne retrouva l’équivalent, car on ne connaît d’autre instrument de ce genre, que celui du Musée de Florence. Ce violoncelle qui date de 1689, fut acquis en 1840 par Vuillaume, qui le vendit à M. Wilmotte d’Anvers ; puis, en 1873, il devint la propriété de A. Bonjour, moyennant 13 000 fr. avant de passer à la vente faite par ses héritiers à l’hôtel Drouot le 3 février 1887, où il fut adjugé à M. Delsart, pour la somme de 19 950 fr. Sa valeur est de beaucoup supérieure, mais par un acte de courtoisie qu’il faut reconnaître, les assistants notamment M. Hill, cessèrent d’enchérir pour laisser à notre violoncelliste, la possession d’un instrument qu’il sait si habilement faire valoir. A la même vente, un autre violoncelle datant de 1691, fut acheté 12 000 fr. par M. Holmann. L’instrument de 1711 qui, après avoir été acquis pour 2 400 fr. par Duport, puis par Vuillaume (20 000 fr.), était devenu moyennant 22 000 fr. la propriété de Franchomme, en son vivant professeur au Conservatoire, a été vendu par sa famille 40 000 fr. à M. Hill, qui en demande aujourd’hui, dit-on 70 000 fr. Le violoncelle (1701) de F. et J. Servais a été payé récemment 50 000 fr. par M. Couteau, plus ((p 386)) à cause du souvenir qui s’y rattache, que pour sa valeur, et celui qui appartint à Vaslin, puis à J. Gallay actuellement au violoncelliste Loys, est estimé 20 000 fr. Après Stradivarius, c’est Jos. Guarnérius qui rencontre le plus de faveur, et quelques-uns de ses instruments ont atteint des prix assez élevés, entre autre celui de 1740 qui, après avoir coûté 22 000 fr. à M. Wilmotte en 1885, a été payé 24 500 fr. par Melle Mey, en 1889. Viennent ensuite ceux qui ont appartenu ) Vieutemps, dont l’un, de 1741, a été acquis en 1884 par le duc de Camposelice pour 20 000 fr. et l’autre, de 1742, par M. Wilmotte pour 12 000 fr. ; lequel en avait vendu en 1881, deux de 1710 à M. Meier à raison de 15 000 fr. pièce. Les autres maîtres italiens n’ont pas eu une telle faveur : un violon d’André Guarnérius a été vendu 500 fr., en 1878, un alto de Guadagnini 110 fr., et l’Amati du violoniste Cartier, 630 fr. En 1875, la contrebasse de Montagnana, ayant appartenu à Gouffé, a été acquise pour 2 050 fr., et un violon de Stainer de 1669, 610 fr. seulement. Peu d’instruments français sont passés en vente publique jusqu’ici ; nous ne voyons qu’un violon de Duiffoprugcar adjugé à 1 010 fr., une basse de Lupot, faite en 1822, vendue à M. Bonjour, pour la somme de 1 550 fr., et parmi les 40 archets de violoncelles vendus après le décès de ce dernier (1887), signalons celui de Tourte, acquis par M. Hill au prix de 1 100 fr. Un bon violon de Pique se vend 1 200 fr. et ceux de Lupot de 12 à 1 500. Nous avons vu au chapitre précédent que ((p 387)) J. P. Thibout vendait ses violons 250 et 300 fr., et que J.-B. Vuillaume livrait en 1827 des imitations des maîtres italiens au prix de 200 fr. Aujourd’hui de bons instruments d’artistes se payent net : les violons et altos de 200 à 350 fr. suivant la qualité des bois et la réputation du luthier ; les violoncelles, de 350 à 600, et les contrebasses de 8 à 900 fr. Il se fait des instruments à des prix bien inférieurs, mais il est évident qu’ils ne peuvent être l’objet des soins et du fini que réclame ceux qui sont destinés aux virtuoses et artistes. Au dessous des prix ci-dessus, ils rentrent dans la catégorie des produits de Mirecourt.
Orgues d’Eglises
Pour les grandes orgues à tuyaux, les prix sont en rapport avec leur importance, leur composition, etc., et, de ce fait, reste excessivement variables. (Voir à ce sujet Causerie sur le grand orgue de St-Ouen de Rouen, par Philbert.) Rappelons donc seulement qu’en 1537, l’orgue de Notre dame d’Alençon, comportant 14 jeux, fut payé 1 500 l., qu’en 1588, N. Baril reçut 212 écus d’or pour l’orgue de St Etienne-le-Vieux, à Caen, et que trois ans plus tard, Dupré demanda 300 écus pour celui de l’église St-Jean, à Dijon. L’orgue de 29 jeux, construit en 1619 par Girardet, pour la cathédrale de Nantes, coûta 7 800 l., celui de St-Cyr, dû à Al. Thierry, 2 700 l., en 1688, et celui de l’église paroissiale de Versailles, fait de 1687 à 1691 par Tribuot, 5 500 l. Mais c’étaient des instruments peu considérables. L’orgue de la chapelle du palais de ((p 388)) de Versailles, fait par Cliquot père, occasionna une dépense de 50 000 l. et celui de l’église St-Louis, œuvre de son fils, 60 000 l. Le grand orgue de St-Sulpice, à Paris, construit par ce dernier, de 1776 à 1781, fit époque tant par ses qualités que par son importance : il comprenait 64 jeux sur 5 claviers à main et 1 pédalier ; on le lui paya 43 000 l., plus une gratification, et les travaux de sculpture, serrurerie, menuiserie, etc. élevèrent le prix total de l’instrument à 86 450 fr. L’orgue de la cathédrale de Poitiers, terminée en 1791 par le même facteur, composé de 50 registres, 4 claviers à main et 1 pédalier coûta 92 000 fr. Cependant, ces prix déjà fort élevés, ont été de beaucoup dépassés pour les grandes orgues modernes : les nombreuses additions de jeux, registres mécanismes, tuyaux soufflerie, etc., en ont augmenté sensiblement la valeur. Ainsi l’orgue de St-Denis (1841), qui a été le point de départ d’une nouvelle orientation de la facture d’orgue, celui qui a reçu les premiers et importants perfectionnements dus à l’imagination féconde de l’éminent A. Cavaillé-Coll, n’a pas coûté moins de 100 000 fr. sans le buffet, valant à lui seul, 50 000 fr. Avec ses 5 claviers et ses 70 jeux nécessitant 4 506 tuyaux, il fut quelque temps le plus considérable ; cet avantage appartient maintenant à l’orgue de St-Sulpice reconstruit en 1862 par le même facteur, comprenant 100 jeux et 6 706 tuyaux pour les 6 claviers. Cette restauration, qui a fait de l’orgue de St-Sulpice un instrument type, entraîné une dépenses d’environ 100 000 fr. ; entièrement neuf, il coûterait aujourd’hui de 250 à 300 000 fr. ((p 389)) Après lui, vient le grand orgue de Notre-Dame, également reconstruit par A. Cavaillé-Coll, qui porta le nombre des jeux à 86 et celui des tuyaux à 5246 au lieu de 4089, moyennant 200 000 fr. Sans avoir les vastes proportions de ces derniers, divers instruments, dus à M. A. Cavaillé-Col, ont une grande valeur. Citons les orgues de la Madelaine (48 jeux, 2802 tuyaux et claviers), montant à 80 000 fr., plus 50 000 pour le buffet ; de Ste-Clotilde, s’élevant à 70 000 fr. sans le buffet, et de la salle du Trocadéro, comportant 66 jeux, ayant atteint le prix de 169 000 fr. également sans le buffet. Parmi les instruments placés à l’étranger par notre célèbre facteur, le plus important est celui de la salle de concert de l’Albert-Hall, à Sheffield (1873), qui coûta 150 000 fr. (64 jeux, 4082 tuyaux et 5 claviers). Celui du palais de l’industrie, à Amsterdam (1875), composé de 46 jeux, 3041 tuyaux sur 4 claviers, monta à 80 000 fr. et, avec les frais de transport, de douane et d’installation, revint à 95 000 fr. Enfin, l’orgue qu’il fit en 1880 pour le Conservatoire de Bruxelles, s’éleva à 100 000 fr. sans le buffet (48 jeux, 2808 tuyaux et 4 claviers)
Harmoniums
Les instruments à anche libres dits orgues expressifs ou harmoniums, offrent la même difficulté d’appréciation que les orgues à tuyaux, car tout dépend également de leur importance, du fini du travail et de la qualité des matériaux. On en trouve depuis les prix les plus minimes (la maison Alexandre a créé sous ce rapport une grande quantité de modèles variant, par petites sommes, de 100 à 5 000 fr.) ; mais, ((p 390)) comme pour les précédents, nous allons donner le prix des instruments établis dans des conditions tout à fait artistiques, et nous choisissons naturellement ceux de Mustel, qui, on le sait, ne sacrifie pas à la production courante. Le plus petit modèle est l’harmonium à 1 clavier, 7 jeux, 18 registres, 2 genouillères, double expression, coté 3 500 fr. ; ce prix s’augmente de 200 fr. si l’on ajoute à l’instrument le prolongement des notes de la basse, et de 300 fr. pour l’addition du métaphone et du forté fixe. Le modèle n° 2 à 2 claviers, 8 jeux, 16 registres, 2 genouillères et prolongement, 2 talonnières et double expression, formant un meuble très riche, vaut 7 500 fr. et 7 800 fr. avec métaphone. Enfin, le modèle le plus complet, celui qui comprend tous les perfectionnements et auquel est joint le célesta, atteint le prix de 8 000 fr. Un modèle spécial, pour églises ou chapelles, se fait au prix de 3 000 fr.
Instruments à vent
Bien qu’elle puisse offrir un intérêt pour quelques-uns, nous ne saurions suivre la progression de tous les instruments à souffle humain, car elle a subi bien des fluctuations. Bornons nous à faire connaître ci-après le tarif actuel, avec cette remarque qu’in ne s’agit que d’instruments d’artistes, à prix nets et non à ceux des tarifs qui subissent généralement, nous l’avons déjà dit, des réductions de 25 à 33 %, suivant les maisons : Flûtes Boehm, en maillechort, à patte d’ut, de 225 à 260 et 300 ; Hautbois, en palissandre, à 17 clés en maillechort et cadences, descendant au si b (dit Triebert, n° 5), 225 fr. ; le même, avec clés spéciales de mi b, sol dièse, si b et ut (dit Conservatoire) ; 370 fr. ((p 391)) Cor anglais, même système du hautbois n° 5, 300 fr. ; système du Conservatoire 450 fr. ; Clarinette dite système Boehm, ébène, de 165 à 188 fr. ; Clarinette alto, même système ébène, 225 – 260 ; Clarinette-basse, même système, ébène, 335 fr. ; Basson, 19 clés maillechort, érable, petite planche de palissandre, 280 fr., à 22 clés, 2 anneaux (dit système Jancourt), 320 fr. ; saxophone soprano, si b, en cuivre (selon système) 140 à 150 ; alto mi b, 145 à 170 ; ténor si b, 150 à 170 ; baryton mi b, 180 à 190 ; basse si b, 280 ; Cornet à 3 pistons en si b, avec ses tons, 116 fr. ; Trompette simple en fa, avec tons de rechange, 128 fr. ; trombone à coulisse, ténor 88 fr. ; trombone-basse à coulisse, en sol, 110 fr. ; trombone à 4 pistons, 150 fr. ; Bugle soprano en mi b, à 3 pistons, de 75 à 128 fr. ; baryton en si b à 3 pistons, 80 à 150 ; Basse si b, à 4 pistons, 120 à 240 ; Contrebasse si b, à 4 pistons, 200 à 330 fr.
7 La facture instrumentale
(On entend par ces mots l’ensemble de la corporation des facteurs d’instruments de musique, patrons et ouvriers, les travaux de commerce d’instrument en général) Le développement de la facture a été subordonné ((p 392)) aux progrès de l’art musical et à sa vulgarisation ; son importance au point de vue industriel et commercial ne date réellement que du XIXe siècle. Au moyen âge, la facture n’existe pas encore, quelques artisans font des instruments populaires, ceux des ménestrels et des guerriers, sans que cette fabrication constitue leur profession principale. Pourtant le nombre d’instruments était assez considérable si l’on en juge par les noms que l’on trouve dans les anciennes chroniques, encore que les mêmes instruments aient été souvent désignés sous des noms différents. Nous avons déjà cité les trompes et les citoles d’après le livre de la Taille (1292) ; il y avait encore au XIIIe siècle les araines, clairons, cors et buisines (Récits d’un menestrel de Reims, XIII siècle), les mandoires, rotes, rubebe, viele, cymbales, tympanons, nacaire, tabour (Le Roumand de Cléomades, XIII siècle). Divers documents du siècle suivant nous en font connaître beaucoup d’autres. Dans ses poésies, G. de Machault (1284-1377), en cite pêle-mêle une grande quantité : chalemelle, chevrette, corne, cor, sarrasinois, cornemuse, doussaine ou douçaine, èles, flaios ou flajol, flaustes traverseinnes, flaustes bréhingne, grant cornet d’allemaigne, musete, orgues, pipe, trompettes, tous instruments à vent ; ceux à cordes sont moins nombreux : chifonie, enmorache, guigue (gigue), guiterne, harpe, luth, micanon, monocorde, psaltérion (sauterion), viole et, comme percussion, le trepié (triangle) ((p 393)) et le tymbre (La prise d’Alexandrie et le temps pastour) auxquels il faut joindre la guitare moresche (Comptes de l’hôtel de Jean duc de Normandie, 1349). La plupart des instruments qui précèdent se retrouvent dans les documents du Xve siècle, quelques autres y paraissent pour la première fois : tubes, orguettes, bedons, claquettes, sonnettes, monicordion (Œuvres de Jean Molinet, 1420-1807), tabourin, chalomie (Comptes des ducs de Bourgogne, 1450). A cette liste, on pourrait ajouter d’autres noms, elle suffit cependant pour montrer la diversité des agents sonores au moyen âge, dont le rôle musical était assurément très borné. Mais voici la Renaissance, beaucoup vont disparaître ou se transformer et l’art du luthier et du facteur va naître, les instruments se perfectionnant à mesure que progresse la musique, qui prend faveur de plus en plus auprès des grand. Les concerts d’instruments deviennent plus fréquents, les divertissements et ballets s’établissent peu à peu et exercent une influence favorable sur la facture. Parmi les instruments qui parurent à cette époque, signalons les sacqueboute et haulxbois (Bibl Nle, mss. Fr. 7835, quittance du 31 déc. 1518 de Christophe Plaisance, sacqueboute et joueurs de haulxbois du roi.), les buccines et flustes de boys non pareilles, ainsi que des instruments d’airain à la mode milanaise (Fête donnée dans la cour de la Bastille par François 1er, le 22 décembre 1518), le rebec (Relations des réjouissances données au camp du drap d’or, 1520) ((p 394)), l’épinette (Voir chap. 3, H. de Loeuvren facteur d’épinette, 1523-45), le violon, (Aux fêtes données à Rouen lors de l’avènement de Henry II (1550) il y eut un divertissement dans lequel les muses « rendaient ensemble de leurs violons madrés et polis… » Quittance du 28 déc. 1559, donnée par Pierre Bonnette, violon des ducs d’Orléans, d’Angoulême et d’Anjou, 15 livres pour 6 mois (Bibl. Nale, loc. cit.)) les cromornes, (Le Ballet comique de la Reine, 1581), la bibole, (Etat de la musique de la grande Ecurie du Roi, Arch. Nales. K.K. 143) la mandore, la flûte à 9 trous (Sept airs sonnés la nuit de St-Julien, 1587, etc., Recueil de ballets par Michel Henri. D’autres instruments étaient certainement connus en France à cette époque, parmi ceux que décrit S. Virdung, dans le volume qu’il publia à Bâle en 1511 : clavicorde, virginale, clavecin, claviciterium, lyre, luth, grande et petite viole, harpe, psaltérion, hackbrett, monocorde, petite viole à 3 cordes ou rebec, hautbois, bombardes, flûtes douces, flûtes traversières, sifflets, cornets à bouquins, tournebout, platerspiele, musette, trombone, orgue positif, régale, guimbarde.) En France, on l’a vu, d’habiles luthiers existaient déjà au XVIe siècle et l’emploi de plus en plus grand que l’on faisait des instruments à cordes, augmenta leur nombre au point de leur permettre de former une corporation (1599). Dès ce moment la prospérité de la facture est assurée et les grossiers instruments du moyen âge font place à d’autres, d’un travail plus artistique et de ressources plus étendues ; quelques-uns, longtemps abandonnés, reparaissent sous un nouvelle forme ou sous un autre nom. Aux XVIe et XVIIe siècles, leurs ((p 395)) nombre s’augmente encore par la constitution de familles complètes et la création de nouveaux agents sonores, dérivant des types existants. Mersenne a donné en 1636 une liste des instruments en usage de son temps ; elle comprend un certain nombre qui n’ont pas encore été cités ici : le tuorbe (ou théorbe), la pandore, le colachon, l’épinette organisée, le clavecin, la trompette marine (instruments à cordes), le sifflet de chaudronnier (syrinx ou flûte de Pan), le chalumeau, le tornebut (tournebout) la flûte eunuque (dite quelquefois flûte à l’oignon), la cornemuse, le basson ou bombarde, le fagot, le courtaut, le cervelat, le serpent, le cor de chasse (instruments à vent) (Les autres instruments mentionnés par Mersenne nous sont déjà connus : luth, guitare, psaltérion, épinette, manichorde, harpe, violon, viole, lyre, vielle (instruments à cordes), flageolet, flûte douce (ou à bec), flûte d’allemand (ou traversière), fifre, cornet à bouquin, chalemie, musette, grand hautbois, saqueboute et trompette (instruments à vent). On connaissait en outre à l’époque, les castagnettes et orgues de Perses (« Le roi voulant donner sérénade à la reine et aux dames, avait ordonné (1648) à Dumanoir, des vingt-quatre(violons) de composer plusieurs jolis airs et d’y mêler quelques instruments bizarres, fit exécuter un soir trois airs, les charivaris où se mêlent violons, vielles, flûtes douces, castagnettes, flageolets, orgue de Perses, un petit rossignol de terre plein d’eau et une saunière de bois qu’un d’eux avait attaché à sa ceinture et sur laquelle il battait avec des baguettes de tambour et faisait des fredons. » Mém. Inéd. De Dubois dans la bibl. de l’école des Chartes, 2e s., t. IV.),les hautbois et musettes du Poitou (dessus, taille et basse-contre, qui ((p 396)) faisaient partie de la musique de la grande écurie du roi (1532, ainsi que les cromornes (1699). Le XVIIIe siècle, avec l’évolution musicale qu’il produisit, accrut l’importance des instruments et donna une impulsion favorable à la facture. On en créa peu de nouveaux, mais d’importantes modifications furent apportées aux types connus afin de les mettre à même de procurer les ressources d’exécutions que réclamait l’état plus avancé de la musique. Une liste établie au commencement de ce siècle (1702) par l’Académie des science, qui chargeait un de ses membres « de décrire tous les instruments de musique dont on fait usage en France et qui sont au nombre de plus de soixante », n’en contient qu’un très petit nombre qui n’aient été cités précédemment, encore ne sont-ils pour la plupart que des variétés des anciens ; instruments à cordes : l’archiviole, la poche, l’angélique, la consonante, la demoiselle ; instruments à vent : la sourdeline, l’orgue de Barbarie, instruments à percussion : le claquebois, la trompette d’acier. (Histoire de l’Académie des sciences, 1702, p 136. Les autres instruments cités dans ce document sont : inst. A cordes : clavecin, épinette, manicordion, luth, théorbe, harpe, guitare, basse, dessus de viole, lyre, violon, rebec, sistre, pandore, vielle, psaltérion, trompette marine, etc. ; inst. A vent : orgues, trompette, saquebute ou trompette harmonique, cor de chasse, clairon, cromorne, serpent, cornet à bouquin, hautbois, flageolet, flûte traversière ou flûte allemande, fifre, musette, cornemuse, instrument de Pan, etc. ; inst. A percussion : tambour, tymbales, castagnettes, cloches, etc. Est-il nécessaire de remarquer que contrairement à l’avis du rédacteur de cette liste, beaucoup d’entre ceux-ci n’étaient déjà plus « en usage ») Si complète et si exacte que puisse paraître cette liste quasi officielle, elle offre quelques omissions, car une méthode de musique parue en 1828 nous indique parmi les instruments propre à la mélodie, la flûte de Biscaye ou de basque, et parmi ceux employés à l’accompagnement, la contrebasse d’Italie et le violon-cel, instruments tout nouveaux à la vérité, ou d’usage absolument populaire. Ce volume nous apprend encore que le fifre s’appelait aussi flûte martiale ou de guerre, l’orgue de barbarie tintinabulaire, les cymbales instruments à petite sonnettes, et enfin, que la vielle était la lyre des pauvres. Dans le courant du XVIIIe siècle, on substitua aux divers individus servant à l’exécution des parties intermédiaires du quintette à corde (haute-contre, taille et quinte de violon, l’alto-viola ou simplement alto ; la harpe fut munie de pédale ; une variété de pardessus de viole (Il y avait des pardessus de violes à 5 et 6 cordes ; ce dernier différait du dessus de viole, en ce qu’il était plus petit et qu’il s’accordait une quarte plus haut : sol (du violon, do, mi, la, ré, sol. (Marc. Suite de pièces de dessus et pardessus de violes, 1724)) fut créée sous le nom de quinton et l’addition à la viole, de cordes métalliques vibrant par influence, constitua la viole d’amour. Des petits tuyaux d’orgues adjoints à divers instruments à cordes formèrent la vielle organisée, le clavecin organisé, etc. ; en remplaçant les sautereaux du clavecin par des archets, on obtint le clavecin à archet ; enfin, en combinant les principes de la harpe et du psatérion, ((p 398)), P. Taskin fit l’armandine (1790). Les transformations des instruments à vent donnèrent naissance au basson-soprano en fa, au petit hautbois en sol, au hautbois-baryton sonnant à l’octave inférieur du hautbois ordinaire, à la contrebasse de hautbois sonnant à la double octave de celui-ci, au cor d’harmonie, au serpent-basson dit par la suite basson-russe, inventé par J. J. Regibo de Lille (Il avait la forme du basson et se démontait en 3 parties ; il était plus aisé à jouer que le serpent ordinaire et sa sonorité avait plus de force. Le diapason, l’embouchure et le doigté étaient semblables au serpent. Il se vendait 3 louis (Calendrier musical, 1789)), et au cor anglais dérivé de l’ancienne taille du hautbois ou du piffaro. (D’après Lacombe, le Piffaro répondait à la haute-contre de hautbois (Dict. portatif des Beaux-Arts, 1752)) ; De Momigny le désigne ainsi : Piffaro ou cor anglais (Encycl. Méth. 1818,t. II, p 268). On sait que Gluck employa deux cors anglais dans sa partition d’Alceste, représentée à Vienne en 1762 (p 28, etc. de l’édition italienne publiée en 1769 : corni inglese). Nous avons trouvé dans divers écrits quelques détails ignorés jusqu’ici, qui prouvent que cet instrument n’était pas tout à fait ignoré en France et qu’il y fut connu, de nom du moins. En reproduisant, d’après la Gazette des Deux-Ponts, quelques notes sur un instrument nouveau appelé taille d’amour, joué à Vienne par des bohémiens, l’Avant coureur de 1771 nous apprend qu’il participait « du cor de chasse ordinaire, du cor anglais et du hautbois ». Le 30 mars 1782, un nommé Montzani fit entendre au public du concert spirituel un concerto de cor de chasse anglais qui ne fut pas goûté, lisons nous dans un journal qui désignait l’instrument d’une façon plus correcte en l’appelant « cor anglais ou hautbois de forêt ». Enfin, nous avons la preuve que cet instrument avait pénétré en France, par l’inventaire de Bruni, qui enregistra à la date du 16 ventôse an III, « un cor anglais de Baur-Wier de Maëstricht ». Le cor anglais commença même à être cultivé peu après, car il en parut une méthode faite par Fr. Châlon, musicien du théâtre Feydeau et de la garde des consuls, dont la date est suffisamment indiquée par la dernière qualification (1799-1804)). ((p 399)) Comme instruments absolument nouveaux, il n’y a que le forte-piano, la clarinette venue d’Allemagne, vers 1750, et la clarinette-basse, faite à paris en 1772. On peut y joindre les reconstitutions d’instruments anciens faites d’après l’idée de Sarrette, les buccins et le tuba-curva, ainsi qu’un essai de contre-clairon (1791). A partir de la révolution, naissent les nombreuses causes qui aident à la transformation et à l’extension des instruments de musique ; la science succède peu à peu à l’empirisme, les procédés de travail s’augmentent et s’améliorent ; les instruments cessent d’être des objets de luxe, ils tiennent une place prépondérante dans l’enseignement du Conservatoire ; de nombreux ; de nombreux corps de musique sont formés pour les armées et la célébration des fêtes nationales ; un peu plus tard, ce sont les sociétés civiles ; enfin, le goût de la musique se répand partout. Alors, la France peut non-seulement suffire à sa consommation et faire l’exportation, sur une grande échelle, mais elle contribue à son tour dans une large mesure, à la découverte de nouveaux agents sonores et au perfectionnement des instruments existants ; quelques-uns même subissent une telle transformation qu’ils constituent presque des créations. Point n’est besoin d’insister sur les améliorations considérables qui ont fait ((p 400)) du piano, de l’orgue et de la harpe des instruments presque parfaits. Il suffit aussi de rappeler que l’invention de l’orgue expressif ou harmonium appartient aux facteurs français. Dans le domaine des instruments à souffle humain, la rénovation n’est pas moins complète. La flûte se transforme plusieurs fois avant de recevoir l’application du système Boehm, que nos facteurs améliorent encore ; le hautbois et le basson sont l’objet d’additions et de modifications de la part de Triébert ; la clarinette reçoit les perfectionnements de Simiot (1808), puis une augmentation de clés due à Ivan Muller (1812), qui constitue le système à anneaux mobiles de L.-A. Buffet, vulgairement appelé système Boehm, devait détrôner. (Par le nombre de clés, cet instrument n’était pas nouveau, il l’était surtout par leur disposition permettant de jouer dans un plus grand nombre de tonalités sans changer d’instrument. Cette suppression de plusieurs clarinettes de différentes grandeurs, et par conséquent de diverses sonorités, motiva l’avis défavorable de la commission chargée d’examiner l’instrument présenté par I. Muller (Monit. Univ., 1812, p 593) . Cet inventeur, né aux environs de Reval le 16 décembre 1786, mourut à Buckbourg (Allemagne) en mars 1854.) Outre ces divers perfectionnements, il y a des créations importantes. C’est en premier lieu l’adaptation de clés aux instruments de cuivre se jouant avec une embouchure, imitée du serpent à clés de Regibo. L’origine de l’ophicléide ( Nous avons fait connaître en détail les origines de l’ophicléide en France et les travaux de son protagoniste L.-A. Frichot, de Lisieux, dans la Facture instrumentale (p 291), avec une notice biographique de cet artiste, et nous avons donné la description d’un de ses ophicléides en bois dans la Musique des Familles, du 18 nov. 1886, p 36) se trouve dans le basse-cor (1800 de ((p 401)) L.-A. Frichot dont il fit la basse-trompette (1806-10) (Un spécimen de cet instrument est au musée du Conservatoire (n° 651). Il fut l’objet d’un rapport de la commission de cet établissement (composée de Méhul, Gossec, Catel, etc.), déposé le 27 déc. 1810, inséré au Monit. Univ. De 1811, p 198). Le brevet date du 31 déc. 1810 (Moniteur, 1811, p 85) et il a été publié dans la Description des Machines, etc., t V, p 354) puis la tromba (Acad. Des Beaux-Arts, séance du 21 mars 1812, Monit. P 338) (1812), et il ne nous vient point, comme on l’a écrit, de l’invasion de 1815. L’addition de clés aux autres instruments suivit bientôt, et après le bugle à clés, vint une famille crée par Halary en 1817, dont les divers individus reçurent le nom de clavitube, quinticlave, ophicléide ou basse d’harmonie. Puis les pistons furent substitués aux clés, et bien que le principe viennent de l’étranger, la première application au cornet et les meilleurs perfectionnements sont dus à nos facteurs. On augmenta ensuite le nombre d’instruments de cette espèce pour obtenir une échelle complète du grave à l’aigu ; c’est ainsi que naquirent le clavicor (1838) et le néocor, et que l’on fit les clairons chromatiques, basses chromatiques puis les bombardons à cylindres, bugles basse, basses à cylindres, etc., que l’on vit à l’exposition de 1844, dont le nombre fut encore augmenté par Ad. Sax sous le nom de saxhorn. La clarinette-basse compte aussi parmi les conquêtes de la facture française du XIXe siècle. L’usage de ((p 402)) l’instrument inventé en 1772 par G. Lot ne s’étant pas imposé, on peut considérer comme des innovations, les essais de Despontenelles (1807) (V. la Facture instrumentale, p 50. Malgré sa perce conique, l’instrument de Desfontenelles n’octavie pas, il quintoie et son large diamètre le fait sonner à l’octave de clarinette ordinaire, bien qu’il ne soit pas beaucoup plus long.) et de Dumas (1807-10-14)) dont la basse et la contrebasse-guerrière (1811-12) (La basse guerrière sonnait à l’octave basse de la clarinette, et la contrebasse, à la double octave (la clarinette bourdon d’Ad. Sax n’est donc pas la première en date) ; elles avaient « un plus grand nombre de touches (clés) pour le doigté, et leur timbre était identique avec celui de la clarinette » (Mon. Univ., 1811, p 420 ; 1812, p 63, et archives des Découvertes, 1810, tIII, p 222.)) ont été rangés à tort, par les écrivains n’ayant étudié que très superficiellement le sujet, parmi les précurseurs de l’ophicléide ; et de Sautermeister dont la basse-orgue a été l’objet d’une semblable méprise de la part du même historien. (De Pontécoulant (Organologie, t. II, p 3 et douze jours à Londres, p 212) et d’autres, après lui, ont placé par erreur cet instrument parmi ceux avec bocaux et embouchures, c’est à dire ophicléide ou basse à pistons, tandis qu’il est muni d’un bec de clarinette, ainsi qu’on l’a vu au chapitre 4 p 340, et comme on peut le vérifier dans la Descrip. Des mach. T VI, p 355) La tentative de Dumas, reprise en 1832 par Dacosta, à qui l’instrument a été confié, fut heureuse ; (Voici à ce sujet l’opinion de Fétis ; elle prouve que l’on a pu faire en France un instrument convenable avant l’arrivée d’A. Sax et que les facteurs parisiens ne se sont pas inspirés de ses travaux : »A l’aspect de ce grand instrument énorme, la plupart des auditeurs crurent qu’ils allaient entendre des sons durs et ((p 403)) rauques…, au lieu de cela, ils entendirent de beaux accents, pleins, sonores et doux à la fois, que M. Dacosta tirait avec facilité et qu’il articulait avec autant de rapidité qu’il aurait pu le faire sur la clarinette-soprano » (Revue et Gazette musicale de Bruxelles, 1834, p 348). C’est donc encore une erreur de M A. Jacquot que de faire dater l’invention de l’année 1838 et de lui donner Sax pour inventeur (Dic. Des Inst., p 13)) elle décida de l’adoption de cet instrument auquel L. A. Buffet ((p 403)) apporta d’autres perfectionnements et qui fut joué à l’Opéra lors de la 1ere représentation des Huguenots (1836). Citons encore le saxophone (1846), le sarrusophone (1856) et fermons cette liste qui s’accroîtrait démesurément si nous voulions mentionner les nombreux instruments qui ont vu le jour en ce siècle dans les diverses branches de la facture, sous les noms les plus fantaisistes, pour disparaître peu après ; aussi bien suffit-il de parler des innovations propres à l’expression de l’art pur ou d’un usage utile.
Participation aux expositions
La facture eut une source d’activité dans les nécessités de plus en plus grandes que créait la diffusion de la musique ; elle trouva une cause d’émulation dans les expositions dues à l’initiative du gouvernement français en 1798. Pourtant elle ne s’y montra que fort discrètement dans le principe ; mais, étroitement liée aux progrès musical, elle suivit le mouvement lorsqu’il se produisit, grand, à partir de 1830, ainsi que le démontre le tableau ci-après, établi approximativement, faute d’éléments complet : ((p 404))
Lutherie Pianos Harpes Orgues Harmo Instr Totaux niums à vent 1802 2 2 1806 1 3 1 1 12 1819 5 2 3 2 13 1823 6 5 3 8 22 1827 9 31 3 8 51 1834 13 48 5 4 1 15 86 1839 11 67 1 (5) 5 8 21 113 1844 10 79 1 6 7 26 129 1849 8 50 1 5 8 21 93 1851 L 6 13 1 1 5 14 40 1855 23 115 « 10 16 30 194 1862 L 8 17 « ? ? 17 51 1867 10 56 « 9 12 27 114 1878 17 70 « 9 17 28 141 1889 14 50 « 4 9 28 105
De l’examen de ce tableau il ressort une diminution sensible dans le nombre d’exposants depuis 1867 ; elle ne doit pas être interprétée comme un signe de décadence, mais bien à la disparition de quantité de petits facteurs qui ont cédés devant la grande industrie. Sous le rapport des progrès, il est évident que les expositions ont été fort salutaires. Dès 1834, on pouvait mesurer le chemin parcouru : « Les fabricants qui d’abord n’avaient pu prétendre qu’au mérite d’égaler leurs rivaux de l’étranger, les dépassèrent quelques années plus tard ; et ceux qui leurs étaient jadis inférieurs étaient alors devenus leurs égaux... Rien de plus beau, de plus fini que les instruments ((p 405)) de musique qui sortent des ateliers de Paris. Il fut un temps où la France pour la plus grande partie de ses instruments, était tributaire de l’étranger. Aujourd’hui le rôle est changé, c’est elle qui en fournit bon nombre aux autres pays. (Gazette musicale, 1834, p 153)
Déjà on le voit, la facture française était devenue une sérieuse rivale pour l’étranger, elle le prouva lorsque l’institution des expositions internationales lui donna l’occasion de faire juger ses produits comparativement avec ceux des meilleurs facteurs de l’étranger. Sa supériorité fut reconnue officiellement à l’exposition de Londres (1851) par le jury composé de 9 étrangers et d’un seul français, qui fit la part belle à nos compatriotes, dans la distribution des récompenses (31 dont 4 grandes médailles d’honneur). A ce sujet, H. Berlioz s’est ainsi exprimé dans son rapport : «Ce point admis, le jury français ne peut éprouver aucun embarras à reconnaître l’immense supériorité des produits de la France dans ce concours ouvert à toutes les nations, puisqu’il était seul à défendre les intérêts de ses compatriotes, quand l’Angleterre comptait 4 représentants, et que l’équité des nations rivales a fait, dans la distribution des récompenses, la part la plus belle aux exposants français. Le nombre de médailles de prix accordées à des facteurs français pour la fabrication des instruments de musique, opposé à celui que les facteurs étrangers ont ((p 406)) obtenu prouve officiellement la supériorité des premiers. Si je pensais le contraire, je n’hésiterais point à le dire. Loin de là, un examen scrupuleux, et je le crois, absolument impartial, m'a donné la conviction que la France, aujourd’hui, occupe le premier rang dans la fabrication des instruments de musique en général. L’Angleterre et l’Allemagne viennent ensuite et se disputent, au second rang, la palme pour quelques spécialités ». (Travaux de la commission française, T. III, 2e Pie, Bibl. Nle. Inv. V 38371). Placée dès ce moment au premier rang, la facture française réussit à s’y maintenir. En 1855, elle remporta seule toutes les grandes médailles et toutes les médailles d’honneur (malgré la présence de 185 exposants étrangers). Le remarquable rapport de Fétis n’est qu’un long éloge en sa faveur . (Voici la répartition des récompenses entre les diverses branches de la facture française : LutheriePianosOrguesHarm Ins. A vents Totaux Gde méd. D’honneur 1 1 1 « 1 4 Méd. D’honneur « 3 « 1 1 5 Méd. De 1ere classe 8 13 6 2 12 41 Méd de 2eme classe 8 16 1 4 8 37 Mention honorable 6 22 1 5 3 37 Il convient d’ajouter aux luthiers, les trois sujets français établis à ce moment à l’étranger, qui ont figuré parmi les exposants des pays où ils étaient fixés momentanément (Mennegand, Miremont, N.F. Vuillaume). En 1862, le résultat ne fut pas moins satisfaisant, la France remporta 45 médailles dont 34 prize medal ((p 407)) (Lutherie 5 ; piano 12 ; harmoniums 5 ; instruments à vent 12.) « La France s’est fait remarquer par la supériorité de ses produits. Ses instruments de toute nature se distinguent par leur valeur artistique et par le soin apporté à leur fabrication. Ils unissent généralement la solidité à l’élégance et à la bonne sonorité ; le jury a été unanime à reconnaître leur mérite. Le chiffre des récompenses accordées sans contestation à nos exposants en est la preuve évidente » (Rapport des membres de la section française etc. t IV, page 205, Bibl. nat. V. 38237)
Si en 1867, il n’y eut qu’un très petit nombre de hautes récompenses décernées à la facture française, c’est parce que nos meilleurs fabricants furent pour la plupart associés au jury, et par conséquent hors concours. Ils laissèrent donc le champ libre aux exposants étrangers, qui ne réussirent pas à obtenir des récompenses qui ne leur étaient pourtant pas disputées. Aucun grand prix ne leur fut accordé : ils méritèrent seulement 2 médailles d’or et 13 médailles d’argent, tandis que le partage de la France fut : un grand prix, 2 médailles d’or et 22 d’argent. Le rapport de Lissajous sur l’exposition de Vienne en 1873, où les facteurs français ne furent pas nombreux, se termine ainsi : « Si l’on compare l’exposition française du groupe XV aux expositions des autres pays, nous pouvons affirmer que ((p 408)) là comme ailleurs, la France a tenu dignement son rang » En 1878, il n’y eut qu’une grande médaille et c’est à la facture française qu’elle échut (orgues) ; sur 19 médailles d’or, elle en eut 14 (Lutherie 1 ; pianos 6 ; orgues 1 ; harmoniums 3 ; instruments à vent 11 .) ; au total, sur 216 récompenses, la France en eut 120 pour sa part. Enfin, pour 1889, malgré la quantité de hautes récompenses qu’elle a obtenue ( Hors concours : 2 luthiers, 2 facteurs de pianos, 1 facteur d’orgue et 1 d’instruments à vent ; grand prix : piano 2, harmonium 1, instruments à vent 1 ; médailles d’or : lutherie 2, pianos 5 , orgues 1, harmoniums 3, instruments à vent 4.), nous nous abstiendrons de toute comparaison, les facteurs étrangers n’ayant participé qu’en très petit nombre à cette exposition. En un mot, dans toutes les branches, les facteurs français ont pu acquérir la supériorité sur certains points. La facture des instruments à archets écrivait Fétis en 1867, « est parvenue à un degré de perfection égal à celle des produits des anciens luthiers de Crémone », la lutherie française, ajoute-t-il, « tient le premier rang, ensuite vient la Belgique, la Prusse, l’Italie, l’Autriche, la Bavière, la Saxe » ; les pianos des divers facteurs, disait-il encore, « ont une égalité de timbre longtemps désirée, les claviers ont une grande sensibilité d’articulation. » Pour les grandes orgues et harmoniums, comme pour les instruments à vent, ((p 409)) la facture française n’a rien à envier à l’étranger, au contraire ; aussi après ce que nous en avons dit précédemment, est-il inutile d’y revenir ici. En général, le caractère distinctif de la facture française est la finesse, l’élégance, la beauté du travail et la pureté, la distinction ainsi que la délicatesse de la sonorité ; à l’étranger le volume de sonorité trouve plus de faveur : la force prime la grâce. L’Allemagne, qui avait autrefois presque le monopole de la fabrication des instruments à vent, est restée en arrière à toutes les expositions pour la qualité et la justesse de ses produits : « Les flûtes exposées par les facteurs de Fulde et de Vienne ne sont pas justes, le son est gros et sans distinction » dit Fétis dans le même rapport ; « les hautbois ont la sonorité allemande et manque de charme », le basson viennois « n’est pas juste », « le système allemand du son des clarinettes viennoises n’a pu soutenir la comparaison su la clarinette française », y est-il dit encore. De son côté Pontécoulant écrivait : « Quant à l’industrie des instruments à vent, dans laquelle l’Allemagne occupait jadis la première place, l’Autriche semble avoir renoncé à cette prépondérance, et tous les instruments que nous avons entendus, nous paraissent devoir être rangés dans l’honorable médiocrité. Les instruments de cuivre (Prusse) sont de formes nouvelles, disgracieuses, et ne sont pas toujours d’une justesse irréprochable ». (La musique à l’exposition, etc., 1867, p 219) ((p 410)) En 1873, la situation n’avait pas beaucoup changé pour l’Allemagne, Lissajous constatait qu’un grand nombre d’instruments à vent étaient « d’une justesse généralement douteuse et d’une qualité médiocre » : quat à l’Autriche, s’il reconnut une amélioration dans la fabrication des cuivres, il dut remarquer que « les bois » laissaient à désirer : les facteur persistant à suivre les errements antérieurs à la réforme de Boehm, leurs instruments manquaient par conséquent de justesse. Dans les autres branches, l’Allemagne ne lutte que sur le terrain du bon marché. L’Angleterre, après avoir apporté les premiers perfectionnements aux orgues, s’est vue distancer par la France ; son ancienne facture de piano fut célèbre et, grâce aux Broadwood, elle a conservé une légitime réputation ; pour les autres instruments, elle ne compte que quelques tentatives isolées, sans influence générale, et si plusieurs facteurs ont réalisé des progrès, ils leur sont absolument personnels et ils n’ont nullement profité à l’ensemble de la facture anglaise. (« Les anglais sont fort en retard dans la construction de l’harmonium ; on les croirait encore dans l’enfance de l’art, et généralement, tous les instruments à anche libre ont une sonorité agaçante, énervante. » Pontécoulant, Douze jours à Londres, 1862, p 189). Après avoir brillé d’un certain éclat, grâce à ses fameux constructeurs de clavecin, la facture belge resta longtemps sans se distinguer d’une façon particulière. Dans toutes les branches il y eut stagnation ; mais au XIXe siècle, commença un mouvement ((p 411)) de reprise qui l’a placé en bonne posture, sous certains rapports, dans la facture européenne. La lutherie belge n’a pas de passé, écrivait Fétis (Rev. Et Gaz. Mus., 1851, p 362), « car à l’exception de Descombes qui, je crois, était de Tournay et qui a fait quelques bonnes basses, je ne connais pas un luthier belge qui ait construit d’instruments de prix ». Depuis environ 25 ans, ajoutait le critique belge, il y a eu quelques progrès à Bruxelles « parce qu’un Vuillaume (N.-F.), frère du célèbre luthier de Paris, s’y est fixé et a fait quelques bons ouvriers, au nombre desquels il faut remarquer M. Darche (C.-F.) ». Cependant, en 1867, les instruments de ce dernier, tout en étant jugés assez satisfaisants comme travail, laissaient à désirer par la sonorité et la pâte du vernie. En 1878, M. G. Mougenot représenta la lutherie belge à l’exposition de Paris et soumit au jury un quatuor qui lui valut la médaille d’argent, mais en 1889, le seul luthier qui se présenta, exposa des instruments d’une facture si médiocre, qu’il ne reçut aucune récompense. La facture des instruments à vent est peut-être celle qui se fait le plus remarquer en Belgique ; sans être de nature à causer quelque inquiétude aux facteurs français, elle commence à produire de bons instruments des types anciens, toujours usités. Quant au pianos et orgues, ils n’on rien encore pour rivaliser avec les produits de nos meilleurs facteurs. L’Amérique tente depuis longtemps de s’affranchir de l’Europe ; elle n’y réussit, quant à présent, que pour les pianos et harmoniums, d’un genre ((p 412)) tout à fait particulier, comme les pianos d’ailleurs ; la facture des instruments à vent y est encore à peu près nulle comme l’Angleterre, l’Espagne, le Portugal, la Hollande, etc., elle les tire en grande partie des maisons française, belges ou allemandes et y appose simplement sa marque ou même la fait apposer par ses fournisseurs. C’est à cette particularité qu’est due l’abstention de certains facteurs à l’exposition de Londres (1880) et à celle de Chicago (1893), car ils ne peuvent entrer en concurrence avec leurs clients sans leur porter préjudice ou dévoiler leur pratique. (Il y a longtemps que cette coutume existe. Lissajous s’est déjà élevé contre elle dans son rapport sur l’exposition de Londres en 1862 (t. IV, p. 214 et 224) et nous en avons signalé divers exemples dans la Facture instrumentale (p 3 et 253). Lors de la dernière exposition, M. Fontaine-Besson porta une réclamation devant la chambre syndicale, afin qu’il soit pris des mesures contre les facteurs qui exposaient des instruments non fabriqués par eux (Le Monde musical, n° du 30 juin 1889). Ajoutons cet extrait d'une lettre émanée du Hanson's’Foreign Military instrument de Londres (10 juin 1864) dans laquelle on proposait à J.-C. Labbaye un engagement de fourniture avec cette clause, exigée par lui « me réservant le droit de fournir des cors à M. Paquis, corniste français, mon client, mais avec les titres et l’adresse de M. Hanson sur chaque instrument. ». A l’exception de diverses matières premières, bois exotiques, ivoires, etc. la France ne demande plus rien à l’étranger pour sa consommation intérieure. Il n’y a pas encore longtemps, les cordes de piano venaient d’Allemagne ou d’Angleterre ; les aciéries de Firminy les fournissent maintenant ((p 413)) et on les trouve supérieures aux cordes de provenance étrangères. Les produits de la facture se divisent en deux catégories principales ; la première comprend les instruments dits de pacotille et de qualité moyenne, à l’usage des sociétés populaires ou pour l’exportation ; la seconde, les instruments de choix, destinés aux artistes virtuoses ou musiciens d’orchestre, amateurs, etc. la distinction est parfaitement établie entre ces diverses sortes d’instruments et il ne peut y avoir de confusion à l’égard des facteurs ; celui qui se fait une spécialité du bon marché ne fournit pas habituellement des instruments soignés et vice-versa. L’importance des établissements varie depuis le simple facteur travaillant avec quelques ouvriers jusqu’à l’industriel occupant un personnel nombreux ; mais la qualité des produits n’est pas toujours en raison directe de cette importance, car de petits spécialistes font souvent œuvre artistique, alors que de grand manufacturiers se voient forcés parfois de rechercher, dans la fabrication courante, un débouché facile pour pouvoir entretenir leur usine en activité. (Voir à ce sujet la facture instrumentale, p 6 et suiv.) Paris est le siège principal de la fabrication des instruments en général, et particulièrement pour les pianos, harmoniums, orgues d’églises, et les instruments à vent, cuivre et bois, c’est à dire pour toute fabrication artistique. Quelques facteurs d’instruments à vent (bois), outre leur atelier spécial à Paris, ((p 414)) où sont terminés tous les instruments et en particulier ceux à clés, dont le mécanisme exige des ouvriers adroits et expérimentés, ont une manufacture soit à La Couture-Boussey (Eure), ou dans les villages des environs, qui de longue date ont fait de cette fabrication une industrie entièrement locale, soit à Mantes, soit à Château-Thierry, où elle a été installée vers 1850-55, sans constituer dans ces dernières l’occupation principale de la population. C’est probablement en Poitou que l’on commença à faire des instruments, et en particulier, les hautbois et musettes connues sous le nom de cette province. Le bourg de Croutelle était renommé pour l’habileté de ses tourneurs, qui faisaient une infinité d’objets usuels, fuseaux, quenouilles, chandeliers et divers instruments de musique percés à jour : « comme cornets à bouquins, hautbois, cornemuses, chèvres-sourdes, flageols, piffres et flustes, dont le bois qui est excellent et qui rend l’harmonie et le son plus mélodieux est le buys » lit-on dans les œuvres de J. et P. Coutant, publiées à Poitiers en 1628. Cette industrie était déjà fort ancienne et certainement antérieure à 1547, car un passage des baliverneries parues à cette époque, fait mention d’un vieillard, alors centenaire, sonneur de coutre, c’est à dire de « flûte qu’on fait à Croutèle, larges par le milieu et à deux accords » (L. Desaivre, Les finesses de Croutelle, Niort, 1891) : elle a pris fin, croit-on, à la révocation de l’édit de Nantes ; remarquons cependant que les musettes et hautbois de Poitou ((p 415)) faisaient encore partie de la musique du roi en 1722. L’on n’est pas fixé non plus d’une façon précise sur l’époque où la fabrication des instruments de musique devint une spécialité de La Couture, mais à coup sûr elle est de beaucoup postérieure ; on dit qu’elle date du XVI, mais sans preuve certaine. Les nombreux ouvrages sur la Normandie ne contiennent rien à ce sujet, ainsi que nous en informe le Conservateur de la bibliothèque d’Evreux ; ce n’est que par les archives locales que l’on pourrait en établir les origines. Disons cependant que les Hotteterre étaient de la contrée et qu’ils y fabriquaient des instruments vers la fin du XVIIe siècle. Quoi qu’il en soit, la facture n’y fut toujours pas bien considérable dans le principe ; mais en 1834, il y avait environ 300 ouvriers sur 780 habitants travaillant soit à l’atelier, soit à domicile, pour le compte d’une dizaine de patrons ; plus une soixantaine d’ouvriers fabriquant les clés, et une quinzaine faisant les accessoires, ligatures, boules, viroles, etc. La vapeur que Gautrot utilisa le premier en 1855, à son usine de Château-Thierry, est employée à La Couture depuis 1866. De cette ville, l’industrie de la facture des instruments en bois s’est étendue depuis 1830 à plusieurs villages voisins : Ivry-la-Bataille et Garennes où l’on utilise la force hydraulique ; mais peu d’ouvriers y sont employés (une quarantaine) de même ((p 416)) qu’à Ezy où M. Thibouville-Cabart a fait élever une usine à vapeur vers 1880. Mantes possède également deux manufactures d’instruments en bois ; la première a été fondée en 1850 par Buffet-Crampon qui apporta dans la contrée cette industrie toute neuve pour les habitants. Il n’y eut tout d’abord que 3 ouvriers ; ils sont 150 aujourd’hui et une machine à vapeur de 25 chevaux actionne l’outillage. Une seconde fabrique, moins importante, a été installée ensuite dans cette ville. C’est à Mirecourt que depuis des siècles se concentre la lutherie. Pas plus que pour les précédentes localités, l’on n’est fixé sur la date précise à laquelle y est née la fabrication des instruments à cordes. On pense, d’après certains indices, que c’est vers le XVIe siècle ; mais le plus ancien document qui en fasse mention n’est que du XVIIe siècle ? Un passage des mémoires de Chevrier (1634) nous apprend que Mirecourt était fameuse « moins encore par ses violons et ses dentelles que par les grand hommes quelle a produit. » Presque tous les célèbres luthiers sont issus de cette petite ville, dont il a été souvent question dans les chapitres précédents. Il y règne une activité prodigieuse et les nombreux artisans qui travaillaient autrefois pour leur compte (on les évaluait à 250 en 1867) sont occupés en grande partie par quelques grand industriels. C’est Nicolas qui entreprit le premier la centralisation. En 1834, il employait 600 ouvriers à fabriquer environ un million d’instruments à cordes de toutes espèces dont les prix variaient entre 2 fr. 50 et 60 fr. la pièce, et Pageot faisait faire 7 à 8 000 douzaines ((p 417)) d’archets de 0 fr. 50 ) 15 fr. la pièce. En 1839, Buthod produisait 900 instruments de 5 à 40 fr. ; Derazey, en 1844, en faisait 600, et aujourd’hui M. J. Thibouville-Lamy, accuse une production de 25 à 30 000 instruments. Certes il s’y fait beaucoup d’instruments de pacotille, mais en général la qualité s’est améliorée, et dans la quantité, il s’y trouve des produits estimables ; néanmoins pour les véritables amateurs et artistes, un instrument de Mirecourt laisse toujours quelque prévention. (Se reporter aux détails que nous avons déjà donné sur Mirecourt et ses produits, chap. IV. P. 287). Bientôt pourtant, à la fabrication machinale succédera le travail raisonné. En 1890, sacrifiant quelques milliers de francs de la fortune qu’il a acquise dans le commerce d’instruments, M. Thibouville-Lamy a fondé à Mirecourt une école professionnelle où certain nombre de jeunes apprentis sont initiés aux rudiments du dessin, de la physique, de la chimie, de l’acoustique et de la musique. Il est donc à prévoir que, forts de ces connaissances techniques que n’avaient pas leurs devanciers, les futurs luthiers joindront au tour de main qui a seul fait jusqu’ici la réputation des ouvriers de Mirecourt, une entente réelle des principes de construction dont bénéficieront leurs produits. La petite facture, en provoquant la division du travail, il y a une cinquantaine d’année, donna naissance à une foule d’industrie diverses, qui ont pris une certaine extension et auxquelles de grande maisons françaises et étrangères ne ((p 420)) dédaigne pas de recourir : fabrique de caisses de pianos, de claviers, de mécaniques, de chevilles, de feutres pour marteaux, de clés pour flûtes et autres instruments, de pavillons, de pistons, d’embouchures, de lames vibrantes pour harmonium, etc., dont le siège est à Paris, et dont nous n’avions pas à nous occuper, quelque grande que soit l’importance de quelques maisons et quelques services qu’elles redent, car ils ne font que des parties d’instruments et ne doivent point compter parmi les facteurs (V. p. 371). C’est par million que se chiffre le mouvement d’affaire occasionné par les instruments de musique, mais on ne peut avoir de renseignements précis à ce sujet, aucune statistique officielle n’étant publiée et les facteurs se refusant à faire connaître leur situation ou ayant intérêt à la dissimuler. Cependant, si l’on songe qu’au commencement du siècle l’industrie des instruments de musique était fort restreinte, on estimera que le mouvement ascensionnel s’est vite produit, sachant qu’en 1819, elle occupait 1067 ouvriers et que le chiffre d’affaires s’élevait à 2 000 000 de francs, seulement, tandis qu’en 1847, on comptait 4 500 ouvriers produisant 16551717 fr., et pour en 1878, 7 800 ouvriers, dont 6 600 à Paris, fabriquant pour une valeur de 23 ou 24 millions. A elle seule, la fabrication du piano occupait près de 2 900 ouvriers dont le rapport était de plus de onze million. Il y a quelques années, on estimait en France la valeur de la fabrication à 25 millions, dont la moitié à peu près était consommée par l’étranger. On trouve à ce sujet, dans le tableau suivant ((p 419)), extrait de la Statistique des douanes, une indication approximative sur le mouvement commercial occasionné par les instruments de musique :
Il ressort de ce tableau que l’importation des produits étrangers, après avoir subi une diminution d’année en année jusqu’en 1860, a commencé un mouvement ascensionnel très sensible depuis ce temps ; et que l’exportation, malgré l’augmentation considérable, qui s’est manifestée jusqu’en 1880, a éprouvé un ralentissement sur la période décennale, 1871-80, pendant laquelle il s’est produit un accroissement considérable, auquel on n’était point encore parvenu (dix millions) ; toutefois, on constate un relèvement appréciable pour l’exercice 1892. Il faut rechercher les causes des variations, non seulement dans la concurrence faite par l’Allemagne et la Belgique, mais aussi dans l’établissement de fabrique d’instruments dans divers pays jusqu’alors exclusivement tributaires de l’Europe, et qui essayent ((p 420)) maintenant de se suffire à eux-mêmes. L’augmentation de l’importation ne met nullement en péril la facture française artistique, car elle porte surtout sur des instruments divers, autrement dit à l’usage des bazars, le montant des pianos importés étant pour 1892 de 188 000 fr. seulement (dont 130 800 pour les pianos droits), les harmoniums ne s’élevant qu’à 17 800, les harpes à 12 000, la lutherie à 45 420, les instruments à vent en bois à 4 369 et ceux en cuivre à 14 924. Seule la facture des orgues d’église peut s’alarmer du chiffre de 75 816 fr. car le montant de son exportation ne le dépasse que d’une quarantaine de mille francs (110 479). Il en est de même des orgues de barbarie et à manivelle dont il est sorti de France pour une valeur de 235 000 fr. alors qu’il en est entré pour 194 460 ; néanmoins la différence est encore en faveur de nos facteurs. Le chiffre de l’importation n’est supérieur à celui de l’exportation que pour les instruments à percussion (50 795 contre 22 462), parmi lesquels les cymbales figurent pour 32 250 fr. (soit à 50 fr. pièce) et pour les accordéons ou concertinas (357 780 contre 220 290) lesquels n’ont aucun rapport avec la musique proprement dite. Les résultats de l’exportation en 1892 sont faits pour satisfaire les moins optimistes, vu l’augmentation de cinq million qui s’est produite depuis 3 ans. 4 431 pianos droits ont été expédiés (dont 1 931 en Angleterre et 838 en Belgique) pour une valeur de 3 329 250 fr., calculée au prix moyen de 750 fr., plus 479 pianos à queue évalués à 2 000 fr. l’un, soit ((p 421)) 958 000, ce qui porte le chiffre total afférent à la facture de pianos, à 4 287 250 fr. La facture des instruments en cuivre vient ensuite, avec un total de 2 770 794, représenté par 7 147 basses et contrebasses, comptées à 90 fr. pièce ; 44 542 cornets et trompettes à 30 fr. : 10 386 bugles ou trombones à 60 fr. utilisés en grande partie par les musiques d’harmonie, auxquels il faut ajouter les instruments spéciaux aux signaux ou sonneries militaires s’élevant à 54 429, comprenant 4 143 cornes et cornets d’appel à 3 fr, 3 582 clairons ou trompettes d’ordonnance à 8 fr. et 1 112 cors et trompes de chasses à 12 fr. ; le complément du total ci-dessus est formé de 113 715 fr. de pièces détachées. La lutherie s’élève à 1 263 645 fr. y compris 96 110 fr. de guitares et mandolines à 50 fr. de moyenne ; les violons et altos au nombre de 27 222 ne sont estimés que 40 fr., les violoncelles (1 197) que 65 fr. et les contrebasses, (34 seulement) 25 fr. Les instruments à vent en bois ne donnent qu’un total de 336 950 fr., formé de 826 douzaines de petites flûtes à une clé, ocarinas, etc., à 15 fr. la douzaine, de 1 301 petites flûtes à 15 fr. pièce, de 2 552 grandes flûtes à 20 fr., de 4 756 hautbois, clarinettes, cors anglais ou bassons à 40 fr. et de 63 765 fr. de pièce détachées. Enfin l’exportation des harmoniums s’élève à 266 000 fr. (1064 à 250 fr.), celle des harpes à 250 400 (313 à 800 fr.) et celle des accessoires (anches, archets, cordes, cartons perforés pour instruments mécaniques, etc.) atteint le chiffre considérable de 3 075 987 fr. Sauf pour les pianos et les harpes, le taux ((p 422)) d’évaluation n’indique pas une grande quantité d’instruments de choix, et bien qu’en général ils soient estimés de beaucoup au dessous de leur valeur réelle, on remarque que la majeure partie des instruments exportés appartient à la production courante. Néanmoins, des chiffres exposés ci-dessus, il résulte que des diverses industries et professions nées de la musique, la facture des instruments est de celles qui apportent un appoint appréciable dans la fortune et l’honneur de la France.
Fin |