Chouquet "Rapport sur les instruments de musiques

à l'exposition universelle de 1878"

 

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Documentation > Chouquet 1878

 

MINISTÈRE DE L’AGRICULTURE ET DU COMMERCE.

 

EXPOSITION UNIVERSELLE INTERNATIONALE DE 1878

 

A PARIS.

 

GROUPE II. CLASSE 13.

 

RAPPORT

 

SUR

 

LES INSTRUMENTS DE MUSIQUE

 

ET LES ÉDITIONS MUSICALES,

 

PAR

 

M. GUSTAVE CHOUQUET,

 

CONSERVATEUR DU MUSEE DU CONSERVATOIRE NATIONAL DE MUSIQUE

 

 

 

PARIS.

 

IMPRIMERIE NATIONALE.

 

M DCCC LXXX.

 


 

1                                                    GROUPE II - CLASSE 13.

 

RAPPORT

 

SUR

 

LES INSTRUMENTS DE MUSIQUE

 

ET LES ÉDITIONS MUSICALES.

 

COMPOSITION DU JURY.

 

MM.    GEVAERT, président, directeur du Conservatoire royal de mu-          Belgique.

sique de Bruxelles, membre de l’Académie royale de Belgique

 

            LISTZ (F.), président honoraire, compositeur et pianiste                   Autriche-Hongrie.

 

            le Dr HANSLICK, vice-président, conseiller du gouvernement I. R.    Autriche-Hongrie

            et professeur à l’Université de Vienne.

 

            BEREND (B.), secrétaire                                                                  États-Unis.

 

            CHOUQUET (G.), rapporteur, conservateur du musée du Conser-

            vatoire national de musique, secrétaire du comité d’admission  France.

            à l’Exposition universelle de 1878

 

            le Dr STEINER, organiste                                                                   Angleterre.

 

            D. CARLOS SEDANO                                                                     Espagne.

 

            HEGAR (O.)                                                                                     Suisse.

 

            REBEL, membre de l’Institut, professeur de composition au Con-       France.

            servatoire de musique .

 

            THIBOUVILLE-LAMY, fabricant d’instruments à Mirecourt (Vosges),

            membre des comités d’admission et d’installation à l’exposition           France.

            Universelle de 1878

 

            ARMINGAUD (J.), professeur de violon, membre du comité France.

            D’admission à l’Exposition universelle de 1878

 

            VERVOITTE, inspecteur général des maîtrises de France, mem-        France.

            bre du comité d’admission à l’Exposition universelle de 1878.

 

            BORD, facteur de pianos                                                                   France.

           

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CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.

 

L’exposition de 1878 l’a emporté sur celles de 1855 et de 1867 par la très large part qu’elle a faite à la musique et à tout ce qui tend à favoriser l’essor de cet art. Les hommes éminents ou spéciaux qu’on avait choisis pour l’organiser ont cherché à donner

à ces fêtes de la paix tous les genres d’attrait : vaste salle de concerts, ornée d’un grand orgue de M. Cavaillé-Coll ; auditions musicales qui ont permis de se livrer à des comparaisons piquantes et vraiment instructives ; orchestre dont tous les instruments à cordes se jouant avec un archet étaient dus à des luthiers français, MM. Gand et Bernardel frères ; concours de chant choral et de musiques d’harmonie ; trésors de l’art ancien mis en regard des richesses de l’industrie contemporaine - rien n’avait été négligé pour rendre complètes et faciles les études de ceux qui s’intéressent à l’art musical et aux progrès de la facture instrumentale.

Le rapporteur n’a point à s’occuper ici des concerts donnés au palais du Trocadéro, auxquels on a, du reste, oublié de convier les jurés français ; il n’a pas non plus, et il le regrette, à passer en revue les instruments, antérieurs au XIXe siècle que la république de Saint-Marin, la Belgique et la France avaient pris soin de rassembler et d’offrir à l’admiration des amateurs et des érudits (1). Il n’a qu’à rappeler brièvement le caractère de la classe 13, a signaler les traits les plus essentiels de la facture française et de la facture des pays qui rivalisent avec le nôtre, à indiquer surtout les inventions ou les innovations qui ont fixé l’attention du jury.

Tout d’abord, il convient de noter que la classe 13 était représentée par bien près de 500 exposants, dont 224 français. Vingt-cinq nations y figuraient, et la plus louable émulation s’était établie entre elles. Que de goût dans l’arrangement des vitrines ! quel excellent parti on avait su tirer des moindres emplacements accordés ! Ce qui frappait les visiteurs en admirant ces trophées, en traversant les salons si avantageusement disposés des exposants

(1) Voir Catalogue des instruments anciens de musique, Paris s. d. in-8° ; et Revue et Gazette musicale, n° du 21 juillet et du 1er septembre 1878.

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étrangers, comme en parcourant les longues galeries françaises consacrées aux instruments de musique et aux éditions musicales, c’était le nombre des industries bien distinctes qu’on y pouvait compter. Quelle variété de produits et de formes ! Que de genres différents et difficiles à classer rigoureusement ! Que d’auxiliaires les facteurs proprement dits appellent à leur aide, pour rendre leurs travaux plus rapides ! Quels contrastes présentent les instruments asiatiques et nés d’un art encore rudimentaires avec ceux qu’a inspirés et fait perfectionner le système modal adopté par les Européens depuis le commencement du XVIIe siècle ! Et dans la travée réservée aux éditeurs, aux graveurs et aux imprimeurs de musique français, avec quelle curiosité ne lisait-on pas ces grandes partitions, effort suprême des poètes qui parlent la langue universelle, mystérieuse et magique des sons !

On a peine à s’expliquer qu’un compositeur, sans le secours d’aucun instrument, puisse faire chanter non seulement les voix humaines, mais encore tout, le concert des voix instrumentales. Puis la réflexion aidant, on se rend compte du don précieux qu’il a reçu de la nature : il entend à volonté, au seul appel de son esprit ; il reconnaît, rien qu’en y songeant, et il sait noter tout timbre qu’il a une fois écouté. Le linguiste doué d’une bonne oreille, lorsqu’il s’entretient avec quelqu’un de son pays, peut dire aussitôt de quelle province son interlocuteur est originaire : le compositeur ne se borne pas à classer les instruments en familles ou provinces, et à distinguer aisément l’accent provincial ou le timbre propre à chacun d’eux ; non content d’imiter toutes les voix connues, il peut avec du génie créer des accents nouveaux, à raide de combinaisons non encore essayées. Toutefois on comprend que, même pour un musicien de génie, les accouplements de timbres ne soient point innombrables ; aussi le symphoniste appelle-t-il de tous ses vœux des créations qui lui permettent de varier encore davantage les effets du coloris instrumental.

Malheureusement, il est plus facile de recommencer des tentatives déjà faites que de réussir à inventer quelque chose de tout à fait neuf. Depuis Handel, toujours disposé à introduire dans ses opéras les innovations des facteurs de son temps, combien

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d’instruments ont-ils enrichi définitivement l’orchestre de voix influentes et de plus en plus écoutées ? Ne nous montrons pas trop exigeants, par conséquent, et, à une époque où les expositions internationales se suivent à peu de distance les unes des autres, n’espérons pas qu’on aura, dans l’espace de dix années, opéré une révolution dans la facture instrumentale.

Nous la retrouvons, en 1878, dans un état plus florissant que celui de 1867, qui était déjà si prospère. La France continue d’occuper le premier rang et de se distinguer par l’imagination, par l’amour du progrès, par la beauté des timbres, par le goût, l’élégance et le fini du travail. Le jury a été unanime à reconnaître ces qualités maîtresses des facteurs français. Seulement, il n’y a pas à s’y tromper, les étrangers marchent rapidement sur nos traces, et plusieurs nations, jusqu’ici nos tributaires, ont cesser de s’approvisionner chez nous. Sans doute certains pays recourent à des droits protecteurs tellement élevés qu’ils équivalent à une prohibition, pour fermer leur marché à nos produits ; mais, question de tarifs douaniers à part, on ne peut refuser aux grands industriels des États-Unis, par exemple, d’être devenus pour nos facteurs de pianos et d’harmoniums des émules fort redoutables. Ce ne sont pas uniquement les puissances de premier ordre qui sont entrées en lutte sérieuse avec la France : il semble que chaque peuple tende à s’affranchir, à se suffire à lui-même. Partout aussi l’on rivalise en vue d’une production à bon marché : on travaille pour la multitude, et l’on s’efforce de mettre à la portée des bourses les plus modestes des instruments qui puissent satisfaire même des oreilles délicates. C’est là un des traits caractéristiques de l’époque actuelle et de l’Exposition de 1878. Nous allons voir, d’ailleurs, que les facteurs de tous les pays obéissent à des préoccupations à peu près semblables. Sortons donc des généralités, pour examiner chacune des catégories d’instruments et d’industries bien distinctes que nous avons eu à passer en revue ; mais avant d’entrer dans des détails précis, indiquons comment ont été conduites nos opérations.

A la demande de plusieurs jurés étrangers, pressés de retourner dans leur pays, le jury, pour accélérer ses travaux, s’est divisé en

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trois sections : à la première a été dévolu l’examen des instruments à clavier ; à la deuxième est revenu celui des instruments à cordes ; à la troisième, celui des instruments à vent. Les membres de la deuxième et de la troisième section n’ont pas tardé à ne plus former qu’une seule délégation, aux séances de laquelle ont pris part les membres de la première section, chaque fois que les circonstances le leur ont permis. Il va sans dire que ce mode de fonctionnement n’a pas empêché les études et les visites particulières ; mais il a présenté cet inconvénient que tel juré de la première section, absorbé par une tache très laborieuse et très fatigante, a pu ne point entendre un seul des instruments à archet ou à vent ; et, réciproquement, tel membre du jury appelé à juger ces deux dernières catégories d’instruments s’est peut-être vu dans l’impossibilité d’essayer le meilleur des orgues, des harmoniums ou des pianos de l’Exposition. Par contre, les instruments de percussion, les instruments exotiques et les éditions musicales ont été l’objet d’un examen collectif

 

Ces explications préliminaires nous ont paru d’autant plus indispensables, qu’elles font pressentir l’ordre suivi dans ce rapport et dégagent la responsabilité du rapporteur envers ceux qui voudraient trouver ici un classement scientifique.

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INSTRUMENTS À CLAVIER.

 

I. - ORGUES D’ÉGLISE, DE CHAPELLE OU DE SALON, À TUYAUX

 

L’orgue d’église est l’instrument par excellence, et son nom le dit : organon. On en connaît l’aspect pittoresque et monumental ; on sait quelles immenses ressources il offre à l’imagination des compositeurs et à l’habileté des virtuoses, surtout depuis les perfectionnements inventés par les facteurs anglais, français, danois ou allemands du XIXe siècle ; mais on comprend que les voix si nombreuses et si variées de cet instrument merveilleux ne s’obtiennent qu’à l’aide des plus grandes complications de mécanisme. Aussi ne croyons-nous pas inutile de rappeler comment se nomment les parties essentielles d’un orgue d’église et d’indiquer rapidement à quel titre chacune d’elles mérite de fixer l’attention.

La soufflerie, principe vital de l’orgue, à pour objet de fournir à des chambres, qu’on nomme laies, un vent d’une constante et parfaite égalité. Ce magasin général et ces petits réservoirs d’air adhèrent aux sommiers qui supportent lés tuyaux, et fournissent, à l’aide de soupapes alimentaires, l’air nécessaire à l’émission des sons. Ces tuyaux sont faits soit en étain fin, soit avec un mélange d’étain et de plomb soit encore en bois, selon leur grandeur et la nature des jeux qu’ils doivent composer. On appelle jeu une série de tuyaux du même genre, formant une échelle chromatique plus ou moins étendue, mais donnant des sons d’un timbre identique. Les jeux de l’orgue se peuvent réduire à deux grandes familles : les jeux à bouche et les jeux d’anche. Les jeux à bouche comprennent : 1° les jeux de fonce, qui sonnent l’unisson de la note écrite ou ses octaves graves ; 2° les jeux d’octave, qui sonnent l’octave aiguë de la note écrite ; 3° les jeux de mutation, qui sont tantôt simples et tantôt composés. Les jeux de mutation simples sonnent la quinte, la tierce et quelquefois la septième de la note écrite ; les jeux de mutation composés ont sur chaque note plusieurs tuyaux dont l’ensemble forme un accord. Quant aux jeux

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d’anche, ils se divisent en deux espèces, étant ou : à anche battante ou à anche libre.

C’est à l’aide d’un, de deux, de trois ou même de quatre claviers à mains, qui sont, superposés d’une façon commode, et d’un clavier de pédales, dont on fait mouvoir les touches de. bois avec les pieds, que l’organiste commande à l’abrégé, C’est-à-dire au mécanisme qui transmet le mouvement des claviers aux soupapes des sommiers respectifs. Il n’a qu’à tirer ou pousser un bouton pour prendre ou pour arrêter le vent de chaque registre, tiroir véritable qu’il fait à sa guise glisser horizontalement sous le trou du tuyau auquel il correspond.

La caisse immense dans laquelle est enfermé l’instrument se nomme buffet. Elle est souvent divisée en deux parties, et celle qui est placée en avant du corps des grands tuyaux et qui est de dimension plus Petite s’appelle positif. La disposition extérieure et intérieure du buffet se règle d’après l’emplacement, que l’orgue doit occuper ; il faut donc une certaine science architecturale pour construire un vaste buffet, qui offre aux menuisiers et aux sculpteurs ornemanistes des motifs de décoration, et qui donne au facteur le moyen d’étager aisément les jeux de ses divers claviers, tout en laissant l’espace indispensable pour circuler sans peine dans cette espèce d’édifice en menuiserie.

Il est facile de se l’expliquer d’après ce peu de mots, l’excellence d’un orgue dépend d’abord du principe et des bonnes qualités de la soufflerie, puis de la perfection du mécanisme qui assure l’obéissance des claviers et la facilité de leurs accouplements, enfin, de la diversité des jeux, ainsi que de l’exactitude et de l’égalité des timbres. Pour combiner harmonieusement toutes les parties d’un tel ensemble, que de force de conception et quel talent d’exécution ne faut-il pas !

Nous n’hésitons pas à le dire, de tous tes facteurs d’orgues contemporains, M. Cavaillé-Coll nous paraît celui qui possède au plus haut degré les dons de l’artiste supérieur. Nous n’avons pas à énumérer les importants travaux qu’il a exécutés en France et à l’étranger depuis 1867 (1) : il nous suffira de parler de l’orgue de

(1) Voir C.-M. Philbert, L’orgue du palais de l’Industrie d’Amsterdam, Amsterdam, 1876, grand in-8°.

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salon et de morgue de la salle des fêtes du palais du Trocadéro, qui ont contribué au succès de l’exposition de 1878, pour établir que cet organier est aujourd’hui hors de pair. L’orgue du palais du Trocadéro comprend 4070 tuyaux, dont les plus grands sont de 32 pieds. Il est composé de 66 jeux, qui se manœuvrent à l’aide de 72 registres, et ces jeux sont distribués sur 4 claviers à mains, un pédalier en console et 21 pédales de combinaison. Le buffet, exécuté d’après les plans de MM. Davioud et Bourdais. architectes du monument qui ornera désormais le Trocadéro, contient dans sa décoration 71 tuyaux de montre en étain brillant.

Voici, du reste, comment sont répartis les jeux de ce bel instrument

 

1er Clavier : Grand Orgue, d’Ut à Sol 56 notes.

                        JEUX DE FOND.                               JEUX DE CONBINAISON.

2°        Montre, de                  16 pieds.                     8°        Flûte douce, de            4 pieds.

2°        Bourdon                      16                               9°        Doublette                     2

3°        Montre                        8                                 10°      Cornet                         5 rangs.

4°        Violoncelle                   8                                 11°      Plein jeu                       5

5°        Flûte harmonique         8                                 12°      Bombarde                   16 pieds.

6°        Bourdon                      8                                 13°      Trompette                    8

7°        Prestant                       4                                 14°      Clairon             4

 

2e clavier : Positif Expressif d’Ut à sol, 56 notes.

 

                        JEUX DE FOND.                               JEUX DE COMBINAISON.

15°      Bourdon, de                16 pieds.                     21°      Quinte, de                    2 2/3 P.

16°      Principal                      8                                 22°      Doublette                     3

17°      Flûte harmonique. . . .  8                                 23°      Plein jeu harm. de 3 à 6 rangs.

18°      Salcional                      8                                 24°      Basson                        6 pieds.

19°      Unda maris                  8                                 25°      Trompette                    8

20°      Flûte octaviante            4                                 26°      Cromorne                    8

 

3e Clavier : Récit Expressif. d’Ut à Sol, 56 notes.

 

                        JEUX DE FOND.                   JEUX DE COMBINAISON.

27°      Quintaton, de               16 pieds.                     36°      Octavin, de                  2 pieds

28°      Flûte harmonique         8                                 37°      Cornet                         5 rangs

29°      Viole de Gambe           8                                 38°      Basson                        6 pied

30°      Cor de nuit                  8                                 39°      Trompette                    8

31°      Voix céleste                 8                                 39°      Clairon harmonique.     4

32°      Flûte octaviante            4

33°      Carillon             1 à      3 rangs.

34°      Basson haut                 8 pieds.

35°      Voix humaine               8

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4e Clavier, de Solo, d’Ut à Sol, 56 notes.

 

            JEUX DE FOND.                   JEUX DE COMBINAIS0N.

41°      Bourdon, de                16 pieds.                     47° Tuba magna, de                16 pieds.

42°      Flûte harmonique         8                                 48° Trompette harmonique..    8

43°      Diapason                     8                                 49° Clarinette                          8

44°      Violoncelle                   8                                 50° Clairon harmonique.. . .     4

45°      Flûte octaviante            4

46°      Octavin                        2

 

Clavier de Pédales, d’Ut à Fa, 30 notes.

 

            JEUX DE FOND.                               JEUX DE COMBINAISON.

51°      Principal bourdon, de   32 pieds.                     60°      C. Bombarde, de         32 pieds.

52°      Grosse flûte                 16                               61°      Bombarde                   16

53°      Contrebasse                16                               62°      Basson                        16

54°      Violon-basse               16                               63°      Trompette                    8

55°      Snobasse                     16                               64°      Banon                          8

56°      Grosse flûte                 8                                 65°      Clairon             4

57°      Violoncelle                   8                                 66°      Baryton                       4

58°      Basse                          8

59°      Bourdon                      8

 

Pédales de combinaison

 

67°      Effets d’orage.                         79°      Anches du Grand Orgue.

68°      Tirasse du Grand Orgue.          80°      Anches du Positif.

69°      Tirasse du Positif.                    81°      Tremblant du Récit.

70°      Tirasse du Récit.                      82°      Anches du Récit.

71°      Anches Pédales.                      83°      Anches du Solo.

72°      Octaves graves Grand Orgue.  84°      Copula du Grand Orgue.

73°      Octaves graves Positif. 85°      Copula du Positif.

74°      Tremblant du Positif.                86°      Copula du Récit.

75°      Octaves graves Récit.              87°      Copula du Solo.

76°      Octaves graves Solo.               88°      Copula du Récit au Positif.

77°      Expression du Récit.                89°      Combinaison de la grande pédale.

78°      Expression du Récit                 80°      Combinaison du Solo.

 

L’orgue de salon exposé par M. Cavaillé-Coll mesure 6 mètres de hauteur, 3m,60 de largeur, et 1m,90 de profondeur. Le buffet, richement sculpté et orné de 63 tuyaux de montre en étain brillant, a été exécuté d’après les dessins de M. Alphonse Simil et est dans le style Louis XVI. Le meuble des claviers, placé en avant du buffet, occupe une largeur de 1m,50 et il a 1m,20 de hauteur. Ce grand orgue de salon, d’un nouveau système, est à double expression, et chaque clavier devient expressif au

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commandement de deux pédales centrales, qui ont la faculté de demeurer immobiles à n’importe quel point de leur course. L’exécutant peut donc abandonner l’une de ces pédales ou même les deux pédales expressives, pour ne plus s’occuper que du clavier de pédales ou du clavier de combinaisons.

Il nous reste à donner ci-contre le dessin et la composition des jeux de cet excellent instrument.

Nous croyons inutile d’ajouter que ces deux instruments de M. Cavaillé-Coll nous ont paru d’une exécution irréprochable, et qu’ils ne laissent rien à désirer, au triple point de vue de la soufflerie, du mécanisme et de l’exactitude, du mordant, de la distinction des timbres. Aussi- le jury a-t-il proposé d’accorder une récompense exceptionnelle à cet artiste, qui, depuis 1839, année où il a créé la soufflerie à diverses pressions, n’a cessé de doter la science du facteur d’orgues des procédés les plus ingénieux et les plus féconds en heureux résultats.

La construction, le transport et le montage d’instruments aussi compliqués que ceux dont nous venons de donner la description minutieuse entraînent à des dépenses considérables. Ne nous montrons point surpris par conséquent, si un seul facteur étranger est venu lutter avec les organiers français. Rien de particulier, du reste, à noter dans l’orgue exposé par MM. F. Rieger et fils, de Jagendorf (Silésie). Ces facteurs ont adopté le système Walker, et la composition des jeux de cet instrument oblige le jury à se souvenir que, hors de France, on semble préférer les jeux de fond à tous les autres. MM. F. Rieger et fils se sont appliqués à les rendre pleins et sonores ; ils y ont réussi.

Revenons aux exposants français et signalons d’un trait rapide ceux qui se sont le plus distingués après M. Cavaillé-Coll.

M. Merklin a exposé un orgue à 3 claviers. (grand orgue, récit expressif et clavier de pédales séparées), qui se compose de 27 registres et d’une série de 12 pédales d’accouplement et de combinaison (1). Ce facteur qui s inspire encore plus des organiers allemands que des organiers français, applique à ses

(1) Cet orgue fait maintenant l’ornement de l’église des Dominicains, rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris.

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ORGUE DE SALON A DOUBLE EXPRESSION.

1e Clavier : Grand Orgue,

d’Ut à Sol, 56 notes.

 

1° Bourdon de 16 pieds.

2° Principal      8

3° Bourdon      8

4° Prestant       4

5° Doublette    2

6° Trompette   8

 

2e Clavier, de Récit,

d’Ut à Sol, 56 notes.

 

7° Flûte harmonique, de. 8 pieds.

8° Violon de Gambe... 8

9° Flûte octaviante.. . . 4

10° Voix célestes 8

11° Basson-Hautbois 8

12° Voix humaines. . . . 8

Clavier de pédales,

d’Ut à Fa, 30 notes.

13° Soubasse, de 16 pieds.

14° Basse ouverte. : 8

 

RESUME

 

14 registres, 8 pédales de combinaison et 735 tuyaux.

 

 

Pédales de combinaison.

 

1° Effets d’orage.

2° Tirasse du Grand Orgue.

3° Tirasse du Récit.

 

4°Expression du Grand Orgue.

5° Expression du Récit.

6° Copula des Claviers.

7° Tremolo.

8° Prolongement harmonique

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instruments de moyennes dimensions le système de transmission facultative des jeux d’un clavier sur un autre ou même sur le pédalier. Il a fait aussi l’application du frein harmonique, imaginé par M. Anselme Gavioli, au jeu de contrebasse 16 pieds du pédalier, et cette innovation heureuse, déjà remarquée dans l’orgue construit par M. Cavaillé-Coll, n’a pas échappé au jury.

Une autre nouveauté à laquelle nous ne saurions accorder trop d’éloges, C’est le pédalier concave adopté par MM. E. et J. Abbey, fils du célèbre John Abbey. Leur orgue, bien construit et destiné a une petite église, a des jeux d’anche d’une exactitude et d’une distinction parfaites. L’étendue des claviers y est portée à cinq octaves complètes. Roue remplaçant le balancier dans les souffleries à pédales ; petit moteurs pneumatiques pour les basses et pour les doubles laies ; vis de réglage général ; pédale d’expression placée à la droite de l’organiste ; claviers rapprochés ; application aux jeux de fond d’un régulateur en métal, grâce auquel on fait articuler instantanément les jeux de même taille (gambes, voix céleste, etc.) : telles sont les améliorations que le jury s’est plu à remarquer dans l’instrument exposé par MM. E. et J. Abbey. .

L’orgue de MM. Stoltz frères se compose de 28 jeux complets et réels ; il a deux claviers à mains de 56 touches d’ut à sol, un pédalier séparé de 27 touches d’ut à , 28 registres, 9 pédales de combinaison et un levier pneumatique. La soufflerie est à triple pression, la première alimentant séparément le levier pneumatique et annihilant les secousses des pompes dans les deux autres réservoirs. Tous les sommiers sont à doubles laies et à vent séparé, de façon que les diverses familles de jeux, dessus ou basses, reçoivent une alimentation distincte. Le mécanisme des jeux et celui des claviers sont formés de mouvements en fer et en cuivre, partant peu sujets aux variations de la température. Dans le levier pneumatique, la soupape de décharge est complètement indépendante.

Le rapporteur a cru nécessaire d’énumérer tous ces points, parce que le jury a constaté que MM. Stoltz frères ont tenu à ne plus s’exposer aux reproches qu’on leur avait adressés en 1855 et en 1867, et à se montrer à la hauteur de la science actuelle.

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M. Fermis, élève de l’illustre Barker et associé de M. Eugène Persil, s’est présenté à l’Exposition dans des conditions désavantageuses, son orgue de chapelle placé dans la galerie du Travail et son grand orgue de l’église Saint-François-Xavier (1) n’étant pas entièrement achevés. Le jury pourtant n’a pas eu de peine à reconnaître que M. Fermis est doué d’un esprit inventif. Ce facteur s’est montré le digne continuateur de son maître, en imaginant d’employer non plus l’électricité, mais l’air comprimé pour faire parler des tuyaux d’orgue. Il a conservé le levier pneumatique, titre de gloire de Barker, mais il a recouru à d’ingénieuses combinaisons pour remplacer la circulation électrique et le jeu des électro-aimants. Il relie le jeu des soupapes au réservoir d’air, agrandi et soumis à un excédent de pression, par des tubes métalliques et malléables qui suivent les contours du buffet. Il obtient une transmission instantanée par un mécanisme fort peu compliqué, qui opère automatiquement le dégonflement du soufflet-levier. Ce mécanisme consiste en un morceau de peau de gant qui fait fonction de seconde soupape. « Dans la base en bois du soufflet il a pratiqué une entaille, dont les deux côtés forment un angle, au sommet duquel est fixée la queue de la membrane-soupape. Dès que l’air comprimé est introduit dans le soufflet qu’il vient gonfler, la membrane, soulevée par la pression même de l’air, va s’appliquer contre la paroi supérieure de l’entaille et ferme couverture extérieure. L’envoi de l’air cesse-t-il, en produisant une certaine réaction ou retour en avant : aussitôt, par l’effet de cette réaction et par son propre poids, la membrane retombe et le dégonflement s’opère. » Rien de plus simple, on le voit.

Ce mécanisme se prête à l’exécution des traits les plus rapides. a un avantage plus essentiel, C’est d’offrir à l’organiste la ressource de deux claviers expressifs en un. Quelques membres du jury se sont demandé si l’innovation de M. Fermis ne présente pas l’inconvénient d’occasionner une trop grande dépense d’air et, par suite, d’exiger plus de souffleurs qu’on n’en emploie. dans un orgue ordinaire. Mais, lors même qu’il en serait ainsi, l’expérience

(1)      Cet instrument a été essayé, en présence d’une partie du jury, par l’habile organiste compositeur M. Widor.

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 apprendra s’il n’y a pas encore économie à donner au système de ce facteur la préférence sur ceux qu’on a jusqu’à présent adoptés.

Après avoir mentionné les chercheurs, les inventeurs, les novateurs et ceux qui n’exécutent que des ouvrages fort coûteux, il nous reste à parler des exposants qui travaillent à bas prix, ou en vue de seconder les producteurs d’élite. De ce nombre sont : MM. Férat et A. Gavioli. M. P. Férat, restaurateur de l’orgue de Saint-Augustin, élève et collaborateur de Barker, construit des orgues à tuyaux de petites dimensions, se composant de trois jeux complets (8 pieds, 4 pieds et .2 pieds) et de deux dessus solos de 8 pieds, qu’il livre au taux de 2,200 francs. Cet instrument se peut emballer par parties séparées, sans démontage d’aucune pièce mécanique, ce qui met les personnes étrangères à la facture en état de le remonter aisément. Ne coûtant pas plus cher qu’un harmonium, il le remplace avantageusement dans une chapelle ou dans une petite église.

M. Anselme Gavioli, de la maison Gavioli et Cie, a rendu service à la facture d’orgues en imaginant le frein Harmonique. Cet appareil en cuivre est nécessairement des plus simples. Il consiste en un frein obturateur qui, placé à l’embouchure de tous les tuyaux indistinctement, permet de régler le son avec précision et rapidité, et d’en fixer le timbre et le mordant suivant les proportions de taille. Nous avons déjà dit que plusieurs facteurs ont adopté cet appareil ingénieux. M. Henri Zimmermann s’est aussi empressé de l’appliquer aux tuyaux de sa fabrication, et il l’a mis a profit pour construire mathématiquement un jeu de 56 notes, dont la basse de 8 pieds imite le violoncelle et, à partir du sol de la deuxième octave, le violon ; l’octave de 16 pieds imite la contrebasse.

 

Dans la liste des exposants récompensés qui va suivre, on trouvera les remarques relatives aux facteurs dont nous n’avons pas encore cité les travaux. Le rapporteur se propose démettre quelques réflexions personnelles au sujet des règles qu’il conviendrait d’observer généralement dans la construction des orgues d’église ; il les réserve pour la conclusion de ce travail.

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Grande médaille.

 

M.       CAVAILLE-COLL. - France.

 

Médaille d’or.

 

M.       MERKLIN. -France.

 

Médailles d’argent.

 

MM.    FERMIS ET PERSIL. - France.

RIEGER ET FILS. - Autriche-Hongrie.,

ABBEY (E. et J.). - France.

STOLTZ Frères. - France.

GAVIOLI ET Cie - France. - Nouveau système d’embouchage de tuyaux.

MASURE. - France. - Tuyaux d’orgue en étain d’une bonne fAbrication ; tuyaux de montre de l’orgue du Trocadéro.

ZIMMERMANN. - France. - Tuyaux en étain d’une fabrication soignée.

 

Médailles de bronze..

 

MM.    FÉRAT (P.). - France.

CHAZELLE. - France. - Orgues d’église à bas prix d’une, qualité satisfaisante.

ESTEVE. - France. - Anches libres métalliques d’une bonne résonance ; travail d’une grande précision.

 

Mention honorable.

 

MM. SÉZÉRIE ET FILS. - France. Accessoires pour orgues, d’une bonne fabrication.

 

COLLABORATEURS (1).

Médailles de bronze.

 

MM.    NEUBURER (Auguste), directeur des travaux chez M. Cavaillé-Coll, où il est employé depuis 32 ans. - France.

REINBURG (Gabriel), directeur des harmonistes chez M. Cavaillé-Coll, où il est employé depuis 32 ans. - France.

REINBURG (Félix). chef harmoniste et collaborateur de M. Cavaillé-Coll depuis 28 ans. France.

BERNARD-THIEMANN, chef mécanicien et collaborateur de M. Cavaillé-Coll depuis 25 ans. France.

(1)           Le jury de la classe 13 n’a décerné aux collaborateurs que deux sortes de récompenses : des médailles de bronze et des mentions honorables.

 

II. - ORGUES EXPRESSIVES OU HARMONIUMS, ACCORDÉONS,

 

AUTRES INSTRUMENTS A ANCHES LIBRES, ETC.

 

S’il est une industrie qui depuis 1855 ait pris des développements prodigieux, C’est la facture des orgues à anches libres, dites expressives. Chacun le sait, l’harmonium est une création française. Faut-il rappeler qu’on la doit à Grenié, et. qu’elle date de 1810 (1) ? Avons-nous besoin d’énumérer les améliorations introduites successivement par MM. Fourneaux, Debain, Martin, Alexandre et Mustel dans la construction des harmoniums ? Personne n’ignore qu’en appliquant à l’orgue expressif le sommier à cases sonores (1834), Debain a permis d’associer beaucoup de registres à l’aide d’un seul clavier et, par conséquent, d’obtenir une grande variété de timbres. Tous ceux qui s’occupent de facture instrumentale se souviennent aussi que Martin, de Provins, a imaginé la percussion, le prolongement, l’expression à la main, qui ont servi de point de départ à d’autres innovations remarquables, entre autres à celles de M. Mustel, créateur de la double expression, en 1854, et du forte expressif, en 1858.

Le degré de perfection auquel avaient atteint, dès 1855, les facteurs d’harmoniums français, leur suscita de nombreux imitateurs, puis des concurrents redoutables à l’étranger. Les Allemands les copièrent ; les Anglais et surtout les Américains s’efforcèrent de leur enlever les plus riches marchés de l’autre hémisphère. C’est aux États-Unis principalement qu’ils eurent à soutenir une lutte extraordinaire. Dans ce pays, on imagina un système de soufflerie nouveau : au lieu de soufflets refoulant Pair, on se servit de soufflets qui l’aspirent. MM. Mason et Hamlin, de Boston, se sont placés à la tête des facteurs américains et, depuis 1861, ils n’ont cessé de perfectionner le mécanisme des instruments auquel leur nom restera attaché. Le jury n’a que des éloges à leur décerner :

(1)           Si nous écrivions une histoire de l’harmonium, nous aurions à parler des origines de cet instrument, et à mentionner, par conséquent, plusieurs noms avant celui de Grenié, entre autres ceux de Kratzenstein, de Rachwitz et de l’abbé Vogler. Grenié prit son premier brevet en 1803.

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leurs orgues expressives, depuis l’instrument à un seul jeu jusqu’à l’harmonium à sept jeux et plus, à deux claviers et à pédales complètes, se distinguent par une sonorité douce, égale et ronde, par la simplicité de leur mécanisme et par là solidité de leur construction.

 

Cependant, il faut bien le reconnaître, sous le rapport du goût décoratif comme au point de vue de la variété des timbres et des ressources qu’elles offrent aux virtuoses, les orgues expressives des facteurs américains nous paraissent inférieures à celles des facteurs français. Quand MM. Mason et Hamlin et leurs émules ornent leurs instruments de tuyaux de montre, ils n’hésitent pas à peinturer ces tuyaux. Il se peut que ces couleurs voyantes charment la vue des amateurs du Far West ou de l’Amérique du Sud ; mais elles blessent les yeux d’un artiste. Par contre, nous devons admirer la beauté des bois qu’emploient les Anglais et les Américains. Dans la construction de leurs instruments, ils s’attachent à la solidité, et ne perdent jamais de vue que leur œuvre est destinée à braver un feu de charbon de terre, un soleil brûlant ou les plus brusques variations atmosphériques.

Nous énumérerons plus loin tous les facteurs et leurs auxiliaires qui ont obtenu des récompenses ; mais nous allons mentionner à part ceux qui se sont distingués par des innovations.

Au premier rang nous placerons M. Victor Mustel. On lui doit l’application à l’harmonium de la voix céleste et du demi-jeu qu’il a appelé harpe éolienne, demi-jeu que nous avons retrouvé dans un orgue américain sous le nom de sourdine. Ce facteur a inventé en 1865 le typophone, et il a créé en 1878 le métaphone.

Le typophone, perfectionné depuis peu, est un instrument sur lequel nous appelons l’attention des compositeurs. Il ressemble extérieurement à un petit harmonium, et se compose de hg diapasons en acier le plus fin et de 40 boîtes résonnantes en complet rapport de ton avec les diapasons.

Ces organes sont mis en vibration par l’action percutante d’un mécanisme semblable à celui du piano, au commandement d’un clavier. Le timbre du typophone a beaucoup d’analogie avec celui de la flûte harmonique du grand orgue. La durée des vibrations

 

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de cet instrument est telle qu’on croirait les sons entretenus par l’action d’une soufflerie . voilà pourquoi nous en parlons dans ce chapitre, afin de ne pas scinder ce que nous avons à dire d’un facteur d’orgues inventif, qui, à nos yeux, est bien plus encore un artiste qu’un industriel.

Le typophone ne peut guère se suffire à lui-même, puisqu’il n’a que quatre octaves d’étendue ; mais il se combine agréablement avec l’orgue et le piano, dont il est, pour ainsi dire, l’intermédiaire.

Le rapporteur pense qu’on en obtiendrait à l’orchestre des effets d’une sonorité douce et plaisante, à la condition de lui confier une mélodie qu’on ferait planer sur un accompagnement des plus légers.

Avec le métaphone, nous rentrons dans la catégorie des instruments à anches libres, qui font l’objet de ce chapitre. Cet instrument a pour but de changer à volonté le timbre de certains jeux qui, placés à l’arrière et n’ayant pas de table d’harmonie, paraissent quelquefois avoir trop de brillant. Dans le métaphone exposé par M. Mustel, l’exécutant peut, à son gré, rendre huit demi-jeux doux et pleins, ou brillants et nerveux. Il n’a qu’à tirer un registre pour agir sur le clairon, le basson ou la harpe éolienne à la basse, et sur le fifre, le hautbois, la musette, le baryton ou la harpe éolienne dans les dessus. Voici ce qu’a imaginé le novateur : il a couvert les demi-jeux que nous venons de désigner d’une large bande de basane, qu’un ressort maintient enroulée autour d’un cylindre en bois de faible diamètre, et que l’on déroule en tirant le registre spécial. Cette peau produit deux effets : elle absorbe les sons très aigus, puis elle devient le dessus d’une botte dont les résonances exercent une influence manifeste sur les sons plus graves. Or le son de l’anche libre étant très composé (c’est-à-dire formé d’un grand nombre de sons harmoniques), il en résulte que les harmoniques suraigus, qui dominent dans le son de l’anche libre et lui donnent tant de verdeur, se trouvent détruits en grande partie, tandis que les harmoniques plus graves sont, au contraire, renforcés. Cette manière ingénieuse de grouper les sons harmoniques amène nécessairement une modification du timbre.

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La maison Debain a exposé un harmonium à sommier horizontal de huit jeux percussion, dont le, démontage est très facile et dont les jalousies expressives sont mises en action par le vent et commandées par les genouillères de la double expression. Cet instrument, très puissant et si complet pour ses dimensions, contient non seulement une céleste de 16 pieds, mais encore une céleste de 8 pieds qu’on peut employer dans toute la longueur du clavier. C’est par un régulateur, grâce auquel on obtient des oppositions de piano et de forte très sensibles et instantanées, que se gradue la double expression. La maison Debain, que nous retrouverons. quand nous parlerons des instruments mécaniques, a exposé, outre des harmonicordes, des harmoninos et des harmoninas, un harmonium de cinq jeux et demi où se trouve appliqué l’antiphonel. Le mécanisme ainsi nommé permet, à raide d’un levier ou d’une manivelle, d’exécuter des morceaux de musique religieuse, clichés sur un cylindre par le cadran à noter. Ce mécanisme est transpositeur.

Beaucoup d’autres facteurs se sont préoccupés de venir en aide à l’ignorance. Mais tous ces harmoniums, avec mécanisme réalisant des harmonies fixes ou même des harmonies facultatives, ne présentent aucun intérêt musical, et ils dérivent plus ou moins directement des indications d’Engramelle (1) et du symphonista Guichené (2).

Avec MM. Alphonse Rodolphe, Alexandre et Cie, Christophe et Étienne, Couty et Liné, on revient aux facteurs qui travaillent en vue des musiciens et qui s’efforcent de produire des œuvres d’art à des prix modérés. Le jury, en examinant l’exposition si variée de M. Rodolphe, a constaté que ce facteur ne copie personne et a ses procédés particuliers de fabrication. Il nous a soumis un harmonium de sept jeux et demi, d’une grande puissance, où nous avons remarqué la percussion appliquée au pédalier.

(1)           Le moine Augustin Engramelle a publié sa Tonotechnie en 1775 ; Parie, in-8° de 236 pages.

(2)           L’instrument que l’abbé Guichené a nommé symphonista a figuré à l’Exposition de 1855. L’harmonium Boyer en est une édition nouvelle et abrégée. L’abbé Guichené s’était, du reste, inspiré du milacor de l’abbé Laroque, qui, lui-même, avait mis à profit l’orgue simplifié de Cabias, exposé en 1834.

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Quelques autres innovations restent à signaler. MM. Alexandre ont imaginé de faire agir le pied, sans intermédiaire, sur les pompes alimentaires. N’avaient-ils pas déjà tenté quelque chose d’à peu près semblable et n’y avaient-ils pas renoncé ? MM. Christophe et Étienne appliquent aux sommiers une boite résonnante, au moyen de laquelle on fait parler les notes graves avec la même rapidité que les notes élevées. Ces facteurs ont aussi exposé un harmonium à volume réductible. MM. Conty et Liné, dans leur harmonium à quatorze jeux et demi et à deux sommiers (l’un horizontal et l’autre vertical), ont placé deux claviers transpositeurs correspondants, qui s’accouplent dans toute l’étendue ou dans une partie seulement de l’échelle musicale de l’instrument.

 

En résumé, l’industrie des instruments à anches libres est de plus en plus prospère en Angleterre et aux États-Unis, comme en France ; seulement, nous ne voyons pas que, depuis 1867, elle ait ajouté beaucoup aux ressources dont elle disposait déjà. C’est surtout au point de vue de la production artistique à prix modérés qu’il y a progrès sensible dans tous les pays. Les facteurs d’harmoniums recourent à là division du travail, et d’habiles auxiliaires, les fabricants de claviers, d’anches, de touches, etc., les aident à faire vite, bien et à bas prix.

 

médailles d’or.

 

MM.    MUSTEL. - France.

DEBAIN ET Cie. - France.

MASON ET HAMLIN. - États-Unis.

RODOLPHE (P.L.A) -France.

 

Médailles d’argent.

 

MM.    CHRISTOPHE ET ÉTIENNE. - France.

BAUER (Gilbert-L.). - Grande-Bretagne. - Harmoniums de bonne qualité et d’une sonorité agréable.

CLOUGH ET WARREN. - États-Unis. - Harmoniums de modèles variés et d’une bonne construction ; emploi des tubes Scribner.

ALEXANDRE PERE ET FILS (SOCIETE DES ORGUES D’). - France. – Grande variété de modèles ; jeux bien timbrés.

COUTY ET LINÉ. - France. - Travail soigné ; facteurs en progrès.

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Médailles de bronze.

 

MM.    BUSSON. - France. - Harmoniums et harmoniflûtes où l’on reconnaît la marque d’un facteur de talent ; harmoniflûte d’une qualité de son remarquable.

GUEROULT. - France. - Harmonium construit d’après des données rigoureusement scientifiques.

GROMARD (A. DE). - France, - Cecilium, instrument inventé en 1867 et perfectionné depuis lors ; modèles de plusieurs formes et de dimensions différentes : l’une des deux formes principales rappelle la mandoline ; l’autre, celle des violes.

GAVIOLI (C.) FILS. - France. - Harmoniums d’une bonne construction.

MARTIN (Albert). - France. - Harmoniums dont le travail est soigné.

DUMONT ET LELIEVRE. - France. - Harmoniums construits avec soin.

BOURLET. - France. - Harmonium transpositeur ; sonorité puissante.

BOUTEVILIN (L.) ET CIE. - France. - Harmonium à deux claviers, bien construit.

BOYER ET MARTY. - France. - Harmonium à clavier harmonique placé un peu en arrière du clavier ordinaire (voy. p. 19, note 2).

SHONINGER (B.). - États-Unis. - Harmoniums d’une sonorité douce et agréable.

DOMINION ORGAN Co. - Canada. - Harmoniums d’une construction simple et peu coûteuse.

RICHARD ET Cie. - France. - Travail qui dénote des facteurs soigneux.

 

Mentions honorables.

 

MM.    BROWN ET FILS. - Grande-Bretagne. Harmoniums à bon marché, d’une sonorité douce.

LACHENAL ET Cie. - Grande-Bretagne. Concertinas chromatiques à lames d’acier ; timbres variés.

TURBAN ET Cie. - France. -. Anches libres métalliques pour harmoniums et autres instruments, de bonne qualité.

KASRIEL. - France. - Harmoniums portatifs et harmoniflûtes à bon marché, qui décèlent un facteur ingénieux.

 

HILLIER (J.). - Grande-Bretagne. Harmonium, système ordinaire combiné avec l’orgue américain ; registre faisant fonction de pédale ; jeux disposés de face et sur le côté.

NEVEUX (A.). - France. - Accordéons d’un travail très soigné et se prêtant à d’ingénieuses combinaisons.

            THIE (Wilhh.). - Autriche-Hongrie. - Harmonicas de bouche ; fabrication importante et à bas prix de ces instruments-jouets.

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COLLABORATEUR.

Médaille de bronze.

 

M.       TROWBRIDGE, chef des ateliers de MM. Mason et Hamlin. - États-Unis.

 

III. - PIANOS.

 

L’Exposition de 1878 a offert cette particularité, qu’elle a permis de voir, d’un côté, ce qu’était le piano à son origine, et, de l’autre, à quel degré de perfection il est maintenant arrivé. Au palais du Trocadéro, M. Krauss avait exposé les premiers essais de Cristofori, de Marius et de Schrœter, ces facteurs qui, à peu d’années de distance, conçurent ridée de remplacer par des marteaux frappant la corde soit en dessus, soit en dessous, les becs de plume enchâssés dans un sautereau qui la pinçaient pour la faire vibrer. En préférant les cordes frappées aux cordes pincées, en substituant au clavecin un instrument qui devait bientôt s’appeler le piano-forte et qu’aujourd’hui nous nommons. fort improprement le piano, Cristofori, Marius et Schrœter revenaient tout simplement au clavicorde du moyen âge. Mais si la différence est déjà grande entre le cembalo a martellini de Cristofori, ou le clavecin à maillets de Marius, et le clavicorde aux tiges de métal ou de bois enfoncées dans le prolongement des touches et faisant fonction de marteaux, la dissemblance est bien plus grande encore entre les mécanismes imaginés au commencement du XVIIIe siècle et la mécanique à double échappement inventée par Pierre Érard. Ainsi le veut la loi du progrès.

Nous n’avons pas à retracer l’histoire des inventions et des perfectionnements des meilleurs facteurs de l’Allemagne, de l’Angleterre, de la France, de l’Autriche-Hongrie et des États-Unis. Il suffit que nous mentionnions ici les récentes innovations qui nous ont paru dignes de remarque ; mais, avant d’entrer dans quelques détails à ce sujet, peut-être convient-il de donner une idée du chiffre d’affaires auquel est arrivée l’industrie des pianos. On jugera de l’importance qu’elle a désormais acquise par ce fait que, rien qu’en France, elle fournit du travail à 5,ooo ouvriers, et

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donne lieu à un mouvement commercial de 15 millions de francs par an. A lui seul, M. Bord, membre du jury de la classe 13, occupe 450 ouvriers et fabrique chaque année 3,800 pianos, dont les trois quarts sont destinés à l’exportation. Comme la production des États-Unis, de l’Angleterre, de l’Autriche-Hongrie et des autres nations exposantes devient aussi de jour en jour plus active, on se demande si elle ne dépassera pas bientôt les besoins de la consommation.

La lutte a nécessairement été très vive entre les facteurs de pianos, et chaque pays a cherché à s’y distinguer. Le jury s’est plu à tenir compte de tous les efforts ; mais il a constaté que bien peu de maisons se suffisent à elles-mêmes : grâce aux fabricants d’accessoires, beaucoup de facteurs aujourd’hui ne sont plus que des ajusteurs de pièces achetées de ci de là. La plupart de ceux qui construisent habituellement, et non par exception, des pianos à queue, semblent céder à une même préoccupation : la puissance de l’instrument. En l’augmentant, ils oublient que la sonorité n’acquiert le plus souvent de la force qu’aux dépens de la distinction. Dans cette revue des facteurs français et étrangers qui occupent le premier rang, nous allons donc être conduit à citer les divers systèmes au moyen desquels on prolonge les sons, et à signaler ce qui, dans la construction et le mécanisme des pianos, nous a para le plus intéressant.

Les trois maisons françaises qui, dans les Expositions précédentes, ont obtenu les plus hautes récompenses conservent leur incontestable supériorité, et les divers modèles de pianos qu’elles fabriquent continuent à servir de types aux imitateurs de tous les pays. Ces imitations de leurs instruments surprennent d’autant moins qu’elles sont généralement exécutées par d’anciens chefs de leurs ateliers. Tout maître fait école, et nombreux sont les élèves qu’ont formés les Érard et les Pleyel.

Ce qui nous a tout d’abord frappé dans les magnifiques et si. bons instruments exposés par la maison Érard, c’est moins encore le luxe princier avec lequel elle en a décoré plusieurs que la beauté, le fini du travail et l’excellence des procédés de fabrication auxquels elle doit sa gloire. Depuis les succès brillants et bruyants

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obtenus en 1867 par M. Steinway, beaucoup de facteurs se sont laissé séduire par les deux innovations qu’il a réalisées : l’emploi de la fonte et les cordes croisées. A vrai dire, ce système de construction n’était qu’à moitié nouveau, car, avant 1867, l’idée d’un cadre ou des tubes de fer avait déjà été exploitée en France et même aux Etats-Unis. Mais, comme toute réussite éclatante suscite un engouement plus ou moins justifié, on a vu depuis dix ans la facture allemande se lancer à la suite de M. Steinway. La facture anglaise et la facture française ont montré, plus de réserve dans l’adoption du métal, et semblent n’appliquer les cordes croisées qu’à titre d’essai comparatif.

La maison Érard, tout en adoptant le châssis et le barrage métalliques, tient à rester fidèle au système des cordes parallèles. Nous l’en félicitons. Le jury a fort admiré ses pianos à queue, qui ont des qualités vraiment exceptionnelles : puissance et rondeur du son, ampleur des basses, homogénéité des registres, clavier docile et parfaitement réglé. Dans un excellent piano de concert, d’une étendue de huit octaves, MM. Érard ont introduit une duplex scala. Le rapporteur ne pense pas que ce procédé, importé d’Allemagne, soit appelé à devenir d’un usage courant, -Il trouve que cette façon de prolonger la corde, afin d’en obtenir plus de résonance, donne un résultat bien faible pour la grave complication qu’elle apporte dans la construction de l’instrument. Puis, l’effet de sonorité que procure la duplex scala, quand un piano est neuf et tout à fait bien accordé, ne risque-t-il point de disparaître dès que l’instrument aura perdu l’unisson parfait entre la longueur de corde utilisée pour l’attaque et la longueur de corde destinée à ne vibrer que par influence ? Selon nous, ce désaccord ne peut manquer de se manifester, et même assez promptement.

La maison Pleyel, Wolff et Cie a introduit dans les pianos de concert qu’elle a exposés une innovation du même genre, mais d’une exécution plus facile. Ce procédé nouveau consiste à faire lever les étouffoirs de la sixième octave par les notes correspondantes de la septième octave ; les cordes qui doivent vibrer par influence, étant précisément celles qui sont attaquées sur l’instrument, se trouvent dont et se trouveront toujours d’accord, autant

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du moins que le piano lui-même est bien accordé. On le voit, c’est aussi un effet de duplex scala, mais simplifié. Toutefois, comme cet effet est faible, nous doutons que MM. Pleyel, Wolff et Cie persistent dans cette tentative.

Cette maison, ennemie de la routine et dirigée par un chef qui est à la fois un artiste et un savant, se livre encore à l’étude comparative des cordes parallèles et des cordes croisées. Dans ses pianos de concert, elle a su adopter le métal dans la proportion convenable pour résister à l’effort des montures de cordes usitées a présent ; mais elle a soin d’employer le fer forgé de préférence au fer fondu, et elle y gagne le double avantage d’une plus grande légèreté comme construction et d’un moindre danger au point de vue des ruptures, la fonte, par suite des fortes épaisseurs qu’on lui donne, étant à la fois très lourde et très sujette à se casser. La maison Pleyel, Wolff et Cie a exposé des instruments d’une sonorité fine et distinguée, dont le clavier facile, l’action précise des étouffoirs et tout le mécanisme permettent à un pianiste de faire à son gré, de pétrir le son, pour ainsi dire. L’esprit progressif qui ranime se reconnaît dans deux nouveautés, le clavier transpositeur et la pédale tonale. Bien de plus ingénieux que ce premier appareil. Il consiste en un clavier auxiliaire de six octaves seulement, qui se pose sur le clavier même du piano ordinaire, dont l’étendue est de sept octaves. On peut donc le faire glisser soit au grave, soit à l’aigu, selon le degré de la transposition qu’on désire effectuer, On assure la correspondance exacte du. clavier mobile avec le clavier fixe à l’aide d’un ressort d’arrêt qui s’engage dans une plaque dentée. L’appareil est si bien construit qu’il permet d’exécuter avec netteté et sans le moindre effort dans l’attaque la musique la plus rapide ou la plus compliquée. Le clavier transpositeur nous paraît appelé à rendre de grands services, étant léger, obéissant et bien préférable, par conséquent, à tous ceux qu’on avait imaginés jusqu’à ce jour.

Nous n’osons pas affirmer que la pédale tonale soit destinée à obtenir le même succès. Sans doute nous apprécions les ressources qu’elle assure aux musiciens et aux improvisateurs ; nous reconnaissons qu’elle présente cet avantage remarquable de ne laisser

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vibrer que les notes fondamentales du ton, mais nous croyons que les organistes tireront meilleur parti de cette innovation que les pianistes ordinaires. En voyant qu’on demande aux doigts non seulement de parcourir les sept octaves du clavier de l’instrument, mais encore d’enfoncer les touches d’un autre petit clavier d’une octave à l’aide desquelles agit la pédale tonale, un amateur trouvera qu’on exige trop de sa dextérité, et peut-être aura-t-il raison.

La maison Henri Herz a présenté des pianos de différents modèles d’une belle et agréable sonorité, et tous à cordes parallèles. Si les qualités de ces instruments n’ont point varié et sont restées celles que chacun connaît, nous ne nous en plaignons pas ; au contraire. Pourquoi modifier ce qui est bien ? Trop souvent, de notre temps, la facture instrumentale n’a changé de procédés que pour le seul plaisir du changement ; et qu’a-t-elle gagné parfois à ces modifications ? A faire moins bien qu’auparavant. M. Henri Herz a voulu prouver cependant qu’il obéit à des convictions raisonnées, et que, s’il conserve les plans qui ont assuré la fortune de son établissement, il n’est pas un esprit rétrograde. Il a donc tenu a présenter aussi quelque chose de nouveau, et il à exposé un piano de concert auquel il a appliqué la mécanique Caldera-Brossa. Ce mécanisme est ingénieux, nous le reconnaissons. Dans le mélopiano (ainsi se nomme le nouvel instrument), une série de petits marteaux sont mis en mouvement par un mécanisme d’horlogerie et maintiennent par des chocs très rapides les cordes en vibration, en les attaquant près du sillet. C’est au moyen d’une pédale spéciale que le pied gradue l’action de ce mécanisme ; mais la répétition des notes, si rapide qu’elle se fasse par ce procédé mécanique, ne cause point la sensation que donne un son soutenu et ressemble plutôt à une sorte de roulement, à un tremolo.

Remarquons-le en passant, les efforts de quelques inventeurs pour assurer au piano l’avantage des sons soutenus, et pour remédier ainsi à la prétendue sécheresse de cet instrument, les engagent dans une direction fausse. Dans le piano, le son meurt rapidement, il est vrai ; mais cette extinction rapide du son prête à toutes sortes de nuances délicates que l’exécutant ne pourrait obtenir sur un orgue, où le son persiste à volonté. Seule la voix

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humaine a le privilège de faire entendre les notes brèves sans sécheresse, et les longues tenues sans fatigue pour l’auditeur. Chaque instrument doit garder son caractère, et le piano, dont le son s’éteint vite, doit rester le piano. Grâce, du reste, à la sonorité douce et un peu terne qui lui est propre, on le peut écouter longtemps avec peu de fatigue ; mais qui oserait affirmer qu’on entendrait un harmonium et peut-être même un orgue d’église pendant plusieurs heures, sans en ressentir de la lassitude ?

M. Ehrbar, de Vienne, a exposé des pianos à table voûtée d’une bonne construction, et il a imaginé un procédé mécanique pour prolonger les sons. Cet appareil, placé au-dessus de la sourdine ordinaire, permet de suspendre ou de faire retomber la sourdine au moyen d’une seule pédale. Les jurés étrangers ont paru attacher du prix à cette innovation ; mais ce qui a charmé surtout le rapporteur et le jury tout entier, c’est la qualité de son du piano grand oblique présenté par le facteur viennois.

M. Bord, mis hors concours en sa qualité de membre du jury, avait une exposition très variée, comprenant des pianos à queue a cordes parallèles et à cordes croisées. Le jury a particulièrement remarqué ses pianos droits, et le rapporteur le félicite d’être parvenu à livrer à très bas prix des instruments d’une grande solidité. Ce facteur n’emploie jamais la fonte, et semble préférer le système mixte à tout autre : barrage en bois par derrière, et quatre barres de fer par devant, de façon à ce que le tirage des cordes se trouve pris, pour ainsi dire, entre les deux éléments de résistance. Comme plusieurs de ses émules, il applique sur le sommier des chevilles une plaque en acier de 2 ou 3 millimètres d’épaisseur, afin que la cheville reste appuyée sur le champ de la tôle d’acier, lorsqu’elle rencontre par hasard une veine de bois trop tendre.

M. Gaveau, facteur studieux et plein d’expérience, a présenté des pianos de différents modèles et tous exécutés avec beaucoup de soin. Il n’ignore aucune des tentatives qu’ont faites naguère MM. Quentin (de Bourges), Camille Pleyel, Bacquié, Colin (de Toul) ; et, reprenant des essais qui n’avaient point été couronnés de succès, il a imaginé un système de tendeur dans lequel la bascule

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se trouve placée au milieu de la table d’harmonie. Le jury a remarqué, en outre, les bons résultats qu’a obtenus M. Gaveau, dans un piano demi-oblique, par des sommiers bien consolidés au moyen de six leviers.

M. Kriegelstein emploie un barrage avec tendeur en fer plein, à vis : ce système nous a paru simple et d’une solidité à toute épreuve.

M. Souffleto a construit un grand piano de concert avec cadre en fer et sans barre pour contre-tirer les cordes, qui sont parallèles. Le poids de cet instrument doit être énorme, a cause de l’épaisseur des sommiers, et le jury incline à penser que le tirage des cordes est hors de proportion avec la force de résistance de la caisse. Le temps se chargera de démontrer à ce facteur s’il ne s’est pas trompé dans ses calculs.

M. Tessereau a construit des pianos droits avec barrage en fer creux et table divisée en deux. Ces instruments, pouvant se démonter, sont d’un transport facile.

De son côté, M. Gaidon a imaginé un modèle de grand piano vertical qui, par un mécanisme d’inclinaison. peut devenir instantanément un piano à queue.

M. Baudet a cru faire du nouveau en exposant un piano vertical ordinaire : a-t-il oublié les nombreux essais de ce genre (1), et ignore-t-il que le clavecin vertical est une invention qui remonte au XVIe siècle ? Ce facteur, d’un esprit chercheur, obtient une sonorité voisine de celle des instruments à cordes dans l’instrument qu’il a eu le tort de nommer un piano quatuor, et qui ressemble, à s’y méprendre, à celui qu’il appelait en 1867 un piano-violon (2). Il a exposé aussi un piano chanteur, dans lequel il a placé un réservoir d’air sous le clavier : les touches viennent frapper sur ce réservoir, qui communique l’air aux lames vibrantes, et selon que les touches sont plus ou moins rapidement enfoncées, on obtient un son plus ou moins détaché. Enfin, il nous a soumis un piano où il a posé deux barres de fer au centre du tirage des cordes, pour que puissance et résistance soient toutes deux centrales et se

(1)           M. William Stodart, en janvier 1795, a pris un brevet pour son piano vertical. En 1825, Charreyre a construit un piano vertical à deux claviers.

(2) Le clavecin à archet, du mécanicien Hohlfeld, date de 1757.

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contre-balancent. Le jury n’a point à décider si ce système est antérieur à celui de M. Souffleto.

Les innovations des facteurs étrangers, comme celles des facteurs français, peuvent être envisagées soit au point de vue de la construction et dé la solidité, soit au point de vue de la sonorité, soit encore sous le rapport du prix de revient.

Les Russes, ainsi que la plupart des facteurs austro-hongrois, semblent particulièrement désireux d’obtenir une sonorité puissante, et ils n’ignorent évidemment aucun des procédés de fabrication en usage aux États-Unis et en Allemagne. Le rapporteur se croit pourtant obligé de leur rappeler que la sustaining pedal de Steinway n’est qu’une imitation à peine modifiée de la genouillère de l’orgue expressif, et que le piano à prolongement de la maison Alexandre date de L’Exposition de 1855. Faut-il ajouter que les Allemands ont fait beaucoup d’essais à peu près, semblables, et avons-nous besoin de nommer la pédale scandée, la pédale Zachariœ, les tubes résonnants, etc.?

En examinant le piano de concert à sept octaves et un quart de M. Ch.-M. Schrœder, instrument d’une sonorité très éclatante, nous avons constaté l’emploi de la duplex scala. M. Becker l’a également introduite dans l’un de ses cinq grands pianos exposés. Dans un autre de ses modèles, ce dernier facteur attache les cordes sous la barre, procédé qui a l’inconvénient d’occasionner des frisements et de rendre le remplacement. d’une corde bien difficile. Ailleurs, il recourt à des vis de rappel qui agissent sur toute l’étendue du clavier. Bref, M. Becker semble un laborieux chercheur, et nous ne sommes pas surpris qu’il se soit placé à la tête des facteurs russes.

M. Cuypers, de La Haye, paraît s’inspirer du système de M. Kaps, de Dresde. Il a exposé un piano à queue, de 1m,76 de longueur et de 1m,36 de largeur, à triple superposition de cordes croisées. Le jury a examiné avec intérêt le plan de ce facteur : il ne croit pas ce nouveau modèle appelé à obtenir du succès, à cause de sa trop grande complication. Le remplacement d’une corde ne doit jamais présenter de difficulté sérieuse.

Mieux avisés, MM. J. et J. Hopkinson, Brinsmead et Cie, Hubert

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et Huni ont cherché à simplifier le mécanisme du piano. Le jury s’est plu à récompenser ces facteurs distingués, et il a trouvé la mécanique à double échappement de MM. J. et J. Hopkinson fort ingénieuse. Ces trois maisons sont au courant des innovations de la facture moderne ; elles se montrent sagement progressives, et semblent préférer les cordes parallèles aux cordes croisées. Nous n’avons pas été surpris de voir que MM. Brinsmead et Cie ont mis à profit, en les perfectionnant, la pédale imaginée par Montal et le chevalet répercuteur de William-Fred. Collard (1).

On ne voit, dans tous les travaux que nous venons de passer rapidement en revue, rien qui puisse opérer une sorte de révolution comme celle qu’a inaugurée la facture américaine en 1867. Seul le piano à queue à double clavier de MM. Mangeot, qui, dans leurs autres instruments, se montrent les serviles imitateurs de M. Steinway ; seul le piano à double clavier de ces facteurs, de Nancy, peut être considéré comme quelque chose d’absolument nouveau. L’idée en a été conçue par M. Joseph Wieniawski, et nous trouvons naturel qu’on la doive à un éminent virtuose. Il convient, en effet, d’établir une distinction entre les résultats qui profitent au public et ceux dont bénéficie l’exécutant. Il y a donc toujours lieu de classer les inventions des facteurs en deux catégories : les unes ont pour objet de procurer à l’auditeur des jouissances nouvelles au moyen de sons mieux timbrés, plus forts ou plus doux, exempts de fausses résonances (2) ; ou bien de construire un instrument plus solide et tenant mieux l’accord. Le second genre d’inventions se rapporte à l’amélioration des conditions générales inexécution : soit, par exemple, un clavier plus docile et répétant parfaitement, soit encore des moyens nouveaux pour

(1)           M. Edgar Brinsmead a publié en anglais une courte mais substantielle Histoire du piano-forte, qui se termine par la liste des inventions brevetées de 1693 à 1876. Ce document est fort intéressant, au point de vue surtout de la facture anglaise. Les lacunes que Français, Allemands et Américains y pourraient relever nous semblent faciles à combler. On y trouve (p. 43) le dessin de la, mécanique à double échappement de MM. Brinsmead à côté d’autres figures non moins instructives, et (p. 60) l’image de la mécanique des pianos droits de ces facteurs.

(2)           M. Achille Dien, dans son intéressant mémoire sur la résonance de la septième mineurs dans les cordes graves du piano, indique un ingénieux procédé mécanique à l’aide duquel on remédie à cet inconvénient.

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obtenir des effets impossibles et non réalisés jusque-là. C’e st ce dernier résultat qu’a visé M. Jos. Wieniawski, et MM. Mangeot lui ont procuré le moyen d’atteindre au but qu’il se proposait, en construisant un piano composé de deux pianos à queue superposés, avec deux claviers placés l’un au-dessus de l’autre et disposés en sens inverse.

Par suite de cette disposition, lorsque le pianiste, une main posée au-dessus de l’autre, parcourt les deux claviers de gauche a droite, il fait entendre simultanément une gamme montante et une gamme descendante ; au contraire, si une main descend de droite à gauche sur un clavier, tandis que l’autre main monte de gauche à droite, on entend alors deux gammes exécutées parallèlement à l’unisson. Pour quelques effets en plus, à quelles études nouvelles ne condamne-t-on pas même un virtuose ! Le rapporteur doute fort que le public apprécie ce qu’il, gagnerait, musicalement parlant, à cet instrument, d’un poids énorme et d’un parfait accord d’ensemble si difficile à conserver.

Après avoir dit ce qui nous a paru le plus essentiel au sujet des tentatives des facteurs de pianos, il nous reste à parler de leurs auxiliaires, les fabricants de mécaniques, de claviers, de feutres, de cordes, etc. Ces industries nombreuses et depuis longtemps florissantes dans notre pays ont pris une extension de plus en plus grande. La France, qui les a créées, garde sa supériorité. Les mécaniques de pianos fabriquées par MM. Schwander et Herrburger et M. de Rohden continuent d’être adoptées dans l’Europe entière, et leurs établissements, si bien outillés, peuvent servir de modèles à leurs émules, MM. Gehrling, Bony et autres industriels de talent. Ces habiles auxiliaires des facteurs rencontrent maintenant de sérieux concurrents à l’étranger, outre ceux de l’Allemagne et des États-Unis. Dans cette spécialité, plus d’un pays tend aussi à s’affranchir, et les heureux efforts de M. Tang Jensen, de Copenhague, méritent une mention élogieuse.

En matière de fournitures de pianos, il n’y a que justice à citer à part MM. Duval, Ch. et F.-J. Monti, Chevrel, qui ont fait progresser leurs industries.

L’Américain M. Dolge aspire à détrôner les préparateurs de

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feutres européens. Jusqu’ici M. Billion et ses émules parisiens n’ont pas à craindre leur rival des États-Unis., parce qu’il use de procédés chimiques, qui ont le tort d’imprégner le feutre d’une odeur insupportable ; seulement ils trouveront en lui un redoutable adversaire, le jour où il aura remédié au défaut que nous avons dû critiquer.

La France fabrique avec succès le trait de cuivre, qu’elle fournit à bon marché ; mais elle continue à rester tributaire de l’Angleterre et de l’Allemagne pour les cordes d’acier.

Celles qu’a exposées M. William-Dick Houghton sont d’un acier fin, égal et poli, et nous ont paru de très bonne qualité.

En résumé, cette importante section de la classe 13 fait honneur à la facture contemporaine. De l’examen très attentif de ces pianos de tous formats le rapporteur conclut que le piano à queue, comme le piano droit, est arrivé maintenant à l’état d’instrument type. Il y aurait danger, selon lui, à en changer le caractère, et l’on doit se souvenir que, créé pour la chambre, il perd ses qualités les meilleures quand on l’oblige à lutter contre les sonorités d’un orchestre puissant. En dépit d’un heureux essai de patron gigantesque tenté par la maison Erard, il croit que le modèle de piano à queue par excellence est celui d’un format moyen. : c’est ce type, de dimensions moyennes, qui a le mieux inspiré non seulement les maisons Érard, Pleyel, Wolff et Cie et Henri Herz, mais aussi MM. Gaveau, Hubert et Huni, A. Thibout et Cie, Brinsmead et fils, Gunther, Bernareggi, Hals, Mme Vve Phil. Herz et neveu et plusieurs autres. Le rapporteur n’hésite pas à préférer les cordes parallèles aux cordes croisées et le fer forgé au fer fondu. La fonte manque de sonorité ; puis elle ne supprime pas le bois, puisqu’il faut appliquer et coller sur le barrage les sommiers de chevilles et la table d’harmonie. La colle ne tenant pas sur la fonte, on est obligé de visser ces deux parties essentielles du piano ; or, tout en ne contestant pas l’utilité des vis, nous pensons qu’un sommier collé et vissé tient toujours mieux qu’un sommier simplement vissé. Et, pour la table d’harmonie, Si nous reconnaissons la nécessité de la visser, il nous semble presque indispensable de la coller, ne force que pour éviter les frisements. Enfin,

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nous sommes d’avis que le barrage en fonte n’a pas toute la solidité qu’un certain nombre de facteurs lui attribuent, à moins qu’on n emploie des masses de métal, ce qui rend le piano fort lourd et difficile à transporter. Le temps, arbitre souverain, décidera si le rapporteur s’est trompé dans ses conclusions.

 

Médailles d’or.

 

MM.    ÉRARD (S. ET P.). - France. - Rappel de médaille d’or avec mention très élogieuse.

PLAYEL, WOLFF ET Cie. - France. - Rappel de médaille d’or avec mention très élogieuse.

HERZ (Henri). - France. - Rappel de médaille d’or avec mention élogieuse.

EHRBAR (F.). - Autriche-Hongrie.

HOPKINSON (J. ET J.). - Grande-Bretagne.

GAVEAU. - France.

SCHŒDER (Ch.-M.). - Russie.

MANGEOT FRERES ET Cie. - France.

SCHWANDER ET HERRBURGER. - France.

 

Médailles d’argent.

 

MM.    BRINSMEAD ET FILS. - Grande-Bretagne.

GUNTHER. - Belgique. - Rappel de médaille avec éloges : pianos d’une sonorité Puissante avec disposition nouvelle du chevalet.

HUNI ET HUBERT. - Suisse. - Rappel de médaille : pianos à cordes croisées et à cordes droites ; bon piano à queue où les cordes passent dans le chevalet de la basse, ce qui n’en facilite pas le remplacement.

KERN (Al.). - Autriche-Hongrie. - Piano à queue à cordes croisées d’une bonne sonorité, surtout dans le dessus ; construction solide.

KRIEGELSTEIN. - France. - Rappel avec éloges.

ROTT (Léop.). - Autriche-Hongrie. - Piano de concert à cordes croisées, d’une sonorité puissante et homogène ; mécanique autrichienne fonctionnant bien.

SPRECHER ET FILS. - Suisse. – Rappel : pianos à cordes croisées et à cordes parallèles ; grand piano droit avec pédale tonale ; bonne fabrication.,

BILLION. - France. - Feutres pour marteaux de pianos et étouffoirs, très bien préparés et d’excellente qualité.

DOLGE. - Etats-Unis. - Feutres préparés par un nouveau procédé chimique ; tables d’harmonie, bois soigneusement choisi et beau travail.

 

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MM.    DUVAL. - France. - Fournitures pour pianos, de la meilleure qualité ; fabrication fort importante.

HOUGHTON (W.-Dick). - Grande-Bretagne. - Cordes de pianos.

ROHDEN (DE). - France. - Rappel de médailles avec éloges : mécaniques de Pianos d’un travail très soigné ; inventions heureuses.

THIBOUT (A.) ET Cie. - France. - Piano à queue, moyen modèle, d’un plan bien tracé et d’une main-d’œuvre fort soignée ; bons pianos droits d’un prix modéré.

CORBEEL. - France. - Claviers pour pianos, orgues et harmoniums, de bonne qualité et d’un grand fini de travail.

GEHRLING FILS (C.). - France. - Mécaniques de pianos ; grande variété de modèles établis avec beaucoup de soin ; bon travail,

MONTI (Ch.). - France. - Claviers pour pianos et orgues, fabrication remarquable ; composition imitant l’ivoire ; petit davier d’harmonium à 15 francs.

ELCKE. - France. - En progrès depuis 1867 : pianos droits d’une grande solidité ; cordes croisées et cordes droites.

BECKER. - Russie. - Pianos à queue d’un travail soigné.

BERDEN FRERES ET Cie. - Belgique. - Rappel : pianos à cordes croisées.

BLONDEL. - France. - Système de double échappement appliqué aux pianos droits ; clavier mobile se relevant quand on ferme l’instrument ; beau et bon piano droit en tuya.

HALS FRERES. - Danemark. .- Instruments solides et d’un prix modéré ; pianos à queue ; cordes croisées et cordes droites.

KOLLIKER ET GRAMMER. - Suisse. - Pianos à cordes droites ; pédale tonale d’un système ingénieux ; mais l’étouffoir, en retombant sur les cordes, fait un bruit auquel, il faut remédier.

            KUTSCHERA (Karl). - Autriche-Hongrie. - Pianos à cordes croisées d’une fabrication soignée ; agrafe pour égaliser la force de la pression.

MONTI (F.-J.). - France. - Touches en ivoire pour pianos ; blanchiment de l’ivoire par un excellent procédé. La plus importante maison dans ce genre d’industrie.

OOR (J.). - Belgique. - Pianos à cordes droites d’un travail soigné ; ce facteur fabrique de toutes pièces.

TANG JENSEN. - Danemark. - Mécaniques et claviers de pianos faits avec soin.

WORNUM ET FILS. – Grande-Bretagne. - Innovation heureuse pour gagner de la longueur dans les cordes.

ZEIDLER (KRALL ET). - Russie. - Pianos de concert à cordes croisées d’une sonorité puissante et d’un travail soigné ; le cadre en fonte n’est pas assez bien équilibré.

BONY. - France. - Mécaniques et mouvements de mécaniques pour pianos ; bon travail ; toutes pièces sans collage.

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MM.    CHEVREL. - France. - Marqueterie, barres d’adresse, ivoires découpés à jour ; beaucoup de goût et travail très fini.

DIDION. - France. - Pianos à cordes parallèles, mécanique anglaise ; travail soigné ; piano richement décoré, style Louis XVI.

SOUFFLETO. - France. - Piano de concert à cordes parallèles ; pianos droits dont les cordes sont disposées en éventail sur la table d’harmonie, dans le but d’obtenir plus de sonorité.

TESSEREAU. - France. - Pianos droits dont le clavier obéit bien.

RUCH. - France. - Pianos à cordes croisées et à cordes parallèles ;

bonne fabrication ; rien d’original à signaler.

BERNAREGGI. - Espagne. - Rappel : piano de concert à cordes croisées, d’une bonne sonorité et d’une construction solide.

GAIDON. - France. - Pianos où se reconnaît un facteur ingénieux et en progrès.

PRUVOST. - France. - Pianos à cordes droites, d’une bonne fabrication ; sons homogènes.

STIEFF. - États-Unis. - Piano carré et piano oblique de sept octaves et une tierce, à cordes croisées. Dans le. piano carré, les étouffoirs sont placés au-dessous des marteaux, ce qui oblige à faire ceux-ci plus longs. Sonorité agréable et assez puissante.

 

Médailles de bronze.

 

MM.    BEAUGERF ET ROGER. - France. - Mécaniques de pianos faites avec précision.

DUMAS. - France. - Pianos droits . pédale pour rendre le piano muet ; clef à l’aide de laquelle le clavier devient plus ou moins résistant.

            GERVEX. - France.    Pianos droits ; pédale à ressort en bois.

            GRANDON. - France.           Touches en ivoire pour pianos et orgues ; bonne fabrication.

Mme     Vve PHIL. HERZ ET NEVEU. - France. - Pianos de modèles variés, à cordes droites, d’après des plans bien conçus ; ce facteur fabrique toutes les pièces dans ses ateliers.

MM.    SCHWANGER (Henri). - France. - Pianos droits avec nouvelle mécanique à double échappement (sans attrape).

FRITZ ET FILS. - Autriche-Hongrie. - Grand piano bien construit, d’une sonorité éclatante, basses un peu caverneuses.

BRIZZI ET NICOLAÏ. - Italie. - Pianos et harmoniums ; mélopiano ; pianos d’une sonorité agréable, mais claviers résistants.

FORTIN FRERE. - France. - Feutres pour harmoniums et marteaux de Pianos, de bonne qualité.

MOLA. - Italie. - Pianos et harmoniums ; mélopiano Caldera ; piano à cordes croisées, d’une bonne sonorité.

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MM.    ALIBERT. - France. - Appareil pour fixer les chevilles des cordes sans que le sommier du piano puisse se détériorer. La cheville Alibert, un peu dispendieuse encore, paraît supérieure aux chevilles de Cluesmann et de Woelfel.

ANGENSCHEIDT-EVERHARD. - France. - Pianos droits bien égalisés ; facteurs cherchant à progresser.

BARUTH. - France. - Pianos droits ; sons homogènes, travail soigné.             BAUMBACH (J.). - Autriche-Hongrie. - Pianos solides et bien fabriqués.

BAUVAIS ET FILS. - France. - Pianos droits genre Pleyel, où se reconnaît la main de facteurs expérimentés.

BELLET. - France. - Pianos d’un travail soigné ; barre d’étouffoir pour donner au son plus d’essor ; double table d’harmonie, ce qui n’est pas d’ailleurs une nouveauté.

CHALLEN ET FILS. - Grande-Bretagne. - Pianos droits à bon marché, solidement construits.

DOPERE (E.). - Belgique. - Fabrique lui-même ses piano , qui parlent bien.

DREAPER (W.-H. ET G.-H.). - Grande-Bretagne. - Pianos d’une sonorité agréable, avec table d’harmonie d’une disposition particulière.

EHLERT. - Danemark. - Pianos à cordes croisées ; joli son, mécanique Tang Jensen, travail soigné.

HEDOU. - France. - Ferrures et pédales pour pianos d’une exécution pleine de goût ; flambeaux et matériel d’orchestre de bonne qualité.

HEMMERDIN. - France. - Mécaniques pour pianos et autres instruments, bien fabriquées.

KNEIP FILS. - France. - Marteaux de pianos, très bien fait§ et de bonne qualité.

LEVÊQUE. - France. - Piano transpositeur : le déplacement s’opère à l’aide d’une clef ; la mécanique adhère au piano et fonctionne bien.

LEVET. - France. - Marteaux de pianos faits avec soin et de bonne qualité.

LIFONTI. - Italie. - Piano droit d’une bonne sonorité et bien construit.

LIMONAIRE. - France. - Pianos droits à double échappement où se reconnaît un facteur ingénieux ; piano-orgue à manivelle, d’une grande puissance.

MALECKI. - Russie. - Grand piano avec sommiers et barrage en fer, sonorité éclatante, instrument solide.

            MARTIN ET Cie, de Toulouse. France. - Pianos construits avec soin.

            MARTMER ET Cie. - Suisse. Pianos à cordes croisées et à cordes parallèles, avec mécanique et clavier fabriqués dans les ateliers de ces facteurs.

            MERTENS. - France. – Pianos droits solides et dont les sons ont de la puissance.

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MM.    MONTANO. - Espagne. - Pianos à cordes croisées et à cordes droites, bonne fabrication, sons homogènes.

MULLER. - France. - Fournitures de toutes sortes pour pianos et orgues : grande variété de modèles ; blanchit lui-même ses ivoires ; novateur qui cherche à rendre les métaux inoxydables et a donné beaucoup d’importance à sa maison.

POKORNY (A.). - Autriche-Hongrie. - Grand piano d’une sonorité puissante, avec mécanique autrichienne ; travail solide.

RAYNARD ET MASERAS. - Espagne. - Pianos droits, bien faits et bien égalisés.

RIJKEN ET Cie. - Pays-Bas. - Pianos à cordes croisées, travail soigné.

ROESELER. - Italie. - Pianos d’un facteur qui sait bien travailler ; exécution soignée.

SPARIG. - Autriche-Hongrie. - Piano à cordes obliques, d’une bonne qualité de son.

TRANCHANT ET FILS. - France. - Pianos droits d’un travail soigné ; étouffoirs placés derrière.

TRUCHOT ET COLLIN. - France. - Marteaux de pianos fabriqués avec soin.

VIDAL. - France. - Piano à pédalier.

BURCKHARDT ET MARQUA. - France. - Pianos bien ajustés et bien finis par ces facteurs, mais qui ne semblent pas une œuvre originale.

FOCKE ET FILS AÎNE. - France. - Pianos solides par suite d’un bon système de contre-tirage ; travail bien établi, en vue de l’Exposition, mais sans originalité.

HAINAUT ET FILS. - Belgique. - Pianos à bon marché, faits avec soin.

JEANPERT. - France. - Pianos d’un prix modéré et d’une qualité de son assez agréable.

JORAY. - France. - Tréfilerie spéciale pour pianos et orgues ; travail soigné.

MEYER (C.) ET FILS. - États-Unis. - Pianos carrés et droits à cordes croisées. Le chef de cette maison, Conrad Meyer, réclame l’invention du cadre en fer (1839).

POURTIER. - France. - Sculptures pour pianos, beaucoup de goût et une grande finesse de travail.

ÉRARD (Nicolas). - France. - Pianos droits d’une sonorité puissante, mais un peu crue ; bon travail courant.

HANEL, ANCEL ET Cie. - France. - Pianos fabriqués de toutes pièces dans leurs ateliers, clavier excepté ; mécanique anglaise ; sonorité douce, mais un peu courte.

PHILIPPI FRERES. - France. - Pianos sans barrage en dessous ; la qualité de son du dessus est agréable.

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MM.    TROST ET Cie. - Suisse. - Pianos à cordes croisées avec barrage en fer, solides et d’un prix modéré.

VAN HYFTE. - Belgique. - Pianos à cordes croisées avec cadre en fonte ; bon travail.

VITS (C.) ET FILS. - Belgique. - Pianos à cordes droites et à cordes croisées, établis avec soin.

GOMEZ JET FILS. - Espagne. - Pianos d’une sonorité éclatante, mais un peu crue.

MAYEUR FILS. - France. - Pianos droits, parlant bien.

STAUB. - France. - Pianos droits fabriqués de toutes pièces, à double échappement. Ce facteur, qui s’inspire de Woelfel, cherche à innover.

SUTER. - Suisse. - Pianos droits à cordes croisées ; sonorité puissante.

WHITEHEAD (R.-R.) ET FRERES. - Grande-Bretagne. Feutres pour pianos, d’une bonne qualité.

 

Mentions honorable.

 

MM.    AGUIRRE. - Espagne. - Piano oblique à cordes croisées ; sonorité puissante, mais un peu cotonneuse.

BARRATT ET ROBINSON. - Grande-Bretagne. - Pianos droits d’un prix très modéré.

BAUDET. - France. - Exposition variée.

BERRENS (G.). - Belgique. - Pianos droits dont les sons portent, mais n’ont pas assez d’homogénéité.

BOHNE. - France. - Claviers de pianos, bon travail.

CONSTANTZ. - France. - Pianos droits à double échappement ; sons prolongés au moyen d’une genouillère ; transposition obtenue par une troisième pédale ; sonorité métallique.

CUYPERS. - Pays-Bas. - Piano à queue avec ouïes au cadre en fer ; piano droit, solide, mais dont les sons manquent d’homogénéité.

EISENMERGER. - France. - Piano à diapasons, léger et peu coûteux par suite d’une construction simple.

FELUMB. - Danemark. - Pianos droits d’une sonorité puissante et assez homogène ; vis des cordes trop forte.

FRANCHE. - France. - Ce facteur fabrique la mécanique de ses pianos droits ; sonorité pas assez ronde.

GÉRARD FILS. - France. - Touches en ivoire pour pianos et orgues ; travail régulier.

GILSON. - France. - Piano oblique d’une ornementation très riche ; instruments d’un travail assez soigné, mais d’une sonorité un peu sourde.

GUILLOT (A.). - France. - Pianos droits ; bon travail courant.

HAINAUT (U.). - Belgique. - Piano demi-oblique, solide ; le dessus pourrait avoir plus de sonorité.

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MM.    HANSEN. - France. - Pianos droits d’une sonorité assez puissante,

mais qui pommait être plus homogène.

HEMINGWAY ET THOMAS. - Grande-Bretagne. - Pianos droits à deux cordes, étouffant bien.

KEISER. - France. - Piano pédalier à deux claviers.

LAFONTAINE. - France. - Pianos droits à cordes croisées ; montage pour tenir toujours en place la mécanique ; mouvement de pédale perfectionné.

LENTZ (P.). - Belgique. - Piano très haut de forme ; sonorité assez puissante ; travail assez soigné.

MAYER (W.). - Autriche-Hongrie. - Piano à queue à cordes croisées, système viennois ; sonorité éclatante, mais un peu caverneuse.

NEMETSCHKE (J.). - Autriche-Hongrie. - Piano à queue ; sonorité plus puissante qu’homogène.

NEUPERT (W.). - Norvège. - Pianos droits à trois cordes d’une sonorité douce, mais sans éclat.

OESER (F.). - Autriche-Hongrie. - Piano d’un travail soigné.

PEURIOT. - France. - Pianos d’une sonorité puissante, mais un peu métallique ; prolongement à la basse ; travail qui dénote un chercheur.

SCHÆFFER (W.). - États-Unis. - Piano carré à cordes croisées ; sonore, mais ne répète pas bien.

SOERENSEN (G.). - Danemark. - Petit oblique à cordes croisées avec châssis en fonte d’une seule pièce ; beau bois de noyer ; fabriqué entièrement par l’exposant, sauf la mécanique.

SOLER. - Espagne. - Piano d’une bonne sonorité ; étouffe imparfaitement.

STERN. - Suisse. - Tables d’harmonie pour pianos ; bois d’érable et autres pour instruments de musique de belle qualité.

TIEPOLD. - République Argentine. - Piano à cordes droites ; sonorité éclatante, mais n’étouffe pas bien.

WOLTER. - France. - Pianos droits ; travail solide.

 

COLLABORATEURS.

Médailles de bronze.

 

MM.          DEMOUVEAUX, contremaître de la maison S. et P. Érard. - France.

DHAENE, directeur de l’usine de la maison Pleyel, Wolff et Cie, à Saint-Denis. - France.

JOMBARD, contremaître de la maison Pleyel, Wolff et Cie. - France.

LEMAIRE, chef des ateliers de la maison Pleyel, Wolff et Cie. - France.

TESTU, contremaître de la maison S. et P. Érard. - France.

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Mentions honorables.

 

MM.    FRANSEN (Henri), chef d’atelier de la maison J. Oor. - Belgique.

HATHAWAY, chef des travaux d’égalisation de MM. Brinsmead et Cie. - Grande-Bretagne.

OOR (Albert), chef d’atelier de la maison J. Oor. - Belgique.

OOR (Domin.), chef d’atelier de la manufacture J. Oor. - Belgique.

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INSTRUMENTS À CORDES.

 

1. - INSTRUMENTS SE JOUANT AVEC UN ARCHET.

 

Un des traits caractéristiques de l’exposition de 1878, nous l’avons dit en commençant, c’est d’avoir fait naître l’occasion de comparer les richesses de l’art ancien avec les produits de l’industrie contemporaine. Jamais, croyons-nous, on n’a vu plus belle collection d’instruments des maîtres de Brescia et de Crémone que celle qui se trouvait au palais du Trocadéro : artistes et amateurs de Belgique, d’Angleterre et de France avaient prêté aux organisateurs de l’exposition rétrospective les plus admirables spécimens de la lutherie italienne du XVIe, du XVII et du XVIIIe siècle.

Même après avoir contemplé ces types si purs et si parfaits, le jury s’est plu à rendre justice aux louables efforts des luthiers français et étrangers. Il a, de prime abord, remarqué l’aspect agréable que. présentaient les vitrines si bien disposées de la classe 13, puis il a constaté avec satisfaction qu’on renonce enfin à ces imitations qui reproduisaient jusqu’à l’usure du vernis. Seuls, quelques étrangers et quelques luthiers de Mirecourt, pour répondre sans doute aux demandes d’une clientèle spéciale, restent fidèles à ces sortes de copies, qu’ont sévèrement jugées les critiques compétents, et qu’ils déclarent aussi ridicules que le seraient des tableaux d’après Raphaël, d’après un grand maître d’une école quelconque, où le copiste aurait imité toutes les craquelures, toutes les détériorations du temps.

De cette branche de la facture instrumentale il n’y a plus, hélas ! grand chose d’original à espérer : les Amati, les Stradivarius et les Guarnerius ont laissé des modèles que l’on couvre d’or, que l’on recherche avec engouement, et les luthiers se voient réduits désormais à tailler leurs instruments sur ces patrons reconnus irréprochables. En s’inspirant des formes, en reproduisant les épaisseurs, toutes les dimensions et les plus petites façons des maîtres italiens des deux siècles derniers, chaque luthier néanmoins peut

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encore se faire reconnaître par le soin qu’il apporte à choisir le bois dont il se sert, par l’élégance et la sûreté de sa coupe, par le vernis de ses instruments et par les qualités sonores qu’il leur sait donner.

Paris, même après avoir perdu l’expert et très habile J.-B. Vuillaume (né à Mirecourt le 7 octobre 1798, mort à Paris le 19 février 1875), occupe encore le premier rang. Ce grand centre attire naturellement tous les hommes d’une vive intelligence, et il s’entend à s’assurer des auxiliaires dont il développe les heureuses dispositions. Mirecourt, berceau de la lutherie française, reste l’atelier par excellence où Paris va chercher ses apprentis et parfois ses associés. Dans cette petite ville des Vosges, comme à Mittenwald, à Grasslitz, à Mark-Neukirchen, la lutherie industrielle fait concurrence à la lutherie d’art, et, il le faut bien reconnaître, le travail mécanique tend à s’y substituent à la main des artistes originaux. Le rapporteur a visité, en 1877, l’important établissement fondé à Mirecourt par M. J. Thibouville-Lamy, membre du jury de la classe 13, et les résultats obtenus par le chef de ces ateliers si. bien, dirigés l’ont frappé de surprise : faire mieux à plus bas prix lui paraît difficile, et l’exposition de 1878 l’a démontré. Quel que soit néanmoins le degré d’habileté auquel parvienne la lutherie industrielle, l’art du luthier serait exposé à un déclin rapide, si de véritables maîtres ne continuaient à former de bons élèves. On n’arrive à bien couper un instrument qu’après avoir appris dès l’adolescence ; à tailler le bois d’une main sûre, et il importe d’encourager tous ceux qui sont encore en mesure de styler des ouvriers heureusement doués.

Parmi les représentants de la lutherie d’art qui honorent l’école française, nommons d’abord MM. Gand et Bernardel frères. Ils ont présenté un double quatuor qui a conquis tous les suffrages : bois de la plus grande beauté, proportions harmonieuses et main-d’œuvre soignée, vernis rouge de Lupot, sons homogènes et d’excellente qualité ; tout dans ces instruments annonce des luthiers d’élite. Citons ensuite M. Miremont, dont la coupe décèle une main ferme et très exercée, un artiste capable de former des élèves de talent ; M. Collin-Mézin, qui a exposé des instruments d’un beau

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vernis et d’une sonorité remarquable ; M. Silvestre neveu, qui perpétue les bonnes traditions que lui ont léguées ses oncles ; M. Jacquot, qui a trouvé aussi de profitables exemples dans sa famille ; MM. Mennegand, Chardon, Dehommais et Germain, Bailly, Cherpitel et plusieurs autres, dont nous avons indiqué les principaux titres à recevoir des récompenses dans la liste que l’on trouvera plus loin.

Au nombre des luthiers étrangers, Ie jury a distingue particulièrement M. Lemböck, qui sait donner du cachet à ses instruments et qui a présenté un quintette bien fait, dont les violons surtout sont de très bonne qualité ; M. Ign.-Jos. Bucher, qui a exposé, entre autres instruments, un violoncelle bien coupé et un violon d’une grande sonorité ; M. Mougenot, auteur d’un quatuor d’une bonne facture ; M. Albert, qui, outre son quatuor, a soumis à notre examen une mentonnière d’ébène à crémaillère pouvant s’adapter à tous les violons. Le jury a regretté que le représentant de M. Bittner ait décliné la proposition de faire essayer les instruments de cet exposant par des artistes français, et que la contrebasse de M. Chanot, d’une forme lourde, ait compromis le succès de ce luthier, qui porte un nom justement aimé.

 

En résumé, cette section de la classe 13 nous a para supérieure peut-être à ce qu’on avait vue antérieurement, surtout sous le rapport du choix des bois et de la qualité des vernis. Le vernis à l’huile donne toujours lieu à des recherches intéressantes, à des expériences qui amèneront d’excellents résultats, espérons le. Sans doute, on emploie encore, et trop généralement, le vernis à l’esprit-de-vin ; mais on est parvenu à le rendre moins sec et plus plaisant à l’œil que celui des luthiers français du XVIIIe siècle.

On a remarqué en 1878 un plus grand nombre d’exposants d’accessoires et de cordes harmoniques qu’en 1867. Le jury a examiné avec intérêt la nouvelle sourdine de MM. Lissajous et J. Thibouville-Lamy, qui, par sa disposition, doit agir également sur les quatre cordes.

Nous avons de vifs éloges à décerner à M. Voirin qui nous a présenté des archets aussi légers que solides. Depuis la révolution

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opérée dans la structure des archets par les Tourte, il n’y a plus à modifier la cambrure et les proportions de la baguette. M. Voirin ne s’écarte pas des types créés par François Tourte (1747-1835) ; toutefois, la tête de s’es archets, moins carrée que celle des modèles dont il s’inspire, a beaucoup de cachet, et le chanfrein, qui en fait ressortir la finesse, indique aussi la main d’un artiste original.

Le commerce des cordes harmoniques, très florissant en Italie, en France, en Allemagne et en Espagne, s’élève à plusieurs millions de francs par an. M. J. Thibouville-Lamy occupe à cette industrie 120 ouvriers, et il transforme chaque année 800,000 boyaux de mouton en cordes harmoniques, à l’aide d’un outillage mécanique des plus complets. A Rome, à Naples, a Barcelone, ailleurs encore, il existe des établissements du même genre qui jouissent d’une vieille et juste renommée.

C’est toujours l’Italie qui fabrique les meilleures chanterelles de violon en boyau. La France vient immédiatement après l’Italie pour les autres cordes en boyau,, et elle s’est placée au premier rang pour les cordes filées de violon, d’alto, de violoncelle et de contrebasse. Elle rivalise avec l’Espagne pour la fabrication des cordes de guitare filées sur soie, et elle se montre supérieure aux autres pays pour la fabrication des chanterelles de violon en soie, industrie qu’elle a créée.

La chanterelle fabriquée avec de très bonne soie, bien purgée et bien filée, possède une plus grande solidité que les cordes italiennes en boyau ; elle est aussi moins hygrométrique ; mais la sonorité qu’on en tire est d’une émission moins facile et offre moins de brillant que celle de la chanterelle en boyau.

Grâce aux formules et aux instruments du savant mathématicien M. J.-A. Plassiard (1), on peut maintenant déterminer les tensions que doit supporter chaque corde d’un instrument pour posséder une grande égalité de son. Il va sans dire que le jury a recouru pour ses expériences sur la justesse, sur la solidité et sur la grosseur des cordes, au phonoscope, au dynamomètre et à un nouvel

(1)           Voir J.-A. Plassiard, Des cordes harmoniques en général et spécialement de celles des instruments à archet. Mirecourt, 1879, in-4°.

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instrument imaginé par M. J. Thibouville-Lamy et permettant de constater sur la corde, avec une pression égale, des différences de diamètre d’un centième de millimètre.

 

Nous renvoyons au tableau -des exposants récompensés pour les observations relatives à la justesse des cordes, nous contentant de donner ici la force de. résistance des meilleures chanterelles de violon italiennes.

 

                                                           Diamètre                                             Force

                                                           de la chanterelle.                                  de tension.

            MM. Rufini, de Naples                        0m,00072                               16 kilogr.

                                                                       0 ,00069                                 13

            Jos. Bedini, de Vicence                       0 ,00069                                 15

                                                                       0 ,00070                                 16

            Venttirini, de Padoue                           0 ,00069                                 17

                                                                       0 ,00068                                 13

            Girolamo Trevisan, de Bassano            0 ,00070                                 12

 

médaille d’or.

 

MM.    GAND ET BERNARDEL FRERES. - France.

 

Médailles d’argent.

 

MM.        LEMBÖCK (G.). - Autriche-Hongrie. - Rappel de médaille avec éloges.

MM.     MIREMONT. - France. - Rappel avec mention élogieuse.

MM.     COLLIN-MÉZIN. - France.

SILVESTIRE NEVEU. - France.

VOIRIN. - France.

JACQUOT. - France.

MOUGENOT (G) Belgique.

ALBERT. - États-Unis.

BUCHER (I.-J.). - Autriche-Hongrie. - A exposé, non seulement des instruments à archet, mais des cithares (voy. le chapitre suivant).

RUFINI (A.). - Italie. - Cordes harmoniques parfaitement fabriquées, justes et d’une belle sonorité ; les chanterelles surtout sont de qualité supérieure.

 

Médailles de bronze.

 

MM.    MENNEGAND. - France. - Luthier habile : un de ses violons a surtout été remarqué par le jury.

BAILLY. - France. - Lutherie de peu d’apparence, mais de bonne qualité.

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MM. CHANOT. - Grande-Bretagne. - Bonne facture.

DEHOMMAIS ET GERMAIN. - France. - Instruments bien coupés ; nouveau vernis à l’huile.

TREVISAN (G.). - Italie. - Cordes harmoniques : chanterelles remarquables au point de vue de la justesse et de la sonorité, mais les quatrièmes cordes (sol), avec âme en boyau couvert de soie et filées avec du fil argenté, ont une sonorité cotonneuse.

LORENZI (DE). - Italie. - Instruments d’une bonne sonorité.

BEDINI (J.) ET FILS. - Italie. - Cordes harmoniques, solides, justes ; mais la qualité de son laisse à désirer ; elle est trop dure.

BARTEK (E.). - Autriche-Hongrie. - Violons.

CHARDON. - France. - Double quatuor d’une bonne facture, bois choisis avec soin.

 

Mentions honorables.

 

MM.    AUDINOT. - France. - Un violon d’une assez bonne sonorité a paru mériter une mention.

BAUDASSE-GAZOTTES. - France. - Cordes harmoniques : bonnes deuxièmes et troisièmes cordes (la et ré), mais chanterelles intérieures.

CHERPITEL. - France. - Instruments où se reconnaît une main habile.

GRANDJON. - France. - Lutherie commune. Cordes harmoniques : les sol et les la sont d’une bonne qualité ; les chanterelles de violon, en soie, sont solides et le son en est agréable, mais sans étendue.

HEL. - France. - Violoncelle de belle apparence, bon travail

HENRY. - France. - Travail consciencieux.

LUTZ (A.) ET Cie. - Autriche-Hongrie. - Instruments à archet et à cordes pincées ; cordes harmoniques, bien fabriquées et d’un son assez brillant, mais peu solides.

MENNESSON. - France. - Violons Guarini, bons pour le prix.

TOTH (A.). - Autriche-Hongrie. - Cordes harmoniques d’une assez bonne qualité de son, mais peu solides.

VENTURINI. - Italie. - Cordes harmoniques : chanterelles solides, mais d’un son dur.

VERPILLAT. France. - Chanterelles en soie, bien faites.

 

COLLABORATEURS.

Médaille de bronze.

 

M.       BERNARDEL (J.-A.) chef d’atelier de la maison Gand et Bernardel frères. France.

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Mentions honorables.

 

MM.    CUNAULT (G.), élève de M. Miremont. - France.

DEROUX (S.-A.), chef des ateliers de M. Miremont. France.

FÉTIQUE, chef des ateliers de lutherie de MM. Gautrot aîné, Durand et Cie. France.

 

II. - INSTRUMENTS A CORDES PINCÉES OU FRAPPÉES.

 

La harpe joue un grand rôle dans l’instrumentation des compositeurs contemporains ; aussi, après avoir beaucoup souffert de la concurrence du piano, semble-t-elle reprendre faveur auprès du public des concerts. La maison Érard a puissamment contribué à ce regain de succès. Les instruments qu’elle a exposés sont à la fois magnifiques, très sonores et de tous points excellents. Construits sur un plan nouveau, sous la direction habile de M. Moreaux, ils n’ont pas moins de 47 cordes, et les 11 cordes de la basse sont filées, sur soie. C’est par le croisement des bois dans l’intérieur de la console et dans le corps qui supporte la table d’harmonie, que l’on a rendu ces harpes, si puissantes, d’une solidité à toute épreuve. On a pris soin, en outre, de faire porter la plaque de la mécanique sur le corps sonore, et de grossir un peu le corps de l’instrument dans sa partie supérieure. Grâce à ces procédés récents, plus de fentes ni de cassures à redouter. Une autre innovation à signaler, C’est le cintrage des pédales. Cette disposition permet au pied droit de l’exécutant de se mouvoir avec facilité. Remarquons encore la petite étoile qui semble orner les trous des pivots. Cette étoile n’est qu’un réservoir d’huile ou de graisse déguisé, au moyen duquel on assure le fonctionnement régulier de la mécanique. On le voit par ces quelques détails, les nouvelles harpes fabriquées de toutes pièces par la maison Érard (cordes filées comprises) sont des instruments aussi parfaits que ses pianos de concert à cordes parallèles.

Un mot seulement des autres instruments à cordes pincées. Les guitares de luxe exposées par M. Altimira nous ont paru fort bonnes, cet artiste distingué en tire des effets de sonorité vraiment

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charmants. Les guitares et les mandolines fabriquées cri Grèce par MM. Macropoulos et Sathopoulos sont d’une facture plus ordinaire, mais aussi d’un prix plus abordable. La France a exposé des guitares et des mandolines d’un bon marché prodigieux. En remarquant les mandolines de M. Thouvenel, nous nous sommes rappelé qu’un luthier de talent à porté le même nom, et nous nous sommes souvenu des Anciaume, des Couturieux et de tous ces anciens ouvriers décorateurs de Mirecourt qui excellaient à incruster et à graver la nacre, l’haliotide et l’écaille.

C’est en Autriche que se fabriquent les meilleures cithares. Celles de M. Ign.-Joseph Bucher sont élégantes et d’une bonne sonorité. Ce luthier monte ses instruments de cordes filées dans ses ateliers. MM. Kirchner nous ont présenté de fort jolies cithares, dont la forme diffère un peu du modèle ordinaire ; ils ont arrondi le fond et le couvercle de cet instrument, et, pour en rendre la sonorité plus éclatante, ils font porter le clavier sur deux alèzes.

En fait d’instruments à cordes frappées, le jury a remarqué ceux que fabrique si bien M. Schunda, établi à Buda-Pesth. Ce facteur a eu l’heureuse idée d’appliquer l’étouffoir au tympanon, et il a remédié ainsi à des confits dé résonances dont souffrait toute oreille délicate. Nous regrettons d’ignorer le nom du virtuose étonnant qui nous à fait entendre le nouveau tympanon de M. Schunda, et qui en obtient une si belle sonorité, ainsi que des effets si piquants.

 

Médaille d’or.

 

MM.    ÉRARD (S. ET P.). - France.

 

Médailles d’argent.

 

MM.    ALTIMIRA. - Espagne.

SCHUNDA (V.-J.). - Autriche-Hongrie.

 

Médaille de bronze.

 

MM.    KIRCHNER FRERES. - Autriche-Hongrie.

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Mentions honorables.

 

MM.    KIENDL (A.). - Autriche-Hongrie. - Cithares et cordes, bon travail courant.

MACROPOULOS. - Grèce.

SATHOPOULOS. - Grèce.

 

COLLABORATEUR.

Médaille de bronze.

 

M.       MOREAUX, chef de la fabrication des harpes de la maison S. et P. Érard.-    France.

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INSTRUMENTS À VENT.

 

La nombreuse famille des instruments à vent se divisait naguère en deux branches principales - les instruments en bois et les instruments en cuivre. Depuis que l’expérience a démontré l’exactitude des principes d’acoustique formulés en 1802 par Chladni. depuis que tous les facteurs savent que le timbre d’un instrument à vent dépend non de la matière avec laquelle on le fabrique, mais des dimensions intérieures du tube sonore, auquel on donne une perce conique ou cylindrique, à la division anciennement en usage on a commencé à substituer une classification nouvelle et plus rigoureusement scientifique. Qu’il nous soit permis cependant de n’y point recourir, le seul but que nous nous proposions ici étant de résumer brièvement les innovations plus ou moins heureuses qu’a remarquées le jury.

Reconnaissons d’abord que cette section de la classe 13 présentait l’aspect général le plus attrayant. Étrangers et Parisiens avaient lutté de goût et de luxe pour disposer leurs vitrines d’une façon pittoresque. Les expositions de MM. Cerveny et fils, de Königgrätz, Jos. Pelitti, de Milan, Mahillon, de Bruxelles, Uhlmann et Stowasser; de Vienne, ne charmaient pas moins les yeux que celles de MM. Courtois, Besson, Goumas, Gautrot, Lecomte, J. Thibouville et autres Français. A première vue, on s’apercevait que le nombre des facteurs qui se consacrent à une ou à deux spécialités seulement tend à diminuer de plus en plus. Parmi ces derniers, on cherchait vainement, hélas ! la vitrine d’un artiste hors de pair : la mort avait enlevé Frédéric Triébert (1813-1878) au moment même où il allait terminer les hautbois et les bassons qu’il destinait à l’Exposition.

En examinant les clarinettes de M. P. Goumas, irréprochables à tous les points de vue ; les flûtes de M. Villette, élève et digne successeur de M. Louis Lot, ou celles de Mme Vve Godfroy aîné ; ou bien encore toute la famille des instruments en vulcanite (caoutchouc durci) de M. Millereau, nous avons admiré la perfection

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du travail des ouvriers parisiens. Ils fabriquent et posent les anneaux ou les clefs des instruments en bois, pour nous servir de là désignation ancienne, de manière à faire de cette famille d’instruments une série de vrais bijoux. Et, en effet, la plupart des auxiliaires de nos facteurs sont des bijoutiers habiles.

Est-ce parce que les flûtes cylindriques et l’application du système Bœhm à la flûte, au hautbois, à la clarinette, etc., exigent une grande précision et des soins minutieux, qu’aucun des facteurs étrangers n’a exposé d’instruments à anneaux mobiles ? Le rapporteur consent volontiers à déclarer que le système Bœhm est compliqué et qu’il doit embarrasser, par conséquent, des ouvriers ordinaires et routiniers ; mais il se refuse à le dire dangereux au point de vue musical. Tout au contraire, il trouve que les notes les plus graves de la flûte, par exemple, sortent mieux et plus facilement sur les instruments nouveaux et perfectionnés que sur les flûtes anciennes a perce conique. Le jury a écouté avec un plaisir extrême la nouvelle clarinette-alto qu’a présentée M. Goumas. Le timbre en est fort beau, et nous ne doutons pas que les compositeurs n’en tirent un heureux parti. Il va sans dire que cet instrument et tous ceux que construit pour la France cet excellent facteur sont d’après le système Bœhm.

M. Mahillon, qui reste fidèle à l’ancien système, a eu une pensée dont nous tenons à le remercier : il a ressuscité le hautbois d’amour. Celui qu’il nous a fait entendre nous a paru d’un timbre délicieux. Il y aurait avantage, croyons-nous, à remettre en faveur ce genre de hautbois, souvent employé par les compositeurs du siècle dernier.

Passons maintenant aux instruments en cuivre. M. Antoine Courtois, qui excelle dans la fabrication de cette branche d’instruments, a exposé des types variés d’une belle résonance et d’une grande justesse. Autant en dirons-nous de M. Besson . dont la facture a droit à nos vifs éloges. M. Millereau, facteur plein d’expérience et d’avenir, avait aussi une exposition intéressante et complète. Son cor vocal nous semble une sorte de saxhorn-alto ou de néocor à perce cylindrique. Comme le tube en est moitié moins long que celui du cor ordinaire, il résonne à l’octave aiguë de ce dernier

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instrument, et ne donne, en conséquence, que les harmoniques inférieurs.

MM. Gautrot, Durand aîné et Cie nous ont soumis leurs sarrussophone, instruments conçus par M. Sarrus, et dans lesquels ils ont appliqué l’anche double an tube conique. En reconstituant une autre famille de bassons, non plus en bois mais en cuivre, ces facteurs n’ont qu’imparfaitement réussi, d’après l’opinion du jury. Le rapporteur croit pourtant que le sarrussophone-basse en si bémol et le sarrussophone-contrebasse en mi bémol conviennent parfaitement à la musique militaire ; il est même d’avis que le sarrussophone-contrebasse en ut remplacerait avantageusement, dans nos orchestres de théâtre et de concert, le contrebasson en bois. La maison Gautrot nous a fait entendre, en outre, des instruments qui, au moyen d’un piston spécial, changent de timbre, à la volonté de l’exécutant. Le jury n’a pas approuvé cette innovation. Le clairon-trompette présenté par M. Lecomte n’a pas obtenu plus de faveur. Il est évident que pour arriver à de semblables résultats, il faut être doué d’un esprit inventif ; nous pensons néanmoins qu’un habile facteur, au lieu de chercher à doter les instruments en cuivre d’un double caractère, doit conserver, au contraire, la franchise, la parfaite exactitude de leur timbre particulier, et s’attacher seulement à en perfectionner la justesse et la sonorité.

Faut-il signaler, à présent, quelques menus perfectionnements de mécanisme ayant pour but soit de remédier au défaut de justesse de certaines notes, soit de rendre les réparations plus faciles et moins dispendieuses ? Tous les bons facteurs s’ingénient à trouver des combinaisons pour éviter les rétrécissements des tubes ou les pertes d’air dans le jeu des pistons. Plusieurs d’entre eux ont essayé de corriger les notes douteuses au moyen de pistons additionnels correspondant à des coulisses de diverses longueurs ; mais ce système, à cause sans doute de sa complication, n’a pas encore prévalu. Il est même à noter que M. Besson est le seul Français qui nous ait présenté un instrument à 6 pistons. Cet éminent facteur n’a point persisté dans la fabrication de ce genre d’instruments, qui exigent, il est vrai, des études nouvelles de la part des exécutants.

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N’oublions pas, parmi les tentatives faites pour remédier au défaut de justesse de certaines notes, la clef rectificative de M. J. Thibouville-Lamy, clef dont le tampon est placé sur le pavillon de l’instrument, à l’endroit où sa forme commence à devenir conique. En ouvrant cette clef, le musicien opère comme un léger raccourcissement du tube sonore et hausse, par conséquent, d’un comma ou plus encore, la note qu’il veut émettre. Ce procédé pour nuancer les différences commatiques du dièze au bémol nous semble ingénieux.

M. George, de Toulon, a voulu simplifier le système des clefs. Le jury a trouvé que ses innovations rappellent singulièrement la monture adoptée pour les clefs de l’ophicléide, et qu’elles ne se prêtent guère à un ajustement de précision.

Les facteurs français sont seuls à construire encore des cors simples, dits cors d’harmonie, et des trombones à coulisses. Le rapporteur pense qu’il convient de leur en savoir gré. Quoi qu’on puisse dire, ces instruments, pour lesquels ont écrit les maîtres classiques de la symphonie, ont un timbre que les cors et les trombones à pistons ne reproduisent pas exactement dans certaines notes. Si nous voulons éviter ici tout ce qui pourrait entraîner il des discussions théoriques on ressembler à un plaidoyer en faveur des facteurs de notre pays, nous ne pouvons toutefois nous empêcher d’ajouter qu’entre le système des pistons à la française et le système allemand appelé cylindre à rotation, c’est celui que nous avons adopté en France qui tend à prévaloir universellement. Rien de plus naturel, puisqu’à tous les avantages dés pistons à. rotation il joint le mérite d’un mécanisme plus simple et plus solide.

Le jury a regretté que MM. Ceverny et Pelitti n’aient pu se rendre à Paris pour nous faire entendre leurs instruments, et qu’ils aient renoncé à prendre part au concours.

Voici la liste annotée des exposants qui ont reçu des récompenses : on y trouvera quelques détails complémentaires. Nous avons jugé qu’il nous était d’autant plus permis d’abréger, que l’usage de publier, des prix courants illustrés s’est répandu depuis dix ans parmi les facteurs d’instruments à vent. Quelques-unes de

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ces publications sont de véritables livres à figures, qui nous paraissent appelés à rendre de grands services aux futurs historiens de la facture instrumentale au XIXe siècle.

 

Médailles d’or.

 

MM.    GOUMAS (P.) ET Cie. - France. - Quarante-deux instruments à vent en bois : famille complète de clarinettes et de saxophones ; hautbois ; flûtes à perce conique et à perce cylindrique ; bassons d’après le système de M. Jancourt, d’une justesse et d’une qualité de son parfaites ; saxophones avec système breveté du double si bémol

COURTOIS. - France. - Instruments on cuivre d’une excellente fabrication et d’une justesse irréprochable.

BESSON. - France. - Instruments en cuivre, de formes élégantes, d’une belle qualité de son et d’une grande justesse.

MAHILLON (C.). - Belgique. - Instruments en bois et en cuivre : famille de clarinettes, de bonne qualité ; très bonne flûte à perce cylindrique, jouée dans la perfection par M. Dumont ; trombones à pistons ; exposition très variée et comprenant des instruments de percussion.

 

Médailles d’argent.

 

MM.    MILLEREAU. - France. - Rappel avec éloges : instruments en bois et en cuivre, très bien faits et d’une grande justesse ; saxophone-soprano excellent ; clarinettes et hautbois très bons.

ROMERO (A.). - Espagne. - Rappel avec éloges pour sa clarinette perfectionnée, système Bœhm.

VILLETTE. - France. - Instruments en bois ; flûtes en bois et en métal, à perce cylindrique, d’une justesse parfaite et d’une qualité de son excellente ; facture irréprochable.

GAUTROT AÎNE, DURAND ET Cie. - France. - Rappel : instruments en bois et en cuivre ; grande variété d’instruments ; manufacture fort importante ; basson d’une très bonne sonorité ; sarrussophones ; cymbales méritant une mention à part.

RIVE. - France. - Flûtes cylindriques : fabrication soignée et belle qualité de son.

LABBAYE. - France. - Rappel. Instruments en cuivre d’une grande justesse ; cor simple, excellent.

Mme    Vve GODFROY AÎNE. - France. - Rappel. Flûtes très bien fabriquées.

MM.        UHLMANN (L.) ET FILS. - Autriche-Hongrie. - Instruments en bois et en cuivre, d’une bonne fabrication, d’un timbre parfait et d’une justesse satisfaisante.

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MM.    LECOMTE - France. - Instruments en cuivre bien fabriqués ; saxophones très sonores et justes ; exposition importante et complète en son genre.

BARBiER. - France. Flûtes de toutes sortes, bien faites et à perce cylindrique ; excelle, dans la fabrication de la petite flûte à perce cylindrique, qu’il a perfectionnée.

MICOLLIER PERE ET FILS. - France. - Instruments en bois et en cuivre, d’une bonne facture ; hautbois d’une très belle qualité de son.

COUSIN. - France. - Instruments en bois et en cuivre, d’une bonne fabrication.

SUDRE. - France. - Instruments en cuivre d’un timbre exact ; contrebasse en si bémol très juste ; trombone à trois pistons doubles, d’une excellente qualité de son.

STOWASSER (Ign.). - Autriche-Hongrie. - Instruments en cuivre à cylindre rotation, d’un timbre exact ; instruments graves d’une belle résonance.

 

Médailles de bronze.

 

MM.    FRANCOIS (L.), MAÎTRE (J) ET Cie. - France. - Instruments en bois et en cuivre ; exposition, très variée et comprenant des instruments de percussion ; bonne facture.

LOT (Isidore). - France. - Instruments en bois, justes et bien faits.

THIBOUVILLE FILS AÎNE. - France. - Instruments en bois, facture soignés. SANTUCCI. - Italie. - Instruments en cuivre graves, d’une bonne qualité.

THIBOUVILLE-CABART (J.-B.). - France. - Instruments en bois : clarinettes système Bœhm, d’une bonne justesse.

JAULIN.- France. - Harmonicor ; instrument à vent qui, par la forme et un peu par le timbre, se rapproche du hautbois ; il est à clavier et pourrait être classé dans la famille des accordéons, le son étant produit par des languettes que met en vibration le souffle de l’exécutant. M. Jaulin a aussi exposé des diapasons excellents qui sont une heureuse application de l’anche libre.

HERTIG ET Cie. - Suisse. - Instruments d’une justesse satisfaisante.

SERFELDT (W.-F.). – État-Unis. - Instruments en cuivre, construits par des facteurs encore à leurs débuts, mais qui méritent d’être encouragés.

FEUILLET ET FILS. - France. - Saxophones d’une bonne fabrication.

FUCHS (Daniel). Autriche-Hongrie. - Instruments d’une justesse satisfaisante.

MARTIN FRERE. Instruments en bois bien faits.

LAHERA (H.). - Espagne. - Instruments en cuivre bien fabriqués ; tambours sonores.

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MM.    LEHNERT. - États-Unis. - Instruments en cuivre, système à rotation, d’une bonne fabrication.

PEREIRA ET Cie. - Portugal. - Instruments en cuivre d’une bonne facture.

RAFANELLI (E.). - Italie. - Instruments en cuivre ; cymbales d’une bonne sonorité.

ZIEGLER (J.). - Autriche-Hongrie. -Instruments en bois et en cuivre : flûtes à perce conique ; bonnes trompettes. Cette maison est maintenant dirigée par M. Laussmann.

BARBU. - France. - Anches de clarinettes et de saxophones faites avec beaucoup de précision et de soin.

MAYER (C.). - Autriche-Hongrie. - Anches, becs et embouchures d’une fabrication soignée.

JUNTE DE LA GALICE. - Espagne. - Diplôme. Exposition collective ; dulzainas et autres instruments d’une facture originale.

 

Mentions honorables.

 

MM.    FOURNIER. - France. - Anches de clarinettes et de saxophones ; bon travail.

GEORGE ; E. - France. - Clarinettes et saxophones avec système de clefs simplifié.

HUTTL (A.-K.). - Autriche-Hongrie. - Instruments en cuivre, système à rotation ; bonne fabrication courante.

KROUNTSCHACK (F.). - Russie. - Instruments en cuivre ; bons cornets.

LAUBE. - France. - Instruments en bois : bonnes clarinettes.

MESSANI (J.). - Autriche-Hongrie. - Instruments en bois et en cuivre, bien faits, surtout les clarinettes et les trompettes.

TONI (De). - Italie. - Instruments en cuivre, bien faits.

WALLIS. - Grande-Bretagne. - Instruments en bois : flûtes à perce conique bien fabriquées, le fa dièze juste ; trou énorme pour le si ; bons flageolets ; prix modérés.

LANGE. - Russie. - Instruments à vent, à bon marché.

 

COLLABORATEURS.

Médailles de bronze.

 

MM.    BIÉ (P.). - France. - C’est à ce facteur que M. Romero s’est adressé pour construire la nouvelle clarinette qu’il a imaginée.

MARCHAND (Z.), contremaître de la maison A. Courtois. - France.

MILLE, chef des ateliers de la maison Courtois. - France.

 

Mentions honorables.

 

MM.    GANDILHON, chef d’atelier de MM. Gautrot aîné, Durand et Cie. - France.

MARY, chef d’atelier de MM. Gautrot aîné, Durand et Cie. - France.

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INSTRUMENTS DE PERCUSSION.

 

Quelques mots seulement sur cette catégorie d’instruments. M. Mabillon, de Bruxelles, et MM. Gautrot, Durand aîné, et Cie ont exposé des timbales d’un nouveau modèle et réalisant un progrès. Par des procédés à peu près analogues, ces facteurs arrivent au même but, qui est d’obtenir une tension égale de la membrane sonore sur tous les points de la circonférence de chaque timbale. La maison Gautrot a présenté, en outre, des cymbales d’une résonance brillante, et M. Robert nous a soumis des tambours et des grosses caisses très sonores.

La France ne demande plus toutes ses cymbales à la Turquie, mais elle reste tributaire de l’Asie pour les gongs. Il en sera toujours ainsi, pensons-nous, tant que le tam-tam, qui a déjà remplacé la cloche dans les hôtels des États-Unis, ne s’introduira point dans nos usages domestiques.

 

Médaille de bronze.

 

M.       ROBERT. - France. - Grosses caisses et tambours ; accessoires d’orchestre.

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INSTRUMENTS MÉCANIQUES.

 

Nous parlerons brièvement de ce genre d’instruments : ils n’offrent aucun intérêt musical, mais ils représentent une branche de commerce importante. La Suisse, qui compte tant d’horlogers habiles, continue d’exceller dans la fabrication des boîtes à musique. Jusqu’à présent un seul Français rivalise dans cette dernière industrie avec les fabricants de Genève, de Sainte-Croix et de Teufenthal.

Dans notre revue des harmoniums, nous avons cité des appareils mécaniques ayant pour but de réaliser des harmonies fixes ou même des harmonies facultatives (Voir p. 19). Parmi les pianos automatiques, ceux de la maison Debain conservent leur supériorité, et celui de M. Limonaire mérite une mention, particulière. Le pianiste de M. J. Thibouville-Lamy remplit, par un procédé nouveau. les mêmes fonctions que le piano-mécanique. Il se pose devant un piano quelconque et consiste en un appareil offrant l’aspect d’un meuble de petites dimensions, d’où sortent une série de marteaux en bois destinés à attaquer les touches du clavier et à remplacer les doigts du pianiste. C’est en tournant une manivelle que l’on fait agir ce mécanisme, qui met chaque doigt sous la dépendance d’un soufflet moteur ressemblant à celui du système pneumatique inventé par Barker, et introduit par lui dans les orgues d’église.

En résumé, nous ne pouvons que répéter ici ce qu’a dit M. Lissajous sur le même sujet (1) : nous rendons justice au mérite des combinaisons mécaniques réalisées par les exposants ; mais ils nous pardonneront de ne pas nous étendre davantage sur des inventions qui, loin de profiter à fart, tendent à le supprimer.

 

Médailles d’argent.

 

M.       GROSCLAUDE. - Suisse. - Boîtes à musique, combinaisons nouvelles, mécanisme ingénieux ; habile travail.

 

(1)           Lissajous, Rapport sur l’Exposition universelle de Vienne en 1873. Paris, 1875.

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M.       L’ÉPÉE. - France. - Petites boîtes à musique d’une très bonne exécution ; manufacture importante.

 

Médailles de bronze.

 

MM.    BRÉMOND. - Boîtes  à musique, bon harmoniphone.

LANGDORFF ET FILS. - Boites à musique, bien notées et harmonieuses.

PAQUET. - France. Métronomes d’une grande précision.

PERRELET ET Cie. - Suisse. - Bottes à musique ; harpe éolienne bien faite.

GEISSAZ. - Suisse. - Bottes à musique ; bon travail ordinaire.

KARRER (S.). - Suisse. - Boîtes à musique, cylindres de rechange ; mécanisme soigné.

 

Mention honorable.

 

MM. BORNAND-MEYLAN. - Suisse. - Boites à musique de quatre à douze airs.

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INSTRUMENTS EXOTIQUES.

 

Le jury a examiné avec le plus vif intérêt les nombreux instruments de ces pays lointains, où prévaut un système de tonalité différent de celui des Européens. Les expositions collectives des colonies néerlandaises, des colonies françaises, des douanes impériales chinoises, de la junte provinciale de la Galice et la belle collection de Sa Majesté le roi de Siam ont excité notre curiosité et mérité, les suffrages de tous les artistes érudits.

Les grandes expositions internationales favorisent singulièrement les études d’ethnographie musicale, et, depuis 1867, la plus louable émulation semble régner entre les conservateurs des musées d’instruments de musique et les musiciens qui s’adonnent a une science qu’on avait trop longtemps négligée. Il serait injuste de ne point reconnaître que F.-J. Fétis, en publiant son Histoire générale de la musique (1869 - 1876), a donné de l’essor à cette nouvelle branche de notre littérature. Les ouvrages anglais du savant rajah Sourindro Mahun Tagore, directeur de l’école de musique de Calcutta, le catalogue illustré du musée de South-Kensington (1874), par M. Carl Engel, le livre illustré de M. Alexandre Krauss sur La Musique au Japon, méritent d’être mentionnés parmi les meilleurs de ce genre, et nous croyons être l’interprète du jury tout entier en remerciant ici leurs auteurs des services qu’ils ont rendus à l’art qui nous est cher.

Entrerons-nous dans le détail de tous ces instruments exotiques la plupart d’une forme si pittoresque ? Cela nous entraînerait trop loin. Nous nous bornerons à faire remarquer que, si les cordes en boyau sont employées sur presque toute la surface du globe terrestre, les Chinois et les Japonais se servent surtout des cordes de soie, qu’ils fabriquent très bien ; les Indiens et les Arabes semblent préférer les cordes métalliques à toutes les autres, et les habitants de l’Afrique centrale en sont encore réduits à faire usage de lianes plus ou moins sonores.

L’examen attentif des instruments exposés et nos souvenirs du

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musée indien de Londres, ainsi que des deux belles collections d’instruments indiens que possèdent lés musées de Bruxelles et de Paris (1), nous conduisent à présenter une autre remarque. Si l’Inde a pu fournir à l’Europe des types dont nos luthiers se sont inspirés, il est évident que les Indiens, à présent, subissent à leur tour l’influence d’un art devenu supérieur au leur, et qu’ils commencent à imiter nos archets et certains modèles de lutherie européenne. Tout est action et réaction dans ce monde, et l’instrument qu’au Bengale on nomme sur-sanga nous en fournit un exemple frappant.

Les symphonistes ont-ils quelques ressources nouvelles à tirer des instruments et des sonorités qu’affectionnent les peuples de l’Asie et de la Polynésie ? Ils leur en ont emprunté plusieurs, même depuis que Gluck a introduit les cymbales à l’Opéra (2), et que Gossec a fait résonner le tam-tam aux funérailles de Mirabeau ; mais il leur sera difficile désormais de découvrir des timbres inconnus dans tous ces orchestres si différents des nôtres. Cependant il y aurait peut-être encore à obtenir des effets inattendus de l’emploi simultané des cordes métalliques et des cordes de boyau, de certains tambours indiens ou annamites, de la série des harmonicas à lames de bronze et des singulières castagnettes qu’on appelle à Calcutta des khattali. Le rapporteur croit inutile d’insister sur ce point, et il pense qu’une étude approfondie des instruments de cette section est surtout intéressante au point de vue de l’histoire générale de la musique.

 

Diplômes d’honneur ou médailles d’or.

 

COLONIES NEERLANDAISES. - Pays-Bas. - Exposition collective des plus importantes et du plus haut intérêt. Grande variété d’instruments de percussion : gamelangs (appareils à lames métalliques), véritables harmonicas donnant avec une grande justesse la gamme diatonique mineure ; angklangs (tuyaux de bambou d’inégale grandeur oscillant dans la rainure d’un châssis contre les montants duquel ils vont frapper) ; gongs et tam-tams d’une belle sonorité, etc. Instruments à cordes de formes curieuses et bien fabriqués.

(1)           Elles ont été offertes à la Belgique et à la France par le rajah Sourindro Mahun Tagore.

(2)           Voir le chœur des Scythes dans Iphigénie en Tauride (18 mai 1779)

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COLONIES FRANÇAISES. - France. - Instruments métalliques de la Cochinchine d’une sonorité éclatante ; balafo du Sénégal ; tambour de la Guyane, de forme très haute ; grande variété d’instruments de percussion ; quelques instruments à cordes d’une construction originale et soignée.

M.       KRAUS (AL) FILS. - République de Saint-Marin. - Livre à figures sur la Musique au Japon. Collection très complète d’instruments japonais, ; instruments pouvant servir à l’étude de l’histoire générale de la musique ou de la facture instrumentale.

 

Diplôme ou médaille d’argent.

 

SA MAJESTI LE ROI DE SIAM. - Siam. - Très bel ensemble d’instruments . violon à trois cordes très bien établi ; alligator (sorte de guitare) d’une forme curieuse ; grande variété de tambours et d’instruments de percussion métalliques.

 

Diplôme ou médaille de bronze.

 

DOUANES IMPERIALES MARITIMES CHINOISES. - Chine. - Instruments fabriqués avec soin.

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ÉDITIONS MUSICALES.

 

Le commerce de la musique, qui de jour en jour dans notre pays prend une extension plus considérable, est obligé de se plier aux exigences de deux clientèles distinctes et de goûts opposés : il doit fournir aux artistes des partitions à grand orchestre, des éditions classiques d’une correction irréprochable, des traités et des compositions vocales et instrumentales offrant le plus sérieux intérêt ; il lui faut attirer les amateurs et contenter la multitude par des publications à bon marché. Vendre à bas prix des œuvres publiées avec soin a toujours passé pour un problème difficile à résoudre. Nous avons constaté que de grands progrès ont été réalisés sous ce rapport non seulement en Italie et en Autriche, mais aussi en France. Le jury félicite les éditeurs parisiens de ne pas reculer devant les sacrifices auxquels entraîne le plus souvent la publication d’une partition à grand orchestre, et de ne point suivre le mauvais exemple de certains de leurs confrères étrangers qui gardent en manuscrit l’instrumentation des opéras qu’ils possèdent, se bornant à en faire paraître une réduction pour piano et chant. Il y a des auteurs qu’on ne connaît tout entiers qu’après avoir étudié leur coloris instrumental, et c’est bien mériter de l’art que de propager dans leur intégrité les grandes pages dramatiques, religieuses ou symphoniques des maîtres qui honorent une école.

Les journaux de musique édités en France nous paraissent aussi dirigée ; dans une voie meilleure : l’esthétique, la théorie et l’histoire y occupent maintenant une plus large place, et les articles qu’ils publient méritent souvent de se transformer en livres de bibliothèque.

Le rapporteur aurait désiré que les efforts des exposants de cette importante section de la classe 13 reçussent une marque d’encouragement plus haute ; mais le jury, ne disposant que d’un nombre restreint de médailles d’or, n’a pas cru devoir en décerner aux éditeurs de musique. Plusieurs d’entre eux, qui avaient exposé dans les classes 6, 7 et 8, consacrées à l’éducation y ont reçu la

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récompense qu’ils ambitionnaient d’obtenir. Nous n’en devons pas moins mentionner à part les chefs d’établissements qui impriment à leur industrie une impulsion heureuse, et cherchent des procédés nouveaux de publication dont nous sommes tous appelés à bénéficier. Nous donnerons plus loin la liste annotée et complète des exposants récompensés ; mais il nous sera permis de rappeler ici quelques noms bien connus et quelques faits saillants. La maison Heugel a publié des tableaux destinés à l’enseignement,. d’une dimension inusitée et d’une utilité pratique incontestable. M. Achille Lemoine, à qui mon doit des éditions si correctes, si nettes et si bien gravées, voudrait tirer parti de l’héliographie au profit de la musique. Les résultats qu’il a obtenus jusqu’à présent sont encore trop coûteux ; nous espérons néanmoins que, dans un avenir prochain, il s’opérera dans le commerce de la musique, grâce à la photographie, une révolution semblable celle que le report sur pierre a récemment amenée. La gravure sur cuivre ou sur étain, la typographie ainsi que la lithographie musicale ne disparaîtront pas pour cela ; mais les tirages indéfiniment beaux deviendront possibles.

L’Italie et l’Allemagne continuent à éditer à meilleur marché que la France. et certains marchands de musique de notre pays trouvent économie à faire graver et imprimer à Vienne ou à Leipzig les ouvrages qu’ils mettent en vente à Paris. Nous pensons qu’il leur serait possible de lutter contre leurs concurrents du dehors, et, tout en rendant justice aux publications très correctes et imprimées sur bon papier des nations étrangères, nous attendons beaucoup de maisons aussi consciencieuses et aussi habilement conduites que celles de MM. Brandus, Durand et Schœnewerk, S. Richault, Grus, Colombier et Leduc.

Maintenant il nous reste à consigner ici une explication indispensable. Si le jury n’a proposé de décerner aucune récompense à la maison Ricordi ni à la maison Lucca, de Milan, c’est qu’il s’est vu dans l’impossibilité d’examiner à souhait les publications innombrables de ces deux éditeurs, qu’on avait entassées pêle-mêle de la façon la plus regrettable. A nos yeux, les maisons Ricordi et Lucca, connues dans le monde entier, occupent le même rang que

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les meilleurs éditeurs de France, et nous eussions cru leur faire injure en leur attribuant une médaille de bronze.

 

Médailles d’argent.

 

MM.    BRANDUS. - France. - Rappel. Outre des publications musicales de tous- genres, éditées avec grand soin, cette maison fait paraître un journal hebdomadaire (Revue et Gazette musicale) qui rend des services à l’art et contribue aux progrès des études historiques.

HEUCEL. - France. - Rappel. Grandes partitions ; méthodes du Conservatoire et compositions didactiques ; publications autographes ; éditions de luxe ; journal hebdomadaire le Ménestrel ; livres sur la musique.

LEMOINE (A.-P.). - France. - Rappel. Fonds considérable ; œuvres classiques d’un haut intérêt et d’une grande correction ; innovations typographiques ; journal hebdomadaire le Monde artiste ; livres sur la musique.

DURAND, SCHOENEWERK ET Cie. - France. - Partitions à grand orchestre, bien gravées ; musique de chant et de piano éditée avec beaucoup de soin.

GRUS. - France. - Grandes partitions ; partitions pour piano et chant publiées avec autant de correction que de luxe ; fonds important.

COLOMBIER. - France. - Grandes partitions ; musique de chambre et traité d’harmonie fort correctement gravés ; bonnes édifions.

LEDUC. - France. - Petites partitions et publications de belle apparence, remarquables surtout au point de vue du bon marché.

RICHAULT. - France. - Fonds considérable, publications récentes qui témoignent en faveur du chef actuel de cette vieille et riche maison, qui grave, imprime et édite tout à la fois ; grandes partitions en petit format.

 

Médailles de bronze

 

MM.    GIROD (E.). - France. - Fonds important ; bonnes éditions ; direction des plus honorables.

BAUDON. - France. - Gravure de musique où se reconnaît une main habile et consciencieuse.

Mme     Vve MOUCELOT (L.). - France. - Impressions musicales faites avec soin et comprenant à la fois imprimerie, lithographie et taille-douce.

MM.    SONOGNO. - Italie. Éditions à très bon marché.

IKELMER FRERES ET Cie - France. - Éditions à très bas prix.

MACKAR. - France. - Musique gravée et éditée avec soin ; cherche à innover.

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MM.    LE BEAU. - France. - Partitions d’orchestre, grand et petit format, gravées avec soin.

PARENT. France. - Gravure de musique bien dirigée par le chef d’une famille de graveurs.

ALARD. - France. - Musique clichée ; méthodes avec texte en typographie ; a aussi exposé un clavier muet.

O’KELLY. - France. - Éditions correctes ; ouvrages didactiques ; tendance d’artiste à encourager.

 

Mentions honorables.

 

MM.    DELAY. - France. - Impressions musicales ; reports d’une grande netteté.

 

Mme     Vve FROISSARD. - France. - Papier à musique ; cartons réglés et imprimés pour musique militaire.

MM.    GREGH. - France. - Musique de chant et de piano, éditions correctes.

LE BAILLY. - France. - Musique vocale populaire, avec et sans accompagnement ; librairie musicale.

MICHAELIS. - France. - Grande partition gravée par Baudon ; partitions anciennes réduites pour piano et chant, à 5 francs net.

MICHELET. - France. - Impressions musicales à roide de cinq presses ; éditions bijou.

ROSZAVOLGYI ET Cie. - Autriche-Hongrie. - Messe et pièces de piano, gravées avec autant de correction que de soin ; aspect des éditions de Leipzig.

TABORSKI ET PARSCH. - Autriche-Hongrie. - Musique de danse et marches pour orchestre.

 

COLLABORATEURS.

Médailles de bronze.

 

MM.    LISSORGUES, graveur principal de la maison Grus. - France.

MARY, graveur sur bois des tableaux exposés par MM. Heugel. - France.

MORRIS, imprimeur de la maison Heugel. - France.

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CONCLUSION.

 

Notre tache laborieuse est terminée. Nous l’avons accomplie guidé par l’amour du progrès, de la justice et de la vérité. Comme nous n’avons épargné ni le temps ni la peine, nous nous sommes imposé le devoir d’examiner encore, à la fin de l’Exposition, les instruments à clavier que déjà nous avions essayés lors des opérations du jury. En présence de l’un de nos collègues parisiens, nous avons constaté que tels pianos qui, à leur entrée au palais du Champ de Mars, avaient toutes les apparences de la solidité, présentaient, quatre mois après, soit un barrage qui avait gauchi. soit un autre grave défaut de construction.

Pour que toute ni éprise entre les pianos bien équilibrés et ceux qui ne le sont pas devienne impossible, le rapporteur émet le vœu qu’à l’avenir on juge les instruments de musique, non plus au début, mais dans la dernière période de l’Exposition.

Il croit aussi ne pouvoir mieux conclure ce rapport qu’en formulant certains desiderata au sujet de la construction des orgues d’église.

Il demande aux facteurs d’orgues à tuyaux de s’astreindre aux règlements du congrès de Malines, surtout en ce qui concerne la dimension des touches du pédalier.

Il les prie d’établir désormais une parfaite symétrie entre l’échelle musicale du pédalier et l’étendue des claviers manuels, les sons élevés du pédalier étant d’une ressource infinie.

Enfin il recommande aux facteurs français de suivre le bon exemple donné par MM. E. et J. Abbey, et de ne plus construire que des pédaliers concaves. Le rayon que doit décrire l’arc de cercle du pédalier concave est nécessairement plus grand que celui que représente la jambe de l’organiste : une courbure trop accentuée ferait naître des difficultés d’exécution.

En réclamant instamment ces innovations, le rapporteur n’exige que ce qui se pratique le plus habituellement en Angleterre. Il est vraiment temps que les facteurs français renoncent au clavier horizontal, dont la disposition impose des mouvements désordonnés

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et ridicules, aussi contraires à la bonne tenue de l’organiste qu’à la sûreté de son jeu.

Si l’on trouvait que nous attachons trop d’importance à des détails, nous répondrions que, dans la facture instrumentale, il ne faut jamais oublier le côté pratique. Travailler à rendre l’exécution plus commode, plus facile et plus correcte, c’est venir en aide an musicien et lui assurer de nouveaux moyens de succès. En fait d’art, rien n’est indifférent, et le rôle d’un facteur d’élite sera toujours de se montrer le plus précieux auxiliaire des compositeurs et des virtuoses.

 

GUSTAVE CHOUQUET,

Conservateur du musée du Conservatoire national de musique.

 

              

        Fax : .      

luthiers@luthiers-mirecourt.com

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